Le Wiki : un outil de partage de compétences au service d’habitants touchés par des projets urbains

Khedidja Mamou, Catalina Duque Gómez, 2018

Alternative Pour des Projets Urbains Ici et à l’International (APPUII)

L’association APPUII regroupe des professionnels des métiers de la ville, des habitants, des enseignants-chercheurs, des étudiants, etc. Elle intervient à plusieurs échelles : à une échelle locale en répondant à des demandes d’habitants fortement impactés par des transformations urbaines qui se font pourtant sans qu’ils ne puissent avoir voix au chapitre ; à une échelle nationale, il s’agit d’un réseau d’une part qui rend visible les mécanismes d’implication (et souvent de non implicaitons) des habitants dans des projets de transformation de leur cadre de vie et de leur habitat, et d’autre part, qui permet à des collectifs d’habitants qui en font la demande d’être appuyés où qu’ils se trouvent. La structuration de ce réseau s’appuie en partie sur un outil wiki que l’association développe, préfigurant une plate-forme nationale. Si ce réseau a déjà commencé à se structurer dans le cadre d’actions et de rencontres mettant en commun des expériences et des ressources documentaires, nous sommes dans la phase de consolidation du wiki devant compléter ce réseau (regroupant une centaine de personnes, membres ou non de structures) et le rendre plus autonome.

Il s’agit dès lors pour l’association de passer d’appuis ponctuels locaux à des appuis plus pérennes qui pourraient trouver à se structurer à une échelle nationale (voire internationale). Aussi, cette structuration à plusieurs niveaux suit plusieurs phases.

Phase 1/ appuyer les demandes localement, mais plutôt dans l’urgence

L’association APPUII a officiellement vu le jour en 2012, mais elle s’est préfigurée bien avant dans le cadre d’un programme de recherche et de recherche-action qui s’est déroulé de 2008 à 2011 et qui portait sur la coopération dans le projet urbain, principalement en région Ile-de-France1. Ce programme avait la particularité d’associer assez étroitement des chercheurs, praticiens, collectifs d’habitants, habitants et quelques institutionnels locaux (notamment des bailleurs sociaux). Ce programme de recherche qui a duré un peu plus de 3 ans, s’est conclu par un colloque tirant les enseignements de trois années de recherche pour « penser la suite ». Lors de ce colloque final qui a regroupé des chercheurs, praticiens, habitants, etc. est sortie l’idée de mettre en place une action/démarche concrète, une sorte de SOS Urbain. L’objectif était que des collectifs d’habitants qui sont impactés par des projets urbains qui se font sans eux, puissent faire appel à des personnes et/ou des structures, à même de les appuyer dans des expertises, contre-expertises, etc. De là est née l’association APPUII . Son objectif était donc principalement de venir en aide et en appui à des demandes locales, des demandes habitantes.

L’association a d’abord fonctionné en répondant quelque peu dans l’urgence aux demandes locales. Au bout de deux années, la dizaine de membres actifs2 s’est retrouvée dans l’incapacité de répondre à toutes les demandes qui nous venaient du terrain. Incapacité en termes d’effectifs. Nous n’étions pas assez nombreux, et cela était une évidence au vu deface à l’augmentation rapide des sollicitations habitantes. Mais l’incapacité est aussi apparue en termes de compétences. L’équipe était alors principalement constituée de chercheurs -, sociologues, anthropologues, architectes, urbanistes -, pour certains enseignants. Nous savions assez bien travailler avec les habitants autour des documents techniques d’urbanisme, décrypter ces documents, décrypter les logiques de transformation urbaine, etc3. mais nous étions peu outillés àpour appuyer les collectifs habitants sur des aspects juridiques. Nous avons eu plusieurs demandes, sur l’expropriation par exemple ou encore les recours juridiques en cas de non-respect de la concertation, et nous sommes trouvés dans l’incapacité d’y répondre. Il semblait dès lors nécessaire d’associer des compétences, notamment juridiques, il était certain, mais pas seulement les plus larges possibles, afin d’embrasser toute la complexité des projets urbains.

Phase 2/ Un réseau de compétences solidaires : structurer des appuis pérennes et autonomes

Constatant qu’il fallait associer des compétences les plus plurielles possibles pour appuyer les habitants sur toutes les dimensions du projet urbain, et que nous n’avions pas assez de forces en interne, nous avons regroupé un certain nombre de collectifs d’habitants concernés par des projets de transformation urbaine, et des personnes volontaires pour apporter des compétences, de l’expertise, etc. Nous avons d’abord travaillé à repérer sur quoi portaient les demandes des habitants. Un certain nombre de thématiques et de préoccupations ont émergées, concomitantes à celles repérées au préalable par l’association. Nous avons de même fait un travail de repérage des ressources disponibles, et nécessaires : compétences, outils, etc. Dans un second temps, il fallait réfléchir à la façon de mettre en commun demandes et ressources. Nous avons ainsi commencé à travailler à la mise en place d’un Réseau de ressources / compétences solidaires pour un urbanisme partagé. Ainsi, est née l’idée, ou plutôt la volonté, de constituer un réseau à l’échelle nationale. Ce réseau a commencé à se préfigurer autourlors de deux journées réseaux, en 2014 et 2015. Un premier travail de cartographie a été réalisé4 pour tenter de rendre visible géographiquement les demandes et les ressources. Nous nous sommes collectivement posé plusieurs questions pour définir le rôle du réseau : sur quoi il devait intervenir ? Et, quel mode de fonctionnement pouvait permettre de rendre le réseau de ressources/compétences solidaires pérenne ?. Les membres actifs ont beaucoup réfléchi à la façon de construire un outil qui soit collaboratif, dont les collectifs d’habitants puissent se saisir réellement et qui en même temps mette en placepermette une action pérenne.

La formalisation de notre organisation peut être synthétisée pasr le schéma qui suit


K. Mamou et C. Duque-Gomez

Le premier cercle correspond aux demandes qui émergent du terrain. Les trois autres cercles représentent le fonctionnement interne qui se structurent autour de 3 groupes de travail que nous avons constitué à l’occasion de la première journée du réseau : un groupe outil en charge de développer des outils, et notamment l’outil que nous présentons plus loin. Ensuite, bien sûr, nous continuons à développer les actions locales, ce qu’APPUII faisait jusque-là. Le troisième groupe travaille à une troisième échelle nationale : l’interpellation. Il s’agit d’essayer d’avoir une visibilité sur les logiques de projet à cette échelle et d’interpeller les autorités publiques.

Phase 3 / De la nécessité/difficulté de développer un outil collaboratif en ligne

L’outil collaboratif de notre plate-forme doit répondre à un certain nombre de fonctionnalités. Il doit permettre la mise en réseau à travers le partage d’informations et de ressources mais aussi l’instruction de demandes. Il doit aussi permettre au réseau de fonctionner en interne et en externe. Il doit enfin permettre la capitalisation et valorisation des initiatives et des ressources sur le terrain. Aussi, nous souhaitons que les groupes de travail et les collectifs d’habitants puissent avoir un espace de travail qui leur est propre, et qu’ils puissent gérer et partager les informations qu’ils souhaitent. L’outil doit aussi proposer un espace de partage du réseau favorisant une mise en commun entre les groupes de travail et les collectifs. Enfin, cet outil devra accueillir un site public.

Nous nous sommes dits qu’il fallait essayer de réfléchir à une sorte de cercle vertueux qui permette :

L’idée est qu’en premier lieu un collectif habitants qui vient sur le site web se rende compte qu’il n’est pas tout seul. Selon APPUII, pour favoriser les actions sur le terrain, il est important de leur dire : « vous n’êtes pas seuls, et certains ont réussi, qui ont commencé à construire des outils qui permettent… ». Donc ils peuvent entrer en contact et ensuite commencer à formaliser leurs questions. Il faut signaler que l’une des conditions posées par APPUII pour soutenir les actions c’est que les collectifs d’habitants aient une idée assez précise de l’enjeu, de la question posée et des questions qu’ils se posent. Lorsqu’un premier rapprochement est fait, nous créons un espace de travail avec eux pour qu’ils puissent commencer petit à petit à intégrer des informations qui les intéressent mais aussi entrer en contact avec des personnes qui pourraient les intéresser. Là on est sur une question importante : comment faciliter la mise en réseau ? Lors de ces deux journées « Réseau de ressources/compétences solidaires », il y a eu un certain nombre de personnes (individus ou structures) qui ont manifesté leur volonté de se mettre au service des collectifs. Aussi, nous espérons petit à petit remplir cet annuaire où chacun informe quelles sont ses compétences, quelles sont ses connaissances qu’il peut mettre au service des collectifs, quels sont les lieux où il peut se rendre, mais également quelles sont les questions qu’il se pose. Nous sommes en train de constituer une base de données qui va permettre d’enrichir le réseau et d’orienter les collectifs d’habitants vers les personnes qui pourraient les aider au plus vite et selon leur temporalité aussi.

Il y aurait un espace pour les collectifs, où chacun pourrait gérer son espace (l’alimenter, le modifier, mettre à jour son calendrier, etc.). Cet accès à leur espace de travail signifie aussi l’accès à l’espace du travail du réseau. C’est-à-dire qu’ils pourront avoir accès à des informations que les autres groupes de travail ont pu mettre et donc se rendre compte de comment ils fonctionnent… mais également coordonner des actions avec l’ensemble du réseau. Ils peuvent aussi communiquer sur leur action, inviter de façon publique et commencer à faire des liens avec les collectifs locaux… Ils pourraient choisir de partager avec l’espace de travail collectif ou de le rendre complètement public. Ici se posent deux questions principales : comment peut-on inciter à ce partage ? Et, quelles sont les informations qui peuvent servir aux différents collectifs, mais qui en même temps ne mettent pas en péril les actions ? Ces questions nous confortent dans l’idée qu’il est nécessaire que chaque collectif puisse garder la main sur ses propres données et sur la façon dont il va intégrer petit à petit leurs informations sur le site.

Deux principaux enjeux

Le premier enjeu posé est donc : comment peut-on mettre en contact des collectifs d’habitants qui ont besoin d’un appui (technique, juridique, méthodologique, etc.) avec des personnes ressources, des structures ou d’autres collectifs d’habitants qui ont déjà été confrontés à une situation ? Des personnes qui se posent des questions sur la rénovation par exemple, pourront avoir accès à des documents notamment. Ces documents sont mis en ligne à la fois par les collectifs d’habitants et par les structures qui font partie du réseau. Mais ils vont pouvoir aussi accéder à des petites fiches qui décrivent les actions des collectifs d’habitants. Ces fiches sont remplies par les collectifs eux-mêmes qui peuvent ainsi choisir ce qu’ils pensent pouvoir servir aux autres.

Un deuxième enjeu de cette plate-forme est : comment l’outil peut permettre de créer des synergies, un effet de capitalisation beaucoup plus large notamment dans les groupes d’interpellation par exemple ? Se pose la question des données sensibles, et la temporalité des actions de chacun des collectifs : devons-nous attendre que l’action du collectif soit terminée pour s’en servir pour monter en généralité ? C’est une question un peu délicate qui renvoie à la difficulté à trouver cet équilibre entre la protection d’une action en cours et la montée en généralité. Comment alors gérer les différentes temporalités ?

La nécessité de (se) former…

Pour construire ce projet, sept membres de l’association ont suivi une formation–action qui visait se former tout en fabriquant les bases de l’outil. Selon nous, cet outil devait offrir une gestion technique assez facile qui permette de démultiplier cette capacité technique aux collectifs habitants, et aux membres du réseau. Il s’agit alors d’une démarche proche de celles des groupes de qualification mutuelle5. Aussi, nous sommes-nous orientés vers un Yes wiki, un outil qui permet une gestion assez facile, assez intuitive du site, et qui permet à la fois d’avoir un intranet et un site public.

Conclusion : formaliser l’outil de la plate-forme réseau AVEC les collectifs habitants

A l’occasion de la prochaine rencontre avec les collectifs habitants, nous programmons d’échanger autour des enjeux repérés et tenter de répondre à deux questions principales :

1 Voir le programme de recherche Picri (Partenariats, Institutions-Citoyens pour la Recherche et l’Innovation), Renouveler les pratiques de conception du projet urbain : renforcer l’écoute et la coopération entre les professionnels de la ville, les associations et les citoyens en Ile-de-France, 2008-2011, dont le film de la recherche action Atelier de quartier à Vitry-sur-Seine est consultable en ligne sur le site internet de CITEGO.

2 L’association compte à ce jour un salarié, principal coordinateur de l’association, et des salariés pour des missions courtes jusqu’à la fin juin 2018 environ.

3 Les premières demandes, adressées à des enseignants de l’Ecole d’Architecture de Paris la Vvillette, portaient principalement sur trois types d’expertises : architecturale, urbaine et sociale.

4 Voir article ; Agnès Deboulet et Khedidja Mamou, « L’appui aux habitants : étape vers une nouvelle compétence citoyenne ? », EchoGéo, 34 | 2015, mis en ligne le 15 décembre 2015.

5 cf. travaux de Suzanne Rosenberg et/ou Marion Carrel, et notamment : Suzanne Rosenberg, « Services urbains et qualification mutuelle », FLUX, Cahiers scientifiques internationaux Réseaux et Territoires, Année 1998/31-32/ pp. 105-112.