Retour sur le cas exemplaire de la ville Växjö (Suède).
Résultats, blocages et leviers d’action
Sylvie LACASSAGNE et Justine PEULLEMEULLE, 2012
Située au sud de la Suède dans une région très boisée, la commune de Växjö est constellée de lacs, notamment le centre–ville. Mais ces lacs ont beaucoup souffert d’eutrophisation et de pollution au cours du XXème siècle au point d’atteindre une véritable situation de crise au début des années 1970. Un programme de remise en état fut alors lancé pour les faire revivre. La qualité de l’eau s’est depuis nettement améliorée et les habitants apprécient aujourd’hui de pouvoir pêcher, voire même se baigner, dans le lac le plus proche de la ville. Les lacs ayant retrouvé leur santé, ils sont désormais intégrés au plan d’urbanisme de la ville et constituent un atout de premier plan pour son développement.
Cette mobilisation et sa réussite ont fortement influencé et marqué les élus de Växjö pour l’avenir. Peu après, dans les années 1980, les premiers pas en matière énergétique ont commencé, pour garantir l’approvisionnement énergétique, par le recours à la biomasse. Suite aux chocs pétroliers des années 1970, la compagnie énergétique municipale, Växjö Energy Ltd (VEAB), a souhaité réduire sa vulnérabilité et sa dépendance vis–à–vis de tels événements extérieurs en cherchant des solutions alternatives au pétrole, solutions qui garantissent un approvisionnement sûr et des prix plus stables. La biomasse s’est rapidement imposée. En effet, l’industrie forestière peut fournir à VEAB quantités de copeaux et sciures de bois dont elle n’a pas usage. Ces matériaux offrent également l’avantage d’être moins chers que le pétrole. C’est ainsi qu’en 1980, Växjö fut la première ville suédoise à utiliser la biomasse pour produire du chauffage urbain, même si, à l’époque, une grande partie de l’énergie utilisée provenait encore du pétrole.
Cette décision a eu des effets secondaires positifs : protection de l’environnement (même si presque personne ne parlait de changement climatique à l’époque), création d’emplois, et donc plus de recettes fiscales pour la municipalité. Et, suite à l’introduction d’une taxe nationale sur le CO2 au début des années 1990, la biomasse s’est avérée une très bonne solution d’un point de vue financier. Les habitants raccordés au réseau de chauffage urbain ont ainsi pu bénéficier d’une énergie moins chère.
Le temps des décisions
En 1995, la ville de Växjö commença à travailler avec la plus grande ONG environnementale de Suède, la Société suédoise pour la protection de la nature (Swedish Society for Nature Conservation – SSNC). Växjö voulait en effet lancer de nombreux projets environnementaux mais souhaitait vérifier le bien–fondé de ses actions. La coopération devait durer trois ans au départ. De nombreux séminaires et formations furent organisés dans le cadre de cette coopération, source d’un fructueux dialogue entre la SSNC, le personnel municipal et les élus.
De nombreuses tables rondes, où ONG, entreprises et citoyens pouvaient participer et faire part de leurs idées, furent également organisées et constituèrent le véritable point de départ du travail sur l’agenda 21 local. Au cours de cette coopération, la SSNC a souhaité faire de Växjö un exemple unique et remarquable. En 1996, soit un an avant l’élaboration du protocole de Kyoto, le débat sur le climat commençait à s’intensifier sur la scène internationale. Au niveau local, Växjö disposait déjà, on l’a vu, d’une solide expérience en matière d’utilisation de la biomasse pour la production de chaleur et d’électricité. L’université de Växjö était également connue pour ses recherches dans le domaine de la biomasse, et quelques entreprises travaillaient activement dans les secteurs de la bioénergie et de l’industrie forestière. Växjö avait donc toutes les cartes en main pour obtenir des résultats, à condition que l’ensemble des acteurs concernés travaillent de concert.
Très vite, une décision politique fut prise à l’unanimité en vue de faire de Växjö une ville sans combustible fossile (cette décision s’appliquant à l’administration municipale et à l’ensemble du territoire communal) et de réduire de 50 %, par rapport à 1993, les émissions de CO2 par habitant d’ici à 2010. Aucun délai ne fut donné pour faire de Växjö une ville sans combustible fossile, mais un objectif régional du comté de Kronoberg fixait à 2050 la suppression des combustibles fossiles à l’échelle du comté, ce qui impliquait donc que Växjö mette en œuvre sa vision d’ici là. En 2006, l’objectif de baisse des émissions de CO2 fut revu à la hausse à l’occasion de l’adoption du nouveau Programme Environnement, pour atteindre une réduction de 70 % par habitant, (par rapport à 1993 où déjà le recours à la biomasse avait porté ses fruits), d’ici à 2025.
Lorsque la décision de 1996 fut prise, personne ne savait s’il serait possible d’atteindre l’objectif fixé pour 2010, ni le type d’action qu’il convenait de mettre en place pour y arriver. Or en 1997, le gouvernement suédois annonça que 600 millions d’euros seraient alloués pour aider aux investissements locaux pour la protection de l’environnement à travers les Programmes d’investissement local (PIL), destinés à améliorer l’environnement. Ce dispositif contribua à favoriser le rapprochement des acteurs locaux autour de débats thématiques afin de savoir quel type de projet intégrer au PIL de Växjö et quelles actions mener dans le cadre de l’Agenda 21 Local. Par la suite, nombre de projets liés au climat mis en place à Växjö ont été cofinancés par le gouvernement suédois ou par la Commission européenne.
D’après Henrik Johansson, responsable du contrôle environnemental de la municipalité de Växjö, l’objectif de réduction de moitié des émissions de CO2 en 2010 n’a pas pu être atteint. Entre 1993 et 2010, les émissions de CO2 ont été réduites de 22 % seulement. De ce fait, le Programme Environnement de la ville a été révisé une seconde fois ; l’ensemble des objectifs ont été repoussés à 2015. Ainsi, l’objectif révisé consiste en la réduction de 55% des émissions de CO2 d’ici à 2015.
Ces résultats mitigés s’expliquent en partie par deux hivers particulièrement longs en 2009 et 2010, pendant lesquels le système de chauffage urbain n’a pu totalement faire face à la demande de chaleur. L’utilisation du pétrole fut donc nécessaire en complément, générant alors un accroissement des émissions de CO2. L’hiver dernier a été plus conforme aux normales saisonnières, et les projections disponibles pour l’année 2011 font état d’une réduction des émissions de 35 % par rapport à 1993.
En réaction à ces années difficiles, la ville de Växjö a décidé de construire une nouvelle centrale à cogénération (produisant à la fois de l’électricité et de la chaleur) utilisant seulement de la biomasse. La centrale à cogénération actuelle sera utilisée en secours pendant les pointes de demande de chaleur. L’usage de la tourbe pourra donc être abandonné et la très petite quantité de pétrole nécessaire sera remplacée par le biocarburant. Ainsi, d’ici 3 à 5 ans, le système de chauffage urbain n’émettra plus de gaz à effet de serre. D’autres leviers sont en réflexion, notamment celui d’assurer des normes énergétiques efficaces dans la construction et la réhabilitation de bâtiments.
La ville de Växjö pourrait être sur la bonne trajectoire pour atteindre ses nouveaux objectifs à long terme, c’est–à–dire une ville sans carbone d’ici à 2030. Les projections actuelles montrent que les émissions devraient être réduites de 75 % en 2030, mais la municipalité compte sur des politiques incitatives et des actions créatives pendant les 10 à 15 prochaines années pour réduire à environ 100% les émissions de CO2 en 2030 par rapport à 1993. Henrik Johansson reconnait que cela sera néanmoins difficile à atteindre, notamment dans le secteur des transports.
L’expérience stratégique
La stratégie de Växjö associe des actions destinées à agir sur les comportements, des mesures d’amélioration de l’efficacité énergétique, ainsi que l’utilisation des énergies renouvelables dans le secteur des transports et pour la production de chauffage et d’électricité.
Il est très difficile de convaincre les habitants de changer de comportement si cela implique des sacrifices financiers ou une modification de leur style de vie. Ainsi, s’il est souvent financièrement rentable d’adopter les biocarburants ou de prendre des mesures pour améliorer l’efficacité énergétique — voire même plus pratique pour ce qui est du chauffage urbain – il est plus difficile de laisser sa voiture au garage pour se mettre au vélo. Il faut donc que l’abandon des combustibles fossiles soit perçu comme un facteur qui facilite la vie au travers, par exemple, d’un chauffage urbain moins cher et plus pratique, d’un réseau de transports publics bien pensé, ou encore de l’existence de pistes cyclables et piétons adaptées. L’idée n’est pas, en effet, de punir ceux qui ne participent pas aux objectifs fixés, mais d’encourager ceux qui y contribuent.
Mais la meilleure énergie étant celle que l’on ne consomme pas, agir sur l’efficacité énergétique revêt une importance capitale. Plusieurs études ont montré qu’il était possible de réduire la consommation d’énergie de 20%. Le gisement d’économies d’énergie, et donc d’économies financières, est considérable dans les entreprises et les administrations publiques, mais également chez les particuliers. Dans le cadre du projet européen SESAC2, les projets de démonstration de Växjö consistent en la construction de logements à forte performance énergétique, notamment pour le logement social, l’installation de compteurs individuels, l’augmentation de la production de biogaz, l’installation de panneaux photovoltaïques sur une école et la production de froid par absorption. La dissémination d’expériences, l’amélioration des politiques de gestion de l’énergie, le suivi des consommations et les visites techniques sont également des éléments importants de ce projet.
Les produits de l’exploitation forestière sont utilisés pour produire de la chaleur ainsi qu’une grande partie de l’électricité utilisée. Quant à l’énergie solaire, son potentiel pour la production de chaleur et d’électricité n’est pas encore pleinement exploité. Pour ce qui est du chauffage, le fuel domestique et l’électricité ont été remplacés par le chauffage urbain en ville et dans les petites localités urbaines. À la campagne, les chaudières à bois et à granulés ont remplacé les chaudières à mazout. Environ un quart de l’électricité consommée sur le territoire de la municipalité est produit sur ce même territoire. Le solde est importé de l’extérieur, mais en améliorant encore l’efficacité énergétique, Växjö peut espérer devenir de plus en plus autonome pour ce qui est de la production d’électricité.
Le secteur des transports est responsable de 80 % des émissions de CO2 émises à Växjö. Afin d’améliorer l’efficacité énergétique des déplacements, la ville espère remplacer les carburants fossiles par des biocarburants.
Actions pour améliorer l’efficacité énergétique
Environ 20% de l’électricité utilisée par l’administration municipale sert à l’éclairage public. À Växjö, les anciennes ampoules ont été systématiquement remplacées par des ampoules plus performantes et plus respectueuses de l’environnement, avec à la clé une baisse de 50 % de la consommation. Par ailleurs, des compteurs individuels raccordés à un écran ont remplacé les compteurs collectifs dans les appartements et logements étudiants, afin de permettre aux habitants de suivre leurs consommations. Cette mesure engendre, à elle seule, une baisse d’environ 20 % de la consommation. On constate en effet un écart de 34 % entre les consommations de ces appartements et celles de logements similaires construits en Suède.
Mais les occupants d’une maison ou d’un appartement ne peuvent pas toujours contrôler toute l’énergie consommée par le bâtiment. Certaines mesures doivent être mises en place dès la phase de construction. C’est pourquoi, des consommations maximales au m2 ont été imposées. Les constructeurs doivent par conséquent soigneusement réfléchir à l’isolation, à la ventilation, etc. Cette démarche peut entraîner des coûts de construction et des loyers plus élevés, mais qui sont compensés par de plus faibles factures d’énergie pour les occupants. De nombreux bâtiments économes en énergie ont été construits à Växjö dans le cadre du projet européen SESAC. Au titre de ce projet, les bâtiments doivent justifier d’une consommation énergétique de 30 à 40% inférieure à la législation nationale en la matière. Dans le quartier de Välle Broar, par exemple, les logements ne présentent pas seulement une très haute performance énergétique, ils sont aussi construits en bois, stockant ainsi du carbone. Ce quartier compte d’ailleurs les quatre bâtiments en bois les plus hauts d’Europe. En 2008, l’organisme municipal de logements sociaux Hyresbostäder lança la construction des premiers logements « passifs » de Växjö.
Actions visant à réduire l’impact des transports sur le climat
Växjö compte plus de 150 km de pistes cyclables, ce qui facilite grandement l’usage du vélo. Il est question de construire des autoroutes–vélo qui relieraient les zones résidentielles au centre–ville sans jamais croiser les autres voies de circulation. Ce projet reste en discussion actuellement. L’amélioration des pistes cyclables, et la création d’autoroutes cyclables, sont mentionnées dans le dernier budget de la ville.
Le taux de fréquentation des transports publics (bus) est élevé, mais le nombre de passagers peut encore être amélioré. Au cours des prochaines années, les actions visant à rendre plus attractifs les transports publics auront la priorité. En 2012, selon l’Agence nationale de la statistique, 46% des ménages de Växjö n’ont pas de voiture, ce qui souligne encore l’importance d’améliorer l’offre de transports publics, ainsi que les équipements cyclistes.
La Ville de Växjö a souhaité optimiser le transport de marchandises vers le centre–ville en construisant une plateforme où les camions des sociétés de transport viennent décharger les marchandises à destination du centre–ville, marchandises qui y sont ensuite acheminées par d’autres véhicules. Il est prévu de construire un système similaire pour les marchandises destinées à l’administration municipale. Des entreprises de transport de Växjö ont également commencé à utiliser des systèmes de localisation par satellite afin d’améliorer leur performance. Grâce à ce système, une entreprise de taxi a ainsi pu réduire de 20 % sa consommation de carburant.
En ce qui concerne les déplacements motorisés, la ville de Växjö essaie d’inciter les habitants et les entreprises locales à utiliser des véhicules moins polluants.
Depuis 2002, ces véhicules peuvent ainsi bénéficier d’un stationnement gratuit, une mesure qui a rapidement connu un vif succès. Pour accélérer encore le processus, la ville de Växjö offre une subvention à toute personne pour l’achat d’un véhicule plus écologique. En 2004, Växjö enregistrait la plus forte vente de Ford Focus roulant à l’éthanol par habitant en Suède et le record des ventes de Toyota Prius hybride en Europe ! Fin 2007, près de 2,5 % du parc de voitures particulières de Växjö était composé de véhicules écologiques, pour la plupart roulant à l’éthanol. Cette subvention est désormais disponible sous forme d’une subvention nationale.
Selon Henri Johansson, le système de transport public a été amélioré. Beaucoup de projets sont en cours avec un budget croissant au fil des années. Le nombre de bus opérant dans la ville augmentera de 40 % en 2013 et ils fonctionneront avec du biogaz, qui sera produit à partir des déchets organiques (composts) des ménages. Le tri des déchets a commencé cette année (2012) et fonctionne plutôt bien. L’augmentation du nombre de bus réduira le temps d’attente, ce qui devrait inciter les habitants à emprunter plus les transports publics. La ville de Växjö a aussi fortement investi dans les transports ferroviaires. Des gares ont été ouvertes ou seront ouvertes très prochainement dans de nombreux villages de l’agglomération. Ceci devrait faciliter l’utilisation de moyens de transport plus durables que la voiture pour les trajets domicile–travail.
4 Sustainable Energy Systems in Advanced Cities (SESAC) : projet européen visant une innovation accélérée pour les villes, dans les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, les cogénérations, ainsi que le bâtiment écologique. Ce projet est intégré au programme « Concerto » consacré aux quartiers efficaces en énergie. Dans le cadre du SESAC, Vâxjö est associé à Grenoble et Delft. Energie Cités en est partenaire.
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Encyclopédie du développement durable, Une ville moyenne en marche vers le zéro carbone
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