Accéder aux services énergétiques modernes en Afrique
L’idée devient réalité : le projet PASE Safo
Issa IRO KOKINO, Michel LABROUSSE, Ibrahim SOUMAÏLA, 2012
Définir et mettre en œuvre une stratégie d’efficacité énergétique a–t–il du sens dans le contexte de très grande pauvreté économique, sociale et énergétique des campagnes africaines ? Sachant que l’urgence première est l’accès à l’énergie, ou plus exactement l’accès à l’énergie « moderne », ou encore plus exactement l’accès aux « services énergétiques modernes ». Ce n’est qu’en posant le problème dans sa globalité qu’on trouve des solutions qui répondent à la fois aux besoins fondamentaux des populations et qui satisfont aux critères du développement durable, contribuant ainsi au développement social et économique tout en favorisant la protection de l’environnement.
La preuve est en train d’être apportée par le Projet d’accès aux services énergétiques modernes (PASE) mené au Niger, soutenu par l’Union européenne (Facilité Énergie) et le Fonds de l’environnement mondial (FEM/GEF/PNUD) ; le projet sera mis en œuvre de 2012 à 2015 sur le territoire d’une commune rurale (Safo, 70 000 habitants, 757 km², représentative des communes rurales du Niger). La démarche que le projet PASE Safo utilise est appelée à s’étendre à l’ensemble du pays dans le cadre du Programme national d’accès aux services énergétiques (PRASE), adopté par le Niger en 2010, qui bénéficiera à l’ensemble de la population rurale, soit plus de 10 millions d’habitants. Voici en quelques mots le principe de la démarche PRASE et le profil du projet PASE Safo.
Ne pas confondre accès au service énergétique et accès à l’énergie
Dans la plupart des pays d’Afrique saharienne, ce n’est pas seulement l’énergie finale qui manque, c’est surtout le service énergétique qui fait défaut ! Situation paradoxale et méconnue : on construit des réseaux de distribution d’électricité en zone rurale, pour cela le gouvernement, la compagnie d’électricité, l’agence d’électrification rurale quand elle existe, les partenaires de la coopération internationale, etc. financent à grand frais de tels réseaux qui « couvrent » une partie non négligeable du territoire national.
Mais l’objectif visé ne peut être atteint car les ménages n’ont pas les moyens financiers de se connecter ni de payer la facture mensuelle, seuls les plus riches profitent de ce « don du ciel », en bénéficiant de surcroit des subventions publiques qui sont attribuées au secteur de l’électricité. C’est le résultat regrettable d’une approche dite « par l’offre » : on ne s’interroge pas sur l’incapacité du plus grand nombre à investir dans les équipements qui fournissent les services électriques (éclairage, réfrigération, ventilation, etc.). Le taux d’électrification des ménages ruraux est actuellement inférieur à 0,6 % au Niger alors qu’il serait de 10% si tous les ménages étaient desservis dans les villages qui sont raccordés au réseau !La biomasse, fréquemment « gratuite », et le pétrole lampant1 constituent les énergies finales dominantes pour la cuisson et l’éclairage, malgré leurs impacts désastreux sur l’environnement (émissions polluantes locales et de gaz à effet de serre). Les équipements (foyers trois pierres, lampes artisanales) ont un rendement déplorable. Ce n’est qu’en partant du besoin, de la demande, qu’il est possible de définir une « filière énergétique » optimale, sur les plans social, économique et environnemental. Ce qui est valable pour l’électricité l’est donc aussi pour le gaz, autre énergie moderne susceptible de se substituer à la biomasse traditionnelle pour la cuisson des aliments. Il n’est pas ici question de réseau de distribution par gazoduc, comme en Europe, mais d’un ensemble de revendeurs de bouteilles et de recharges. Le GPL est souvent disponible mais peu utilisé, là aussi les subventions publiques profitent aux plus aisés.
L’accès à l’énergie contribue–t–il à lutter contre la pauvreté ?
Revenons à l’électrification rurale. Qui se connecte ? Réponse : les quelques ménages qui ont un revenu et/ou une position sociale suffisamment élevés. Qui ne se connecte pas ? Réponse : les autres ménages mais aussi tous les centres de santé, les écoles, les bâtiments communautaires, les puisages d’eau, les systèmes d’irrigation, les très nombreuses exploitations agricoles, etc. Toutes ces infrastructures destinées à un usage collectif qui participent à la lutte contre la pauvreté mais qui sont de « mauvais clients » pour la compagnie d’électricité car ils ont des difficultés pour payer leurs factures. En d’autres termes, l’accès à l’électricité est considéré jusqu’à présent comme un luxe au lieu d’être vu comme une composante du développement. Il est réservé à la frange de la population la plus riche, le plus grand nombre n’a pas accès aux services électriques modernes. Pour qu’il en soit ainsi il faudrait que les infrastructures « collectives », fréquentées par la majorité de la population, soient équipées en services énergétiques modernes. Il s’agit naturellement des centres de santé, des écoles, des mairies et des centres sociaux, des forages d’eau potable et de toutes les installations qui participent au développement économique et social, les entreprises agricoles, artisanales ou commerciales, les marchés, etc.
En équipant massivement en services énergétiques toutes ces infrastructures collectives, on améliore leur efficacité, on contribue donc à atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement (OMD) et les cibles des indicateurs qui les traduisent : proportion de la population sous le seuil de pauvreté, taux de scolarisation et de réussite, taux de mortalité infanto–juvénile et maternelle, taux d’accès à l’eau potable, etc. La démarche PRASE est une approche « par la demande » ; on répond aux besoins en services énergétiques des populations puis on conçoit des filières énergétiques optimales à l’échelle du territoire : on introduit ainsi la notion de « territoire énergétique », périmètre d’une commune ou d’une partie de celui–ci sur lequel un maître d’ouvrage unique assure la disponibilité en services énergétiques dans les infrastructures sociales (santé, éducation, eau, services municipaux), productives (agriculture, artisanat, services) et domestiques (ménages).
Optimiser l’efficacité économique et environnementale de la filière énergétique
Le coût du service énergétique est la somme des coûts de chaque étape constituant cette filière ; soit pour l’essentiel : l’énergie primaire puis la transformation en énergie finale et son transport vers le consommateur et enfin la nature de l’équipement de transformation de l’énergie finale en « service énergétique ». Optimiser la filière énergétique consiste à concevoir et dimensionner les différentes étapes pour que le coût global du service énergétique soit minimal. Dans l’approche par l’offre, largement prédominante, le fournisseur d’énergie finale optimise l’amont de la filière mais laisse au consommateur le soin de choisir la nature de l’équipement de transformation de l’énergie finale en service. On conçoit intuitivement que pour un service énergétique donné, lorsque l’efficacité de l’équipement de fourniture du service augmente, son coût d’investissement s’accroit, la consommation d’énergie et la facture énergétique diminuent. Une ampoule basse consommation (l’équipement de transformation) coûte nettement plus cher qu’une ampoule à incandescence mais consomme beaucoup moins d’électricité.
Il existe un optimum économique, atteint lorsque le surcoût d’investissement qui permet de ne pas consommer une certaine quantité d’énergie est égal au coût de la quantité d’énergie non consommée. Dans la quasi–totalité des systèmes énergétiques on est très loin de l’optimum, les équipements finaux (maisons, lampes, procédés industriels, véhicules, etc.) pourraient être beaucoup plus performants en matière énergétique, le gisement d’efficacité énergétique exploitable, parce que très rentable, est élevé. A service rendu identique, la quantité d’énergie consommée et le coût global des filières énergétiques pourraient être beaucoup moins élevés. Pourquoi « gaspillons–nous » ainsi l’énergie ? Parce que tous les acteurs de l’« amont » des filières énergétiques (les producteurs et fournisseurs d’énergie) ne s’intéressent pas à l’« aval », la transformation de l’énergie finale en services énergétiques. La plupart du temps, producteurs et consommateurs sont disjoints, donc toute optimisation est impossible. C’est au consommateur de rechercher l’efficacité, en investissant pour consommer moins, or la propension à l’investissement du consommateur est nettement moins forte que celle du fournisseur, un industriel « qui sait compter » mais dont l’intérêt est de vendre le maximum d’énergie au prix le plus élevé possible.
On comprend ainsi pourquoi, si on poursuit sur la voie habituelle, les espoirs de voir accéder à l’énergie les populations très pauvres sont vains, l’énergie « moderne » sera toujours trop chère pour eux. Il faut inventer autre chose, c’est l’approche PRASE : lorsqu’on part de zéro il est possible d’imaginer et mettre en place un montage institutionnel qui conduit à l’optimum de la filière énergétique ; le maître d’ouvrage contrôle à la fois l’aval et l’amont des filières énergétiques, un opérateur de service énergétique peut intervenir dans le cadre d’une délégation de service et maîtriser ainsi l’entièreté des filières, donc valoriser au mieux les ressources locales et donner tout son sens à l’efficacité énergétique. Soulignons s’il en est besoin qu’efficacité énergétique rime avec efficacité environnementale : l’optimisation économique présentée ci–dessus est la première phase de l’optimisation environnementale, l’une et l’autre sont au cœur de la conception du projet PASE.
L’architecture du projet PASE Safo
Le projet répond à trois attentes :
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Convaincre les partenaires du développement de la nécessité d’assurer à la population l’accès aux services énergétiques (et non simplement l’accès à l’énergie) pour combattre la pauvreté en donnant priorité aux services collectifs ;
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Montrer l’intérêt de faire intervenir des acteurs qui n’appartiennent pas au « monde de l’énergie » ;
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Mettre en évidence un circuit de financement original qui permet d’assurer la construction et l’exploitation des ouvrages.
La dimension technique du projet est, certes, importante mais elle n’est pas prépondérante. Publié en janvier 2006 avec le soutien du PNUD, du programme Intelligent Energy Europe, de l’ADEME (France) et du projet MEPRED, le «
Livre Blanc de la CEDEAO/UEMOA sur l’accès aux services énergétiques des populations rurales et périurbaines pour l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) » distinguait trois usages énergétiques de base : la cuisson, la force motrice et les usages spécifiques de l’électricité. La dimension technologique du programme PASE est fondée par ces trois piliers.
La véritable innovation réside dans la dimension institutionnelle et celle qui lui est directement associée, la dimension financière. Le montage institutionnel repose sur la maîtrise d’ouvrage, nécessairement locale. C’est le maître d’ouvrage, en l’occurrence la Commune, qui définit les secteurs prioritaires qui doivent accéder aux services énergétiques, il coordonne l’intervention des acteurs parmi lesquels on distingue des opérateurs de services énergétiques, entreprises qui ont pour vocation de mettre à disposition de leurs clients des « usages » et non de l’énergie finale. Ce montage institutionnel original induit un mode de financement innovant ; en subventionnant l’accès aux services énergétiques des infrastructures collectives, la puissance publique, à savoir les ministères et leurs partenaires au développement, donnent aux opérateurs de services énergétiques l’impulsion qui les amène à développer un « réseau », physique et commercial, qui inclut les secteurs non prioritaires, donc non subventionnés, les ménages tout particulièrement.
Deux grandes activités structurent le projet :
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La première activité consiste à définir les territoires énergétiques (TE). On dresse une carte du périmètre de la commune sur laquelle figurent la demande en service énergétique et les ressources en énergie finale. Par exemple : le réseau électrique, la forêt classée, source de biomasse « durable », les ressources en hydroélectricité, les ressources solaires et éoliennes, etc. L’enjeu consiste à donner à l’ensemble de la population, répartie en villages sur le vaste territoire de la commune, la possibilité de bénéficier d’infrastructures collectives équipées de services énergétiques en dépassant les simples critères de rentabilité économique immédiats. L’approche consiste à identifier et mutualiser les besoins et les équipements sur toute la superficie du territoire énergétique. Tout autant que les gestes techniques, compte la manière de les réaliser, en s’assurant de la participation active de la population par l’animation du jeu des acteurs, tout particulièrement les associations d’utilisateurs (eau, école, santé, etc.) et les ONG locales.
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La deuxième activité est relative à l’identification et à la sélection des opérateurs de services énergétiques. Ceux–ci prennent en charge la totalité de la filière énergétique, en particulier les équipements « aval » (lampes, conservateurs de vaccins, pompes hydrauliques, télécommunication, etc.). Ils facturent à leurs clients des prestations et non des produits physiques, un opérateur de services énergétiques intervient seul sur le périmètre d’un territoire énergétique pendant une durée définie contractuellement avec le maître d’ouvrage. Au Niger, il n’y a pas de barrière institutionnelle à l’intervention de tels opérateurs. Le maître d’ouvrage sélectionne l’opérateur de service énergétique en fonction de deux critères principaux : sa capacité à réaliser le « programme imposé », mise en œuvre des services énergétiques dans les infrastructures collectives dans les meilleures conditions techniques et économiques possibles, et sa volonté d’étendre l’accès aux services énergétiques aux usagers non prioritaires, notamment les ménages, le « programme libre ». Le programme imposé est subventionné, le programme libre ne l’est pas mais un fonds de financement et de garantie sera mis en place dans le cadre du projet.
Le projet PASE Safo verra la mise en œuvre des ouvrages par les opérateurs de service énergétique. Un dispositif de suivi est mis en place pour impliquer tous les acteurs et des études d’évaluation seront conduites pour répondre précisément à la question : quel est l’impact réel de l’accès aux services énergétiques sur les OMD ?
Le financement et la légitimité de PASE Safo
Le projet bénéficie de deux sources de financement :
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La Facilité Energie ACP–UE, instituée au sein de l’Initiative de l’Union européenne pour l’énergie (EUEI), est un instrument de cofinancement destiné à soutenir des projets améliorant l’accès aux services énergétiques durables et abordables en milieu rural et périurbain des pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP). A ce titre la Facilité Energie cofinance le projet PASE Safo ; au terme des quatre années du projet, le Niger sera à même de mettre en œuvre le programme national PRASE et d’étendre ainsi à l’ensemble des zones rurales du pays la démarche d’accès aux services énergétiques modernes.
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Le Fonds de l’environnement mondial/Global Energy Facility (FEM/GEF) apporte au Niger un financement destiné à réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le programme PRASE. L’agence de mise en œuvre de ce fonds est le PNUD. Une part du montant apporté par le FEM/GEF est utilisée au titre de cofinancement du projet PASE Safo.
La complémentarité des financements Facilité Energie ACP–UE et FEM/GEF montre qu’il existe une grande synergie entre l’accès aux services énergétiques modernes et la lutte contre la pauvreté d’une part, la réduction des émissions de gaz à effet de serre et l’impact positif sur le changement climatique d’autre part. Le Programme national d’accès aux services énergétiques (PRASE), qui bénéficiera aux populations rurales, est un puissant vecteur de l’efficacité énergétique, étroitement corrélée à la diminution des impacts sur l’environnement.
1 Le pétrole lampant est destiné aux lampes à pétrole dont la combustion se fait par une mèche.
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