Redonner à l’espace une cohérence durable dans les territoires ruraux
François TACQUARD, 2013
Cette fiche présente la diversité des paysages ruraux français, dans une perspective diachronique et propose des pistes de réflexion pour les paysages de demain.
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Une dégradation continue des paysages ruraux en France depuis 60 ans
Comme beaucoup de Français, j’aime à me promener à travers la campagne française. Mais je constate qu’il y est de plus en plus difficile de faire une belle photo, de type « carte postale ». Presque tous les villages de France et de Navarre sont entourés de nouvelles constructions d’architecture banale, de hangars ou ateliers divers disposés de façon aléatoire le long des routes d’accès. Les vieilles maisons du centre du village sont souvent mal restaurées et parfois même en ruine. Les paysages agricoles, quant à eux, sont de plus en plus monotones en plaine, car les grandes cultures ont entraîné l’enlèvement des haies et des arbres. En montagne, les friches et les boisements avancent quand ce ne sont pas les résidences secondaires qui tapissent les pentes. Où sont donc passés nos paysages pittoresques ? Quelles sont les mécanismes qui conduisent à les détériorer années après année? Comment combattre cette évolution négative ? Des solutions doivent exister puisque d’autres pays d’Europe comme la Suisse, l’Allemagne, l’Angleterre font mieux que nous, et gardent leurs beaux paysages ruraux et leurs villages typiques
Avant de proposer des pistes d’action, faisons un retour en arrière.
L’agriculture traditionnelle respectait les terroirs et élaborait des paysages pittoresques
Dès le néolithique, lorsque l’agriculture s’est installée, les communautés humaines ont essayé d’utiliser au mieux les différences sols (les terroirs) qu’ils trouvaient à proximité de leur implantation. Ainsi par exemple dans les plaines légèrement vallonnées, les fonds de vallées, humides car proches de la rivière, étaient traditionnellement utilisés en prairies permanentes ; les premières terrasses, en général fertiles, étaient cultivées pour des céréales ; les pentes plus fortes étaient réservées aux cultures fruitières ou à la forêt et enfin les plateaux étaient cultivés s’ils étaient fertiles, ou bien forestiers s’ils étaient très secs. Les villages étaient installés dans des sites précis, souvent en bordure de plusieurs terroirs, profitant de la présence d’une source, parfois d’une « sitologie » facile à défendre. L’habitat rural était en général dense et cohérent, organisé pour répondre aux besoins communs.Les progrès techniques réalisés à partir du XVIIIème siècle n’ont pas modifié cette utilisation rationnelle du « finage » (aire d’influence d’une communauté rurale), créant des paysages très typés (et donc pittoresques). Le grand géographe du début du XXème siècle, Paul Vidal de la Blache, indiquait qu’il y avait en France 300 petites régions paysagères, correspondant à 300 systèmes agraires différents. Aujourd’hui encore cette géographie sert à réaliser les recensements agricoles : quelle que soit l’évolution des techniques, la répartition des sols sur un territoire et leurs richesses pédologiques jouent un rôle majeur dans le fonctionnement de l’agriculture. L’utilisation rationnelle des terroirs permet une production optimum, sans dépenser trop de moyens techniques et de fertilisants.
À l’inverse, le non–respect des terroirs amène fréquemment des contre–performances agricoles et parfois même des catastrophes environnementales. Par exemple, la culture de maïs dans les zones humides inondables le long des cours d’eau oblige à réaliser un drainage lourd, mais n’empêche pas l’érosion des terres et un accroissement des inondations.Depuis les années 1950, l’intensification agricole a conduit à un abandon des terroirs, entraînant une dégradation des paysages ruraux. En effet la mécanisation nécessaire suite à la baisse des prix agricoles et à l’augmentation de taille des exportations a amené les agriculteurs à se spécialiser et à pratiquer de plus en plus la monoculture sans respecter la vocation normale des terroirs : on a remembré, enlevé les haies, drainé les terres humides, créé des grandes steppes agricoles qui, pour rester fertiles, nécessitent des volumes importants d’engrais et de pesticides, surtout quand les cultures sont faites contre la nature du sol. Aussi, le paysage rural typique a disparu dans beaucoup de régions de France, ainsi que la biodiversité correspondante. Ces excès amènent aujourd’hui à une impasse : les coûts économiques sont élevés et les impacts sur l’environnement majeurs. Un retour vers une agriculture plus « paysanne » semble nécessaire. La montagne a connu une évolution radicalement différente puisqu’aucun système de production moderne n’y a trouvé sa place. Les friches et les boisements ont envahi les pentes, faisant disparaître les pittoresques paysages traditionnels. Des actions de reconquête sont menées depuis une trentaine d’années, mais qui connaissent leurs limites dans les systèmes d’appui agricole actuellement mise en place par l’Europe : un paysan de montagne reçoit pour chaque hectare qu’il exploite quatre fois moins d’aide qu’un agriculteur céréaliculture de plaine, alors que ses coûts de production reste très élevés. Pour la plupart des montagnards, le salut vient de la fabrication de produits de qualité mais au prix d’un temps travail extrêmement important et d’un revenu qui reste très faible. Seuls les MAEP (mesures agri–environnementales et paysagères) combattent parfois cette inégalité, mais ces mesures ne concernent qu’une faible partie des territoires montagnards.
Le « mitage » est le mode dominant de croissance des petits villages de France depuis 50 ans
A la confusion paysagère provoquée par les grandes évolutions agricoles s’est ajoutée celle qu’engendrait le développement de l’habitat dans les petits villages. En effet, à partir des années 1960, le pavillon de banlieue entouré de haies de thuya est devenu le rêve de nombreux jeunes couples ruraux. De nouvelles maisons ont été installées « au petit bonheur la chance » le long des voiries menant au vieux village, défigurant sa silhouette et gaspillant l’espace.Les maisons anciennes du centre du village se sont vidées de leurs habitants, affaiblissant la vie sociale locale. Dans les villages situés à proximité des villes, soumis à une pression plus forte, des lotissements en « tablette de chocolat » se sont développés. Ils sont un peu moins consommateurs d’espace que le « mitage » précédent, mais ont amené la « banlieue banale » à la campagne.
En effet, les quartiers anciens ou les villages traditionnels avaient toujours une forte cohérence, fruit d’une homogénéité architecturale, d’une mixité de l’occupation des maisons, d’un urbanisme dense et cohérent avec des espaces et équipements communs qui symbolisaient la vie collective. Les nouveaux quartiers n’ont rien de tout cela.
La compétence « urbanisme » a été abandonnée par l’État et transférée à la petite commune, le niveau le plus incompétent et le plus soumis aux pressions de spéculation
Dans la plupart des pays d’Europe, le développement des villages est géré par des institutions du niveau de l’arrondissement ou du département. Des urbanistes professionnels dessinent ce qui est souhaitable et les élus qui les contrôlent ont du recul par rapport au terrain. En France, rien de tout cela. On laisse le « petit maire » seul face à des projets variés et biscornus qui « débarquent » de façon occasionnelle, et qu’il accepte faute de mieux, sa carte communale ou son plan d’occupation des sols étant très laxiste. Et, en général, il ne veut pas faire de peine à son voisin qui souhaite vendre son terrain au meilleur prix. C’est donc le niveau le moins compétent techniquement et le plus soumis aux pressions de petites spéculations qui prend la décision. Je suis moi–même adjoint à l’urbanisme d’un petit village de 250 habitants et j’ai beaucoup de mal à gérer ce problème.
En résumé, on a mis en place, en France, des mécanismes qui fabriquent la « médiocrité » villageoise, le gaspillage de l’espace et le désordre des paysages.
Pour sortir de l’impasse il faut faire à nouveau de la géographie et de l’aménagement du territoire, mais au niveau intercommunal
Face à ce phénomène massif de dégradation de l’espace rural français et des paysages, des mesures nouvelles et fortes s’imposent. Tout d’abord, il est impératif de prendre du recul, de donner le pouvoir d’urbanisme et d’aménagement du territoire au niveau intercommunal, à condition bien sûr que des équipes professionnelles y soient installées.
Il faut ensuite :
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Penser le projet de territoire dans son histoire longue et dans sa géographie.
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Analyser l’évolution des structures agraires et villageoises, repérer ce qu’il faut conserver sur le très long terme.
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Dessiner, planifier le projet d’aménagement et des paysages sur 50 ans, suite à une analyse des besoins et à un débat public démocratique.
Certains territoires ruraux, conscients du désordre actuel, essayent déjà ces nouvelles méthodes à travers des « Plan de paysages », ou des « Plans d’urbanisme et de patrimoine » intercommunaux. Des leçons peuvent être tirées de ces interventions.
Le législateur devrait prendre conscience des aberrations actuelles, analyser les échecs extrêmement nombreux des procédures actuelles et tirer des leçons des méthodes étrangères et des expériences nouvelles menées dans certains territoires ruraux.
Une nécessité : recréer une culture commune de l’aménagement des petites communes et apprendre à penser en quatre dimensions
Rien ne sert de modifier les lois et les procédures s’il ne se crée pas une culture commune de l’aménagement rural des petites communes en France. Actuellement les pratiques professionnelles de planification rurale se limitent principalement à zoner l’espace (en zone naturelle, agricole, constructible, etc.) sans s’occuper de la qualité du projet. On fait de l’urbanisme en deux dimensions, « en patates » alors qu’il faudrait penser en quatre dimensions, la troisième étant la qualité architecturale et paysagère et la quatrième étant le temps long vers le passé et le futur, la capacité à se projeter sur le très long terme pour éviter de faire de graves erreurs d’aménagement. Le « Grenelle de l’environnement » et les SCOT (Schéma de Cohérence Territoriale) actuels restent dans cette logique de « zonage patate », même s’ils réussissent à limiter la consommation quantitative de l’espace.Les formations des urbanistes et des aménageurs ciblent principalement les villes. Il n’y a pratiquement plus de revues sur l’aménagement rural. Seuls quelques réseaux tentent de débattre dans un océan d’inculture (le réseau urbanisme et paysage de Mairie Conseil, le réseau des Parcs, etc.). Il y a donc là un chantier immense.