Faire de la responsabilité le cœur de l’éthique du XXIe siècle et construire à partir d’elle un troisième pilier pour la communauté internationale : quelle stratégie après l’échec de Rio + 20 ?
Pierre Calame, octobre 2012
Cette fiche présente un texte synthétisant ce qui a été fait depuis vingt ans en matière d’éthique de la responsabilité et la manière de consolider le processus dans les dix ans à venir.
1. Une nouvelle éthique et un nouveau droit international pour assumer nos interdépendances : une mise en perspective
De la première conférence internationale sur l’environnement à Stockholm en 1972 au sommet de la terre de Rio en 1992, une lente prise de conscience s’était opérée : celle de l’interdépendance entre les sociétés du monde et entre l’humanité et la biosphère. L’impact de chaque société sur les autres devait être pris en compte ; leur impact d’ensemble sur la planète assumé. Ce qui impliquait que chaque acteur, chaque société, chaque nation rende compte de son impact sur les autres et sur la biosphère. Il en allait de la sauvegarde de l’humanité. C’est ce dont était porteuse l’idée de « Charte de la terre ». Lors de la préparation du Sommet de la terre de 1992 de multiples projets de Charte de la Terre ont été élaborés, aussi bien par les États que par la société civile. Ils devaient déboucher sur une nouvelle convention internationale, troisième pilier de la communauté internationale aux côtés de la Charte des Nations Unies et de la Déclaration universelle des droits humains car aucun de ces deux textes fondateurs, adoptés au lendemain de la seconde guerre mondiale, ne traite de l’interdépendance entre les sociétés et entre l’humanité et la biosphère. Mais les États ne purent se mettre d’accord à Rio sur un texte d’engagement commun susceptible de fonder un futur droit international. Ils se bornèrent à adopter un agenda 21, ouvrant certes des voies nouvelles mais non contraignantes.
La référence à une responsabilité commune des peuples vis-à-vis de « leur avenir commun » se limita dans cet agenda à l’adoption du principe de « responsabilité commune mais différenciée ». Ce principe reconnaît que l’impact des sociétés sur leur environnement varie en fonction du degré de leur développement matériel passé et présent. Il a justifié que le protocole de Kyoto impose un effort de réduction des émissions de gaz à effet de serre aux pays anciennement développés et non aux pays en développement . Aussi, l’idée de responsabilité commune mais différenciée est-elle devenue, paradoxalement, une justification de l’inaction de tous : les pays développés estiment que leur effort est inutile si les pays en développement, plus peuplés, ne prennent pas leur part de l’effort ; les pays en développement font de l’aide financière et technologique des pays riches le préalable à tout engagement.
Au cours des vingt ans qui ont suivi le Sommet de la terre, alors que les interdépendances entre les sociétés s’approfondissaient et que l’impact cumulé des activités humaines sur la biosphère s’alourdissait, les États, loin de s’unir de plus en plus étroitement pour œuvrer à une survie commune, n’ont cessé de réaffirmer leur souveraineté. Elle revient, en pratique, à nier toute prise en compte de leur impact sur les autres et sur la biosphère. Tout progrès dans la coopération internationale s’est vue stoppée par l’exigence, au nom de la souveraineté, d’un consensus entre tous les États de la planète, consensus évidemment impossible à atteindre. La coopération internationale, au nom de l’avenir commun, ne devient plus qu’une rhétorique sans portée. Dans ce contexte, la Conférence internationale dite Rio + 20, organisée à l’occasion du 20e anniversaire du Sommet de la Terre, a été abandonnée au jeu des diplomaties, survivance de l’époque où l’état du monde pouvait justifier que les relations internationales se réduisent à des négociations entre États souverains. L’échec de Rio + 20, où les États ont adopté un texte de cinquante pages ânonnant des engagements déjà pris depuis longtemps et non tenus, signe la faillite des diplomaties et l’incapacité de ce mode de relation entre sociétés à sauvegarder l’avenir. Les États, incapables de conduire une mutation urgente, rendent les clés de la cité planétaire. L’idée d’intérêts nationaux qui existeraient par essence et s’opposeraient aux autres, l’idée qu’aucun État -c’est-à-dire aucune des sociétés que ces États représentent- n’a de compte à rendre aux autres pour l’impact qu’elle a sur le bien commun, le fait qu’aucun organisme, au niveau mondial, n’est en charge de dire l’intérêt général, qu’aucun droit international ne contraint une société à rendre compte de ses actes et en assumer les conséquences dès lors qu’elles débordent les frontières nationales, tels sont les fondements de cette rhétorique des États souverains qui a triomphé à Rio. C’est le dernier feu peut être d’une pensée politique héritée des siècles passés et aujourd’hui moribonde mais ses conséquences sont incalculables. Jamais, après l’échec de Rio + 20, le fossé entre la gouvernance mondiale et les nécessités de sauvegarde de l’humanité n’a été aussi profond. Notre gouvernance mondiale et notre droit international, par leur impuissance à se saisir de la question des interdépendances, sont devenus pour l’humanité le plus grave de tous les risques. Face à cet aveu d’impuissance des États et du droit, la société civile, expression d’une communauté mondiale en lente émergence, se doit de prendre l’initiative. Elle doit s’attacher à faire converger les efforts, y compris pour inviter certains États et gouvernements plus lucides à reprendre l’initiative en direction de l’organisation des Nations Unies, car celle-ci reste pour l’instant, malgré ses faiblesses , le seul espace d’élaboration de conventions, normes et droits internationaux. C’est à cette tâche que le Forum éthique et responsabilité entend se consacrer.
Le Forum est l’héritier d’une longue histoire, construite dans les années 90 au sein d’une dynamique internationale : l’Alliance pour un monde responsable et solidaire. Son point de départ fut la Plate-forme pour un monde responsable et solidaire de 1993. Elle part de deux constats qui restent très actuels: nous ne saurons pas gérer ensemble notre unique planète sans nous mettre d’accord sur des valeurs communes ; et nous aurons à conduire une transition d’ensemble, qui touchera à la fois nos modes de pensée, notre gouvernance et nos modes de vie.
La recherche de valeurs communes adaptées aux défis du XXIe siècle fut menée à partir de 1995 au sein d’un groupe de travail inter-religieux de l’Alliance. Pourquoi ? parce que la Déclaration dite « universelle » des droits de l’homme a été adoptée au lendemain de la seconde guerre mondiale dans un contexte de domination internationale de l’Occident et de ses valeurs. Cette domination n’existe plus. Seule une concertation entre les différentes religions, traditions philosophiques et cultures est en mesure de conduire à l’adoption de valeurs reconnues par tous et enracinées dans les différentes traditions. Ce travail de dialogue a révélé que la responsabilité en tant que garant de la mise en pratique des valeurs serait au cœur de l’éthique du XXIe siècle : parce qu’elle se retrouve dans toutes les cultures ; parce qu’elle répond au nouvel état de nos interdépendances ; parce qu’elle est la face cachée des droits ; parce qu’elle est le corollaire de la liberté. De cet effort est né en décembre 2001 la Charte des responsabilités humaines, adoptée à l’issue de l’Assemblée Mondiale de Citoyens organisée par l’Alliance. Ce texte n’est pas le fondement d’un futur droit international. Il cherche à susciter l’adhésion du cœur et invite à l’action de chacun d’entre nous.
L’idée que la responsabilité a changé de nature avec l’ampleur mondiale des interdépendances et qu’elle peut servir de base à un futur droit international complétant la Déclaration universelle des droits humains n’est pas nouvelle. Au contraire, elle s’exprime de partout et c’est ce qui justifie l’espoir d’aboutir un jour. Depuis longtemps le philosophe Hans Jonas a montré que le changement d’échelle des interdépendances changeait la nature même de la responsabilité. Dès 1997, l’Interaction Council, initié par l’ancien chancelier allemand Helmuth Schmidt et réunissant d’anciens chefs d’État a mis en avant l’idée d’une Déclaration universelle des responsabilités humaines. Loin de prétendre faire œuvre originale, le Forum veut valoriser ces convergences pour enraciner partout dans le monde, dans tous les milieux et sur tous les sujets une nouvelle éthique de la responsabilité, dans un mouvement suffisamment puissant pour qu’il s’impose progressivement aux consciences, devienne une référence incontournable et permette de fonder un droit international complémentaire de celui des droits humains.
L’idée de responsabilité se retrouve, avec des variantes, dans toutes les sociétés. Elle s’applique à différentes échelles, du local au mondial. La conscience de responsabilité s’exprime à trois niveaux :
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au niveau individuel,
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au niveau des références collectives civiques (professionnelles, associatives),
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au niveau des références collectives gouvernementales (systèmes juridiques).
Devoir répondre de l’impact de ses actes sur les autres, reconnaître la symétrie des obligations entre les membres est en effet le fondement de toute communauté. Droits et responsabilités sont les deux faces, indissociables, de la citoyenneté.
Un droit international de la responsabilité n’aurait pas d’impact si la conscience de la responsabilité ne s’incarnait pas à d’autres niveaux mais il reste néanmoins indispensable, comme l’est l’adoption par l’Assemblée Générale des Nations Unies d’une Déclaration qui puisse fonder ce droit. Les efforts des sociétés civiles doivent en conséquence se déployer aux trois niveaux mentionnés ci-haut, à toutes les échelles du local au global et dans tous les milieux.
Après l’adoption, en 2001, de la Charte des responsabilités humaines, les efforts nés de l’Alliance pour un monde responsable et solidaire se sont centrés sur les deux premiers niveaux avec : la diffusion et la mise en débat de cette Charte dans différents pays du monde, pour vérifier qu’elle rencontrait un écho dans les différentes sociétés et éclairait des choix individuels ou collectifs ; la création de réseaux socio-professionnels, comme les habitants des villes, les militaires, les journalistes, les jeunes, les chercheurs, les cadres d’entreprises, dont les membres s’organisent pour , définir ensemble les conditions d’exercice de leur propre responsabilité et influencer le cadre légal quand il y fait obstacle. Le passage au troisième niveau, celui du droit international, supposait que certains Etats aient la volonté de porter cette perspective au niveau de la communauté internationale et trouvent l’occasion de le faire. L’échec répété des tentatives analogues, celle de l’Interaction Council ou celle de la Charte de la terre par exemple, nous disait assez la difficulté de l’entreprise. Les occasions historiques de le faire sont peu nombreuses. C’est ce qui a conduit le Forum Ethique et Responsabilité, qui réunit les différentes initiatives nées de l’Alliance, à saisir l’occasion de la préparation de la Conférence internationale Rio + 20, malgré les risques patents de son échec, pour faire une première tentative de mise de cette question à l’agenda international.
Cela supposait un préalable : l’existence d’un nouveau texte susceptible de devenir fondement de droit international. En octobre 2010 fut élaborée avec des juristes une première version de ce que l’on a provisoirement appelé une Charte des responsabilités universelles. Puis nous avons cherché un Etat qui, dans le cadre de la préparation de la Conférence, puisse se faire le champion de cette Charte. Tâche d’autant plus ardue que la question de la responsabilité ne figurait pas à l’agenda officiel des négociations. Nous sommes arrivés à la conclusion que seul le Brésil pouvait être ce champion : moins suspect que l’Europe ou les Etats-Unis de vouloir imposer au reste du monde des valeurs occidentales ; grand pays émergent et de surcroit hôte de la conférence, il était pratiquement seul en mesure de proposer un élargissement de l’agenda initial. Les rencontres avec différents membres du gouvernement brésilien, en septembre 2011, nous ont montré qu’ils partageaient notre analyse des risques d’échec de la conférence Rio + 20 et certains ont manifesté beaucoup d’intérêt pour l’initiative que nous leur soumettions. En parallèle, convaincu qu’au cas où le Brésil prendrait une initiative il lui faudrait des alliés, Le Forum a, grâce aux réseaux internationaux de confiance mutuelle construite dans le cadre de l’Alliance pour un monde responsable et solidaire, pu rencontrer en Asie – Inde, Malaisie, Philippines, Indonésie, Bangladesh – des conseillers influents des gouvernements. Ces contacts ont eu deux effets heureux : ils nous ont montré qu’un réseau international porteur de propositions crédibles, étayées, pouvait trouver des oreilles attentives au plus haut sommet de l’État et que notre analyse des impasses de la communauté internationale actuelle était écoutée avec attention ; plus encore ils nous ont montré que dans des sociétés à dominante musulmane ou hindouiste, le principe de responsabilité trouvait un fort écho.
Le gouvernement brésilien, finalement, n’a pas jugé possible ou opportun de mettre son poids en balance pour faire évoluer l’agenda de la Conférence en y incluant le principe de responsabilité. De ce fait, nos efforts n’ont pas abouti au but ultime que nous nous étions assignés : faire rentrer un projet de Déclaration universelle des responsabilités humaines dans la négociation internationale. Ils ont néanmoins permis de donner à ces réflexions et propositions une visibilité et un écho inespérés, donnant au Forum Éthique et Responsabilité confiance dans la capacité à aboutir un jour. D’autant plus que l’échec de la Conférence de Rio est si patent et si amer qu’il crée un appel d’air pour des initiatives fortes dans les prochaines années.
La préparation de la Conférence Rio + 20 a été aussi l’occasion de populariser l’idée de responsabilité auprès de la société civile organisée et des mouvements sociaux. La tâche n’est pas plus facile qu’avec les États. Traditionnellement, les droits de l’homme, leur respect et leur élargissement à la vie économique, sociale et culturelle ou à l’environnement ont soudé la société civile. Quand elle parle de responsabilité, elle vise celle des grandes entreprises et des États pas celle de chacun d’entre nous. Affirmer l’interdépendance fondamentale entre droits et responsabilités dans la construction de la dignité humaine et de la citoyenneté, reconnaître la co-responsabilité des différents acteurs dans la construction du bien commun implique une profonde rupture . Sans prétendre que ce combat soit gagné, nous notons néanmoins, grâce au travail entêté du Forum, de réelles avancées. Elles aussi, nous donnent confiance en l’avenir.
2. Promouvoir après Rio+20 l’éthique de la responsabilité à tous les niveaux
Dans les aventures collectives, le temps n’est pas linéaire. La préparation de la conférence Rio + 20 a été, pour toute la mouvance « éthique et responsabilité » un accélérateur de temps. Le calendrier de la conférence nous a imposé son rythme, nous a obligés à fédérer nos propres efforts, à mettre au point des outils de communication, à écrire de nouveaux textes, à nouer des contacts au plus haut niveau. La contrepartie est le risque, toujours présent, de brûler les étapes et de perdre en solidité ce que nous avons gagné en rapidité. L’après Rio nous impose de consolider nos bases et de nous préparer à nouveau à une longue marche, attentifs néanmoins à saisir toute opportunité nouvelle. Cette consolidation de nos bases en vue d’une longue marche suppose une stratégie globale dont voici les grands traits. Le mouvement doit concerner les quatre catégories d’acteurs du changement:
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les innovateurs, qui posent des actes ici et maintenant pour assumer de manière nouvelle leur responsabilité;
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les théoriciens, qui construisent le corpus d’idées et de textes, allant de la philosophie aux relations interculturelles et au droit donnant à la nouvelle vision du monde qu’impliquent nos interdépendances une assise solide ;
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les généralisateurs qui, en développant des réseaux nationaux ou internationaux propagent de nouveaux modèles d’actions et de régulation ;
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les régulateurs, enfin, gouvernements, juristes et tribunaux, en mesure de définir le cadre légal de l’exercice des responsabilités ou d’établir et de mettre en œuvre un nouveau droit international.
Tous ces acteurs ne font pas nécessairement partie à tout moment du mouvement éthique et responsabilité mais doivent être associés sous une forme ou sous une autre à la dynamique.
La conscience de responsabilité doit être promue à trois niveaux :
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au niveau individuel,
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au niveau des références collectives civiques (professionnelles, associatives),
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au niveau des références collectives gouvernementales (systèmes juridiques).
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L’éthique de la responsabilité doit être promue à trois niveaux : celui de la conscience individuelle ; celui des références collectives ; celui des normes et du droit.
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L’éthique de la responsabilité doit progresser selon trois dimensions : la diversité des espaces géographiques où se produisent des avancées ; la diversité des milieux où s’élaborent des références collectives d’exercice de la responsabilité ; la diversité des domaines de la vie en société – l’éducation, l’économie, la vie en société, la gouvernance, la gestion de la biosphère – pour lesquels il faut définir des pratiques responsables.
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La co-responsabilité des différents acteurs doit se déployer à quatre échelles : locale ; nationale ; régionale ; mondiale.
Ce panorama encyclopédique ne doit pas effrayer. Nous ne sommes pas en mesure à tout moment d’avancer sur tous ces fronts à la fois mais ils doivent être en permanence présents à notre esprit pour évaluer notre progression, rechercher des synergies, saisir des opportunités. A partir de là, nous pouvons définir une stratégie en quatre volets : structurer la gouvernance du forum éthique et responsabilité; élargir l’audience du mouvement à d’autres milieux et d’autres régions du monde; Renforcer la crédibilité et la visibilité des propositions du forum ; construire et consolider la base documentaire de notre stratégie.
3. Structurer la gouvernance du forum éthique et responsabilité
De 2003 à 2010, la FPH a soutenu en parallèle le processus de diffusion géographique de la Charte des responsabilité humaines et différentes alliances socioprofessionnelles ayant la question de la responsabilité à leur agenda. Ce parallélisme était volontaire . Il fallait, en effet, que chaque dynamique se construise et prenne son autonomie avant de prétendre les fédérer. C’est seulement à partir de 2009 qu’a été proposé un travail de confrontation intellectuelle. Chaque réseau a été invité à décrire, à partir de sa propre situation, sa conception de la responsabilité. Puis, en 2011, s’est constitué, sur une base informelle, le forum Ethique et responsabilité, pour permettre à tous d’agir dans le même sens dans la préparation de la conférence Rio + 20.
Le mouvement doit se doter maintenant d’une identité propre. C’est la condition de son développement. Quels principes de gouvernance adopter ? Le modèle proposé est celui des « alliances citoyennes », inventé pour répondre aux besoins de dynamiques collectives qui impliquent de la part de ceux qui y participent une autonomie d’initiative et des intensités variables de liens entre eux. Le modèle associatif classique fondé sur une dichotomie membres / non membres et où l’Assemblée Générale des membres est supposée piloter le travail du noyau permanent n’est pas très adapté à la dynamique multiforme que nous aimerions promouvoir et qui forme une « mouvance » plus qu’une institution.
Une alliance citoyenne permet de distinguer plusieurs cercles : celui des sympathisants, intéressés par la question et désireux d’entretenir des liens réguliers avec l’ensemble de la dynamique; celui des alliés dont chacun agit à son échelle et de façon autonome mais se reconnaît partie prenante de l’ensemble ; celui du conseil d’orientation formé de personnes très engagées et consacrant du temps à donner les impulsions, à faire évoluer la stratégie et à évaluer l’action collective ; celui enfin du noyau permanent, qui ne se trouve pas sous l’autorité hiérarchique directe de l’Assemblée des alliés mais sous son autorité morale. Le noyau permanent tire, vis-à-vis de tous les autres, sa légitimité de sa capacité à alimenter l’ensemble des alliés de façon utile et à mettre en œuvre les stratégies définies en commun.
Dans une alliance citoyenne, le lien hiérarchique entre l’Assemblée des alliés et le noyau permanent perd de l’importance ou disparaît. Le lien fondamental est l’adhésion de tous à la Charte constitutive de l’Alliance. Cette Charte constitutive définit les objectifs poursuivis en commun sur le long terme et l’éthique des relations entre les alliés et avec le monde extérieur. Objectifs et éthique forment l’élément le plus durable. Ils sont complétés par les dispositifs de travail, c’est-à-dire tous les moyens convenus de travailler en commun. Le respect de disciplines communes de travail est un ciment plus solide que des liens de subordination. La stratégie, régulièrement révisée fait partie des dispositifs de travail. Elle oriente l’action des alliés, définit le programme de travail du noyau permanent, stimule les synergies.
Voici une proposition de Charte constitutive :
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Les objectifs : mettre l’éthique de la responsabilité au cœur de la transition vers des sociétés durables. La promouvoir aux trois niveaux de la conscience individuelle, des références professionnelles collectives et du droit. Doter les acteurs qui le souhaitent d’outils, notamment pédagogiques, permettant de diffuser et généraliser des attitudes responsables. Promouvoir les références collectives à des pratiques responsables correspondant aux différents milieux professionnels. Promouvoir au plan international d’adoption d’une déclaration universelle des responsabilités humaines faisant le pendant de la déclaration des droits humains et fondant le droit international futur.
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L’éthique : la responsabilité de chacun au sein de l’Alliance est proportionnée à son savoir et son pouvoir. L’Alliance est pluraliste. De même que l’éthique de la responsabilité elle-même est l’art de gérer des dilemmes éthiques, de tenter de concilier au mieux les impératifs contradictoires et non l’application de normes prescriptibles, les alliés assument leurs propres contradictions et dilemmes et font crédit aux autres alliés de tenter de résoudre les leurs dans le mêmes esprit de responsabilité.
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Les dispositifs de travail :
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Les organes et statuts
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un comité de fondateurs. Il n’a pas de responsabilité opérationnelle mais constitue un groupe des sages, en général à l’origine du processus, chargé de veiller à la mise en œuvre de la Charte constitutive. Il est, saisi à la manière de prud’hommes, des différends entre les alliés membres et prend la parole publiquement en cas de dérives sérieuses vis à vis de la Charte. C’est le « conseil constitutionnel » de l’alliance ;
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un groupe opérationnel, en général réparti dans l’espace, formé de personnes qui consacrent tout ou partie de leur temps à l’animation de la dynamique collective et mettent en œuvre la stratégie au mieux des contextes locaux où elles opèrent ;
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une Assemblée des alliés. Tous sont signataires de la Charte constitutive. Ils manifestent leur volonté d’agir là où il sont pour promouvoir le principe de responsabilité et s’engagent à partager avec tous l’expérience acquise. Compte tenu des spécificités du forum Ethique et responsabilité on pourrait avoir deux collèges au sein de cette Assemblée : les institutions et mouvements collectifs, tels que les alliances socioprofessionnelles déjà existantes ; les alliés à titre individuel ;
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un cercle des sympathisants et des partenaires, avec une visualisation des synergies recherchées.
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Les outils
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des bases de données (notamment annuaire) et un site web, vitrine publique du mouvement ;
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des périodes d’Assemblée des alliés, soit sous forme virtuelle si les moyens financiers font défaut, soit sous forme physique, au cours desquelles les alliés s’assurent de leur disponibilité les uns vis-à-vis des autres en vue de définir, compléter, réorienter la stratégie ;
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un tableau de bord permettant de visualiser les avancées du mouvement selon les différents éléments de la grille d’analyse : les catégories d’acteurs impliqués, les niveaux, les dimensions, les échelles.
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La FPH peut s’engager, dans le cadre de ses budgets biennaux, à apporter une dotation globale au processus mais tous les alliés sont invités à rechercher des financements complémentaires, pour mener leur propre action et pour renforcer la coordination d’ensemble. Peut être est-il envisageable, comme ce fut fait dans d’autres cas, de créer une fondation susceptible – le sujet si prête peut être plus que d’autres – à recevoir des dons de particuliers ou d’institutions. Beaucoup d’acteurs économiques – entreprises, banques, grande distribution brandissent l’étendard de la responsabilité pour éviter que les États ne leur imposent des règles ou par marketing, pour répondre aux attentes d’un segment de leur clientèle (produits dits de commerce équitable, fonds éthiques des banques, nourriture bio etc.). Il n’en reste pas moins que la montée de ces attitudes reflète également de plus en plus souvent les convictions personnelles des dirigeants et du personnel. Une partie pourrait être intéressée à soutenir cet effort plus global de promouvoir la responsabilité au sein de nos sociétés.
4. Élargir les assises du mouvement
L’ élargissement socio-professionnnel
L’Alliance pour un monde responsable et solidaire a suscité dans les années quatre vingt dix plus de vingt groupes de travail « collégiaux », c’est-à-dire réunissant des personnes d’un même milieu social ou d’une même profession désireux de réfléchir à leur responsabilité. Seul un petit nombre d’entre eux se sont transformés en alliance citoyenne proprement dite. La plupart de ces alliances sont associées au forum Ethique et responsabilité : journalistes, chercheurs, cadres d’entreprises, jeunes, chercheurs, militaires, migrants, habitants, économie solidaire.
D’autres réseaux participent au forum, comme celui des retraités, celui de l’éthique des affaires ou celui de l’éducation à l’environnement mais ne sont pas à proprement parler des réseaux internationaux de professionnels réfléchissant ensemble aux dilemmes éthiques auxquels ils sont confrontés et aux modifications du cadre légal et réglementaire nécessaire à la généralisation de comportements responsables.
Cet énoncé révèle de grandes lacunes, qu’il s’agisse du champ économique – les entreprises, le secteur financier, le secteur de la distribution, les consommateurs, les actionnaires- des acteurs de la gouvernance - les États, les fonctionnaires, les collectivités territoriales – ou encore d’importants secteurs de la société, notamment dans les services. L’élargissement du mouvement est indispensable. Il serait présomptueux et illusoire d’espérer que le forum Ethique et responsabilité attire à lui, pour les intégrer, des secteurs de l’économie et de la société représentant des pouvoirs, des moyens techniques et financiers, des réseaux et une force d’impact sans rapport avec les nôtres. Mais, depuis 2001 et l’adoption de la Charte des responsabilités humaines, le monde s’est profondément transformé et la référence à la responsabilité, souvent sous forme d’un adjectif – gouvernance responsable, commerce responsable, investissement responsable, etc - est devenue constante, pour le meilleur et pour le pire, dans le domaine économique.
En 2011, l’adoption de la norme ISO 26000 constitue une nouvelle étape. Elle invite les acteurs – entreprises et, potentiellement, collectivités locales – non plus seulement à prendre en compte leur « impact social et environnemental » mais plus largement à assumer leur responsabilité sociétale, en se référant explicitement à la maîtrise des filières globales de production. Nous ne sommes pas loin d’un effort de « croisement » entre des approches territoriales et des approches des filières globales de production. Or ce sera les deux grands niveaux de cohérence du XXIe siècle, ceux sur lesquels reposera la transition vers des sociétés durables et responsables.
Notre forum doit être en mesure de définir ses liens et partenariats avec ces réseaux de très grande ampleur. Pour cela, il doit montrer sa valeur ajoutée possible, illustrer son approche des dilemmes éthiques et des trois niveaux d’exercice de la responsabilité qu’il promeut, convaincre de l’importance d’un texte fondateur de droit international.
Malgré la disproportion apparente des forces, le forum doit faire preuve de la même audace dont il a fait preuve en 2011 pour aller au devant des gouvernements. Cela suppose une analyse rigoureuse des forces et faiblesses des différentes dynamiques en cours. Pour en donner une illustration concrète, on observera que toutes les dynamiques concernant le monde économique, qu’elles soient promues par les Nations Unies, avec le « Global Compact » et l’initiative « innovative finance du PNUE » , par l’OCDE, avec ses lignes directrices pour l’investissement responsable, par le WDCSD (Word Business Council on Sustainable Developement) visent toutes à promouvoir des « engagements volontaires ». Toutes signalent certes le « risque réputationnel » des entreprises qui ne tiendraient pas les engagements qu’elles ont pris publiquement mais la sanction réelle de comportements irresponsables est bien faible. Dans le cas des lignes directrices de l’investissement responsable de l’OCDE la création de « points de contact nationaux », appelés à suivre la mise en œuvre des principes directeurs, n’a eu qu’une portée limitée. La question des dilemmes éthiques n’est pas vraiment abordée. On ne voit pas apparaître par exemple de règles de protection des lanceurs d’alertes au sein même de l’entreprise. Il est certes important de démontrer aux investisseurs que s’ils s’interrogent sur le comportement responsable, au plan social et environnemental, des entreprises dans lesquelles ils investissent ils peuvent se prémunir de risques à long terme, mais ce n’est pas suffisant pour démontrer, comme ce type d’initiative le proclame, qu’il s’agit d’un jeu gagnant gagnant. En outre, la mise en oeuvre de ces principes est explicitement subordonnée au « devoir fiduciaire » des investisseurs, en clair l’intérêt de leurs actionnaires et clients. Force est d’ailleurs de constater que ces principes, mis en place au début des années 2000, n’ont pas empêché les dérives du monde de la finance qui ont conduit à la crise de 2008. Enfin, les thèmes récurrents de ces principes directeurs pour un comportement économique responsable sont le respect des droits de l’homme, les conditions de travail, l’attention portée à l’environnement, la lutte contre la corruption. Ces thèmes sont importants mais n’épuisent pas, tant s’en faut, la question de l’impact de nos modèles actuels de développement sur les relations entre les sociétés et sur la biosphère. Autant de questions, autant d’espaces de travail dans lesquels nous devons faire du Forum un espace de documentation, de réflexion, d’interpellation.
On peut aussi songer, sur le modèle des jurys de citoyens ou des prud’hommes, à proposer que s’instaurent des formes de « tribunal volontaire » amenant les entreprises ou les collectivités territoriales qui ont pris des engagements, à soumettre cet engagement à verdict, au delà du regard plus ou moins complaisant de leurs pairs.
Le monde de la grande distribution présente un intérêt tout particulier. On le voit, par exemple en Europe, avec les positions en pointe prises par certains groupes, à la fois du fait des convictions personnelles du personnel du groupe, notamment son personnel dirigeant, mais aussi parce que la distribution se trouve à l’interface entre les entreprises de production, les collectivités territoriales et l’ensemble de la population. Le rôle actif qu’a joué la distribution pour résister à la pénétration dans tout le système agro-alimentaire des plantes et animaux génétiquement modifiés est assez révélateur de cette position charnière entre les modes de vie d’un côté et l’impact des filières globales de production de l’autre.
Cette recherche d’un élargissement de la consistance du forum Ethique et responsabilité par dialogue avec de vastes secteurs de l’économie et de la société n’est pas exclusive de la construction de nouvelles alliances citoyennes. On peut penser par exemple à développer une alliance avec le réseau mondial d’éducateurs à l’environnement ou avec des réseaux de communautés de base, comme en Inde, qui ont pris des positions novatrices pour assumer leur responsabilité vis-à-vis de la société et de la biosphère.
Du côté des collectivités territoriales, l’évolution n’est pas moins frappante : la pratique des « agendas 21 locaux » a progressivement fait évoluer les politiques publiques locales, quoi qu’à des degrés divers, depuis un simple « verdissement » de ce qui existe déjà, relevant plus du marketing que d’un changement de comportement, jusqu’à des projets multi-acteurs ou l’on voit une population locale se mobiliser globalement pour réduire l’incidence de son mode de vie sur la biosphère. Si les villes regroupées au sein de ICLEI (les gouvernements locaux engagés au service de la durabilité) ont fait figure, dès les années 1990, de précurseurs, traitant aujourd’hui de l’énergie, de l’empreinte écologique ou de la biodiversité, un mouvement plus récent comme celui du Pacte des maires, en Europe, a très rapidement réuni des milliers de membres qui se sont engagés à aller plus loin que l’Union Européenne elle-même dans la réduction de leur impact énergétique.
Avec les collectivités territoriales, la déclinaison à différentes échelles du principe de co-responsabilité nous ouvre des perspectives fécondes : celle de Chartes locales de co-responsabilité. On peut déjà y trouver des éléments d’application avec les suites de la Charte de responsabilité des enfants et des jeunes, « Prenons soin de la planète », qui débouche sur des partenariats d’une nouvelle nature entre les jeunes eux-mêmes, le système éducatif et les collectivités territoriales. De la même manière, le point commun de toutes les stratégies réussies pour aller vers des villes durables est la co-production du lien public par les différents acteurs,. L’adoption par tous d’une Charte des co-responsabilités en serait le prolongement naturel. L’évolution des propositions de l’Alliance internationale des habitants va dans le même sens.
L’élargissement à d’autres régions du monde
L’autre élargissement du forum concerne les régions du monde dans lesquelles nous nous trouvons engagés. L’impact réel du réseau a dépendu à la fois du contexte général de pénétration des idées et de la capacité propre des animateurs régionaux à construire des réseaux, à interpeller des responsables, à nouer des alliances nouvelles, à veiller à ce que la question de la responsabilité soit présente dans le débat public aux différents niveaux. La démarche de Sudha Reddy en Inde est à cet égard exemplaire. Mais il ne s’agit pas pour nous d’établir un palmarès du meilleur vendeur de la Charte mais plutôt de nous nourrir des succès et échecs des uns et des autres – personne n’ayant démérité – pour développer dans les différentes régions du monde des actions plus efficaces et plus percutantes.
Les initiatives prises au cours de la préparation de Rio + 20 nous ont par ailleurs montré l’importance des « pays intermédiaires », ceux de l’ASEAN en Asie ou ceux de la Communauté andine des Nations (CAN), en Amérique Latine, par exemple pour promouvoir des régulations internationales nouvelles. Car, à la différence des grandes puissances traditionnelles ou émergentes -les États-Unis, l’Europe, la Chine, le Brésil, l’Afrique du Sud-, engagées dans une concurrence féroce pour le contrôle des matières premières stratégiques, ces pays intermédiaires, comme aussi l’Afrique lorsqu’elle commencera à mieux s’organiser, sont plutôt les terrains de jeu de cette concurrence et de ce fait particulièrement bien placés pour en montrer les impacts sur les sociétés et sur la biosphère.
Lors de la préparation de Rio + 20, nous avons eu aussi conscience de l’importance à accorder aux pays qui se trouvaient particulièrement menacés par le changement climatique, au premier rang desquels le Bangladesh et les petites îles du Pacifique : dans l’état actuel du droit international, ils ne disposent que de leurs yeux pour pleurer et n’ont aucun tribunal devant lequel demander raison des préjudices immenses qu’ils subissent et vont subir.
Mais il faut aussi ouvrir des fronts nouveaux. Par exemple, dans le dialogue entre la société chinoise et la société européenne qu’a initié le forum China – Europa, la question de la responsabilité est très présente et l’on peut imaginer dans les années à venir, à l’occasion d’une mise en commun de ces réflexions, d’y mettre en débat les moyens d’aller vers une humanité plus responsable.
De même, il n’est sans doute pas impossible, dans un pays comme les États-Unis réputé jusqu’à présent allergique à aborder la question de la responsabilité au delà des responsabilités individuelles, de rechercher de nouvelles alliances, aussi bien du côté de la géopolitique que du côté des groupes religieux pour poser le problème dans de nouveaux termes : les États-Unis seront, sinon, un obstacle incontournable à l’adoption d’une convention internationale.
Enfin, du côté de l’Europe, des perspectives pourront peut être s’ouvrir si la proposition de la chancelière allemande Angela Merkel d’une nouvelle convention européenne de révision des traités se concrétise : ce serait l’occasion de donner à l’idée de responsabilité une valeur quasi constitutionnelle en Europe. L’intérêt, sur lequel nous reviendrons, serait que l’Europe dispose déjà d’une Cour Européenne des droits de l’homme particulièrement active, dont la jurisprudence pourrait être élargie à une Déclaration européenne des responsabilités humaines.
5. Renforcer la crédibilité et la visibilité des propositions du Forum
Une convention internationale supplémentaire, à quoi bon ? Entend-on souvent dire. La question est légitime. Les conventions internationales sont légion. Les pays africains sont ceux qui en ont signé le plus grand nombre, sachant de toutes façons ne pas avoir les moyens financiers, administratifs et humains, quand même ils en auraient la volonté, d’honorer leur signature. C’est dire que nous devons faire de nouveaux efforts pour donner crédibilité à nos propositions en montrant « ce que ça changerait ». Ces efforts doivent se déployer selon deux axes :
Renforcer la crédibilité juridique.
Le droit international est le fruit d’une longue et complexe élaboration : au contraire des déclarations d’intention et autres lignes directrices du comportement responsable telles que promues par les milieux économiques, il doit être opposable devant des tribunaux, donner naissance à une jurisprudence internationale, à l’instar de ce qui se passe pour les droits de l’homme, avec le recours aux jurisprudences croisées de la Cour Européenne et la Cour Inter Américaine des droits de l’homme. Ce droit doit pouvoir être invoqué devant des tribunaux et ouvrir la voie à des sanctions crédibles. La confirmation récente, en France, de la condamnation du groupe pétrolier Total pour le naufrage, dramatique pour l’environnement maritime et côtier, du pétrolier Erika, qui appartenait à une compagnie maritime liée à Total par un simple contrat commercial, ou le travail pionnier mené par l’association de juristes Sherpa pour montrer l’utilisation qui pourrait être faite dès à présent des corpus juridiques existants pour mettre en cause la responsabilité des entreprises mère vis-à-vis de leurs filiales ou de leurs sous-traitants sont autant d’illustrations de l’impact majeur des dispositifs juridiques sur les comportements et même sur les consciences. A contrario, le fait que les comportements irresponsables et prédateurs des dirigeants du système financier international n’ait pas donné lieu à des condamnations pénales ou même civiles constitue une illustration formidable, aussi frappante que celle de l’incapacité du Bangladesh à se retourner contre quiconque malgré les menaces de génocide climatique, de l’irresponsabilité garantie par le système juridique actuel.
Pour renforcer la consistance juridique des propositions portées par le Forum Ethique et responsabilité, il faut développer le réseau de juristes internationaux « amis et sympathisants de l’initiative ». Ce réseau a été bien amorcé à l’occasion de la préparation de Rio + 20 et de la rédaction de notre première Charte des responsabilités universelles. Il faut aujourd’hui l’élargir et le consolider.
Une autre manière de renforcer la crédibilité de nos propositions est d’en simuler l’impact. De même que la jurisprudence admet très largement aux États-Unis, aujourd’hui, la légitimité des « actions collectives » (class actions), de patients mis en danger par un médicament mal évalué, de victimes du tabagisme passif, de travailleurs de l’amiante ayant développé des cancers, etc.. de même on peut simuler ce que seraient des actions collectives s’appuyant sur les principes d’une Déclaration universelle des responsabilités humaines. On pourrait aussi simuler ce que serait l’extension des compétences des Cours Européenne et Inter-Américaine des droits de l’homme à la mise en œuvre d’un nouveau droit international de la responsabilité.
Renforcer la crédibilité institutionnelle.
Nous devons renforcer les liens avec des structures périphériques des Nations-Unies, comme l’UICN (Union Internationale de Conservation de la Nature), l’UNESCO, le programme des Nations-Unies pour l’environnement, en lien avec son action dans le champ de l’investissement responsable, le BIT, grâce à l’intérêt croissant porté par les syndicats à nos réflexions sur la responsabilité. En dehors des périphéries des Nations-Unies, on peut penser aussi à renforcer les liens avec l’OCDE, à propos de l’évaluation des principes directeurs de la responsabilité sociale des entreprises.
En dehors des instances officielles, les partenariats avec des réseaux internationaux comme Globethics, déjà partie prenante active du forum Ethique et responsabilité ou avec le forum mondial de Lille sur la responsabilité des entreprises devraient contribuer à cette visibilité.
Mais nous devons aussi ne pas relâcher notre effort pour la recherche d’un ou plusieurs pays qui se fassent les « champions » d’une initiative internationale. On a dit les raisons pour lesquelles en 2011 nous avions ciblé le seul Brésil. Nous pouvons maintenant adopter une démarche plus progressive, avec les pays déjà cités de l’ASEAN et de la CAN (Commune Andine des Nations) et dans cette nouvelle configuration il n’y aurait plus d’inconvénient à ce que l’on chercher à mobiliser, par exemple par le biais du Parlement Européen et des réseaux européens de la société civile, l’Union Européenne elle-même, relayée éventuellement par le Conseil de l’Europe, dans une initiative collective d’un certain nombre d’États osant dire que la souveraineté absolue des Nations nous conduit inévitablement au désastre. S’il est probablement impossible d’inviter les Etats-Unis et la Chine à s’associer à une initiative, il n’est pas totalement exclu d’obtenir, à l’occasion des crises qui les traversent eux-mêmes, au moins leur neutralité.
6. Construire et consolider la base documentaire de notre stratégie
Il est indispensable que tous les membres du réseau disposent d’un argumentaire puissant, enrichi de toutes nos expériences successives. Là aussi, la préparation de Rio + 20 nous a conduit à une production intellectuelle et documentaire très appréciable, au premier rang de laquelle le texte de contextualisation d’Edith Sizoo qui a permis de situer notre initiative par rapport à toutes celles qui depuis près de quarante ans avaient été inspirées par les mêmes préoccupations, non pas pour prétendre que notre initiative est la meilleure mais au contraire pour comprendre, par comparaison, quels devaient être les caractéristiques d’une initiative allant jusqu’au bout en se saisissant simultanément des trois niveaux de l’éthique.
Nous avons aussi construit, à l’occasion de nos contacts avec des représentants des gouvernements ou à l’occasion des multiples débats auxquels nous avons participé à Rio du « matériel de propagande » au meilleur sens du terme, avec des exemples de lettres, d’argumentations, de propositions. Ce corpus doit être à disposition de tous, dans différentes langues. Il doit être également constamment enrichi et mis à jour (toutes les références à la conférence de Rio + 20 qui allait se tenir étant devenues des scories).
Un autre matériau devient urgent, celui des études de cas (case studies) mettant en scène les dilemmes éthiques rencontrés par les différents milieux et les pistes de solution proposées. Ce serait là le signe distinctif du forum Ethique et responsabilité, montrant sa volonté de se coltiner au « monde réel » et à ses dilemmes, par opposition à l’énoncé souvent trop irénique de ceux qui expliquent que l’adoption d’un comportement responsable permet de gagner sur tous les tableaux. Il devient indispensable que les différents réseaux mutualisent au sein du site web du forum Ethique et responsabilité leurs ressources documentaires, le site devenant un portail des études de cas des différents réseaux. Cela renforcera la crédibilité du forum et la synergie entre les réseaux qui le composent mais permettra aussi de répondre à une demande latente de plus en plus forte du système éducatif, et en particulier du système de formation permanente, au sein des syndicats, des associations professionnelles, des entreprises, des centres de formation de fonctionnaires, etc.
Nous devons réunir et confronter aussi les propositions de réforme législative et règlementaire découlant de leurs travaux. A titre d’exemple, la proposition de loi sur les lanceurs d’alertes préparée par la fondation Sciences Citoyennes, la réforme de l’expertise européenne dans le cadre de la controverse sur les organismes génétiquement modifiés, les propositions d’encadrement de la profession de journalistes, la réforme de la formation des militaires.
Enfin, au delà de documents ciblés mais séparés des uns des autres, nous avons besoin de mettre en forme un nouvel ouvrage « grand public » qui raconte l’historique de cette réflexion sur l’éthique du XXe siècle, montre les perspectives et la stratégie, valorise les histoires les plus emblématiques des différentes alliances, construise un propos sur les dilemmes éthiques à partir des études de cas les plus remarquables, montre, enfin, les propositions d’évolution législatives et réglementaires découlant de ces réflexions.