Economie des villes européennes : caractéristiques et enjeux

Remi Dormois, mars 2013

La rédaction de ce dossier répond à trois objectifs. Premièrement, montrer qu’il existe des interactions, des synergies entre la ville et l’économie qui font qu’il y a sens à parler d’économies urbaines parce que les faits économiques y présentent des spécificités. Deuxièmement, montrer que l’histoire de l’économie des villes européennes est une entrée privilégiée pour s’intéresser à l’évolution du rapport entre l’État et la ville. Nous reprenons donc la voie tracée par P. Le Galès 1 qui montre que les périodes où les économies urbaines ont été puissantes ont correspondu à des périodes où les États étaient « faibles » et qu’inversement la construction des États nations a reposé sur une politique économique centralisée cherchant à équilibrer territorialement le développement. Troisièmement sensibiliser le lecteur au fait qu’il existe une pensée dominante (centrée sur le triptyque rayonnement/attractivité/performance) qui ne donne à voir qu’une partie des économies urbaines et qui ne rend pas compte de leur diversité, de leur spécificité locale.

Mais avant de donner à voir cette spécificité des économies urbaines (y compris de leur face « cachée »), accordons nous sur la définition des termes de ville et d’économie urbaine. Dans ce dossier, la notion de ville sera à prendre dans un sens « lâche » c’est-à-dire que par ville nous ne désignons pas la forme institutionnelle (la commune) mais une entité socio-économique qui se déploie sur plusieurs communes et dont les habitants partagent des références identitaires, ont des pratiques de vie en son sein (déplacements, travail, loisirs,…). Ce qui veut dire notamment que nous utiliserons quelques fois le terme de ville pour désigner un espace intercommunal. Quant à la notion d’économie urbaine, nous proposons une définition en termes de dynamiques, d’échanges, de flux entre une ville et l’activité économique en sens large (échange et création de richesses). Nous voulons donc dépasser l’approche de l’économie urbaine comme analyse de la localisation des activités économiques dans la ville (travers spatialiste) et nous voulons aussi nous démarquer de l’approche de l’économie urbaine limitée aux activités immobilière et foncière.

Nous ferons aussi attention dans les éléments présentés dans ce dossier à ne pas cantonner l’activité économique à l’activité des entreprises. Nous parlerons aussi des associations, des administrations. Nous prendrons aussi en compte dans notre réflexion l’emploi si souvent déconnecté du développement économique.

Enfin nous voudrions préciser le statut de ce dossier. Il ne s’agit pas d’une synthèse exhaustive des travaux de recherche menés sur les économies des villes européennes. Nous n’en aurions ni la compétence ni le temps. Nous serions de toute façon aussi confronté à la difficulté suivante : la ville a occupé une place « instable » dans l’agenda français de la recherche en sciences économiques : autrefois au cœur de la réflexion marxiste, l’analyse économique des villes est aujourd’hui davantage le fait de géographes, de sociologues, de spécialistes de d’urbanisme et de l’aménagement. Ce désintérêt des sciences économiques pour la ville et plus globalement pour le territoire est moins vrai dans d’autres pays tels que l’Italie (travaux sur les districts industriels), les Etats-Unis ou le Royaume-Uni (travaux sur la ville néo-libérale ou ville créative).

Ce dossier est donc finalement une sélection de points de vue construite sur le recul par rapport à une expérience professionnelle et à des lectures scientifiques. Il est bâti sous la forme de quatre sous dossiers qui comprennent pour chacun d’entre eux : des courts articles qui s’apparentent à des analyses brèves centrées sur une question, et des études de cas qui viennent illustrer des points soulevés dans les analyses. Ces études de cas peuvent être des données chiffrées, des cartes, des fiches de lecture ou des extraits d’articles.

Le premier sous dossier est consacré à une analyse des raisons explicatives de l’hyper-concentration du développement économique dans les très grandes villes et des effets de ce processus de concentration.

Le second sous dossier met en lumière la très grande diversité des itinéraires de développement des villes européennes. Nous voulons montrer que la grande ville de services supérieurs dans la finance, la communication n’est pas la norme standard. Il existe encore des villes industrielles, des villes centrées sur la reproduction sociale,… Nous reviendrons plus en détail sur deux facteurs explicatifs : l’héritage de spécificités dans la base économique locale, la différence de capacité d’action collective entre les villes.

Le troisième sous dossier présente des composantes des économies urbaines qui ne sont pas souvent mises en avant et qui, a fortiori, n’ont pas voix au chapitre dans les stratégies de développement rédigées par les villes, les départements ou les régions. Il s’agira : de l’activité économique liée aux migrants, de l’économie informelle, de l’activité économique générée par les administrations. Nous nous interrogerons bien sûr sur les raisons qui expliquent cette invisibilité de pans complets de l’économie urbaine.

Dans le quatrième, et dernier, sous dossier nous ouvrirons des pistes de réflexion sur des devenirs « possibles » des économies urbaines européennes. Notre ambition n’est pas de faire de la futurologie mais davantage de susciter le débat. Pour ce faire nous prolongerons des tendances à l’œuvre dans le développement de nos villes (la marchandisation des villes, un retour de formes de néo-hygiénisme autour du développement durable,…) et nous verrons à quels modes de vie urbains ces « signaux faibles » aujourd’hui peuvent aboutir si ils montent en puissance dans les années futures. Le matériau mobilisé dans ce quatrième sous dossier provient du groupe de travail sur les métropoles mis en place par la DATAR dans le cadre de sa démarche de prospective Territoire 2040.

En espérant que ce dossier vous aidera à décoder les évolutions en cours dans nos économies urbaines et à vous donner envie d’en devenir les acteurs éventuellement pour les corriger…

1 Le Galès P., 2003, Les villes européennes, Presses de Sce Po.

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Une étude de cas