Au Portugal, politique d’austérité et libéralisation au nom du droit au logement
Samuel JABLON, Entretien avec Rita SILVA, 2012
Cet entretien avec une militante du droit au logement, au Portugal, apporte un éclairage sur les conséquences de la crise financière puis de la politique austéritaire du gouvernement portugais sur les ménages les plus défavorisés, en termes d’accès au logement.
Quelle a été l’évolution des politiques du logement au Portugal notamment depuis le début de la crise financière?
Le Portugal est tourné depuis de nombreuses années vers l’accession à la propriété au détriment du marché locatif privé ou social, qui ne représentent respectivement que 20 % et 4 % du parc du logement. Face au prix du loyer dans le parc privé, beaucoup de personnes n’ont pas eu d’autre choix que l’accession à la propriété qui s’est traduite par un endettement massif des ménages sur des périodes très longues, jusqu’à 50 ans parfois. Par ailleurs, les politiques du logement ont été très peu investies par les pouvoirs publics avec de lourdes conséquences : faiblesse du parc locatif social, dégradations et vacances dans les centres-villes, développement d’un urbanisme favorisant l’étalement urbain, etc.
Avec l’arrivée de la crise et l’entrée dans une politique de récession, on assiste à un double phénomène de hausse du chômage, des impôts et du coût de la vie d’une part et de baisse des salaires de l’autre. La situation est ainsi devenue intenable pour de nombreux propriétaires accédants qui ne peuvent plus rembourser leurs prêts et on estime qu’environ 25 maisons sont saisies chaque jour par les banques (pour un pays qui n’est pas si grand : 4 millions de ménages).
Dans le même temps, pour rajouter à la crise, la Troïka (Banque centrale européenne, Fonds monétaire international, Commission européenne) a imposé une libéralisation du marché locatif au nom du dynamisme du marché et du droit au logement !
Environ 200 000 personnes âgées bénéficiaient de loyers bloqués à des coûts très faibles (50 € à Lisbonne) en lien avec l’extrême faiblesse de leurs retraites (inférieures à 400 €). Une loi vient de passer1 qui met fin aux loyers contrôlés sur une période de transition de cinq ans (afin d’éviter un mouvement trop fort de protestation, mais qui aboutira de la même façon dans quelques années à l’impossibilité de se maintenir dans le logement pour de nombreuses personnes âgées pauvres).
Cette nouvelle loi sur les rapports locatifs instaure également un équilibre des droits très favorable aux propriétaires puisqu’ils peuvent établir des contrats de location à durée déterminée (de quelques mois), qu’ils peuvent rompre le bail sous prétexte de réalisation de travaux et surtout expulser les locataires en impayés de loyer de plus de trois mois sans passer par le jugement d’un tribunal.
Il est vraiment intéressant de voir que la libéralisation du marché locatif (en parallèle à celle du marché du travail) était, pour la Troïka, un objectif phare qui souligne l’intérêt pour le logement vu non pas comme un droit mais comme un objet potentiel d’investissement et de rentabilité.
Enfin il faut noter que l’ensemble des dispositifs publics en faveur du logement sont aujourd’hui bloqués : financement du logement social, programmes de rénovation urbaine et de réhabilitation de logement, etc.
Quelles sont les réactions citoyennes à cette situation de crise du logement et à ces politiques ultra–libérales ?
Les personnes âgées ont commencé à se mobiliser en 2011 contre la libéralisation des loyers bloqués : elles ont organisé des manifestations, publié des articles, un blog, des pétitions, etc. mais le mouvement n’a jamais pris une grande ampleur. La mobilisation des mouvements sociaux est culturellement toujours difficile au Portugal et, dans le contexte actuel, elle est rendue plus compliquée encore par le discours désinformateur des médias et la culpabilisation qui pèse sur les personnes. On fait croire aux citoyens qu’ils sont responsables de la crise parce qu’ils ont surconsommé (alors qu’en matière d’accès au logement notamment ils n’avaient d’autre choix que de devenir propriétaires en s’endettant).
En ce qui concerne les propriétaires expulsés par les banques, ils peuvent se faire aider par les associations de consommateurs, mais il n’y a, aujourd’hui, aucune mobilisation collective comme en Espagne par exemple2.
Pour recréer une mobilisation sociale autour des questions de logement, plusieurs associations et citoyens sont en train de constituer un collectif pour le droit au logement : Habita – colectivo pelo direito a habitaçao e a cidade. On retrouve ainsi les mouvements des précaires, UMAR une association féministe3, Solidariedad migrante, qui lutte pour les droits des migrants et qui a porté, il y a quelques années, les luttes contre les démolitions de bidonvilles, des universitaires, en bref des militants issus d’horizons différents, etc.
La volonté de ce groupe est de développer des luttes et des réflexions sur les questions de droit au logement autour de l’ensemble des problématiques concernées. Une première lutte est aujourd’hui en cours contre la démolition d’un quartier d’Amadora, dans la banlieue de Lisbonne. Dans ce quartier de logements auto-construits, très consolidés mais non reconnus par la ville, des dizaines de familles sont menacées d’expulsion sans relogement. Un appui à la mobilisation des habitants et à leur lutte s’est constitué au sein du collectif mais le mouvement se voit aujourd’hui opposer à l’intransigeance de la mairie d’une part et une répression policière de plus en plus forte d’autre part.
Le collectif souhaite également lancer une campagne sur le logement comme un droit et mener des actions autour des expulsions et des ventes aux enchères des logements saisis. Un travail de réflexion doit être engagé autour de plusieurs domaines, notamment sur les questions juridiques qui constituent un levier d’action insuffisamment travaillé aujourd’hui.
UMAR, organisation féministe, fait partie du Collectif pour le Droit au logement. En quoi y a-t-il une spécificité de la question des femmes dans le domaine du logement ?
Il est courant de dire que les femmes sont plus touchées par la précarité et la crise, c’est d’autant plus vrai dans le domaine du logement. La situation des femmes par rapport à l’emploi est très difficile : importance du taux de chômage de longue durée, emplois précaires et à temps partiel, salaires et retraites inférieurs à ceux des hommes. De nombreuses femmes des quartiers informels en lutte gagnent autour de 250 € par mois en étant femmes de ménages… En termes familiaux, les taux importants de monoparentalité et la responsabilité qu’elles ont souvent de soutenir plusieurs générations (leurs enfants mais aussi leurs parents) sont des facteurs fragilisant supplémentaires.
Face à ce risque plus grand d’être touché par la pauvreté, et sous l’angle de la lutte contre les politiques d’austérité, UMAR s’est intéressé aux luttes urbaines. C’est un engagement d’autant plus pertinent que dans les mobilisations sociales et les luttes d’habitants et d’habitantes pour le droit au logement et contre les démolitions sans relogement, les femmes représentent souvent l’essentiel des personnes mobilisées.
1 « Révision du régime juridique de la location urbaine » décret de l’assemblée 58/XII publié le 4 juillet 2012, en attente de promulgation par le Président de la République.
2 Voir dans ce numéro, l’article de Ada Colau de la Plataforma de Afectados por la Hipoteca, Les habitant–e–s s’organisent face à la crise des crédits hypothécaires en Espagne, p.120.
3 Consultez le site de l’association UMAR
Sources
Pour accéder à la version PDF du numéro 7 de la collection Passerelle