L’habitat tiers : entre mal logement et parc social de fait

2007

Association Internationale de Techniciens, Experts et Chercheurs (AITEC)

Cette fiche définit l’habitat tiers, logement social de fait aux formes hétérogènes mais avec la particularité d’être souvent le grand oublié des débats sur le logement.

L’habitat tiers1 est un habitat populaire, hors logement social public, qui reste souvent un point aveugle des situations du logement, des situations urbaines et des politiques publiques. Souvent insalubre ou vétuste, il joue un rôle important sur le plan urbain et comme parc social “de fait”. L’habitat tiers abrite une population de propriétaires-occupants et de locataires qui semblent disposer de revenus comparables à ceux de la population de l’habitat social. Cependant ces habitants ont, bien plus souvent que dans le logement social, des modes d’insertion économique précaires et parfois informels. Le plus souvent l’habitat tiers est un logement ancien et mal entretenu situé en centre ville. Il peut cependant prendre des formes très variées : foyer, pavillon individuel occupé par une personne qui n’a pas les moyens de l’entretenir, copropriété dégradée, logement HLM “abandonné” par son bailleur…

Cet habitat possède une fonction sociale au-delà de son insalubrité, il joue en effet un rôle de parc social de fait par deux formes contradictoires :

L’habitat tiers révèle alors deux réalités contradictoires : l’état de l’insalubrité et du mal logement d’une part, le rôle social et urbain constamment joué par le logement populaire privé de l’autre.

L’insalubrité

L’habitat tiers est un habitat dégradé et vétuste dans lequel vivent encore de nombreuses personnes en France. En effet, malgré les politiques d’amélioration mises en œuvre depuis des décennies, un million de personnes vivent dans un habitat indigne. Cet habitat regroupe les situations d’insalubrité, d’habitat précaire, de saturnisme, d’hôtels meublés dégradés, etc.

Les situations d’habitat indigne et de logements dépourvus d’équipement de base ont eu tendance à diminuer depuis 10 ans. Cependant, dans le même temps, les situations de surpeuplement, d’hébergement ou d’habitat “atypique” (en camping à l’année par exemple) augmentent ou stagnent. Selon la Fondation Abbé Pierre, en 2007, en France, plus de 2 millions de personnes vivent dans des conditions de logement très difficiles (absence d’éléments de confort de base, surpeuplement accentué) pour un total d’environ 3 millions de personnes mal logées ou sans logement.

On observe par ailleurs depuis quelques années une réapparition des bidonvilles en périphérie des grandes villes, sur des terrains en friche et des zones dangereuses (sous les ponts du périphérique par exemple). Il existe selon l’association ATD Quart-monde 24 bidonvilles en Ile-de-France qui accueilleraient chacun entre 100 et 200 personnes, la plupart originaires d’Europe de l’Est. Les conditions de vie y sont extrêmement précaires et les habitants y risquent l’expulsion à tout moment. Les actions publiques pour éradiquer ces bidonvilles se limitent trop souvent à des relogements provisoires en hôtel qui ne font alors que déplacer les problèmes.

Restent ainsi dans ces habitats les plus dangereux les personnes les plus fragiles vivant dans une très grande pauvreté, SDF, sans-papiers, gens du voyage… Or l’expérience montre que l’éradication de ces logements dangereux ne peut se faire efficacement que par une coordination entre les différentes institutions travaillant sur ce domaine et en lien avec les personnes qui y vivent. Ainsi la lutte contre l’habitat insalubre permet souvent de mettre en place de groupes d’action et de suivi pluridisciplinaires issus de différents organismes. C’est le cas par exemple du dispositif pilote mis en place par le Pact de Lille.

Un comité de pilotage contre l’insalubrité et les marchands de sommeil

Le comité a été mis en place dans le quartier de Fives à Lille sous la responsabilité du PACT. En raison d’une pénurie d’offre de logement social, des carences de l’encadrement législatif et du contexte économique difficile, un véritable marché locatif du sous-logement s’est développé. Ce marché du taudis est diffus sur le quartier et laisse place à toutes les formes d’exploitation humaine car il s’adresse à des populations “captives”. C’est souvent une population aux ressources modestes (bénéficiaires du RMI, Allocation adulte handicapé, emploi précaire…), démunie et qui subit des pressions diverses de propriétaires peu scrupuleux. Ces bailleurs, peu délicats, sont parfois bien connus, ils sont organisés, connaissent la législation et sont financièrement sécurisés par le dispositif du tiers payant des aides au logement. Le parc social privé constitue une réponse en termes d’accès au logement des familles défavorisées. Il faut cependant agir auprès des propriétaires de ces logements pour les rendre salubres et permettre à la population qui y réside des conditions de vie décentes et dignes. La démarche s’organise essentiellement sur des actions de conseil, d’incitation et de coercition.

L’originalité de l’action repose sur la mise en œuvre d’une instance stratégique d’échange et de coopération (comité de pilotage) réunissant des acteurs avec des champs de compétences divers, et permettant d’agir en cohérence sur le traitement des situations qui semblaient auparavant inabordables.

Pour en savoir plus : des explicatiopn de l’AITEC

Rôle de l’habitat tiers et droit au logement

La majeure partie de l’habitat tiers se situe dans la ville existante (quartiers intra-muros, noyaux urbains des faubourgs…). Il contribue alors fondamentalement à la mixité de ces quartiers en permettant l’accès à un logement à des personnes qui autrement n’en trouveraient pas. Il a également une fonction d’intégration sociale et urbaine dans les zones délaissées par l’habitat résidentiel. En outre, l’habitat tiers n’a pas été construit illégalement ou clandestinement, sans respect des règles d’urbanisme et de construction. S’il est devenu aujourd’hui vétuste et inconfortable abritant une population pauvre et instable qui ne trouverait pas place ailleurs, c’est parce que sa gestion a été assurée dans ce sens : il a toujours accueilli des gens pauvres, il a été administré, entretenu et conservé au moindre coût, il n’a bénéficié d’aucune amélioration ni d’aucun perfectionnement…

Les principes de gestion de l’habitat résidentiel (habitat privé traditionnel) et de l’habitat public social (patrimonialité, socialité/domanialité, commercialité) s’opposent à ceux qu’applique l’habitat tiers : principe de gestion viagère et de gestion ultra-marchande. Ces derniers se caractérisent par la recherche d’un rendement maximum au risque d’une dépréciation rapide du capital investi. Cette recherche du rendement donne lieu à une administration immobilière non raisonnée, intuitive, subjective, informelle, qui s’adapte aux segments les plus populaires du marché du logement et inscrit l’immeuble dans une dynamique de « taudification » ou, au moins, de dégradation.

Cette caractérisation de l’habitat tiers autorise à penser qu’il ne suffit pas de produire en masse du logement social pour saturer les besoins en logement populaire. Il faut accepter que le droit au logement n’est pas la nouvelle expression d’un nouveau défi lancé aux seuls producteurs de logements sociaux, d’un nouvel impératif catégorique les obligeant à produire encore plus, encore mieux. Il faut accepter que ce nouveau droit au logement donne à chacun le droit d’accéder au logement qui lui convient et fait obligation à l’autorité politique d’organiser et de faciliter ces accès puis d’en contrôler l’effectivité. N’importe qui peut puiser dans les offres diverses d’habitat dès lors qu’elles sont licites c’est à dire qu’elles ne portent pas sur des logements insalubres ou dangereux.

Il appartient alors à l’autorité publique :

Cette politique du logement implique une politique et des gestions urbaines “tolérantes”, acceptant que la ville soit “plurale”, parfois moins belle et que les opérations d’aménagement (embellissement, réhabilitation, sauvegarde et mise en valeur, équipements…) n’aient pas pour seul but la valorisation urbaine et patrimoniale, dont le principal effet a été jusqu’ici la destruction du logement tiers au seul détriment des populations y résidant. La crise du logement crée une situation très perverse ou la résorption de l’habitat insalubre pénalise les plus faibles. D’une part une politique de résorption sans politique de relogement produit autant d’externalités négatives que positives et, de l’autre, un relogement forcé dans des quartiers sociaux déjà paupérisés renforce les dynamiques de ghettoïsation et d’exclusion.

1 “L’habitat tiers” est une notion élaborée par Gustave MASSIAH et Jean-François TRIBILLON dans Habitat-tiers, Recherche exploratoire sur l’habitat populaire, PUCA, 2000

Références

Fondation Abbé Pierre, Rapport sur l’état du mal logement, Paris, 2007

MASSIAH G., TRIBILLON J.-F., Habitat-tiers, Recherche exploratoire sur l’habitat populaire, PUCA, 2000