Droit de l’urbanisme en milieu urbain

2009

Depuis dix ans, l’urbanisme opérationnel est phagocyté par l’urbanisme réglementaire. Dessiner la ville du futur est devenu un exercice pervers visant à définir tout ce qu’elle ne doit pas être. Loin de corriger cette dérive, le projet de loi « Grenelle 2 » en ajoute encore une couche, avec un jeu alambiqué de modulations des interdits.

Le règlement ne fait pas la ville

« Plus les départements sont ruraux, plus ils ont tendance à être attractifs. Cette relation entre attractivité et caractère rural des départements était nettement moins marquée au cours des années 1990. Des départements où plus de 50 % de la population réside dans l’espace à dominante rurale sont dans le peloton de tête en termes d’attractivité ». Voilà ce que l’on pouvait lire le 7 juillet 2009 dans la note publiée par l’INSEE sur la statistique des flux migratoires interdépartementaux de la période 2001 - 2006. Inversement le département de Paris, urbanisé à 100 %, est celui qui enregistre le solde migratoire négatif le plus élevé et ce solde est également négatif dans les six autres départements d’Ile de France. Au total, si la Région capitale, la plus urbanisée de toutes les régions, ne perd pas de population, c’est grâce à un bon solde démographique naturel et à un apport continuel de populations nouvelles en provenance de l’étrangers. Cette nouvelle statistique confirme les données qui étaient déjà connues : cette décennie aura été celle, non plus d’une extension de l’urbanisation en périphérie des urbanisations existantes, mais d’une diffusion de cette urbanisation nouvelle, en ordre dispersé, vers les zones rurales.

Comment ne pas rapprocher cette évolution, de l’adoption en 2000 de la loi SRU qui, comme son nom l’indique, était justement destinée à favoriser le «renouvellement de l’urbanisation », la « reconstruction de la ville sur la ville », la « lutte contre l’étalement urbain ». Comment expliquer une contre-performance aussi évidente ? N’y aurait-il pas quelques enseignements à en tirer à l’heure où le Parlement s’apprête à adopter les dispositifs que le projet de loi « Grenelle 2 » consacre à son tour à l’endiguement de l’étalement urbain et à la densification de l’urbanisation existante. Ce projet suit en effet, pas à pas, les mêmes approches qu’il y a dix ans. S’appuyant sur les mêmes raisonnements implicites pour adopter des mesures allant dans le même sens que précédemment, mais de façon plus rigoureuse. Pourtant, lorsqu’un remède a eu pour effet d’aggraver la maladie, est-il raisonnable de se contenter d’augmenter les doses ?

Des lois pétries de bonnes intentions

Comment oser émettre quelques doutes sur le bien-fondé de dispositifs qui affichent des intentions aussi excellentes que la loi SRU et le Grenelle 2 ? N’est-on pas en train de se faire l’avocat des lotisseurs qui bétonnent nos campagnes ? Ne s’est-on pas laissé intoxiquer par la propagande insidieuse du lobby automobile ? Ne faut-il pas tenter quelque chose pour que Marseille ne subisse pas le climat d’Alger, et Alger celui de Tombouctou ?

Les déclarations d’intention ayant pris une part prépondérante de la production législative, et les intentions étant toujours excellentes, il est devenu difficile d’en faire abstraction pour ne s’intéresser qu’aux dispositifs et à leurs effets prévisibles.

Ainsi, pour lutter contre l’étalement urbain, la loi SRU avait soumis tout nouveau projet d’aménagement à des conditionnalités très strictes dans un rayon de 15 km autour de l’urbanisation existante. Chacun sait aujourd’hui qu’il s’en est suivi un report des implantations nouvelles au-delà de 15 km et que c’est, paradoxalement, la lutte mal conçue contre l’étalement urbain qui aura contribué à l’étendre encore plus loin. Le dispositif a été abandonné. Mais lors de l’adoption de la loi, toute critique du dispositif était considérée comme scandaleuse. Dans le domaine des politiques foncières, les cas de dispositifs ayant un effet différent, voire même diamétralement opposé, à celui pour lequel ils avaient été conçus, ne sont pourtant pas rare. Citons le cas de ces quartiers où l’accroissement de la densité réglementairement autorisée a pour effet d’interdire toute opération de densification du fait de l’accroissement prématuré de la valeur des terrains bruts. Ne parlons pas des dispositifs trop souvent détournés de leur objet.

La base commune à beaucoup de ces errements est la confusion entre règle d’urbanisme et objectif d’urbanisme. Les règles d’urbanisme qu’édicte une collectivité publique lui permettent d’interdire ce qu’elle ne veut pas (pas d’immeuble de plus de 20 mètres de haut, pas de voie de moins de 11 mètres de large, pas de permis de construire sans raccordement à l’égout, etc.). Mais ce n’est pas en interdisant tout ce qu’elle ne veut pas que la collectivité obtiendra ce qu’elle veut. Imaginez un restaurant où la carte afficherait tous les plats qui ne sont pas servis… Certes, beaucoup de règles sont indispensables, en cuisine, pour assurer la qualité sanitaire des produits. C’est pareil en urbanisme. L’urbanisme réglementaire est nécessaire pour maintenir la qualité de l’existant. Mais il ne garantira jamais la qualité de la conception d’une opération nouvelle.

L’encadrement réglementaire de l’urbanisme opérationnel

L’idée selon laquelle il serait possible de mieux maîtriser l’urbanisation future en renforçant les règles que devront respecter les opérations d’aménagement, est une tentation bien française. Elle semble avoir pris le dessus à l’occasion de la préparation de la loi SRU, l’urbanisme devenant une affaire de juristes. On la retrouve dans le projet de loi Grenelle 2 avec des développements nouveaux. La loi ne se contente plus de fournir un certain nombre d’outils d’encadrement ou d’intervention, d’en fixer les règles d’utilisation. Elle entreprend de définir ce qu’est un bon et un mauvais urbanisme, une opération qui peut être autorisée et une opération qui doit être interdite. Il suffit pourtant d’observer ce qui se passe depuis dix ans pour découvrir que la manière la plus simple de respecter toutes les règles qui s’imposent à une opération d’aménagement est de ne plus en réaliser du tout, en se contentant de construire ici et là, en fonction des opportunités foncières et des parcellaires existants, dans la plus grande incohérence.

Ce qui caractérise la dernière période, en matière d’aménagement, c’est la disparition des grandes opérations, en continuité avec l’urbanisation existante, au profit d’une multitude de micro opérations dispersées, souvent de simples lotissements réalisés sur de grands terrains qu’il a été possible d’acheter à un seul propriétaire, après s’être entendu avec le maire. Les quelques grandes opérations qui subsistent (pensons par exemple à l’Ile de Nantes) ne réussissent à se développer qu’en contournant adroitement les procédures opérationnelles et en s’appuyant sur une programmation officieuse.

Lorsque le Grenelle 2 s’apprête à subordonner, dans certaines zones, l’autorisation de nouvelles opérations d’aménagement à la réalisation de dessertes en transports en commun, il y a tout lieu de s’attendre à ce qu’on aboutisse seulement à l’ajournement de toutes nouvelles opérations d’aménagement dans ces zones… avec pour conséquence une pression foncière accrue, faute d’avoir pu monter les opérations susceptibles de mettre sur le marché des droits à bâtir en quantité suffisante.

Evidemment, cela ne signifie pas qu’il faille aménager n’importe quel secteur n’importe comment. Mais il faut savoir que s’il n’est pas donné de réponse alternative à la demande de droits à bâtir dans une localisation, cette demande se reportera sur des localisations encore moins souhaitables. La maîtrise de l’urbanisation ne réside pas dans son entrave suspicieuse par voie législative, mais dans le montage effectif des opérations qui répondront de manière acceptable à la demande immobilière.

Comment empêcher les ménages qui veulent habiter plus au large et qui ont les moyens financiers de cette recherche d’un peu plus d’espace et de confort, de finir par réaliser leur projet ? Car, l’essentiel de la demande résidentielle ne résulte pas d’un accroissement de la population, mais de l’augmentation des surfaces moyennes de plancher de résidence principale par habitant (+60 % en une génération : 40 m2 en 2006 contre 25 m2 en 1972). En outre, cette demande résidentielle ne représente que 50 % de la construction nouvelle, l’autre moitié étant constituée de locaux divers pour les équipements, l’activité agroalimentaire, économique et commerciale, etc., qui sont souvent en position pionnière sur le front de l’urbanisation, et qui génèrent plus de déplacements que les secteurs résidentiels Au nom de la défense de l’environnement, il est bien sûr possible d’opter pour une position plus intransigeante et de limiter, pourquoi pas, la taille des logements : les Chinois se contentent bien de 8 ou 9 m2 par personne en moyenne… Où est la limite ? A moins d’adopter une position extrême de rationnement du logement, toutes les entraves à l’aménagement de nouveaux droits à bâtir conduiront à un processus de sélection accrue des ménages par les prix … matinée d’une dissémination encore plus grande des constructions nouvelles.

On ne peut lutter utilement contre l’urbanisation dont on ne veut pas, qu’en produisant l’urbanisation dont on veut. Pour cela, il faut rendre à l’urbanisme opérationnel les outils juridiques et financiers dont il a besoin.

Reconstruire l’urbanisme opérationnel face à l’urbanisme réglementaire

La première condition d’une bonne opération est de s’inscrire dans un projet d’ensemble. Or, la France n’a plus de plan d’urbanisme au sens commun du terme. Le PLU en a le nom, mais il n’est, fondamentalement, qu’un zonage réglementaire accompagné d’un certain nombre de documents littéraires (le PADD non contraignant). C’est une liste d’interdictions. Les usages autorisés y sont portés à titre indicatif mais, puisque tout ce qui n’est pas interdit est autorisé, ce qui n’est pas explicitement autorisé n’est pas interdit pour autant. Etrangement, le PLU est donc un document qui est censé définir la ville future comme l’ensemble de tout ce qu’elle ne doit pas être.

Alors qu’en Allemagne, par exemple, une zone « à urbaniser » est une zone qui doit être urbanisée (si les propriétaires ne font rien, ils seront expropriés et la Ville se substituera à eux), en France, c’est une zone où il n’est pas interdit d’urbaniser, mais dont les propriétaires peuvent tout aussi bien attendre que les enchères montent, des années durant, avant de vendre leurs terrains dans les meilleures conditions.

Le SCOT n’est lui-même qu’un recueil de normes supra communales venant théoriquement encadrer celles des PLU, alors que les anciens schémas directeurs pouvaient être parfois de vrais plans généraux d’urbanisme exprimant un projet d’agglomération. Et, de son côté, la ZAC n’est plus depuis la loi SRU, qu’une procédure de modification réglementaire subordonnée au PLU.

Conséquence pratique, il est devenu quasiment impossible de lancer une opération d’urbanisme sans s’être assuré au préalable de l’acquisition des terrains. En effet, sitôt que la ZAC est créée, le droit des sols change et l’aménageur risque de devoir acheter la matière première qui lui manque, au prix du produit fini (c’est-à-dire le terrain non aménagé au prix du terrain aménagé) ou presque, la Cour européenne des droits de l’Homme ayant instauré par ailleurs une sorte de droit à l’appropriation des plus-values d’urbanisme par les propriétaires.

Dans ces conditions, on ne voit pas comment pourraient aboutir des projets un peu ambitieux comme des restructurations de tissus urbains anciens, accompagnant la réalisation de nouvelles infrastructures de transport tel, qu’un nouveau tracé de RER. Les projets de tracés tout autant que les objectifs de densification sont débattus et murissent plusieurs années avant d’être engagés. Dans les secteurs concernés, les projets annoncés ne tardent pas à se répercuter sur les conditions de marché des terrains dont la libération devient envisageable, au moins chez les principaux acteurs (grands propriétaires d’emprises, principaux opérateurs potentiels). Dans ces conditions, on voit mal comment il serait possible de récupérer les plus-values induites, ne serait-ce que partiellement, pour le financement des travaux à entreprendre.

Il faudrait pour cela revenir à l’ancienne conception de l’urbanisme opérationnel qui distinguait nettement une situation initiale pouvant servir de cadre de référence, des années durant, aux conditions d’évaluation des terrains bruts à acquérir, alors même que le détail des opérations était encore loin d’être arrêté, sans qu’il soit besoin de déterminer avec précision l’imputation des coûts de travaux publics à telle ou telle opération, ni de prouver leur caractère de nécessité par rapport à chacune de ces opérations ou tranches d’opération.

L’imposition des plus-values induites des infrastructures

L’idée, reprise dans le projet de loi Grenelle 2 d’imposer les plus-values induites le la réalisation de nouvelles grandes infrastructures de transports en commun pour contribuer à leur financement est une idée ancienne qui n’a jamais fonctionné depuis longtemps1 et serait impraticable pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, il faut savoir que les différences de valeur foncière entre les quartiers d’une même agglomération s’expliquent aujourd’hui davantage par les différences de « marquage social » que par les différences « d’accessibilité ». Dans le cas de l’agglomération parisienne, les différences d’accessibilité semblent n’expliquer que le quart des différences de valeur2 (contre 50 % pour le marquage social, les 25 % restants relevant de paramètres plus qualitatifs). Une modélisation de type hédonique parviendrait sans doute à isoler, (a posteriori seulement), l’augmentation de valeur d’un secteur due à une nouvelle desserte, mais on imagine mal un impôt construit sur une telle base ! En outre il faut plutôt s’attendre, dans la période qui vient, à une baisse d’ensemble des valeurs immobilières et a fortiori des valeurs foncières. Politiquement parlant, il serait donc surréaliste de proposer un impôt dont la base serait constituée, en quelque sorte, par une moindre perte de valeur immobilière…

Mais surtout, en imposant spécifiquement les plus-values de cession pour financer le renouvellement urbain, on jouerait contre le renouvellement que l’on prétendrait promouvoir, car on pénaliserait les ventes de foncier brut, là-même où il faudrait, au contraire, mobiliser les terrains et inciter au lancement d’opérations nouvelles, à proximité des meilleures dessertes. Et par voie de conséquence, le produit fiscal à attendre serait à son tour d’autant plus faible. Bref, il s’agirait d’une usine à gaz improductive.

S’il est possible d’innover, il serait sans doute plus judicieux d’explorer la faisabilité d’un impôt foncier annuel spécifique, basé sur la valeur vénale moyenne des droits à bâtir dans le secteur à restructurer et densifier, multiplié par la constructibilité potentielle de chaque terrain. Ce système (se rapprochant un peu de la property tax mais d’application restreinte) aurait le double avantage de rapporter beaucoup plus et de favoriser la mobilisation des sols, même en l’absence d’intervention publique.

L’étude fine du gradient distance-prix montrant que généralement, le maximum de valeur résidentielle se situe, statistiquement, entre 500 et 600 mètres des gares de desserte, il serait donc raisonnable d’envisager, dans cette hypothèse, un rayon d’imposition assez large (et correspondant au rayon de densification souhaitée) de l’ordre de 800 à 1.000 mètres (c’est-à-dire au moins 200 ha).

La question des densités minimales

Le projet de loi Grenelle 2 propose d’introduire l’obligation de densités minimales pour les constructions nouvelles dans certains secteurs urbains bien desservis. Il est possible d’y apporter deux interprétations différentes.

A/ Si l’on entend par là l’interdiction de construire en dessous d’une certaine densité parcellaire, le dispositif est peu réaliste et inutilement complexe.

Les terrains des tissus urbains anciens concernés sont très rarement libres de toute construction. Ils sont souvent mal conformés, avec des servitudes de voisinage. En pratique, subordonner une autorisation de construire à une densité parcellaire minimale se traduirait, dans de nombreux cas, par une impossibilité de réaliser les agrandissements projetés : faute de ne pouvoir agrandir assez, on ne pourrait pas agrandir du tout.

Et si l’objectif poursuivi est de contraindre, indirectement, à des regroupements parcellaires seuls capables d’utiliser pleinement la nouvelle densité autorisée et souhaitée, il serait plus logique de s’en tenir à la règlementation classique des surfaces minimales d’opération. Le recours à la taxation de la constructibilité potentielle évoquée plus haut semble une incitation plus souple et plus efficace à la densification des parcelles.

B/ Si le dispositif vise, comme c’est plus vraisemblable, l’obligation qui serait faite aux communes d’accroitre les densités réglementaires autorisés par le PLU dans ces secteurs, le risque est grand d’aboutir, dans la plupart des cas, à rendre financièrement impossible tout montage opérationnelle de réaménagement.

Les secteurs à densifier étant en effet déjà urbanisés de longue date, toute densification significative doit passer par des restructurations de parcellaires déjà plus ou moins bâtis et par des renforcements de réseaux que l’urbanisme réglementaire serait, seul, bien incapable de résoudre. En se contentant d’augmenter les densités autorisées réglementairement, on peut certes espérer la densification des quelques parcelles qui s’y prêtent le mieux, mais on aboutirait surtout à l’accroissement immédiat des prix fonciers de référence, anéantissant aussitôt toute possibilité future de montage opérationnel financièrement viable.

La question se pose tout différemment en extension urbaine. Si l’on veut réduire la consommation d’espaces agricoles et naturels sur le front de l’urbanisation nouvelle, il serait judicieux de déterminer légalement un plancher de densité autorisée sur tout terrain reconnu constructible, mais sans prétendre en faire pour autant une densité minimale à respecter par le constructeur. Chacun doit rester libre d’avoir un grand terrain… s’il en paye le prix en termes de sous-utilisation de son potentiel constructible… Et qu’il pourra toujours utiliser plus tard.

La partie résidentielle de l’étalement urbain est, en effet, pour sa plus large part, la conséquence de contraintes réglementaires qui subordonnent la constructibilité à une grande taille de parcelles. Ce sont donc les collectivités locales qui, par leurs règlements, poussent à l’étalement urbain, alors que les ménages qui veulent construire se contenteraient généralement de terrains plus petits mais moins chers. Car, s’il n’existe pas de gain significatif de densité urbaine globale à attendre d’un passage de l’habitat individuel groupé au petit collectif, le gain est au contraire considérable lorsqu’on passe d’un individuel sur grande parcelle à un individuel sur petite parcelle.

Si la loi interdisait, par exemple, de fixer des COS inférieurs à 0,20 cela serait d’une grande simplicité et aurait un effet immédiat sur l’offre foncière, donc sur la baisse des droits à bâtir, sans consommer un hectare de plus et sans nuire à la liberté qu’a chaque propriétaire d’utiliser ou non la constructibilité dont il dispose sur son terrain.

Il faudrait alors reprendre la question des constructions en limite de parcelle, mais selon une approche différente de celle du projet Grenelle 2. Là encore, ce sont bien les règlements d’urbanisme qui poussent à l’étalement urbain, en exigeant souvent que chaque maison individuelle soit entourée d’une sorte de glacis absurde, résultat des distances de reculement minimum exigés par rapport aux voies et aux parcelles voisines. Là non plus, il ne s’agit pas de contraindre les propriétaires et les constructeurs à quoi que ce soit, mais de permettre partout la construction en limite séparative dès lors que deux voisins intelligents en sont d’accord, sans qu’une collectivité ou un règlement puisse s’y opposer, puisque cela ne nuit à aucun tiers.

A chaque législation son objet

Ajoutons qu’il est très bien de favoriser les économies d’énergie en encourageant les travaux d’isolation, d’aider les plus pauvres à se loger, etc., mais que ce n’est pas l’objet de l’urbanisme. On voit de plus en plus se développer l’idée que la constructibilité est une sorte de cadeau fait aux propriétaires et qu’il est donc bien naturel de moduler cette constructibilité en fonction de la bonne conduite ou des mérites du candidat constructeur. Vous allez obtenir quelques droits à bâtir supplémentaires si vous faites assez de travaux d’isolation ou si une partie du programme est réalisée au titre du logement social. A quand des points de COS supplémentaires pour les « minorités visibles », les familles monoparentales ou les anciens combattants ? Quel rapport avec la bonne utilisation de l’espace ? Pourquoi le logement social devrait-il avoir ainsi une densité parcellaire plus forte que le logement ordinaire ? N’est-ce pas le contraire qui serait même souvent souhaitable ?

La problématique de l’urbanisme n’est pas de distribuer des cadeaux de constructibilité, mais d’organiser au mieux l’aménagement de l’espace et de financer cet aménagement. Commençons par nous donner les moyens de monter des opérations qui valorisent l’espace mais utilisent cette valorisation pour financer les coûts des aménagements et des équipements nécessaires à la production de droits à bâtir en quantité suffisante, afin d’offrir largement à la demande immobilière, les droits à bâtir dont elle a besoin, au lieu d’en entretenir sans raison la pénurie.

 

A l’issu du vaste brain storming national qu’aura été le Grenelle de l’environnement réuni en 2007, il s’agissait de passer aux actes donc, puisqu’on est en France, de commencer par voter une loi. De peur de faire les choses à moitié, il a été décidé d’emblée de les faire en double. Une première loi dite « Grenelle 1 » a donc été discutée en 2008 pour décider de ce que l’on mettrait dans une seconde loi « Grenelle 2 » dont le projet a été déposé au Sénat le 7 janvier 2009 et qui, après être passé en commission (déjà 850 amendements techniques avaient été étudiés à la mi-juin) doit passer devant les assemblées à partir de septembre prochain. Mais il faut dès à présent prévoir une troisième phase, celle de l’adoption des multiples textes d’application que suppose un train législatif « fourre-tout » où il est autant question de la périurbanisation que de l’obligation faite aux commerçant d’inclure des oreillettes dans le packaging des téléphones portables

1 Il existe de célèbres précédents historiques. Ainsi, la construction des lignes de chemin de fer dans aux Etats-Unis, à la fin du XIXème siècle furent en bonne partie financées par l’attribution de larges bandes de terres indiennes aux compagnies, tout au long du tracé. Presqu’à la même époque, à Paris, à une toute autre échelle, Haussmann parvenait à récupérer une partie du coût des voies nouvellement percées en expropriant largement les emprises et en revendant au prix fort, les droits à bâtir à l’alignement, mais notre droit de l’expropriation n’est plus le même. Aujourd’hui il faudrait indemniser les terrains expropriés au prix de leur usage futur.

2 Voir Etudes foncières n°85 p.8 « Marché immobilier et ségrégation spatiale » (Olivier Morlet) Ajoutons qu’existe un précédent, l’exemple de la Suisse qui avait envisagé un système du COS minimum dans son programme de promotion d’un « usage parcimonieux de l’espace ». Elle avait du y renoncer par la suite, compte tenu de la multitude des cas d’espèce à traiter et des contournements possibles.

Références

Texte issu d’un article publié dans Etudes foncière n°139 mai-juin 2009

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