Inde : définir une stratégie pour les appareils électriques commerciaux et domestiques
Daljit SINGH et Girish SANT, 2011
La forte croissance économique indienne a dopé les ventes d’appareils électriques dans les secteurs commerciaux et ménagers et, par conséquent, exige davantage encore d’un système de production électrique déjà aux limites de ses capacités. Qui plus est, cette forte augmentation signifie que la majorité des appareils utilisés en 2020 n’auront été acquis que depuis 2010. C’est la raison pour laquelle il nous faut, et de façon urgente – si nous ne voulons pas être amenés à gérer un parc électroménager énergivore – définir le moyen d’améliorer l’efficacité énergétique (EE) des appareils mis en vente aujourd’hui sur le marché indien.
Le BEE (Bureau pour l’efficacité énergétique indien) a mis en place depuis 2006 un système de normes et d’étiquetage (Standards and Labeling program, S&L) pour différents types d’appareils. Ce système est rendu obligatoire pour certains produits, et repose sur un accord volontaire pour d’autres. Après étude de l’efficacité énergétique de chaque produit, celui–ci se voit attribuer un nombre d’étoiles (de une à cinq) d’autant plus élevé que le produit est efficace en énergie. Les produits pour lesquels ce système est obligatoire se doivent d’obtenir au moins une étoile ; le seuil correspondant à la première étoile constitue donc de facto la norme minimale de performance énergétique. S’il est encourageant d’observer un comportement d’achat plus responsable pour certains produits depuis l’introduction de ce système, il reste que de nombreux acheteurs optent encore trop souvent pour un modèle meilleur marché et énergivore.
L’adoption d’appareils plus efficaces a été lente en Inde
Les efforts du BEE (Bureau pour l’efficacité énergétique) ont été accompagnés par des initiatives des commissions de régulation des opérateurs électriques dans leur zone géographique de compétence. Dans ces États, des programmes collectifs ont été lancés, le plus souvent sous formes de subventions, pour encourager les ventes de lampes fluorescentes, de tubes T51, d’appareils de climatisation ou de ventilation, où l’opérateur récupérait le coût du programme via la facture des consommateurs.
Malheureusement, même ces programmes mis en œuvre via les opérateurs sont rares et restent des projets que l’on peut qualifier de « pilotes ». Par ailleurs, les premiers programmes de développement des lampes fluorescentes ont connu des taux de défectuosité élevés2, et nombre de ces initiatives manquent de suivi et d’évaluation. Pour toutes ces raisons, on peut conclure que la transition vers des équipements plus économes en énergie, notamment via des programmes de maîtrise de la demande en énergie (MDE3) mis en œuvre via les opérateurs, a été plutôt lente en Inde. A noter également qu’il subsiste de grandes différences entre les meilleures technologies disponibles dans le monde et les appareils labellisés « cinq étoiles » indiens. Pour la majorité des indiens, le prix d’achat est un facteur décisif. Par conséquent, les produits plus économes en énergie mais plus onéreux à l’achat ne trouvent pas preneur sur le marché indien. Le tableau ci–dessous illustre cet écart entre les appareils les plus efficaces au monde et les 5 étoiles indiens, pour les quatre types d’appareils qui représentent à eux seuls la moitié de la consommation résidentielle indienne. Prayas a estimé le potentiel d’économies réalisables en 2020 en comparant un programme valorisant les Appareils Super–Efficaces (Super–Efficient Appliances, SEA) et un programme S&L (Standards and Labeling program) modéré. Le calcul de ce potentiel d’économies se base sur la réduction de la consommation d’électricité imputables aux ventes de nouveaux appareils à partir de 2010. Ces ventes incluent à la fois les premières ventes et le remplacement des stocks vieillissants. Les données sur les ventes et les pourcentages de croissance sont déterminés à partir de rapports de recherche sur le marché (Euromonitor, 2010 et CRISIL, 2010). L’étude a considéré comme constant, pour chaque appareil, le taux moyen cumulatif de croissance des ventes (cumulative average growth rate, CAGR), pour la période 2010–2020. Les résultats montrent que l’on pourrait économiser annuellement environ 60 TWh4 (TeraWatt–heure) si l’on passait du scénario de programmes S&L modérés aux appareils Super–Efficaces (Super–Efficient Appliances, SEA). Cela représente une réduction d’environ 15% de la consommation résidentielle en électricité en 2020, et ce avec seulement quatre types d’appareils.
Comparaison des performances des appareils 5 étoiles et des appareils SEA
Appareil | Unité | Niveau 5 étoiles Inde (2010) | Appareil Super Efficace SEA (2010) | Réduction en consommation d’énergie (%) | Référence pour niveau SEA |
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Climatisation | EER (rendement énergétique) | 3,1 | 4,9 | 36 | Le climatiseur de 1a catégorie la plus efficace en Chine (1,5T) [source : Top 10 China, 2010] |
Réfrigérateur à dégivrage automatique | kWh/an | 411 | 128 | 69 | Le réfrigérateur auto dégivrant (215 litres) de 1a catégorie le plus efficace en Chine [source : Top 10 China, 2010] |
Téléviseur | kWh/an | 62 | 36 | 42 | Aux États–Unis, le LCD 32 pouces à rétroéclairage à LED et réglage automatique de la luminosité consomme 36 Watts [Source : Top US 10, 2010] |
Ventilateur de plafond | W | 51 | 35 | 32 | Ventilateur à moteur sans balais (BLDC) |
Source : Prayas Energy Group, Pune, Potential savings from super–efficient electric appliances in India, mars 2011
Les défis de programmes nationaux pour l’efficacité énergétique en Inde
Il y a lieu de trouver le moyen de combler rapidement cet écart entre l’efficacité moyenne des appareils du marché indien et les meilleurs appareils disponibles dans le monde, afin de réaliser le plus grand gain énergétique possible. Pour autant, toute nouvelle approche devra faire face aux défis que constituent le manque d’expertise et de moyens financiers et humains au niveau des opérateurs et des commissions de réglementation. Les programmes nationaux visant la transformation du marché par l’incitation des fabricants à mettre au point et commercialiser des appareils dits « super efficaces » semble constituer une voie prometteuse. Passons à la description de ces programmes nationaux et en particulier de leur capacité à répondre aux défis posés par la situation indienne tout en permettant de réaliser un maximum de gain énergétique potentiel5.
D’abord, et contrairement aux projets de maîtrise de la demande en énergie conçus et pilotés par des opérateurs individuels, la mise au point, et une grande partie de la mise en œuvre d’un programme national, serait de la responsabilité d’agences nationales (telles que le BEE–Bureau pour l’efficacité énergétique ou la Société de services d’efficacité énergétique–Energy Efficiency Services Limited), facilitant par là–même le travail des opérateurs et des commissions de réglementation de chaque État et évitant aussi nombre de difficultés rencontrées dans les programmes locaux. En effet, s’il revient à chaque régulateur au niveau des États de concevoir et gérer leur propre programme de maîtrise de la demande en électricité, et notamment d’en définir le contenu réglementaire, lancer des appels d’offre, faire l’évaluation des propositions, attribuer les tâches, faire le suivi des rapports d’évaluation, le travail en devient à la fois considérable et répétitif. Les agences nationales pourraient centraliser ces opérations et par voie de conséquence alléger le travail des opérateurs et des commissions de réglementation locaux.
Ensuite, l’idée serait pour ces programmes nationaux indiens d’inciter financièrement les fabricants à commercialiser des appareils dits super–efficaces6. L’incitation requise pour la mise en œuvre d’un tel programme devrait être largement plus faible que pour un programme mis en œuvre par les opérateurs pour au moins deux raisons : D’abord, des incitations en amont permettent d’éviter diverses taxes et marges de grossistes et détaillants ; permettant de réduire le coût de moitié. Ensuite, un acteur unique (mettons le BEE ou EESL–Energy Efficiency Services Limited) pèserait davantage dans les négociations avec les fabricants vu le plus grand marché qu’il représenterait (par rapport au cas où différents opérateurs négocieraient individuellement).
Sans compter que les fabricants eux–mêmes bénéficieraient d’économies d’échelle s’ils étaient en mesure de produire pour un plus grand marché (national) plutôt que pour chaque État qui aurait son propre programme de maîtrise de la demande en énergie.
Ces deux derniers arguments (rapport de forces et économies d’échelle) plaident pour un coût total très inférieur dans le cas d’un programme national plutôt qu’au niveau des États. Des incitations en amont permettent donc d’atteindre deux objectifs à la fois :
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ils incitent les fabricants à commercialiser des appareils super–efficaces (Super–Efficient Appliances, SEA) – qu’ils ne mettraient pas sur le marché sinon – réalisant ainsi une transformation du marché vers des produits beaucoup plus économes ;
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ils réduisent le prix final payé par le consommateur, comme le feraient des rabais pour l’acheteur mais à un moindre coût pour l’instance octroyant les subventions.
Comme nous l’avons vu, les programmes nationaux permettront de (a) faciliter le travail incombant aux opérateurs et des commissions de réglementation locaux et de contourner des difficultés posées par ce type de programmes ; et (b) de réduire le montant des subventions nécessaire pour favoriser l’essor des appareils super–efficaces.
Les programmes nationaux présentent d’autres avantages encore :
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Une réduction des coûts de transaction et une plus grande efficacité : en effet, le nombre de transactions diminue à mesure que s’élargit l’étendue de la zone concernée par le programme d’efficacité énergétique (en l’occurrence à l’échelle nationale plutôt qu’à celle de chaque État). Le nombre de négociations qui devraient avoir lieu entre tous les fabricants et chaque opérateur local serait bien supérieur au nombre de négociations entre un interlocuteur national unique, le BEE, et les différents fabricants. De la même manière, les coûts de transaction ne peuvent qu’être bien moindres dans le cas d’autorités ayant à négocier avec quelques centaines de fabricants (dont le processus de prise de décision est défini par un objectif unique : le profit) plutôt que tentant d’influencer des millions de consommateurs dont le processus de prise de décision, lui, est fonction de très nombreux et divers paramètres : prix d’achat, service fourni, facilité d’utilisation, esthétique (taille, couleur, forme, etc.), marque, économies d’énergie potentielles, etc.
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Une meilleure sensibilisation du consommateur: un acteur unique (BEE ou EESL–Société de services d’efficacité énergétique) aura à la fois plus de moyens et plus de crédibilité dans les yeux du consommateur et pourra par conséquent procéder à des campagnes beaucoup plus efficaces, pour sensibiliser davantage le consommateur sur l’efficacité énergétique et les appareils super–efficaces. Une telle information aux consommateurs devrait favoriser la demande de consommation en technologies SEA et donc conduire à une transformation accélérée du marché
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Une simplification du suivi et de l’évaluation : le montant des incitations perçues par les fabricants sera fonction du nombre d’appareils super–efficaces (Super–Efficient Appliances, SEA) vendus aux consommateurs, et calculé selon une évaluation de l’économie réalisée. Ce suivi devrait être assez facile à opérer ; à la différence de programmes mis en œuvre de manière indépendante par chaque opérateur, et suivis par les différents régulateurs, où le lien de causalité entre l’achat de tel appareil et la baisse de la consommation doit faire l’objet d’une preuve systématique.
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La mise sur le marché de produits super–efficaces et de produits plus adaptés au marché indien : nombreux sont les exemples de produits mal adaptés aux conditions indiennes. Par exemple, les tubes électriques trop sensibles aux variations de voltage (fréquentes en Inde). Un autre exemple serait le ventilateur de plafond, peu demandé dans les pays développés. Les ventilateurs, sont à l’inverse une priorité pour l’Inde, qui en produit 40 millions par an. Pour de tels produits (adaptés et efficaces), les fabricants ont besoin d’incitations car ils craignent d’avoir à investir beaucoup pour un marché qui resterait d’autant plus limité que le produit conçu serait cher. Une incitation en amont serait de nature à favoriser l’essor de ces produits.
Ces programmes nationaux, on le voit, peuvent accélérer de manière significative la transformation du marché vers des appareils très efficaces, mais il faut avoir à l’esprit quelques pièges à éviter. La centralisation sur laquelle repose ce système signifie aussi qu’une erreur serait automatiquement de grande ampleur. Une grande transparence dans la mise en œuvre du programme est dès lors essentielle. Par ailleurs, il faudra accorder une grande importance au suivi, au contrôle et à l’évaluation du programme national. Et si l’agence nationale sera chargée des opérations de suivi de routine, il faudra également désigner une instance indépendante pour un avis périodique d’évaluation et de contrôle.
Très conscient de l’urgence qu’il y a à promouvoir les appareils économes en énergie, le BEE s’est beaucoup mobilisé pour la mise sur pied de ces programmes nationaux. Le Forum des organismes de contrôle (un organe où siègent les présidents des commissions de réglementation de l’électricité de chaque État) a déjà donné son accord de principe. Le BEE prépare désormais les modalités de mise en pratique de ces programmes nationaux.
Conclusions et pistes d’action
Un système d’incitations en amont au niveau national ou d’un ensemble d’États semble la meilleure piste à suivre pour transformer le marché des appareils de grande consommation, à la fois pour les secteurs ménagers et commerciaux. Le BEE défend un programme national dénommé « SEEP », pour Super Efficient Equipment Program (programme pour des appareils super–efficaces). Ce système repose sur deux piliers :
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étendre la zone géographique, c’est à dire passer de la ville ou de l’État au pays tout entier ;
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et s’appliquer à changer le comportement des fabricants par le biais d’incitations financières en amont, plutôt que de tenter d’influencer le comportement de millions de consommateurs, par des interventions en aval.
Ce système devrait rapidement aboutir à une transformation du marché (vers davantage de produits énergétiquement efficaces de type SEA), et parallèlement conduire à augmenter les seuils minimum des normes d’efficacité énergétique, dans la mesure où la plupart des fabricants devraient prendre part à ce SEEP. La responsabilité des organismes de contrôle étatique et des opérateurs serait limitée (voire nulle). En outre, le système n’exigerait pas de suivi complexe, et celui–ci se limiterait aux installations des fabricants et des grossistes.
1 NDLR : lampe fluorescente de forme tubulaire.
2 Prayas Energy Group, Review of Nashik Pilot CFL Program of Maharashtra State Electricity Distribution Co Ltd, Pune, Inde, décembre 2007.
3 En anglais DSM programs, pour Demand Side Management, ndt.
4 NDLR : 60 TWh correspondent par exemple à l’énergie consommée par six cent milliards d’ampoules d’une puissance de 10W fonctionnant pendant une heure.
5 Pour plus de détails sur les programmes nationaux, voir aussi Using National Energy Efficiency Programs with Upstream Incentives to Accelerate Market Transformation for Super–Efficient Appliances in India, par Daljit Singh, Saurabh Kumar, Girish Sant et Amol Phadke.
6 Il faudra évidemment adapter le système de normes et labels existant. Soit en faisant passer le système existant et développé par le BEE d’un système à 5 étoiles à un système à 7 étoiles (ou plus) ; soit en instaurant un nouveau label de type écolabel comme il en existe aux États–Unis
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