Géographie sociale du périurbain
Eric Charmes, octobre 2015
Ce dossier présente un état des connaissances académiques en géographie sociale sur le périurbain. Au cours des dernières années, et notamment depuis le début des années 2000, ces connaissances ont profondément avancé. Ces avancées ont accompagné un changement de regard. Dans les années 1990, la recherche était structurée par des débats essentiellement philosophiques : les espaces de faible densité, dominés par l’habitat individuel et par les centres commerciaux, étaient-ils la négation de la ville ou étaient-ils au contraire les manifestations d’une nouvelle forme d’urbanité, adaptée notamment à la mobilité automobile ? Ces débats seront présentés plus en détails dans la première partie de ce dossier, mais soulignons d’ores et déjà qu’ils ont perdu de leur vigueur, du moins dans la sphère académique. Le périurbain y est aujourd’hui de moins en moins considéré en comparaison des centres villes denses et de plus en plus en fonction de ses caractéristiques propres.
Considéré en lui-même, le périurbain est loin d’être dépourvu d’atouts. En poussant le raisonnement jusqu’aux limites de la provocation, on pourrait même dire que le périurbain est un rêve d’urbaniste. D’une certaine manière en effet, le périurbain peut être considéré comme une solution pragmatique au problème posé dès la fin du XIXè siècle par les pères fondateurs de l’urbanisme, et notamment Ebenezer Howard : comment concilier les avantages de la ville et ceux de la campagne tout en évitant les inconvénients de l’une et de l’autre ? Ebenezer Howard, on le sait, avait proposé une solution sous forme d’un modèle général, la cité-jardin ou la ville campagne (voir illustration 1). Les communes périurbaines françaises peuvent être considérées comme une incarnation particulièrement aboutie de ce modèle, à ceci près que cette solution n’a pas été imaginée par des urbanistes, mais par les habitants des villes et des campagnes. En se déplaçant quotidiennement, ils ont pu s’installer dans un village tout en continuant à travailler dans la ville ou trouver un emploi dans la ville tout en demeurant dans leur village.
Cette « invention » soulève évidemment des problèmes. Régulièrement les critiques du périurbain mettent en avant les conséquences négatives pour l’environnement de la mobilité automobile. Elles soulignent également l’artificialisation excessive des sols. Pour ces critiques, l’extension des couronnes périurbaines est un obstacle au « développement durable » des villes. Ce dossier n’entre pas dans les détails de ces débats, mais il faut souligner que les recherches récentes ont montré que le périurbain n’est ni plus ni moins durable que la ville compacte (Desjardins, 2009 ; Charmes, 2010 ; Nessi, 2010). Il pose surtout des problèmes différents, qui appellent des solutions différentes. Concernant la mobilité par exemple, la question n’est plus de savoir si l’usage automobile est un problème en lui-même, mais comment réduire ses impacts environnementaux. Plus fondamentalement, le périurbain étant du rural urbanisé et la majorité des communes rurales françaises étant périurbanisées, il paraît difficile de mettre en cause l’existence des espaces périurbains sans mettre en cause l’existence même du monde rural.
Cette atténuation de la portée des critiques environnementales a laissé par contrecoup plus de place aux questions sociales, qui tendaient à être négligées. En France, les scores élevés obtenus par le Front national dans certains territoires périurbains ont bien sûr aidé à cette évolution. Ces scores ont attiré l’attention sur les difficultés sociales que rencontrent certains habitants du périurbain. Ces difficultés sont notamment liées à la dépendance automobile. La voiture ne fait pas qu’émettre des gaz à effet de serre et consommer des ressources énergétiques, son usage a aussi un coût. Ce dernier est particulièrement élevé pour les périurbains modestes, le plus souvent implantés dans les secteurs les plus éloignés des villes. D’après l’Union des maisons françaises, en 2010, un tiers des acquéreurs de maison neuve disposaient d’un revenu mensuel net inférieur à 2400 euros. Près d’un tiers de ce revenu est consacré au remboursement de l’emprunt immobilier et il est fréquent qu’un quart soit absorbé par les déplacements quotidiens. La vie quotidienne n’est alors pas très confortable.
Ceci étant dit, les ménages modestes sont loin de constituer l’unique population du périurbain. Les communes villageoises les plus proches des grandes métropoles, lorsqu’elles offrent un paysage attrayant, sont généralement occupées par des ménages aux revenus confortables et le premier problème qui s’y pose est plutôt celui de l’entre-soi. Nous présenterons de manière détaillée une commune de ce type située au sud-ouest de Paris. D’une manière générale, les recherches récentes ont montré à quel point les espaces périurbains sont divers, tant dans leurs morphologies que dans leurs peuplements et dans les pratiques quotidiennes qui y prennent place. Le constat de cette diversité a grandement contribué à atténuer les critiques globalisantes formulées à l’encontre du périurbain. Ces critiques ont perdu de leur force et de leur intérêt car il devenait toujours possible de leur opposer des contre-exemples. Ainsi, les problèmes jusque-là mis en avant sont devenus des difficultés localisées ou conjoncturelles, qui ne mettent pas en cause l’existence même du périurbain.
Dans ce cadre, le périurbain est aujourd’hui étudié pour lui-même, pour les atouts et pour les défauts qui lui sont propres, de la même manière que les centres villes gentrifiés ou les grands ensembles paupérisés de banlieue peuvent être étudiés. Pour les chercheurs, le périurbain est devenu un terrain d’études. Les débats philosophiques subsistent évidemment dans les espaces médiatiques (les débats qui ont suivi un dossier récent de Télérama consacré à « la France moche » en témoignent), mais dans le monde académique, il n’est plus vraiment question d’évaluer les qualités morales propres au périurbain.
Ce dossier est divisé en fiches. Ces fiches sont regroupées par thèmes. Huit thèmes ont été retenus :
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16 250 communes périurbaines autour des grands pôles urbains
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Les rapports au territoire : entre club résidentiel et métropole
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Les valeurs de la vie périurbaine
Ces thèmes sont loin de couvrir l’ensemble des réflexions dont le périurbain fait l’objet. En nous bornant à une géographie sociale, nous avons laissé de côté les sciences de l’environnement, l’aménagement, l’urbanisme et les sciences politiques. Ainsi, nous l’avons déjà signalé, ce dossier laisse de côté l’épais dossier aujourd’hui constitué sur la périurbanisation et le développement durable (par exemple, à quelles conditions l’urbanisation de faible densité qui caractérise le périurbain peut-t-elle être économe en énergie ?). L’aménagement et l’urbanisme ne sont également abordés que de manière ponctuelle. Ce sujet est pourtant important (le règlement des problèmes de mobilité passe en large part par l’aménagement) et les connaissances commencent à être substantielles. Enfin, ce dossier ne traite pas de l’épineuse question du gouvernement du périurbain (par exemple, comment surmonter l’extrême émiettement institutionnel propre au périurbain français ?).
Références
CHARMES Eric, 2010, Faut-il lutter contre l’étalement urbain ?, Entretien filmé avec Nathalie ROSEAU et Stéphane FUZESSERY, La vie des idées, en ligne.
CHAUVIER Eric, 2011, Contre Télérama, Allia
DESJARDINS Xavier, 2009, Peut-on habiter au vert quand le pétrole devient cher ?, Pour, 2009, n° 199, p. 116-123.
HOWARD Ebenezer, 1898, To-morrow: a peaceful path to Real Reform, Swann Sonnenschein
NESSI, Hélène, 2010, Formes urbaines et consommation d’énergie dans les transports, Études foncières, n° 145, p. 30-32.
TELERAMA, 2010, Enquête « Comment la France est devenue moche », rédigée par Xavier DE JARVY et Vincent REMY, publié le 13 février