L’urbanisation brouille les cartes
January 2013
Pour l’Insee, 792 aires structurent le territoire français, et 85 % de la population y résident. Une aire est composée d’un pôle, unité urbaine concentrant au moins 1 500 emplois (les grandes aires urbaines comptent au moins 10 000 emplois au pôle), entouré par un vaste périmètre, délimité à partir de l’intensité des déplacements de la population active des communes avoisinantes (ce qui est, au demeurant, une manière sans doute commode mais un peu désuète de définir les assemblages que l’urbanisation compose). D’autres communes, dites multipolarisées, n’entrent pas dans l’aire d’un pôle particulier mais sont sous l’influence de plusieurs. En ajoutant les 11 000 communes concernées, ce sont 95 % de la population, soit 61 millions de personnes, qui vivent ainsi sous l’influence urbaine — le reste de la population vit dans 7 400 communes hors aires mais, en général, manifeste un mode de vie lui aussi urbanisé .
Depuis 1999, tous les sous-ensembles du champ urbain national connaissent une croissance notable. Les communes centres d’aires se repeuplent, sauf quelques exceptions, tout comme les pôles urbains au sens de l’INSEE — c’est-à-dire, pour schématiser, les zones agglomérées. Les espaces de plus faible densité quant à eux croissent nettement et le périurbain, plus dense, continue de se développer.
La France connaît donc une « urbanisation en profondeur ». Cette expression renvoie à deux phénomènes :
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Rien n’échappe à l’urbain : le mouvement d’urbanisation est si accompli qu’on pourrait estimer que le territoire rural n’existe plus à l’heure actuelle en tant que modalité spécifique d’organisation et de fonctionnement d’une société. Bien sûr, le rural et la ruralité sont toujours présents, mais comme des catégories de discours — politique, patrimonial, culturel. Le renouveau du rural et les néoruraux qui en sont les acteurs constituent des manifestations de l’évolution du déploiement des logiques urbaines dans de nouvelles configurations de société. Les espaces jadis ruraux, en déshérence, s’urbanisent avec l’introduction des formes spatiales, des pratiques, des valeurs et des références qui procèdent de l’urbanisation.
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De même que les valeurs et références sociales et culturelles sont désormais étalonnées par le fait urbain, la dynamique économique du pays est aussi directement dépendante du fonctionnement des organisations urbaines. Quelle que soit leur taille, ce sont les différentes aires urbaines qui tirent l’économie française vers le haut. Elles ne sont pas prédatrices, mais productrices de richesses et foyers d’innovation.
Pour autant les espaces urbains nationaux ne sont pas homogènes. D’abord parce que les aires sont composites, elles articulent des périmètres très différents, aux logiques spécifiques. Elles sont à la fois sous-tendues par des tensions centre-périphérie, mais aussi marquées par d’importantes fragmentations qui procèdent du triomphe des zonages (fonctionnels et sociaux), triomphe qui a abouti, notamment, à produire des espaces résidentiels très ségrégués. Ensuite parce que l’urbain est sensible aux effets de taille. Si toutes les aires urbaines participent du même mouvement d’urbanisation, seules les plus importantes précipitent l’ensemble des principes de ce que l’on peut nommer la métropolisation (qui est à entendre ici comme la forme la plus aboutie de connexion d’une aire aux dynamiques de mondialisation urbaine).
Ainsi, on peut estimer que la France compte :
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Une mégapole mondiale (le Grand Paris) qui devrait être un atout majeur pour notre pays.
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Quelques métropoles de rang international : Lyon, Marseille, Lille au premier rang, puis Toulouse, Nice, Nantes, Bordeaux, Strasbourg en seconde liste, Rennes, Grenoble et Montpellier enfin. Bref, les organisations qualifiées d’aires métropolitaines par l’INSEE, qui comptent chacune plus de 500 000 habitants et « 20 000 emplois de cadres des fonctions métropolitaines ». Toutes ont connu depuis le début du millénaire une forte croissance démographique et une dilatation spatiale qui leur confèrent une forme de véritables nébuleuses, marquées par les vides et la discontinuité, autant que par les pleins. Elles scandent et animent, sans conteste, le territoire national, elles sont des foyers d’innovation, autant que le Grand Paris, et doivent être mises au premier plan des réflexions.
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29 autres grandes aires urbaines relevées par l’Insee, toutes celles dont la taille est supérieure à 200 000 habitants1.
Ces 41 entités, la plupart en développement significatif, rassemblent aujourd‘hui 70 % de la population et des emplois, 77 % des emplois dits de fonctions métropolitaines et 85 % des emplois dits de cadres des fonctions métropolitaines (ou quaternaires). On notera qu’il s’agit aussi des pôles universitaires et culturels majeurs. C’est dire leur importance : la dynamique de l’espace français contemporain s’appuie sans conteste sur elles.
Les autres aires urbaines constituent des relais fondamentaux des principes de croissance et d’innovation vers les territoires moins denses et moins potentialisés. Au final toutes les aires, avec les spécificités propres à chacune constituent à la fois des diffuseurs d’urbanité (du genre de vie urbain, si l’on préfère) et des connecteurs de la France au Monde. Ces connecteurs fonctionnent dans les 2 sens : ils mondialisent les territoires français, ils insèrent dans les espaces mondiaux des composants des sociétés territoriales françaises. Mais les aires urbaines françaises sont aussi, à l’inverse, si l’on peut dire, les territoires où se cristallisent les questions sociales : inégalités d‘accès aux biens publics, logement, mobilité, durabilité, etc.
Ce brouillage des cartes de la géographie classique par l’urbanisation est sans doute un des phénomènes majeurs que les sociétés politiques ont à affronter, et pas seulement en France. Il s’accompagne d’une subversion des échelles : l’urbanisation mondiale a totalement remis en jeu les classiques emboitements scalaires qui articulaient paisiblement et dans un ordre immuable, le local, le régional, le national, le mondial.
D’où notre volonté d’y consacrer ce dossier, qui en appelle d’autres, alors qu’une nouvelle loi de décentralisation s’annonce.
En tout état de cause, il semblerait logique de repenser l’aménagement des territoires (à toutes les échelles) à partir de ce maillage urbain. Il paraît évident que la question du gouvernement et de l’aménagement des principales aires (la mégapole et les principales métropoles) est cruciale et mériterait une approche particulière.
1 Insee Première, janvier 2011, n° 1133.
Sources
Pour consulter le PDF du du numéro 1 de la revue Tous Urbains