A Kassel en Allemagne : la Centrale électrique combinée, Kombikraftwerk
Manuel Marin, 2013
Cette fiche présente le cas d’une centrale électrique uniquement approvisionnée par des énergies renouvelables, en Allemagne et qui est donc confrontée à des sources énergétiques aléatoires, le corolaire étant comment réussir à stocker l’énergie et à la distribuer de manière rationnelle, en fonction des besoins. L’étude de cas glisse donc de la question des sources d’énergies à celle du développement de réseaux intelligents et proposent des pistes de réflexion et de résolution de ce problème.
Dans le développement de l’outil de centrale électrique virtuelle - un outil informatique qui permet de gérer des systèmes énergétiques complexes -, un des cas les plus connus et emblématiques est celui de la Kombikrafwerk, ou centrale électrique combinée, développée par les scientifiques de l’Institut pour l’énergie éolienne et les technologies de systèmes d’énergie de Kassel (IWES), en Allemagne et présenté en 2007. Dans le but de soutenir la totalité de la consommation énergétique d’une région en n’utilisant que des énergies renouvelables, des chercheurs de cet institut ont développé un logiciel composé de plusieurs interfaces informatiques et mécanismes de contrôle assez sophistiqués, capable d’intégrer la puissance de l’énergie solaire, l’éolienne et la biomasse, en arrivant à la performance des centrales conventionnelles à haute disponibilité. Le concept a été testé par un prototype qui fournit de l’énergie pour 12 000 foyers (1/10 000 de la taille de l’Allemagne) et les résultats ont été positifs. La Kombikraftwerk 2, deuxième partie du projet, a démarré en 2011. Son but est d’assurer les services de second ordre d’un réseau énergétique (il s’agit de la stabilité de la fréquence et le contrôle du voltage) avec un mix énergétique 100 % renouvelable.
Le principal désavantage des énergies renouvelables telles que le solaire et l’éolien a été depuis toujours la nature aléatoire de la ressource, d’où la plupart des critiques et la réticence à leur utilisation. Si on considère le fait que la demande en énergie, façonnée par les habitudes de consommation depuis des générations est aussi une variable essentiellement aléatoire, on pourrait croire qu’un système énergétique composé exclusivement d’énergies renouvelables serait très difficile à maîtriser. C’est la raison pour laquelle les premières applications des énergies renouvelables ont été conçues pour des scénarios où la demande en énergie était subordonnée à la disponibilité des ressources productives. La possibilité de dépasser cette situation implique la compréhension des différentes interactions entre toutes les variables aléatoires du système. Ces variables sont, principalement la demande, l’irradiation solaire et la vitesse du vent.
La centrale électrique virtuelle cherche à compenser les irrégularités à travers l’intégration, de telle sorte que les faiblesses des technologies isolées soient compensées par la solidité de l’ensemble ; la dépendance sur une seule ressource est donc supprimée. Le principe est le suivant, et c’est ce que la kombikraftwerk exploite de façon systématique : imaginons un système qui connecte des fermes photovoltaïques avec des parcs d’éoliennes, lorsque les ressources sont abondantes et permettent de produire plus d’énergie que celle demandée par le système, les unités de stockage sont mises en route pour accumuler tout surplus de production. Dans le cas étudié par l’IWES, les excédents qui continuent à être produits, une fois que toutes les unités de stockage ont été saturées, peuvent se vendre dans une bourse qui fait le lien entre plusieurs systèmes énergétiques voisins et indépendants. Cela permet de profiter au maximum de la présence de ressources productives sans désactiver des centrales. Évidemment, lorsqu’il n’y a plus d’acheteur pour les excédents d’énergie qui peuvent se produire, les centrales commencent à être désactivées une par une.
Dans le scénario opposé, il peut sûrement arriver que l’ensemble des ressources (le soleil et le vent, dans notre exemple) ne soit pas suffisamment généreux pour satisfaire les pointes de demande du système à un moment donné. Cela peut arriver le soir, par exemple, quand les gens rentrent chez eux et ont besoin d’énergie au moment où à l’extérieur il n’y a pas de soleil, ou tôt le matin également. Dans toutes ces situations, le système propose d’appeler les unités de stockage qui ont été chargées (ou pas) dans l’étape antérieure. Dans le cas où l’énergie des unités de stockage a été complémentent utilisée et qu’il reste encore de la demande à satisfaire, l’énergie doit s’acheter à la bourse énergétique, à laquelle le système est connecté. Les scientifiques de l’IWES ont démontré l’efficacité et la stabilité de ce système grâce à un algorithme mis en fonctionnement sur une centrale électrique combinée composée de 36 fermes photovoltaïques, parcs éoliennes, turbines hydrauliques et centrales de biomasse distribuées en Allemagne, capable de fournir de l’énergie pour 12 000 foyers.
Les calculs pour la prise de décisions et les branchements des parties du système sont assez complexes. Ils se déroulent en plusieurs phases car il est impossible de les effectuer tous simultanément pour un problème de temps de réponse. Il faut, d’abord, avoir des estimations de l’irradiation solaire et de la vitesse du vent pour la journée, lesquelles seront obtenues auprès du service météorologique, et à partir de là, projeter la génération des différentes unités et établir un planning de production. Deuxièmement, il faut faire une estimation de la demande en électricité, obtenue fréquemment par des moyens statistiques, et la comparer à la courbe de production tracée dans l’étape précédente. Cela permet d’anticiper les périodes de sous et sur-génération. Le système peut ainsi se préparer à mettre en route les unités de stockage et de production en avance et, globalement, conditionner le réseau pour un scénario de fonctionnement souhaité. Dans le développement actuel du système, les erreurs dans les estimations vont générer des petites variations mais le modèle sera capable de s’y adapter, en effectuant des opérations de « contrôle fin ». Toutes ces tâches sont gérées par des outils informatiques et des composants électroniques de dernière génération. Le résultat est une courbe de production qui s’adapte parfaitement à la demande et qui est composée exclusivement des sources renouvelables.
L’énergie et la puissance sont donc fournies par la Centrale électrique combinée. La stabilité du réseau, en termes de capacité à répondre aux changements subis dans les conditions d’opération, est une problématique différente qui sera abordée par la kombikraftwerk 2, deuxième partie du projet initiée récemment. L’objectif cette fois-ci est de montrer que le système composé uniquement de sources renouvelables est capable de fournir des services de « seconde ordre » tels que la régulation de la fréquence et le contrôle du voltage. Des variations dans la fréquence par laquelle l’énergie est transportée (typiquement 50 Hz pour les systèmes européens) apparaissent lorsqu’il y a un déséquilibre entre les sources et les charges. Cette fréquence est donc une mesure de la stabilité du réseau et on souhaite pouvoir la réguler. Avec la variabilité associée aux sources renouvelables telles que la solaire et l’éolienne, même si le contrôle fin est appliqué, cette problématique n’est pas évidente à résoudre.
L’intégration des réseaux électriques et la valorisation de sources renouvelables aux matrices énergétiques dépendent dans une grande mesure du développement des outils comme la kombikraftwerk. Ce type d’outils est souvent conçu dans une logique modulaire, c’est à dire que les composants peuvent s’ajouter ou être supprimés sans affecter le fonctionnement global. Ceci est un grand avantage puisqu’il permet d’amener la centrale électrique virtuelle à de nouveaux territoires ; c’est un outil mobile. La recherche sur la centrale électrique virtuelle est fortement liée à celle des « smart grids » ou réseaux intelligents. Un « smart grids » est un réseau capable de s’adapter automatiquement aux changements dans les conditions d’opération. L’ensemble « smart grids » contrôlé par une centrale électrique virtuelle peut être une solution sur plusieurs scénarios modernes de gestion énergétique, là où les énergies renouvelables sont présentes d’une façon décentralisée et distribuées dans le territoire. C’est le cas de l’Allemagne et de plusieurs régions européennes comme le Languedoc-Roussillon en France.
La modularité est la première des deux propriétés remarquables de la centrale électrique virtuelle ; la deuxième est l’adaptabilité. Cela signifie que la taille de la solution n’est pas fixe, que les extensions de territoires qui peuvent être régulés sont multiples. Par exemple le projet DESERTEC, qui vise à établir un réseau entre le nord de l’Afrique, riche en ressources d’origine photovoltaïques, et quelques points de consommation en Europe, utilise le principe de la centrale électrique virtuelle agissant sur des « smart grids ».