Identifier les angles morts : quels sont les impensés des initiatives et politiques alimentaires locales ?
Module 2.4 du Mooc « Acteurs, leviers, outils pour mener les transitions du système alimentaire »
Stéphanie CABANTOUS, 2018
La très grande hétérogénéité des initiatives montre aussi quelques difficultés récurrentes, des impensés de l’action qui peuvent compromettre leur développement et ralentir la transformation en système alimentaire territorialisé. Quatre d’entre eux sont précisés dans ce module.
Pour ces angles morts, nous disposons de moins de ressources. Ce sont des points pour lesquels la capitalisation des retours d’expériences et les outils sont davantage à construire.
Parmi ces difficultés, citons :
La connaissance du profil alimentaire du territoire
Comment le territoire se nourrit ? Dans un système alimentaire dominé par des filières agro-alimentaires intégrées et mondialisées, il est bien difficile de caractériser les flux alimentaires du territoire. Or comment agir sur l’évolution du profil alimentaire quand on ne le connaît pas ?
La phase de diagnostic conjuguant expertise d’usage et expertise scientifique doit permettre l’identification des points d’accroche permettant de pallier à ces manques et d’agir malgré ces manques.
La prise en compte du caractère systémique de la question alimentaire
Le caractère multi-dimensionnel de l’alimentation est perçu, conscientisé. Pour autant, les relations entre ces dimensions et la nature de ces relations sont moins bien cernées. S’agit-il d’une simple corrélation, d’un lien de causalité, d’une boucle de rétroaction… ? Faute de bien appréhender ces relations, les effets d’une action sur d’autres dimensions de la question alimentaire ou ou les effets d’une action hors du territoire sont peu anticipés.
Nous pouvons penser aux approches « nutrition-santé » qui sont souvent cantonnées à l’éducation alimentaire. Que se passe-t-il si autour des écoles, seuls des fast-foods sont implantés ? Ou si dans les quartiers où ils habitent, il n’y a pas d’épiceries proposant des fruits et légumes frais ?L’urbanisme commercial joue donc un rôle pour conjuguer comportements individuels et pratiques sociales. Si ce lien n’est pas fait, l’urbanisme commercial a peu de chance d’être travaillé. Les effets des actions éducatives seront minorés.
L’organisation d’une gouvernance assurant la durabilité du système
La satisfaction est un ressort puissant de la mobilisation. Elle suppose donc d’avoir des actions concrètes de court terme, dont les résultats sont visibles. Cette importance du court terme ne doit pas pour autant se faire aux dépens de la vision transformatrice de long terme. Les résultats immédiats ne disent rien des impacts à long terme. L’articulation entre vision de long terme et actions de court terme doit s’appuyer sur un renouvellement permanent des formes de mobilisation et une souplesse des modes de gouvernance.
La prise en compte des évolutions, des signaux faibles, dans une optique prospectiviste
Plusieurs sujets émergent sur la question alimentaire. Ils nous apparaissent à ce jour peu appréhendés par les acteurs territoriaux. Nous en citons certains, sans que ce soit exhaustif, pour inviter à les insérer dans les réflexions et actions que vous menez. Il s’agit :
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de l’évolution des modes de consommation avec le développement de l’e-commerce et l’enjeu du premier et du dernier kilomètre
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de l’évolution des acteurs en place du système alimentaire mondialisé – nous pensons notamment à la grande distribution qui, après le drive, s’attaque à la livraison pédestre à domicile ou construit de nouvelles plate-formes logistiques (automatisées) en couronne des grandes agglomérations afin de faciliter les flux liés au développement de l’e-commerce
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de l’arrivée de nouveaux acteurs sur le secteur alimentaire : pensons à La Poste ou Amazon sur le créneau de la distribution alimentaire…
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des besoins en logistique, des besoins de stockage, de distribution des produits de proximité dans un paysage dominé par les grandes centrales d’achats et les Marchés d’Intérêt National.
Ces signaux faibles que nous citons ici nous invitent à ne pas ignorer des mouvements de fond chez les acteurs en place ni ignorer les conséquences et concurrences des changements de pratiques des uns et des autres maillons de la chaîne alimentaire. Quelles conséquences en termes de flux, d’aménagement de l’espace, d’occupation du foncier, des multiples initiatives des acteurs en mutation et des nouveaux acteurs ? Comment par exemple construire des collaborations fécondes avec les outils en place ? Nous recensons dans la bibliographie quelques expériences comme la mise en place de carreaux de producteurs sur les MIN ou de valorisation des surplus.
La question du changement d’échelle
Peu d’initiatives anticipent la perspective d’un changement d’échelle par développement, diversification, essaimage ou transfert. Dans les faits, peu mettent en œuvre des processus de capitalisation en continu ou de suivi-évaluation à vocation apprenante. En dehors d’initiatives européennes comme Urbact ou de réseaux de ville dont c’est directement l’objet, cet impensé limite la capacité des initiatives à faire système.