Nouveaux territoires, nouveaux paysages
Yves GORGEU, 2013
Cette fiche propose une réflexion sur un urbanisme et une planification territoriale davantage axés sur une approche paysagère pour un développement durable des territoires de demain.
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Nous assistons depuis de nombreuses années à l’émergence d’une nouvelle géographie humaine qui bouscule les fondements traditionnels d’appartenance territoriale et la physionomie des territoires. Des mutations très fortes marquent l’évolution des territoires. La mondialisation, l’explosion des mobilités, l’étalement urbain, l’épuisement des ressources énergétiques, la crise écologique et la variété des parcours de vie apportent des changements importants aux modes d’occupation de l’espace et d’attachement aux terroirs. C’est une transformation qui bouscule en profondeur le « vivre, habiter et travailler au pays » sur lequel se sont beaucoup appuyés les principes de l’appartenance culturelle à un territoire et de la notion de pays. Il y a aujourd’hui une tendance à des modes individuels de multi-appartenance territoriale selon les réseaux de relations, les activités et les services que chacun recherche, et qui éloignent d’une certaine manière les forces d’un ancrage local collectif. L’attachement à un territoire, type pays, a changé de nature, et il faut trouver des manières nouvelles de cultiver de nouveaux ancrages territoriaux qui corroborent les attentes et les désirs des comportements actuels, les nouvelles organisations territoriales, et les enjeux de modes de développement plus économes. On est davantage aujourd’hui dans le registre de l’attachement à des lieux par le bien–être et les plaisirs qu’on peut y trouver et qui sont liés à leur qualité, à leur ambiance, ainsi qu’aux ressources qui leur sont propres. Espaces verts, espaces de loisirs, commerce de proximité, zones piétonnes, équipements urbains adaptés aux enfants, aux vielles personnes, et aux handicapés, préservation du patrimoine et des fêtes locales, marché de produits régionaux et biologiques, bref tout ce qui améliore le plaisir de vivre. Les démarches sur les paysages de reconquête, sur les sites remarquables du goût, sur les découvertes des richesses naturelles, de leurs usages, sur les richesses artistiques et historiques, sur le développement des évènements culturels et festifs, manifestent ces types d’intérêt nouveaux qui sont portés aux terroirs. Ce sont ces nouvelles singularités des territoires et de leurs lieux qu’il faut cultiver, et qui révèlent les potentiels de ressources et de richesses sur lesquels un développement durable peut s’appuyer. Tout ceci forge les nouveaux paysages des espaces de vie qu’il faut déceler, caractériser et construire selon de nouveaux paradigmes. Trois composantes nous semblent importantes à prendre en compte pour se lancer sur des travaux nouveaux en matière de paysage :
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L’émergence de nouveaux territoires intercommunaux qui concentrent des pouvoirs d’action importants.
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L’interdépendance de plus en plus évidente entre l’urbain et le rural avec l’apparition de nouveaux concepts d’aménagement.
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L’arrivée sur les territoires de modes de vie prenant davantage en compte des impératifs de développement durable.
L’émergence de nouveaux territoires intercommunaux
Commencée depuis 1992, avec la loi ATR (Administration Territoriale de la République), une nouvelle organisation territoriale s’est mise en place qui, avec la dernière loi de 2010 de réforme des collectivités territoriales, repose de plus en plus sur les nouvelles communautés de communes et d’agglomération issues des fusions de deux, voire trois communautés et plus. La réforme impose l’achèvement de la carte des communautés fin 2013. La méthodologie de fusions d’intercommunalités nécessite de bien prendre la mesure du nouveau territoire et de construire une vision commune sur la base des principaux enjeux de ce nouveau territoire. Compte tenu des difficultés et du temps nécessaire pour fusionner des antériorités intercommunales toujours différentes, il peut être très opportun de s’appuyer sur l’approche paysagère du nouveau territoire pour se donner une lecture commune de ce nouvel espace et bâtir ainsi un projet d’ensemble. Cette approche est susceptible de mobiliser le plus grand nombre d’élus et d’intégrer dans le dialogue d’autres acteurs du territoire. La relance des plans de paysage engagée par le ministère de l’Ecologie est une opportunité pour tester la pertinence de l’approche paysagère dans le processus de travail des fusions de communautés. D’autant que le caractère transversal de l’approche paysagère permet de traiter tous les domaines que recouvrent les compétences communautaires, sous l’angle notamment du développement durable. C’est bien l’idée du lien du transversal aux sectoriels qu’il faut développer en associant à la fois paysage et agriculture, paysage et habitat, paysage et urbanisme, paysage et développement économique, paysage et actions sociales, paysage et services à la population, paysage et environnement, paysage et biodiversité, paysage et transition énergétique, paysage et culture, paysage et pédagogie, etc… Cette pertinence est d’autant plus renforcée qu’il y a une montée en puissance très forte des compétences d’urbanisme par les échelons intercommunaux, avec notamment la mise en œuvre de PLU (Plans Locaux d’Urbanisme) intercommunaux, et la création de service d’urbanisme au sein des communautés de communes et d’agglomération. Le réseau Paysage et urbanisme durable de Mairie–conseils1 et le collectif des Etats généraux du paysage diffusent beaucoup d’expériences intercommunales intéressantes qui se sont appuyés sur une approche paysagère pour porter des opérations d’aménagement et d’urbanisme, ou pour réaliser des documents d’urbanisme paysager, type SCoT (Schéma de Cohérence Territoriale) et PLU paysager. C’est en mettant en avant les structures paysagères qui organisent un territoire, tels que les unités paysagères, les continuités vertes et bleues, les rythmes paysagers, les éléments structurants et identitaires des lieux, les points de vue, les formes urbaines, l’inscription des bourgs et villages dans leur site, etc. qu’on peut traiter les enjeux d’aménagement, d’urbanisme et de préservation de façon cohérente et différenciée selon les caractéristiques des lieux. Ce type d’approche devrait être fortement préconisé pour l’élaboration des futurs PLUI (Plans Locaux d’urbanisme Intercommunaux) dont vont s’emparer progressivement les communautés de communes et d’agglomération. L’introduction des plans de secteur dans le PLUI peut être un levier intéressant pour favoriser une telle approche. Les PLUI sont donc également une opportunité à saisir avec la relance des plans paysages, à l’échelle communautaire, en incitant notamment les communautés à se doter de compétence paysagère pour l’élaboration de leur document d’urbanisme et de leurs projets d’aménagement.
L’interdépendance urbain/rural
Cette interdépendance se caractérise par des modes de vie qui se déploient sur des distances très importantes associant à la fois la ville et la campagne. Les zones périurbaines se sont considérablement étendues. Des populations assez variées y cohabitent, et nombre de villes rayonnent plus largement et partagent une même « communauté de destin » avec des territoires ruraux plus éloignés : la vitalité de chacune des parties conditionne celle des autres. Ces bassins de vie sont en mutation, même dans leur couronne la plus rurale, les différences tendent à s’estomper en matière de modes de vie, de représentations, de demandes de services… Et l’émergence des métropoles et pôles métropolitains y participeront encore davantage. Il faut savoir sortir des démarches paysagères traditionnelles qui ne prennent pas suffisamment en compte les mutations à l’œuvre dans tous les domaines de la vie économique, sociale et environnementale. Le cadre de vie quotidien d’une très grande partie de la population ne cesse de se transformer sous l’influence des constructions, des infrastructures, de l’agriculture, des dynamiques naturelles et des usages, etc. qui caractérisent les espaces de transition urbain/rural. De nouveaux paysages se sont construits et sont en train de se construire qu’il faut prendre en compte, sans jugement de valeur, et sur lesquels il est urgent de se pencher pour leur donner de nouvelles cohérences et de nouvelles harmonies, afin de contrecarrer des risques de banalisation, d’hétérogénéité, et de morcellement anarchique. Car ce sont souvent des paysages maltraités par des politiques sectorielles disjointes les unes des autres, fragmentées, dispersées. Il manque trop souvent un cadre conceptuel partagé sur ces nouveaux territoires et c’est pourquoi, là encore, le paysage peut–être le meilleur outil intégrateur de cohérence territoriale. Cela commence parfois à se faire au travers de certains SCoT qui se fondent sur les entités paysagères qui caractérisent le territoire (cas du SCoT paysager de la Terre des deux caps), ou sur une infrastructure naturelle, agricole, patrimoniale et paysagère (cas du pays de Montbéliard agglomération). Et dans la réalisation des opérations d’aménagement et d’urbanisme opérationnel, l’enjeu est de faire avec le paysage des espaces « où l’on se sent bien chez soi », permettant de relier le corps social à un corps territorial. Ce sont de nouvelles dynamiques territoriales qui renvoie à des démarches sociales du vivre ensemble pour renforcer des relations sociales de proximité dans les lieux de vie. C’est créer de la solidarité territoriale
Paysage fil conducteur du développement durable
Il y a une grande similitude de travail entre les préoccupations paysagères et la recherche de modes de développement et d’aménagement durable. Lorsqu’on s’intéresse à révéler le caractère d’un territoire par une analyse à la fois historique et géographiques de ses singularités naturelles et humaines, on est naturellement conduit à rechercher dans tous les domaines d’actions des objectifs qui soient en harmonie et en respect avec les caractères des lieux. Cela amène à définir en commun, avec toutes les partie–prenantes, ce qui est à proscrire et ce qui est à encourager tant en matière d’urbanisme, de logement, de services, de loisirs, de tourisme, d’activité économiques et de modes de productions, d’agriculture, de voies de communication, de gestion d’espaces naturels, etc. Par exemple en matière d’urbanisme, il peut être évident, selon la configuration et le caractère du territoire, de vouloir proscrire des étirements de construction le long des voies, des lotissements démesurés en taille et isolés des centres bourgs, des styles architecturaux en contradiction avec une harmonie d’ensemble et préconiser un urbanisme nouveau plus regroupé et mieux intégré au tissu existant, des espaces publics soignés et conviviaux, un effort plus important sur le renouvellement du bâti existant, l’utilisation de matériaux locaux et de modes de construction moins énergivores et plus écologiques, etc. On peut ainsi définir les préconisations qui soient le plus en adéquation avec les ressources et les caractéristiques de son territoire dans tous les domaines d’activités. Ainsi une politique en faveur du paysage vise à guider et à harmoniser les transformations induites par les évolutions sociales, économiques et environnementales dans le sens du développement durable. Et réciproquement, une politique guidée par une perspective de développement durable fait évoluer les paysages dans un sens cohérent parce qu’il s’appuie sur les ressources et les potentiels propres aux territoires. L’exemple du projet de Biovallée illustre bien ce que peut être un paysage de développement durable. Il s’agit de faire de la vallée de la Drôme un projet de territoire fondé sur la préservation et la transformation des ressources naturelles, sols, eau, air, soleil en les utilisant pour satisfaire les besoins de la population : eau potable, alimentation, logement, emploi, énergie, santé, qualité de vie sociale et culturelle. Avec pour objectifs principaux de couvrir dès 2020 les consommations énergétiques des ménages par la production locale d’énergie renouvelable, d’atteindre 50% d’agriculteurs et de surface en agriculture biologique en 2015, de diviser par deux d’ici 2020 les déchets acheminés vers des centres de traitement, de développer fortement les éco–activités et de créer 1000 emplois dans les éco–filières entre 2012 et 2015, d’inscrire dès 2015 dans les documents d’urbanisme de ne plus consommer de sols agricole pour l’urbanisation, d’organiser le territoire de façon multipolaire en réseaux de bourgs, réseau d’éco–parcs d’activités, réseau numérique, réseau d’acteurs, réseau de solidarité financière, réseau de savoirs, réseau de formation au développement durable, etc. On assiste progressivement à la construction d’un projet paysager cohérent de ce territoire. On pourrait également prendre l’exemple du pays du Trièves qui, au travers de son agenda 21, forge un projet paysager qui s’appuie sur sept grandes options de développement durable, relatives à l’économie, l’habitat, les ressources, la biodiversité, les transports, les services, l’exclusion, la culture, la mobilisation des acteurs. C’est aussi l’exemple du pays du Mené qui a fondé son projet sur les énergies renouvelables avec pour objectif de ne plus être dépendant ni du pétrole, ni du nucléaire, et de gagner son indépendance énergétique, notamment dans les domaines de l’agriculture, des industries agro–alimentaires, de la production de gaz et d’électricité, et d’être pépinière d’entreprises en énergies renouvelables C’est une démarche spécifiquement territoriale qui génère un paysage miroir du projet du territoire. Ces approches de projet de développement durable territorial permettent, d’aller à l’encontre de l’usage inconsidérée des ressources fossiles et de contrecarrer les tendances lourdes à la généralisation des modes standardisés d’aménagement des territoires, à la destruction de leur diversité biologique et paysagère, et au déclin de leurs ressources productives. Enfin, en faisant du paysage une clé d’entrée pour donner de la cohérence à ces nouveaux territoires, on favorise aussi la rencontre, le dialogue et la co–construction entre beaucoup d’acteurs nécessairement impliqués sur les sujets qui font paysage. C’est une manière assez naturelle de mettre les parties concernées en situation d’exprimer leurs savoirs et en situation de projet par les propositions et les améliorations auxquelles ils peuvent participer. Le paysage peut ainsi être précurseur de nouvelles formes de gouvernance territoriale.