Petit glossaire critique de l’urbanisation majoritaire

Agnès Deboulet, Bérangère DELUC, 2014

Centre Sud - Situations Urbaines de Développement

Cette fiche propose un glossaire des notions-clefs et concepts nécessaires à la compréhension de la problématique du logement précaire.

FORMES D’URBANISATION ET DÉSIGNATIONS

Barrios

En espagnol, le terme se traduit par “quartier”, mais au Venezuela, il s’utilise pour qualifier l’équivalent des favelas brésiliennes, ou autres bidonvilles et recouvre les quartiers populaires autoproduits précaires présentant une carence de services et d’infrastructure, en matière d’éducation, santé (…).

« Il faut bien comprendre que le barrio est hétérogène dans son fonctionnement interne - les intérêts de chacun sont différents - et dans ses relations avec l’extérieur - où les intérêts d’ordre social, économique ou politique se mélangent indistinctement. En d’autres termes, le barrione correspond pas simplement à une forme de logement, avec ses rues, murs et escaliers ; c’est, plus qu’un simple quartier urbain, une société à part entière, la preuve en est que les institutions y sont des acteurs sociaux par excellence ; pour bien comprendre comment se structure cette organisation populaire, il est important de s’imprégner des relations symboliques et morales des institutions comme la famille, l’amitié et le voisinage”.

Samuel HURTADO SALAZAR, Inst. de Recherches Economiques et Sociales, Univ. Centrale du Venezuela, 1991.

Urbanizador ou Caciques

« Promoteurs, aménageurs privés qui tirent des bénéfices en distribuant des parcelles et en prenant en charge l’occupation des terrains, formant ainsi des lotissements clandestins ».

Teolinda BOLIVAR (coordination), Hacedores de ciudad, Caracas : Facultad de

Arquitectura y Urbanismo, Univ. Centrale du Venezuela, 1995

Rancho

Le rancho, au Venezuela, c’est la maison humble, du pauvre, construite généralement en carton, tôle, matériaux de récupération, en zone rurale ou urbaine.

Quand avec les années, ses habitants la consolident, elle perd son appellation de rancho pour devenir une casa (maison). Dans les enquêtes sur le logement, on trouve justement les catégories suivantes : habitación (chambre, généralement louée chez une autre famille propriétaire, très courant dans les grandes villes, avec parfois le droit d’accès à la cuisine) pensión (pension où vivent exclusivement des familles en location), rancho, casa, apartamento (appartement), anexo (annexe, sorte de mini studio avec accès indépendant qui peut être en zone populaire comme en zone riche). Le terme s’utilise de manière très péjorative “c’est très sale ici !, on se croirait dans un rancho”, mais aussi avec affection “mon ranchito” (ma petite baraque).

On parle de “zone de barrio” ou de “zone de rancho” pour qualifier les quartiers populaires, même quand ceux-ci ont été consolidés.

Delphine DARRIGRAND de PEIRERA

Favela

« La favela est une aire à prédominance d’habitations, caractérisée par l’occupation des terres par une population à bas revenu, manquant d’infrastructures urbaines et de services publics, possédant des rues étroites et un alignement irrégulier, des lots de forme et de taille irrégulière et par des constructions non régularisées, en non-conformité avec les normes juridiques».

Art 147 - Loi Municipale - Plan Directeur Décennal (définition officielle de la mairie de Rio de Janeiro). Traduction : Maéva BAUDOIN

Gecekondu

« Il s’est posé de nuit » (traduction littérale). « Ce qui définit le gecekondu, c’est une configuration initiale, invariable : une opération d’auto-construction illégale, sur des terrains non possédés par les constructeurs. […] La résolution, avec le temps, du statut foncier du gecekondu a déplacé l’attention sur la forme de construction caractéristique des premières occupations abusives de terrains. Au sens foncier s’ajoute dès lors un sens d’ordre architectural. Selon cette deuxième acception, visuelle et physique, le gecekondu est un habitat au départ sommaire, et précaire, initialement bas, privé des équipements de base, mais intrinsèquement évolutif ».

Jean-François PEROUSE, Les tribulations du terme gecekondu, European journal of turkish studies

Slum (en Inde)

« Dans les villes de plus de 50 000 habitants : le slum est une zone compacte d’au moins 300 personnes ou environ 60 à 70 ménages, (constituée) d’habitations congestionnées et pauvrement construites, dans un environnement insalubre, généralement sans infrastructure adéquate et dépourvu d’équipement sanitaire et d’approvisionnement en eau potable ». (loi d’urbanisme)

Véronique DUPONT, “La place des slums”, Urbanisme n°355, 2007, p.55

Invasiones / Ocupaciones

On nomme souvent invasores (envahisseurs) les habitants qui construisent leur rancho sur des terrains qui ne leurs appartiennent pas ou souvent impropres à la construction. Aujourd’hui à Caracas, le terme ocupación est de plus en plus utilisé, pour les familles qui s’installent dans les nombreuses maisons et immeubles de logements et surtout de bureaux abandonnés. Avec les inondations qui ont produit des centaines de réfugiés dans la ville, les mouvements sociaux tels que les Sin Techo (sans toits) et pioneros (pionniers) s’organisent pour opérer ces occupations de terrains et de bâtiments et ont même réussi à faire voter des nouvelles lois pour la récupération par expropriation des terres et des biens en collectif, avec des systèmes de crédit.

Delphine DARRIGRAND de PEIRERA

Quartier ‘Ashwayi

Littéralement « aléatoire ». Désigne dans plusieurs pays du monde arabe les quartiers non planifiés, édifiés, dans le langage commun sans réflexion préalable. Leurs occupants sont souvent qualifiés de « ‘ashwaiyat », « les aléatoires ».

Agnès DEBOULET

FORMES JURIDIQUES

Formel/informel ?

« Dans de nombreuses situations, la frontière entre le formel et l’informel reste floue. Un quartier présentant les mêmes caractéristiques en matière foncière, urbanistique et d’habitat sera, selon les contextes et les interprétations de la puissance publique, considéré comme formel ou informel. Dans quels quartiers les habitants sont-ils « en règle » à la fois en matière foncière, d’aménagement, de construction, d’équipement et fiscale ? Certainement bien peu. On peut parler d’anormalité, d’irrégularité d’un habitat qui n’obéit pas au pouvoir, au droit, à la norme. […] Le terme « illégalité » pose le même problème de définition, mais il a une connotation nettement plus répressive. L’illégalité, c’est ce que l’on ne doit pas faire, ce qui n’est pas conforme aux « devoir être » des juristes, ce qui est hors la loi ».

Alain DURAND-LASSERVE et Jean-François TRIBILLON, Quelles réponses à l’illégalité des quartiers dans les villes en développement ?, Document de travail pour le séminaire du réseau ESF, Leuven, Bruxelles, Belgique, mai 2001, p.1

Légal/illégal ?

« La puissance publique désigne les sites des villes à créer, dresse les plans d’aménagement, procède à la répartition du sol entre les urbains qu’elle choisit. Ce fonctionnalisme extrême […] ne tolère aucune entrave à son déploiement. Pour lui tous les sites à aménager sont vierges de toute histoire et de tous droits fonciers. Les citadins que la ville installe comme citadins tiennent tous leurs droits de l’autorité qui les a installés en leur octroyant un terrain à construire et un titre correspondant. L’ensemble de ces titres ainsi que l’ensemble des personnes qui en bénéficient forment la ville légale. Au contraire, toute emprise sur le sol, tout habitat qui ne peuvent s’en prévaloir constituent une ville illégale donc inexistante ».

Gustave MASSIAH, Jean-François TRIBILLON, Villes en développement, La Découverte, Paris, 1993, p.39

« Les quartiers urbains légaux sont ceux qui sont couverts par un plan de lotissement, lequel est caractérisé par un dessin des rues de plus de 6 mètres de large et par des immeubles qui apparaissent en conformité avec le code de l’urbanisme (en termes de hauteur de façades par exemple). Les zones n’ayant pas ces caractéristiques physiques sont considérées comme illégales. […] Les zones bâties ou consolidées avant 1950 ne sont pas considérées comme illégales, même si elles possèdent une ou plusieurs des caractéristiques précédemment citées ».

David SIMS, Marion EJOURNE, Monika EL SHORBAGI (Contribution), “The case of Cairo, Egypt”, Understanding slums: Case studies for the Global Report 2003 for UN Habitat, 2003, p.6

« Il existe des situations totalement paradoxales d’illégalité légale ou de légalité illégale, on ne sait plus. Ce sont des quartiers illégaux sur le plan foncier au moment de leur établissement qui se sont développés tout aussi illégalement sur le plan de la construction et des équipements […] ont été régularisés et ont intégré la ville légale, alors même qu’ils ne remplissaient pas tous les critères. Ce sont des quartiers illégaux devenus légaux mais dont les caractéristiques demeurent « non réglementaires » par rapport aux normes instituées par la ville légale ! »

Marion SEJOURNE, Les politiques récentes de « traitement » des quartiers illégaux au Caire : Nouveaux enjeux et configuration du système d’acteurs ?, Thèse de doctorat en géographie, Université François Rabelais-Tours-Département géographie, Monde arabe et Méditerranée, Tours, 599 p, 2006, p.34-35

Les infractions

Le terme Moukhalafat désigne en Syrie les constructions en infraction de la loi. L’informalité peut résulter de quatre facteurs :

Il existe cependant une ambiguïté juridique sur le statut des mukhalafat, ainsi une recommandation de l’ancien président Hafez el Assad donne accès aux habitants des quartiers informels aux services de bases. Pour y accéder, les habitants vont donc s’inscrire au registre foncier et s’acquitter d’une taxe locale.

Aurélie LANDON, Accompagnement de la densification d’un quartier auto construit, Bustan Al Ruz, Damas, Syrie, PFE, sous la direction d’Agnès Deboulet et de Merril Sinéus, ENSAPLV, 2009

MATÉRIAUX, CONSTRUCTION, ARCHITECTURE

Pucca, semi-pucca et kuccha (en Inde)

Les habitats des slums indiens sont classés selon trois catégories de précarité, ce qui permet aux autorités municipales d’engager d’éventuelles actions de réhabilitation ou de délogement. Les maisons pucca sont constituées de murs de briques, dalles et toits réalisés en matériaux résistants et stables. Les maisons semi-pucca possèdent des murs construits de matériaux durs en maçonnerie même si les liants sont en mortier de terre. Le toit est réalisé avec des matériaux dits temporaires et fragiles. Enfin, les maisons kuccha « aux allures temporaires » possèdent des matériaux précaires de récupération comme des tôles, morceaux de bois, plastiques et tissus qui ne sont pas considérés comme des matériaux de construction.

Bérangère DELUC, Le rôle d’une ONG dans un processus de restructuration urbaine. Méthodes et actions face aux questions de précarité. Le cas de l’ONG Indienne Shelter Associates, Pune India, mémoire de Master en Urbanisme, sous la direction de Serge Allou, IFU (Expertise Internationale - Villes en Développement), 2009

LES MOTS DE L’INFORMEL,REFLEXION SUR LE SENS DES MOTS…

Régularisation

« La politique foncière est un élément central des politiques de développement, de réduction de la pauvreté et des inégalités, en particulier en assurant la sécurité de la tenure foncière. Elles peuvent contribuer à la prévention des conflits comme elles peuvent en être la cause si les conditions d’accès à la terre ou au sol engendrent inégalités massives et insécurités ».

COMITE TECHNIQUE « Foncier et Développement », KOETSCHET et GROSCLAUDE, Gouvernance foncière et sécurisation des droits dans les pays du sud, Livre blanc des acteurs français de la coopération, rapport de synthèse, France, Septembre 2008, p.8

« Selon une étude récente de 2000, l’enregistrement légal de la propriété foncière auprès du département de l’enregistrement (shahr al-aqârî), un propriétaire doit procéder à 102 démarches administratives auprès de 34 instances, ce qui lui prendra environ 198 jours d’attentes et lui coûtera en 1999 près de 6 871 £ soit plus ou moins 23 fois le salaire mensuel d’un fonctionnaire »

Marion SEJOURNE, Les politiques récentes de « traitement » des quartiers illégaux au Caire : Nouveaux enjeux et configuration du système d’acteurs ?, Thèse de doctorat en géographie, Université François Rabelais-Tours-Département géographie, Monde arabe et Méditerranée, Tours, 2006, p.43

« Le contact direct est répété : c’est une guerre d’usure des deux côtés, mais à armes inégales. […] Les habitants critiquent systématiquement les leitmotivs des fonctionnaires, qui, ne sachant comment trancher, ou ne voulant pas trancher, s’évertuent à fixer des rendez-vous inutiles, à les faire revenir encore et encore ».

Agnès DEBOULET, « Apprendre à faire la ville. Les compétences à l’épreuve de la restructuration urbaine, Ismailiya, Egypte », dans I. BERRY –CHIKHAOUI, A. DEBOULET (sous la direction de), Les compétences des citadins dans le Monde arabe. Penser, faire et transformer la ville, IRMC, Karthala, Urbama, 2000, p. 327

Paroles d’habitants

Par rapport à une presse locale dans le déni ou la négation : « La métropole s’est étendue de façon anarchique, sans plan d’urbanisme ni planification à court, moyen ou long terme. Le non-respect des règles urbanistiques les plus élémentaires a engendré la création de bidonvilles… […] Ce polissage ne s’est toutefois pas opéré sans problème. Manque de maîtrise de l’espace urbain, spéculation foncière, surpopulation, crise du logement social, dégradation du cadre de vie, développement anarchique d’activités économiques. »

Yerim SECK, (extrait du journal) Urbanisation : planification de la capitale sénégalaise

Des descriptions plus constructives

« Les favelas, encore anonymes dans les registres scientifiques, ignorées des savants, trop connues des rustres, peut-être un futur genre cauterium des légumineuses, ont dans leurs feuilles aux stomates allongés en villosités de remarquables outils de condensation, d’absorption et de défense. Si leur épiderme se refroidit la nuit bien au-dessous de la température de l’air, et provoque, malgré la sècheresse de ce dernier, de brèves précipitations de rosée, la main qui les saisirait se heurterait pourtant à une plaque incandescente d’une chaleur intolérable. Parfois, quand certaines espèces ne se montrent pas aussi bien armées que les précédentes pour réagir victorieusement, on observe des dispositifs peut-être encore plus intéressants : les espèces s’unissent, s’enlacent étroitement et se transfigurent en plantes sociales. Ne pouvant contre attaquer isolément, elles se disciplinent, s’agrègent, s’enrégimentent ».

Euclides DA CUNHA, extrait de VALLADARES Licia, La favela d’un siècle à l’autre, Editions de la Maison des Sciences de l’Homme, Paris, 2006, 230 p.

« Parmi les rues, ruelles et escaliers inclinés des quartiers on entend la belle rumeur des rires des enfants et des jeunes provenant des jeux et passe-temps, chevauchant l’air du quotidien, par où sillonnent aussi les bruits mortels des balles et l’écho silencieux des armes blanches qui cherchent à éteindre les rêves et détruire les espoirs. Mais malgré ça la vie continue et le désir du jeu, du divertissement, est encore abrité par l’illusion de beaucoup d’habitants des quartiers d’un mieux vivre, et où la dignité humaine perçoit un véritable sens dans cet espace urbain que nous appelons barrio ».

Ismer Mota, habitant du barrio Lebrun, Caracas. Extrait de : Téolinda BOLIVAR (coordinatrice), Hacedores de ciudad, Caracas, Fundacion Polar, 1995, 162 p.

« S’il y a un maître (mari), alors il y a un monde (un territoire d’appartenance socioculturelle), sinon, les quatre directions sont ouvertes », dit le dicton marathi. Telle est la situation des femmes qui ont migré parce qu’elles sont veuves ou pour fuir la belle-famille : elles se trouvent devant des chemins grands ouverts. En se libérant de liens antérieurs, elles se trouvent dans un non-espace, c’est-à-dire sans liens d’appartenance naturelle. Toutes cependant doivent recommencer à s’implanter en reconstruisant ces trois lieux élémentaires de tout habitat humain : un endroit où se reposer, une maison à s’approprier, un travail pour survivre. L’habitat est la première conquête cruciale et sa quête est un des facteurs les plus significatifs de trajectoires personnelles ».

Guy POITEVIN, Hema RAIRKAR, Femmes coolies en Inde. Salariat, culture et survie, Collection des ateliers du développement, Ed Syros et Fondation pour le Progrès de l’Homme, Paris, 1994, p.98