Le logement locatif social en Europe
2012
Depuis la crise de 2008, le logement locatif social est à nouveau considéré comme une nécessité pour accompagner la croissance en permettant aux salariés de se loger à des prix abordables, qui ne pèsent pas trop sur les salaires et sur leurs capacités de consommation. Cependant le taux d’effort (la part du budget consacré au logement) est en moyenne de 23 % en Europe, 17 % en France. C’est dans des pays qui ont un important parc social que ce taux est le plus élevé (Pays–Bas 32 % des logements, Danemark 19 %, Royaume–Uni 18 % de taux d’effort), notamment pour les personnes au–dessous du seuil de pauvreté. La conception du logement social qui prévaut encore en Europe est celle d’un logement pour un salarié régulier1. La tendance récente a été de louer à prix coûtant, tout en incluant de forts travaux de réhabilitation, pour mettre les appartements anciens au niveau de confort et d’aspect des immeubles les plus récents. La rénovation thermique des immeubles construits dans la période de forte production vient aussi peser sur les coûts et enchérir les loyers ; et la montée des prix de l’énergie en fera autant. L’aide personnalisée au logement (APL) diminue le poids du loyer sur le budget des ménages mais pas au point de le rendre supportable quand il a été revalorisé.
Une nouvelle mission sociale
L’évolution commune à tous les pays européens c’est la montée de la précarité, et la forte croissance du nombre des personnes seules et des familles monoparentales, avec des revenus faibles. La bataille pour le droit au logement, et a fortiori pour le droit au logement opposable2, consiste partout à peser sur les responsables du parc social pour l’ouvrir davantage aux populations défavorisées. Cette politique militante s’oppose aux politiques libérales des trente dernières années qui consistaient à ramener le logement sur le marché et à diminuer le recours aux aides publiques qui permettaient au logement social d’exister. Si la conception du logement social est très diverse en Europe, la recherche de mixité sociale aboutit cependant à rendre accessibles des opérations de logement social à des ménages qui n’ont pas besoin d’aide pour payer leur loyer, et inversement à aider des ménages à régler leur loyer dans des immeubles qui n’ont pas été construits comme logements sociaux. Beaucoup de citoyens européens pensent qu’on ne construit plus de logements sociaux et qu’on se borne à entretenir ou mettre à niveau le parc existant. En France, les opérations de l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) ont contribué à accréditer cette croyance : on remplace mais on ne développe pas.
Selon le deuxième Rapport biennal de la Commission européenne sur les services sociaux d’intérêt général3, « la fourniture de logements sociaux » englobe « le développement, la location ou la vente et l’entretien de logements à des prix abordables ainsi que leur attribution et leur gestion », qui peut également comprendre la gestion de propriétés immobilières et de l’environnement. De plus en plus, la gestion de logements sociaux peut comprendre des aspects sociaux. A titre d’exemple, des services sociaux sont compris dans les programmes de logement ou de relogement destinés à des groupes spécifiques, ou des services de gestion de l’endettement pour « les ménages à faibles revenus ».
L’intervention d’associations, caritatives en vocabulaire anglophone, de médiation sociale dans le vocabulaire français, joue un rôle déterminant dans la mise en place des programmes de logements pour des publics spécifiques, généralement en dessous du seuil de pauvreté. En France, les programmes dits Prêts locatifs aidé d’intégration (PLAI) leur sont dédiés. Le besoin quantitatif est évalué à 30 % des programmes de logement, si on se réfère aux revenus-plafonds pour bénéficier d’un PLAI. 10 % des salariés ont un revenu égal au SMIC (salaire minimum), mais un nombre important de personnes vit de minima sociaux, ou n’a trouvé qu’un travail irrégulier ou à temps partiel. La mise en place des PLAI est conditionnée par le projet d’intégration qui peut être porté par l’organisme HLM lui-même dans le cas des résidences sociales, mais qui sera souvent porté par des associations plus ou moins volontaires développant des projets particuliers. Dans le contexte européen, cette intervention sociale d’intégration doit favoriser le retour à l’emploi standard. Au Royaume-Uni, cette fonction est prise en charge par la branche locale de la Fédération européenne des associations nationales de soutien aux sans abris (FEANTSA) ou par les Housing associations auxquelles a été dévolue une partie du parc social. L’insuffisance de cette action dans l’ensemble des pays européens explique pour partie la crise du logement et le taux élevé d’effort des ménages en dessous du seuil de pauvreté qui ne trouvent pas à se loger dans le parc social. Pour mettre fin au déficit d’image du logement social dans la population moyenne, les réhabilitations ont rehaussé la qualification sociale, et donc le niveau de revenus des locataires ; les programmes accessibles aux personnes à faibles revenus ou nécessitant un suivi social se situent au cœur des zones urbaines sensibles, là où les problèmes de transports sont les plus importants.
Le caractère social du logement social tient aujourd’hui à la capacité à traiter les problèmes sociaux des personnes ou des ménages grâce à l’attribution d’un logement et grâce à un suivi social adapté. C’est une nouvelle fonction du logement social, par rapport à celle de loger les travailleurs pour laquelle il avait été pensé jusqu’à ces dernières années. Aux origines du logement social, les multiples fondations de l’Europe industrielle et urbaine, qui s’étaient saisies de la question du logement des pauvres, avaient accompagné leurs logements de réalisations sociales et éducatives. Mais ces réalisations exemplaires ont quasiment disparu à partir de la première guerre mondiale. Les fondations ont été relayées par les États, et le logement social a été intégré à des visées plus fonctionnelles et plus économiques. Sa nouvelle fonction sociale est pensée actuellement à la marge, face à l’urgence ; et par rapport à cette urgence, le logement social actuel est souvent pris en défaut.
Le financement du logement social
L’augmentation des coûts de la construction et du prix des terrains se ressent plus ou moins dans tous les pays d’Europe. L’investissement dans le logement social ne parvient qu’à se maintenir, et la demande augmente face à une offre qui stagne. Il n’y a plus que dans les anciens États socialistes d’Europe de l’Est que des fonds sont encore dédiés directement sur le budget de l’État. Partout ailleurs sont combinés des subventions des collectivités territoriales ou des apports fonciers de ces collectivités et des prêts publics. Par exemple, en France, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) octroie des prêts aux offices HLM sur le Fonds d’épargne constitué par la centralisation des dépôts (épargne) des citoyens sur le Livret A dans l’ensemble du pays. Cependant la France est le seul pays où ces prêts sont effectués par une institution publique à partir de l’épargne. Dans les autres pays, les prêts sont effectués par les autorités locales ou régionales.
Cette débudgétisation permet d’échapper à la surveillance des finances publiques par la Commission européenne, et de présenter un système vertueux, fondé sur la solidarité nationale. Les épargnants disposent d’une épargne liquide et bien protégée, et peuvent s’enorgueillir d’aider ainsi aux logements des pauvres. Le dispositif s’enracine dans la tradition historique du mouvement des Caisses d’épargne, qui dès le milieu du XIXe siècle participait au financement des premiers immeubles de logement social. Les prêts par la Caisse des dépôts ont été précédés cependant jusque 1966 par une prise en charge directe des prêts par le Trésor, c’est-à-dire par l’État, qui avait l’inconvénient d’être limitée par les contraintes budgétaires et réglementaires. Aux Pays-Bas, qui se sont attirés les foudres de la Commission européenne à cause d’un logement social qui accueille 32 % de la population, il n’y a ni subventions, ni prêts publics, mais des garanties des prêts par l’État. Comme l’a souligné Laurent Ghekière4, la crise financière a démontré qu’un élément clé de la durabilité de tout modèle économique de logement social est l’existence d’un système d’intermédiation, c’est-à-dire de structures destinées à faire le lien entre le marché et les investisseurs, supervisées par les pouvoirs publics et soumises à l’obligation d’assurer le financement de logements sociaux. Des exemples de ce type d’intermédiation sont l’encadrement strict et la coordination dans le recours au marché en Autriche, le circuit de l’épargne protégée représenté par le livret A en France, et le système de la triple garantie par les trois niveaux de collectivités territoriales des associations néerlandaises de logement. Une règlementation forte et un soutien implicite du gouvernement aux associations de logement au Royaume-Uni ont également servi d’indicateurs de la solidité du crédit.
Au nom de la mixité sociale sont apparues récemment dans plusieurs pays européens des obligations faites aux promoteurs par la planification urbaine de réserver sur le terrain de chaque opération 20 % à 30 % pour le développement de logements sociaux. De même en France, la loi Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU) oblige les communes urbaines à atteindre le seuil de 20 % de logements sociaux, et le mouvement social demande que ce seuil atteigne 25 %. Cette exigence revient à doter la réalisation de logements sociaux d’un apport foncier municipal ou privé. Dans le cas de l’apport privé, cela a l’inconvénient de soumettre le développement du logement social au rythme de la réalisation privée qui peut devenir nul en cas de crise, alors que précisément la crise rend la demande plus importante. L’apport municipal semble plus approprié mais il présente aussi l’inconvénient de servir de prétexte à la non réalisation de logements sociaux dans les communes déjà pourvues.
Et les habitants ?
Les organismes de logement social se défendent comme ils peuvent contre les nouvelles règles financières, contre l’augmentation des coûts de la construction et de l’énergie, contre l’appauvrissement des locataires, et mobilisent leur expérience centenaire pour ce faire. A quel prix moral, plutôt que monétaire, avec quels changements dans les relations sociales locales ou avec quelle ignorance des changements dans la société ? Les dernières interpellations d’un ensemble de 26 questions envoyées par l’association Droit au logement (DAL) aux candidats à la présidentielle française (mai 2012) semblent indiquer qu’il y a péril en la demeure. La liberté, l’autonomie, l’émancipation par le confort ne seraient plus du côté du logement social, où ne s’observeraient plus qu’obéissance, conformisme, individualisme, absence de solidarité. On serait arrivé par la technocratisation des formes de financement et d’attribution aux antipodes des valeurs posées par les fondateurs, puis relayées dans les années de croissance.
Pour le DAL, il est temps de se battre pour un nouveau logement social, pour promouvoir des initiatives collectives, coopératives, alternatives et d’encourager les habitants à concevoir, produire, gérer leur habitat, au lieu de « bénéficier » d’un logement standard. Il faut démocratiser la production de logement. Certes des membres des associations, élus par les habitants, assistent aux réunions des grands organismes. Mais les jeux sont faits. L’APL a retiré aux habitants leur principale arme de lutte, la grève des loyers, puisqu’elle est versée directement aux organismes. Tous les moyens ont été trouvés pour pacifier des relations qui ne retrouvent leur virulence qu’en cas de démolition ou de réhabilitation, mais trop tard pour peser sur les choix. Les initiatives des habitants pour le mieux vivre de leurs quartiers ont été rattrapées par des associations mandatées, formées peut-être par des habitants mais professionnalisées. La participation est prônée mais enfermée dans des modèles préétablis, standardisés, comme le modèle aseptisé des conférences de consensus. Le camping et l’habitat mobile retrouvent de l’attrait et réclament de bénéficier aussi d’une certaine stabilité.
On en vient à considérer comme habitat social tout habitat posant des problèmes particuliers, lié à un public spécifique.
Le logement social ne consisterait pas à faire accéder tout un chacun à un appartement dans une cité, au prix d’un accompagnement social d’autant plus violent que les différences culturelles sont plus grandes. Le logement social ne serait plus un objet de consommation collective, mais une entreprise collective de déploiement et de satisfaction de ses besoins de logement. Ce logement social, bien sûr appuyé sur des capacités collectives de financement, d’information, de soutien, permettrait à chacun de trouver ou de construire la forme de logement dont il a besoin. Il ne s’agit pas seulement d’une rêverie, mais d’une nécessité d’action collective pour des publics comme les tziganes, repoussés de partout en Europe et particulièrement peu désireux de vivre dans notre logement normé. Il s’agirait aussi d’élaborer des solutions adaptées et négociées avec tous ceux que la pénurie actuelle ou l’inadaptation des solutions standards conduisent à auto-construire dans les départements d’outre-mer et en métropole.
1 Salarié titulaire d’un contrat de travail stable.
2 Le droit au logement opposable (DALO) génère la possibilité, pour toute personne sans domicile et résidant de façon régulière sur le territoire français, d’entamer un recours contre les pouvoirs publics dans le cas où les démarches entreprises en vue de l’obtention d’un logement social connaîtraient une stagnation anormale.
3 Commission européenne (2010), Deuxième rapport biennal sur les services sociaux d’intérêt général, Document de travail du personnel de la Commission, Bruxelles, 22.10.2010 SEC(2010) 1284 final. Cf CECODHAS, Le logement social en Europe, 2011.
4 Ghekière,L. Institutional Mechanisms and Social Housing Finance: a European Comparative Perspective, in Financing Social Housing after the Economic Crisis, Proceedings of the CECODHAS Seminar Brussels, 10 September 2009. Laurent Ghekière est le représentant auprès de l’Union européenne de l’Union sociale pour l’habitat.
Références
Pour consulter le PDF du numéro 7 de la collection Passerelle