« Housing first », une nouvelle perspective pour la mise en oeuvre effective du droit au logement ?
Cécile CANPOLAT, 2012
« Housing first », « Le logement d’abord », en voilà un beau mot d’ordre pour les politiques publiques françaises de l’hébergement et du logement des personnes défavorisées… Le charme de l’expression anglophone semble nous montrer la voie ouverte par d’autres pays. Comment expliquer alors que la popularisation de cette expression depuis 2010 se soit accompagnée de mobilisations si fortes des acteurs associatifs contre les pouvoirs publics ? « Le logement d’abord » ouvre-t-il de réelles perspectives pour une mise en œuvre effective du droit au logement ?
Rappelons d’abord qu’il n’y a pas de conception unique du « housing first ». Le concept renvoie à une série de programmes développés selon des objectifs et des modalités différentes dans plusieurs pays. Le programme Pathways to housing, mené aux États–Unis depuis les années 1990, qui s’adresse exclusivement à des personnes souffrant de troubles psychiques ou d’addiction, fait figure de programme de référence. Depuis les années 2000, des expériences et programmes s’en inspirent dans plusieurs pays européens (Finlande, Irlande, Norvège, Danemark, Royaume-Uni…). En France, les pouvoirs publics définissent le principe du « logement d’abord » par le fait que l’accès à un logement ordinaire de droit commun doit être privilégié autant que possible, sans qu’il y ait de passage obligatoire par l’hébergement, sauf à ce que la situation de la personne le justifie. Ce principe s’applique aussi bien pour les personnes proches de l’autonomie qu’aux plus vulnérables. Le principe rappelle également que toutes les formes d’hébergement doivent se rapprocher des normes du logement et garantir aux usagers la sécurité, la dignité et l’intimité. Ce principe est décrit comme la pierre angulaire de la refondation du secteur de l’hébergement.
Le premier semestre de 2012 a cependant été marqué de mobilisations sans précédent dans le secteur : le Collectif des associations unies1 a mis en place en février 2012 une opération « 19.000 invisibles » pour dénoncer la persistance de la logique saisonnière de prise en compte des personnes à la rue ; l’appel à la grève générale des professionnels de l’urgence sociale a dénoncé les remises à la rue, etc. Ces mobilisations témoignent une fois encore de l’écart entre les effets d’annonce et les moyens véritablement mobilisés pour mener une politique publique ambitieuse. Elles reflètent aussi un habile tour de passe-passe : au motif que l’hébergement est une solution par défaut, il faut absolument fermer les Centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) et les centres d’urgence. Les revendications associatives pour le droit au logement servent ainsi d’alibi à l’affaiblissement du secteur de l’hébergement sans pour autant donner les moyens à une politique du logement à la hauteur des besoins. A la stratégie du « logement d’abord », les associations répondent : « d’abord du logement ».
Sur le fond, le concept de « logement d’abord » ou « housing first » ouvre effectivement de nouvelles perspectives pour la mise en œuvre effective du droit au logement. Il repose sur la conviction que le logement est une condition préalable et nécessaire à l’insertion. La stabilité liée au logement en est alors un pré-requis. Cela signifie qu’avant toute chose, les personnes en difficulté d’insertion doivent pouvoir s’installer dans leur propre logement, un logement autonome, de droit commun, qu’elles ont choisi, pour lequel elles ont signé un contrat en leur nom sans limitation de durée, et qui n’est pas conditionné au suivi d’un quelconque engagement. Ce concept remet en question l’approche classique que l’on connaît en France, qui tend plutôt à poser le logement comme la finalité, et non la condition préalable, d’un parcours d’insertion. La personne en difficulté doit généralement prouver sa capacité à accéder au logement, par le passage dans des dispositifs d’hébergement temporaire, le logement étant l’aboutissement du parcours d’insertion.
Pour la Fédération nationale des associations de réinsertion sociale (FNARS), l’efficacité du « logement d’abord » au profit des plus exclus est indissociable d’un accompagnement social, qui doit s’inscrire dans un renversement total de perspective par rapport à ce qui se pratique actuellement. Il s’agit d’aller au devant des personnes dans leur logement et d’envisager un accompagnement sur la durée, sans limite a priori. Cet accompagnement doit être intensif, nécessitant une disponibilité 24h/24 pour les situations les plus complexes ; il doit être pluridisciplinaire et professionnel, ce qui implique notamment la mobilisation des services sociaux de secteur, des travailleurs sociaux des associations, de médecins, psychiatres et professionnels de l’emploi. Conduit sur la durée, avec possibilité de reprise après une interruption, cet accompagnement doit être flexible pour pouvoir s’adapter aux personnes.
La stratégie du « logement d’abord » répond à l’évolution des besoins : les structures d’hébergement doivent faire face aux demandes toujours plus nombreuses de travailleurs, familles avec enfants, etc., dont le principal problème est de ne pouvoir accéder au logement au regard des prix pratiqués et des conditions demandées, contribuant ainsi à les repousser vers la grande précarité. Elle répond aussi au constat d’échec de conditionner l’accès au logement à une insertion normalisée préalable pour les grands marginaux. Les articles regroupés dans ce chapitre illustrent les multiples facettes de la précarité liée au logement telles qu’elles s’expriment aujourd’hui en France et en Europe, et auxquelles doit répondre l’impératif du « housing first ».
Concernant les personnes souffrant de handicap psychique par exemple, il s’agit de sortir d’une logique conduisant soit à nier la problématique, à ne pas la prendre en charge au prix de souffrances très lourdes pour les malades, leur entourage et la société, ou bien à une hyperspécialisation des réponses apportées qui conduit à exclure les malades de la Cité2. Au-delà des problématiques spécifiques telles que logement et santé mentale, le « housing first » doit répondre aussi à la massification de la crise du logement. Le Portugal par exemple voit exploser le nombre de personnes, et en particulier les femmes, touchées par la crise sociale et économique, qui n’avaient eu d’autres choix que de s’endetter très fortement pour accéder à la propriété3. En France, la hausse des situations de précarité énergétique souligne à quel point il ne s’agit pas seulement de pouvoir accéder à un logement mais aussi de pouvoir s’y maintenir dans de bonnes conditions4. Enfin, le « housing first » est aussi une contribution à une réflexion sur la place des individus et leur capacité de choix en relation avec l’habitat5.
La stratégie du « logement d’abord » telle qu’elle s’affirme dans le contexte français ouvre de réelles perspectives à condition que les moyens soient à la hauteur des besoins. A l’image de l’octroi de droits individuels tels que la loi DALO (Droit au logement opposable – loi de 2007) qui n’a en rien été accompagné d’une politique pour développer la production de logements sociaux, le « logement d’abord » ne saurait être pertinent et efficace que si les centres d’hébergement peuvent jouer leur rôle tant que les besoins sont là (nombre de places suffisants, arrêt de la « gestion au thermomètre », etc.) d’une part, et si une politique ambitieuse du logement est menée pour développer l’offre de logements économiquement accessibles (développement du parc social, régulation des marchés immobiliers, etc.) d’autre part.
1 Créé en janvier 2008, le Collectif des associations unies pour une nouvelle politique publique du logement des personnes sans abri et mal logement rassemble 33 organisations françaises de lutte contre les exclusions, impliquées dans le champ du logement et/ou de l’hébergement. Les 33 organisations du Collectif représentent : 3 000 associations ou délégations ; plus de 200 000 salariés et bénévoles répartis sur l’ensemble du territoire ; plus de 2 millions de personnes soutenues.
2 Voir dans ce numéro, l’article de Pascale Thys, #Ref. err: document/XX#Le logement des personnes en souffrance mentale : un problème trop peu pris en compte dans les politiques de logement, p.81.
3 Voir dans ce numéro, l’entretien de Rita Silva recueilli par Samuel Jablon Au Portugal, politique d’austérité et libéralisation au nom du droit au logement !
4 Voir dans ce numéro, l’article de Yves Jouffe, #Ref. err: document/XX#Relance verte contre justice environnementale. Menaces sur la précarité énergétique, p. 75.
5 Voir dans ce numéro, l’article de Paul Lacoste, #Ref. err: document/XX#Rififi au camping et abus de lois iniques en France, p.69.
Sources
Pour consulter le PDF du numéro 7 de la collection Passerelle