L’urbanité de Donald Trump pose question
Cynthia Ghorra-Gobin, septembre 2016
Issue de la Revue Tous Urbains n°15, cette fiche décrit l’ancrage territorial des candidats lors des primaires et des élections présidentielles américaines de 2016, faisant un parallèle intéressant avec le dossier d’Eric Charmes sur les débats qui existent autour des valeurs de la vie périurbaine.
À la suite de l’École de Chicago, il était devenu courant de souligner les vertus de la ville en ayant recours au traditionnel leitmotiv : « L’air qu’on y respire rend plus libre ». La ville libère de ses liens avec la communauté d’origine tout individu qui accède à une certaine forme de liberté. En facilitant l’émancipation de l’individu, la notion d’urbanité a été progressivement associée à l’altérité, soit la capacité de rencontre avec l’autre et l’étranger en dehors de toutes formes de préjugés ou de clichés culturalistes.
Mais ce principe d’une association entre les deux termes urbanité et altérité semble ne plus aller de soi quand on observe les primaires des élections présidentielles aux États-Unis. En d’autres termes, vivre dans une ville caractérisée par la diversité sociale et culturelle1 ne serait plus un garant de l’altérité et de l’ouverture aux autres. C’est l’hypothèse discutée ici à partir d’une lecture de médias. L’analyse rappelle dans un premier temps l’ancrage territorial des candidats avant d’indiquer le sentiment de confusion instauré par les débats et les déclarations au cours des primaires.
De l’ancrage territorial des candidats
En tant que géographe sensible aux questions urbaines et à la diversité sociale et culturelle, je m’intéresse aux élections en posant la question de la représentativité du candidat à partir du prisme de son ancrage dans la ville ou en banlieue. Un candidat urbain est susceptible de faire preuve d’une plus grande altérité qu’un candidat suburbain. Ce qui a une incidence sur la manière de concevoir la société dans sa diversité et de comprendre le monde.
Au Parti républicain, Ted Cruz s’était présenté comme un individu ayant grandi à Houston (Texas), où il continue de résider. John Kasich (Parti républicain) a fait référence à ses racines dans le pays du charbon et vit dans la banlieue de Colombus, une petite ville de l’Ohio. Et Donald Trump – comme chacun le sait – a grandi dans le Queens (un arrondissement de New York) et réside à Manhattan (Midtown).
Au Parti démocrate, Bernie Sanders a passé sa jeunesse à Brooklyn (un arrondissement de New York) et vit à Burlington, une petite ville du Vermont. Et Hillary Clinton a grandi dans une banlieue de Chicago, a vécu à Little Rock (la capitale de l’Arkansas) et vit actuellement à Chappaqa, une banlieue de New York (dans le riche comté de Westchester). De l’ensemble des candidats aux primaires, Donald Trump est sans conteste le candidat le plus urbain alors que le profil d’Hillary Clinton s’inscrit dans un fort ancrage suburbain.
De la nature des déclarations politiques
Les deux gagnants des primaires (Trump et Clinton) qui vont s’affronter dans les prochains mois se retrouvent dans une situation que l’on peut juger paradoxale.
Le candidat le plus urbain et ayant fortement contribué à consolider la suprématie de New York dans les réseaux globaux et dans un monde urbanisé n’a pas hésité à discréditer les Hispaniques (et plus particulièrement les Mexicains-Américains), les immigrés et les personnes de confession musulmane. Trump a remis en cause le fondement de l’identité d’une société qui se pense comme « une nation issue de l’immigration » et n’a cessé d’évoquer l’image d’un mur séparant les États-Unis de son voisin du Sud. La candidate suburbaine Hillary Clinton a remporté un très bon score dans les États qualifiés de majority minority, c’est-à-dire où les minorités ethniques et raciales représentent la majorité de la population. Elle a réussi à symboliser la diversité raciale et ethnique.
Ce contraste entre deux candidats, l’un urbain, l’autre suburbain, instille en fait un sentiment de confusion. Il paraît de plus en plus difficile d’associer urbanité et altérité. En d’autres termes, l’urbanité ne se présente plus vraiment comme le garant de l’altérité. Est-ce l’effet d’un simple hasard qui ne devrait pas remettre en cause nos représentations ? Ou est-ce plutôt le résultat des transformations démographiques de la société suburbaine aux États-Unis ?
Pendant plusieurs décennies remontant au milieu du XXe siècle, les électeurs des grandes villes représentaient la base du Parti démocrate et ceux des banlieues la base du Parti républicain. À cette époque, les banlieues étaient principalement habitées par des Blancs, suite notamment au white flight faisant référence au départ des Blancs des villes pour les banlieues. L’histoire contemporaine du peuplement opposait les banlieues aux villes caractérisées par une forte diversité raciale, ethnique et sociale. Mais les résultats du dernier recensement en 2010 ont fait le constat d’un basculement, en indiquant que les minorités ethniques et raciales représentent désormais 35 % de la population suburbaine. Ce qui s’explique en raison du black flight – le départ des Noirs de la ville pour les banlieues – et le souhait de populations issues de l’immigration de résider en banlieue alors que jusqu’ici elles avaient tendance à préférer la ville. La géographe Wei Li fut la première à mentionner l’émergence de quartiers issus de l’immigration dans les banlieues en évoquant, dès 2008, l’avènement de l’ethnoburb.
Difficile d’avancer une conclusion étayée sur l’articulation entre urbanité et altérité. Je propose toutefois de considérer l’hypothèse selon laquelle la diversité sociale et ethnique observée dans les banlieues aux États-Unis risque à terme de remettre en cause les attributs généralement associés à la ville dense, compacte et animée.
1 La diversité culturelle est une expression peu précise renvoyant à la diversité raciale et ethnique de la société urbaine.
Références
GHORRA-GOBIN C. 2015. La Métropolisation en question, Paris, PUF, 116 p., collection « La ville en débat ». Eric Verdeil en fait un compte-rendu ici.
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