Du territoire bien commun à la biorégion urbaine : le cas du Grand Paris
Atelier 5 : par Agnès Sinaï, journaliste environnement
Thierry Paquot, Anne-Solange Muis, febrero 2020
Dans le cadre de la production d’une étude réalisée en 2019 pour le Forum Vie Mobile, l’Institut Momentum, représenté ici par Agnès Sinaï, journaliste de l’environnement, a produit une étude sur l’hypothèse de la création de huit biorégions en 2050, en Ile-de-France. Cette étude est présentée dans la conférence. Il s’agit de donner à voir un contre-modèle à la métropolisation qui accompagne une croissance illimitée et une artificialisation des sols. L’étude, intitulée « Biorégions 2050 », propose une décroissance fondée sur une population divisée par trois, une autonomie alimentaire des biorégions délimitées par une géographie et non par une administration, une énergie alternée, des transports lowtechs, une reforestation, et ruralisation des paysages et des activités pour un retour à la terre.
Para descargar: atlier5_as_bioregions.pdf (100 KiB)
Introduction par Thierry Paquot
Un des auteurs de la biorégion a été enfin traduit en français, il s’agit d’un ouvrage de Kirkpatrick Sale, Dwellers in the Land: The Bioregional Vision traduit par L’art d’habiter la Terre : la vision biorégionale en 2020 aux éditions Wildproject.
Conférence
Nous avons coproduit avec le laboratoire d’idées Momentum, une étude qui projette l’Île de France dans un avenir chaotique lié à la possibilité d’un effondrement.
L’enjeu est à la fois la question du territoire, du bien commun, de la biorégion, et celle du Grand Paris. Notre approche est de proposer un contre-modèle au développement métropolitain proposé par les institutions du Grand Paris, qui repose sur une vision de croissance illimitée, une poursuite de l’artificialisation via des zones d’activités qui sont vouées à surgir autour des bouches de métro du Grand Paris Express, ce qui est l’infrastructure la plus emblématique du Grand Paris.
L’institut Momentum qui s’est fondé en 2011 a pour vocation de réfléchir à rebours des logiques de croissance dans la perspective de la grande accélération actuelle, où nos sociétés industrielles sont devenues des forces aussi puissantes que les forces telluriques. Avec l’Institut, nous prenons en compte que le sol vacille sous nos pieds sous l’effet de ce grand changement accéléré infligé par les sociétés industrielles à la terre et au vivant. Le cas du Grand Paris est un cas d’école d’un déroulement anthropocénique, continuiste, progressiste et illimité de cette vision productiviste des territoires soumis à des flux d’énergie colossaux et permanents, diurnes, nocturnes. C’est ce qu’on appelle les sociétés thermo-industrielles. Le Grand Paris est installé sur des terres fertiles et historiquement, l’Île-de-France possède des territoires agricoles et ruraux.
Le territoire francilien, un territoire agricole
Le territoire francilien peut-il être un territoire de bien commun ?
Cette question du bien commun, fondamentale, soulève celle de l’accès au foncier. Il se trouve que depuis la Révolution française, le foncier relève de la propriété et c’est un des aspects du verrouillage de la situation aujourd’hui. Les domaines agricoles aujourd’hui relèvent de baux terriens, de propriétaires agricoles, certains sont des visionnaires comme le domaine de Courances dans le Pays de Fontainebleau, mais c’est une exception. Les terres agricoles du bassin parisien sont des cultures monopolisées sur les marchés mondiaux puisque l’exploitation céréalière de l’Île de France représente 64% de la SAU (Surface agricole utile).
Les verrous
Pablo Servigne et Raphaël Stevens dans leur livre Comment tout peut s’effondrer (2015), l’ont bien souligné : un des défis est de savoir comment agir sur ces verrous, ce qu’Ivan Illich a appelé les « monopoles radicaux ».
L’Île de France est un monopole régional, livré à l’agriculture intensive, à la métropolisation, et nous, citoyens, nous sommes censés épouser ce verrouillage. Pour moi un exemple est : 16 millions de voitures par jour et de deux roues motorisées, 250 000 passagers aériens par jour, 400 000 tonnes de marchandises par jour, 115 000 barils de pétrole quotidien pour un seul pipeline en provenance du Havre, l’IDF dépend à 90% de produits hors région pour les fruits et légumes _ et quant à la viande, c’est 99%_ l’agriculture est occupée par les céréales, il n’y a que 5000 exploitations agricoles pour 12 millions d’habitants, néanmoins il y a des atouts puissants, et notamment beaucoup de SAU qui pourraient évoluer vers d’autres modèles.
C’est une région qui pourrait être autonome sur le plan alimentaire mais qui a beaucoup de dépendances aux flux énergétiques.
L’exemple du projet CARMA
Le projet CARMA (Coordination pour une ambition agricole rurale et métropolitaine d’avenir) a agi pour proposer un contre-modèle sur le projet du Triangle de Gonesse à côté de Roissy.
Le projet Europacity a été annulé il y a quelques semaines par le gouvernement et l’enjeu dans les prochaines semaines est de savoir ce que va devenir ce triangle fertile d’environ 600 ha de SAU diversement répartis sur le plan foncier. Et un des enjeux pour convaincre Valérie Pécresse, Présidente de la Région IDF, est de lui prouver qu’elle dispose d’une certaine marge de manœuvre foncière sur cet espace, même si l’Établissement public Foncier d’IDF ne couvre qu’une faible fraction du Triangle de Gonesse (Axa par exemple en possède plus d’une centaine d’hectares). L’idée est d’éviter le continuum d’un Grand Paris et de proposer un autre modèle biorégional.
L’objectif est de déverrouiller l’accès au foncier, le modèle métropolitain qui ne songe qu’au tertiaire et aux commerces, afin de le transformer en parcelles d’agroforesterie et de maraîchage, plus petites, en corridors verts, marchables, en conserveries, en pôle d’innovation dans le domaine agricoles, etc.
Le projet CARMA se propose d’être une tête de pont du Pays de France qui est une des régions de l’étude.
A l’origine des biorégions
Kirkpatrick Sale, récemment traduit en français, propose la notion de biorégion. Dans les années 1970, émerge, avec lui et d’autres penseurs, l’idée de biorégion qui se caractérise par des frontières qui ne sont plus politiques mais géographiques. On raisonne par l’idée de milieu où l’humain s’inscrit dans ce dernier plutôt qu’en maître d’une communauté du vivant.
Avant lui, quelques noms : Patrick Geddes, Lewis Mumford se sont intéressés au régionalisme.
Plus récemment Alberto Magnaghi, géographe et urbaniste italien qui se dit « territorialiste » et veut sortir de cette vision métropolitaine et consumériste. L’habitant d’un territoire se doit d’être co-producteur de ce territoire sur tous les plans. L’agriculture est un élément structurant du territoire chez lui, avec la notion de « parcs agricoles communs » qui ont vocation à recouvrir les friches pour être des pénétrantes dans les villes.
La notion de proportionnalité, d’échelle (quelle bonne échelle de vie ?) est également abordée par Leopold Kohr, économiste, théoricien politique. L’idée de faire sécession transperce toutes les idées biorégionales, où il s’agit de s’auto-administrer.
L’étude « Biorégion 2050 » et le Grand-Paris
L’atout de l’IDF est ses territoires agricoles. Nous sommes partis du modèle de CARMA et de Courances comme hub de l’étalement rural, avec 8 biorégions qui reprennent les limites des PNR actuels. Beaucoup moins denses_ car la population aura diminué de moitié, soit par chaos climatique, soit par migration _, les territoires regrouperont des agricultures multiples adaptées aux biorégions organisées à partir des hubs régionaux identifiés. L’idée est de redéployer les actifs à travers une économie qui va favoriser le secteur primaire, les métiers manuels et de transformation. Paris sera à cheval sur 3-4 biorégions et sera nourri par ces biorégions à travers un système ferroviaire biorégional ; et Paris va contribuer à ces territoires en envoyant des habitants qui pourront aller travailler 2 ou 3 jours par semaine dans des coopératives et seront rémunérés sous la forme de revenus de transition écologique ou en nature, pour manger. Une économie est à imaginer à travers ces nouveaux statuts de coopération.
La commande initiale pour ce rapport était la question des transports, mais je pense que l’agriculture (et l’alimentation) peut être le sujet immédiat à mettre en place en IDF alors que se débarrasser de l’automobile sera plus compliqué. A travers l’évolution de l’alimentation, on pourrait aller vers une région sans voiture.
Nous avons essayé de faire une réponse systémique à la demande de Forum Vie Mobile (Think Tank de la SNCF), qui nous avait demandé comment faire pour avoir moins de voitures, ce à quoi nous avions répondu : « avoir moins besoin de voitures, redimensionner les lieux existentiels, ne plus dépendre des grands flux, travailler sur son territoire dans un vaste horizon maraîcher, et aller vers l’autonomie régionale. »
Nous avons étudié le passé récent du maraîchage en IDF et tout cela nous semble réversible, même si l’irréparable a été commis, il y a une part de marge de réparation possible. Nous avons imaginé quelques paysages grâce au Cabinet Faire, où l’on a imaginé dans un paysage réel une projection vertueuse avec plus de végétal, de bois, et une sauvagerie qui revient. Il y a un impératif de reforester un peu partout pour atténuer le réchauffement climatique. Il y a moins de routes, plus d’asphalte, et de petits paysages marchables, cyclables, et humidifiés. On a essayé également de projeter la permaculture à l’image de ce que préconise David Holmgren dans RetroSuburia, dans les zones pavillonnaires. Comme il y aura moins d’habitants, il y aura de l’espace libéré pour faire des micro-fermes, ou pour connecter les jardins et faire des coopérations avec les voisins.
Le scénario est fondé sur 5 hypothèses structurantes :
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En 2050 nous aurons interrompu la croissance démographique, elle se sera même renversée soit par épidémie, effondrement financier, conséquences climatiques, qui vont obliger les urbains à quitter les villes.
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La politique sera moins centralisée et davantage biorégionale, on se gouvernera davantage à travers un municipalisme et sur un territoire cultivable, hospitalier, partagé, cosmopolite.
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Le temps de l’énergie continue sera révolu. Les ENR n’auront pas renouvelé les centrales nucléaires donc il y aura un effondrement de l’énergie, sans remplacement possible. Il faudra diviser par 2,5 nos consommations ce qui nous conduira à l’intermittence énergétique. On a beaucoup misé sur le biogaz pour les moteurs _notamment agricoles_ qui vont rester. Il n’y aura plus de voitures, les flottes automobiles (publiques) serviront pour des usages de nécessité et le reste ce sera du transport lowtech. Le solaire photovoltaïque fait encore débat entre nous, car pour l’instant il n’est pas lowtech mais hightech.
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Il n’y a plus de voitures ou presque (100 000 au lieu de 8 millions), car dans les biorégions il n’y en aura pas besoin. Le cheval sera réhabilité. Il y aura aussi des tramways qui fonctionneront au gaz vert, des trains biorégionaux qui passeront moins vite, des tubes à pédales, etc. Il y aura la contrainte de déployer les lieux d’habitations près de cette activité. Il y aura des relais le long des voies navigables, ainsi que beaucoup de vélos, avec des relais conviviaux.
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Beaucoup de monde devra travailler dans le domaine agro-alimentaire en IDF (3 millions de personnes). Cela était bien repris dans l’exposition Paris, capitale agricole qui a eu lieu l’année passée au Pavillon de l’Arsenal. Ainsi plein de métiers connexes à ce secteur primaire sont à imaginer pour un futur habitable et désirable.
Nous avons voulu incarner la vie en IDF à travers des portraits existentiels. Par exemple, ce jeune homme né en 2022 travaillera à récupérer les déchets métalliques, à travers, entre autres, la déconstruction des supermarchés. A la fois, ce sera plus compliqué de circuler dans cette région car les transports seront plus lents, plus chaotiques, plus désertés également par les exodes urbains.
En conclusion
Un certain nombre de recommandations politiques :
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Interrompre la concentration métropolitaine actuelle et prôner le modèle biorégional pluriel avec une diversité valorisée,
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Favoriser la réduction démographique et moins d’habitants
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Une réduction énergétique, des déplacements, la marche, l’équitation, …
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Une économie de proximité
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Des ENR locales
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La gestion des communs
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La promotion des emplois manuels et lowtech
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La valorisation des emplois agricoles qui passent de 10 000 à 1,500 million en IDF
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De la polyculture et de l’élevage
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Le bouclage des trames vertes qui vont être des radiales qui vont permettre aux gens de circuler
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Les parcs agricoles urbains qui vont trianguler Paris et les 4 biorégions ;
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Le rationnement égalitaire, solidaire, surtout sur le plan énergétique pour que personne n’ait plus que d’autres.
Ce que nous contestons c’est l’édification des métropoles sur le débordement de l’empreinte écologique.
Échanges avec la salle
Le rapport a été rendu à qui et quand ?
Il a été rendu d’abord au Think tank de la SNCF, Forum Vie Mobile, l’automne dernier (2019). Ils ont eu une perception du rapport, diversifié. Par rapport à l’imagination technologique envisagée par la SNCF, ils auraient aimé voir d’autres propositions de transport que ces machines très simples que nous proposons.
Pourquoi 2050 ? C’est très proche. Quand on voit la révolution que ce serait en termes de paysage, cela paraît compliqué de l’imaginer, à si court terme. Cela signifie que l’on déporte un problème sur les territoires ruraux ?
On observe déjà des brèches et on espère que Valérie Pécresse va suivre ce contre-modèle.
Il y aura un effondrement mondial de la population par les épidémies, les guerres, etc. C’est certain.
La croissance démographique est moindre que celle estimée dans les années 1960 sur l’IDF.
Vis-à-vis des métiers de l’agriculture, cela signifie qu’il faut former des gens à ces métiers, or aura-t-on la relève suffisante pour cela ?
C’est une partie de la nécessité qui fera l’histoire et pas la décision politique. Au-delà des individus, il y a 5 millions d’espèces qui vivent sur le territoire, et il faut partager l’espace et la vie avec d’autres espèces. La nécessité climatique fait qu’on n’aura pas vraiment le choix de faire autrement.
Je pense à l’usine prévue à Sevran où à l’origine était prévu un lieu de formation, qui doit fabriquer des briques en terre crue locale. L’intérêt était de créer un lieu de savoir-faire avec une possibilité de transmettre et de dupliquer par ailleurs.
Comment êtes-vous arrivés à 8 biorégions et comment avez-vous déterminé les frontières ?
On s’est inspiré des Parcs naturels régionaux existant, des Pays (Loi Voynet, 1995), des cartes de l’Institut Paris Région et on a regardé les cours d’eau, les plateaux, les plaines, et on a superposé les cartes à celles d’autrefois pour aboutir à ce découpage qui correspond à cette notion de Pays.
Merci pour ce scénario qui nourrit la réflexion. Comment agir et aller vers les biorégions en dehors du territoire décisionnel ? Concernant les réseaux structurants, est-ce que Biorégions 2050 peut aussi être diffusé auprès de Veolia ou d’autres industries de services à l’environnement qui utilisent des réseaux et infrastructures importantes ?
Notre scénario n’est pas capitalistique. Faire sécession signifie que les réseaux seront moins concentrés et en effet, il faudrait montrer ce travail auprès des industriels afin de les sensibiliser à tout cela. Tous ces grands flux ne seront plus organisés tels quels dans le futur.
Votre scénario est intéressant sur le plan de l’utopie mais ne me séduit pas. Je fais le parallèle avec des mouvements radicaux, si je rejoins la théorie de l’effondrement d’Yves Cochet, je pense qu’on aura affaire à une lutte pour la survie qui sera du coup une lutte de classe ; une lutte qui pour moi a déjà commencé. Et votre scénario le balaie d’un bras. Les institutions sont l’histoire d’une société et on ne peut pas les arrêter comme cela, ou alors, on change de République et de modèle, et on aurait pu discuter de cela. Je suis sensible aux courants alternatifs, j’ai créé entre autres, la Seine n’est pas à vendre, mais je pense qu’on n’ira pas plus loin que des cas d’exemples. C’est un combat avant tout politique.
Qu’est-ce que vous attendez de Pécresse ?
Je pense que d’un point de vue écosystémique, ce serait plus intéressant de travailler sur le réseau hydraulique de la France qui est à la source de la vie. S’il y a une reconstitution des territoires (au sens politique du terme), il faudrait regarder la géographie au sens de l’écologie afin que ce soit cette dernière qui fasse territoire. Or, je ne crois pas que c’est ce qui apparaît dans votre modèle qui me semble ruraliste et réducteur.
Que va devenir le secteur de l’industrie, même lourde, qui sera forcément présent dans le recyclage ? L’échelle de la biorégion va être confrontée à l’échelle industrielle, et la délocalisation des industries même petites ou à l’échelle locale a un impact écologique. Si on cherche l’autonomie régionale, on va avoir plusieurs petites industries qui auront un effet sur le climat.
Oui, il y a toujours des industries, mais elles feront des trajets beaucoup plus courts. Ce n’est pas une autarcie, c’est une autonomie désirable surtout sur le plan alimentaire. Sur la production, le surplus sera peut-être exporté et inversement, selon nos besoins. C’est surtout nos systèmes de transport qui seront très différents.
En 2050, il n’y aura plus de pétrole disponible à des coûts acceptables. Il n’y aura pas d’avions, de camions ou de voitures.
La mondialisation actuelle est essentiellement sur le pétrole. Nous avons une vision continuiste de l’histoire, or, on va vers l’effondrement. Il y aura peut-être un peu de biogaz pour les machines agricoles, mais on sera forcément privé d’énergie.
La métropole est une forme de trou noir qui attire. Si on veut aller dans la direction que vous proposez, il faut déconstruire la métropole, et le capitalisme, or est-ce que c’est possible ? Car si cela commence, cela se transformera en guerre civile, donc comment faire ?
Pour que les gens partent de la métropole, il faut qu’elle n’attire plus.
Le capitalisme va s’effondrer pour des questions écologiques. Les colosses ne seront pas épargnés par le changement climatique et l’augmentation des températures. Le pays le plus résilient de l’Europe est l’Albanie car ils dépendent beaucoup de la traction animale, donc ils s’en sortiront davantage dans l’effondrement. Dans une notion de rupture, il n’y aura pas de forteresse pour protéger les riches. Nous ne sommes pas encore dans l’effondrement, mais il faut décoloniser l’imaginaire, et ne pas tomber dans la pensée classique de cette lutte des classes.
Est-ce que nous allons donner l’exemple dans cette rupture aux pays en développement ?
C’est plutôt nous qui allons rétrograder à leur niveau que l’inverse.
J’ai bien aimé l’issue heureuse que vous avez présentée. Ce qui me gêne c’est que comme tout est lié à l’effondrement et à un tas de catastrophes pour y arriver, et je trouve dommage de devoir passer par cette étape. Il faudrait montrer ce projet comme une décélération et non comme une résultante de l’effondrement.
Je suis intéressé par ce regard nouveau que vous apportez. Je pense qu’il faut s’interroger sur les marges et le centre et quelle biorégion imaginer dans le centre pour faire sauter ce bouchon gris. Il y aurait quand même des questions de fond qu’il faudrait se poser pour que ce soit crédible. Comment rendre le scénario opérationnel ?
Le scénario peut être téléchargé sur le site de l’Institut Momentum via ce lien : fr.forumviesmobiles.org/publication/2019/03/27/bioregions-2050-12915
Il faudrait surtout qu’on ne soit pas freiné par les politiques. La politique est majeure mais le levier peut être au choix : on attend que les politiques changent, ou que la catastrophe arrive, ou on arrête d’attendre et on crée des ZAD pour que les biorégions aient lieu et on ne demande pas leur avis aux politiques. Est-ce qu’on n’est pas arrivé au point où il faut faire des ZAD sur des projets réfléchis ?
C’est un peu déjà le projet CARMA.
Oui, mais l’action doit arrêter de demander la permission à l’État et faire les choses.
Dans « Mesure et démesure des villes » (CNRS, 2020) je recense une trentaine de propositions depuis Ebenezer Howard qui chiffreraient la juste taille des villes.
Un point qui ne figure pas dans le document mais qui me semble essentiel et que j’ai défini il y a plusieurs années déjà, c’est l’écologie existentielle. On ne peut pas définir une pensée écologique sans lui donner cette dimension philosophique fondamentale : « qu’est-ce qu’habiter la terre ? ». Cette démarche repose sur des affects, des plaisirs, d’autres formes d’amour, etc. Cela appartient à la poétique du monde qui nous permettra de transformer la société dans laquelle on est. Il faut compléter cet imaginaire. Par exemple, les enfants sont absents de ce scénario. J’espère que demain il n’y aura plus d’écoles pour que les enfants puissent réellement être des enfants. Yves Cochet disait très justement à l’instant : « décoloniser notre esprit », je dirais même qu’il faut écologiser nos esprits. Il nous faut admettre que l’écologie est une méthode, qui est transversale, interrelationnelle et processuelle. Dans cette procédure, cela révèlera les véritables ennemis et notamment ceux qui utilisent les mêmes mots que nous pour dire l’inverse. Il faut être « les gardiens du vocabulaire », pour reprendre les mots d’André Breton. Il faut être intransigeant sur le sens des mots. Nous devons sans cesse établir le lien entre l’humain et le non-humain.
Je renvoie au livre de Zola, « Travail » qui est le seul roman de sciences fiction écrit par Émile Zola avant d’être assassiné ; on est dans une ville-territoire, éparpillée dans une nature entretenue et aimée et qui correspond à une forme de bonheur. Nous ne pouvons œuvrer dans le bon sens que si nous sommes heureux.
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