L’étymologie du mot « urbanité » renvoie à la politesse et à la civilité, soit à un ensemble de conduites qui rendent agréable et désirable la rencontre avec les autres. Le terme d’ « urbanité » indique qu’une modalité particulière de la relation aux autres existe dans la ville. Dans un monde « rustique », si tant est qu’on puisse le décrire de façon aussi simpliste, les relations sociales sont étayées par l’ancienneté et la quotidienneté des relations sociales dans un univers de petite dimension. En ville, les relations sont plus diversifiées, mais aussi plus aléatoires. L’urbanité a donc ses contempteurs : suivant Rousseau, de nombreux moralistes se sont méfiés de la duplicité et de la superficialité des engagements dans les grandes villes et vantent les mérites des relations franches et véritables, celles qui ne peuvent s’épanouir que dans une petite communauté humaine unie par des valeurs communes.
La notion d’urbanité est-elle attachée à une époque, justifiée par un état de la relation entre une société et un contexte spatial, notamment marqué par une figure de l’espace public ? De ce fait, est-elle aussi attachée à des lieux ? Les lieux ou l’espace public, le patrimoine architectural, la diversité des fonctions et celle des citadins permettent tout à la fois le côtoiement et l’échange sont les lieux de la centralité. La dédensification et la fragmentation des périphéries urbaines sous l’effet de la vitesse a globalement conduit à la réduction de ces espaces de frottement et de côtoiement social au profit des voiries et de la séparation des flux : l’urbanité a-t-elle sa place dans les couronnes des villes où la société est segmentée par la ségrégation immobilière et une forme de renfermement, peut-elle se manifester dans les lieux du commerce ou du sport ? Tel est le débat qui relie l’urbanité et la densité urbaine. Bref, comment mesurer la « teneur en urbanité » des lieux urbains, mais aussi, par anticipation, du projet urbain dont les promoteurs, urbanistes, collectivités et opérateurs financiers attendent, sous une forme ou sous une autre, une ambiance contribuant à « faire société » ?
Le défi est de taille, car l’urbanité exprime finalement le partage de valeurs communes aux citadins et, par voie de conséquence, une aptitude à l’intégration sociale et culturelle. Si l’urbanité ne désigne donc pas d’abord une forme urbaine particulière, ni même un agencement socio-spatial particulier, elle est pourtant en partie conditionnée (mais jusqu’à quel point ?) par la conception de lieux favorisant la coprésence, la rencontre et l’échange : la véritable justification de l’urbanisme ?
Ce que disent les auteurs sur l’urbanité:
Jean Giraudoux
Dans une conférence donnée à Marseille en 1941, Jean Giraudoux exprime en quelques courtes phrases le lien entre l’attention donnée à des formes urbaines et la sociabilité.
Barbara Allen, Michel Bonetti
A propos de la rénovation urbaine, et en écho presque direct aux propos de Jean Giraudoux, l’analyse de deux sociologues qui insistent sur la contribution de l’agencement spatial sur la vie sociale. Les formes urbaines et architecturales n’ont jamais d’effet mécanique et elles entrent avec d’autres facteurs, comme la situation sociale, culturelle et économique ainsi que les modalités de gestion des territoires, pour façonner la vie urbaine. Barbara Allen et Michel Bonetti développent ce point de vue dans un ouvrage d’évaluation sur la rénovation urbaine (2013)et prennent leur distance avec certains sociologues pour lequel l’espace n’est qu’un support « neutre » aux relations sociales.
Julien Gracq
Voici ce que l’on trouve au tout début de « La forme d’une ville », de Julien Gracq (1985). Il renvoie implicitement à la notion d’espace vécu.
René Schoonbrodt et Luc Maréchal
Dans leur essai, « La ville, même petite », René Schoonbrodt et Luc Maréchal (2002) relie la question de la forme urbaine à celle d’urbanité, non que la première conduise à la seconde, mais que la seconde ne s’épanouit que dans le débat sur la première.
Marcel Roncayalo
Dans ce court extrait de « La ville et ses territoires », Marcel Roncayalo (1990) s’interroge sur la capacité de la ville à créer une urbanité, c’est-à-dire une culture et une sociabilité urbaines partagées.
Thomas Sieverts
Dans son ouvrage « Entre-ville, une lecture de la Zwischenstadt », Thomas Sieverts (1997) s’interroge sur la permanence de l’urbanité et sur sa mise en scène contemporaine.
Philippe Gesnestier
Philippe Gesnestier, dans un article de 2012 consacré à l’opération Paris-Plage, répond indirectement à la suggestion de Thomas Sieverts. Si l’urbanité n’est pas seulement un produit de l’agencement spatial, mais aussi d’un agencement temporel qui vise à organiser les loisirs des citadins en de vastes rassemblements festifs, quelle qualité conférée aux sociabilités produites ? Faut-il les réduire à l’indifférence consumériste et au chauvinisme grégaire ?
A la recherche des liaisons entre les notions: Autour de la notion d’urbanité
L’urbanité est une notion parmi les plus abstraites. Françoise Choay en parle comme « l’ajustement réciproque d’une forme de tissu urbain et d’une forme de convivialité ». Elle est à la rencontre de la mixité sociale, dont la forme urbaine est celle de la proximité, assurée dans le domaine des aménagements par la compacité, qui favorise l’intégration, et de l’espace public, sous toutes ses formes, qui est le lieu privilégié de son épanouissement. L’ambiance elle-même entretient avec l’urbanité des rapports de réciprocité.
(F.Beaucire X.Desjardins, 2014)
Urbanité
Sources
Barbara Allen, Michel Bonetti, Des quartiers comme les autres ? La banalisation urbaine des grands ensembles en question. Étude du comité d’évaluation et de suivi de l’agence nationale pour la rénovation urbaine, La documentation française, 2013.
Philippe Genestier, « Les paradoxes du progressisme touristique ou peut-on s’autoriser à être contre Paris-Plage ? », Espaces et sociétés, n° 151, 2012.
Jean Giraudoux, « Discours prononcé le 22 septembre 1941 dans le cadre de la XVe foire-exposition de Marseille » in Jean Giraudoux et le débat sur la ville, 1928-1924, Cahiers Jean Giraudoux n° 22, 1993.
Julien Gracq, « La forme d’une ville », 1985, in Œuvres complètes, vol. 2, La Pléiade, Gallimard, 2011.
Marcel Roncayalo, La ville et ses territoires, Folio-Essais, Gallimard, 1990.
René Schoonbrodt, Luc Maréchal, La ville, même petite, Editions Labor, Quartier libre, 2002.
Thomas Sieverts, Entre‐ville, une lecture de la Zwischenstadt, Marseille, Editions Parenthèses, 2004 (première édition en allemand, 1997).