Devenir propriétaire de son logement en France
Une fausse bonne idée ?
Lucie COUET, 2008
C’était une promesse de campagne du président français élu en 2007 : développer l’accession à la propriété. Cette volonté, dont l’un des objectifs est de poursuivre le désengagement de l’Etat dans la politique du logement, peut être considérée comme paradoxale. En effet, dès 2007, les premiers effets de la crise américaine des subprimes1 se sont fait sentir dans l’économie nationale, questionnant directement la pertinence du crédit immobilier « pour tous », y compris et surtout pour les plus défavorisés. Cette crise s’est prolongée jusqu’en 2008 et l’ampleur de ses répercussions est encore inconnue. Elle a réveillé les interrogations des acteurs du logement, du monde institutionnel à la société civile, concernant l’accession à la propriété privée. Les inquiétudes portent essentiellement sur les difficultés que les nouveaux propriétaires peuvent rencontrer au moment du remboursement de leur emprunt, mais aussi sur les risques de dégradation des copropriétés ou sur les conséquences sociales, économiques et urbanistiques de l’étalement urbain. Face à ces questionnements, les réponses des pouvoirs publics sont encore bien souvent balbutiantes. Etre propriétaire présente des risques et généraliser la propriété a de multiples conséquences pour la collectivité.
Accession à la propriété… et au crédit
Tout d’abord, il faut tordre le cou à un abus de langage. Ceux qu’on appelle « propriétaires » ne le sont généralement pas : ils le deviennent. Avant d’être propriétaires, ils sont accédants à la propriété puisque la plupart des ménages sont contraints d’emprunter pour acheter un logement. Les « propriétaires » sont donc d’abord des emprunteurs. Or, obtenir un crédit auprès d’une banque suppose de lui fournir des garanties suffisantes du remboursement à venir des mensualités. Les exigences des banques doivent surtout permettre d’éviter à des ménages fragiles financièrement d’emprunter sans en avoir la capacité. Par conséquent, les emprunteurs « atypiques » (les personnes ayant des revenus irréguliers ou les personnes âgées par exemple) et les ménages aux revenus les plus faibles sont souvent exclus du crédit pour le logement.
Selon les dernières études de l’Agence nationale d’information pour le logement, les emprunteurs français demeurent relativement protégés : les prêts à taux variables sont le plus souvent plafonnés (le taux ne peut pas dépasser un pourcentage fixé dans le contrat). De plus, les banques sont liées à leurs emprunteurs et n’ont donc aucun intérêt à ce que ceux-ci aient des difficultés à rembourser leurs prêts. Malgré ces barrières de protection, les emprunteurs peuvent souffrir d’une information insuffisante sur leur crédit et s’engager dans une voie périlleuse. La variabilité du taux, même limitée, la durée de remboursement, un achat trop ambitieux ou une baisse de la valeur du logement sont des facteurs de risque qui ne sont pas toujours suffisamment expliqués au moment de la signature de l’emprunt. Le danger de surendettement peut ainsi surgir si les prix de l’immobilier baissent en raison d’un éclatement de la bulle immobilière. Depuis la fin des années 1990, les prix de l’immobilier ont énormément augmenté. Cette augmentation ne peut être continue et une stagnation des prix, ou leur baisse, est très probable, en particulier dans le contexte de crise financière généralisée. Si le prix du logement a été surévalué et que les prix chutent, le prix à la revente en cas de déménagement, séparation ou autre « accident de la vie » peut donc être inférieur au prix d’achat. L’emprunteur doit alors absorber la variation du prix. A moins d’une crise très importante, cette potentialité ne concerne en réalité qu’une très faible proportion des accédants. Néanmoins, l’allongement de la durée des crédits immobiliers, afin d’en réduire le coût mensuel, peut laisser craindre que les risques encourus par les emprunteurs soient plus importants que ce qu’envisagent les prospectives actuelles. En effet, la durée du crédit nécessite d’intégrer au coût global du logement d’autres données. Or l’information fournie par un établissement de crédit ne prend pas toujours en compte ces coûts induits comme l’entretien de la copropriété, les gros travaux, ou même l’achat d’une voiture en raison de la distance entre le domicile et le travail.
Le risque de dégradation des copropriétés
Les accédants à la propriété sont rapidement confrontés aux charges nouvelles liées à leur statut de propriétaire : un logement neuf vieillit et un logement ancien peut nécessiter de gros travaux. Si le logement est dans un immeuble en copropriété, le syndicat des copropriétaires peut décider de réaliser des travaux en partie commune : ravalement de façade, réfection de la toiture, rénovation de l’électricité… Or, un accédant récent, qui a investi l’essentiel de son épargne dans l’achat de son logement, risque de ne pas être en mesure de payer des travaux importants. Dans les cas extrêmes, il peut se trouver contraint de vendre son logement ou à se surendetter. Reporter les travaux peut mener, à terme, à la dégradation de la copropriété. Les difficultés et les coûts pour sortir de cette situation se trouvent alors démultipliés. Les collectivités locales et l’Etat ont créé des outils pour intervenir dans l’accompagnement juridique, social et financier de ces copropriétés en difficulté. Cependant à ce jour, ces dispositifs sont complexes, onéreux et parfois impuissants à soulager un copropriétaire impécunieux. Les grandes copropriétés très endettées de la banlieue parisienne ou les immeubles insalubres des centres-villes anciens, à Marseille, Paris ou ailleurs, sont accompagnées par les pouvoirs publics pour améliorer la situation de leurs occupants et propriétaires. Néanmoins les coûts induits par les travaux indispensables conduisent souvent à terme à des modifications sociales importantes parmi les habitants.
Etalement urbain et coût des transports
De la même manière qu’un immeuble peut engendrer des coûts d’entretien que l’emprunteur n’imaginait pas, acheter dans le pavillonnaire n’est pas une garantie contre les dépenses imprévues. La montée des prix du logement des années 2000 s’est accompagnée d’une crise du foncier disponible. Les terrains étant à des prix inaccessibles dans les proches banlieues des grandes villes, en raison d’une demande très importante pour la construction de maisons individuelles, les ménages achetant leur premier logement se sont trouvés contraints de se tourner vers la grande périphérie, voire vers la campagne. Or, habiter à 50 km de son lieu de travail coûte cher. Au budget mensuel qui reste au ménage, une fois remboursé le prêt, il faut à nouveau soustraire les coûts de transport, qui ne sont pas négligeables vu la montée des prix de l’essence. Par ailleurs, les services sociaux, médicaux, les établissements scolaires, les équipements sportifs, les commerces sont d’autant plus nombreux que la ville est dense. Et plus on s’éloigne du centre, plus on s’éloigne de ces services. Or, les collectivités en périphérie des grandes villes n’ont pas les moyens d’implanter les mêmes facilités sur leur territoire. En effet, il s’agit le plus souvent de zones résidentielles dans lesquelles la taxe professionnelle est faible. Ces communes « pauvres » n’ont pas toujours les moyens financiers de répondre à la demande de leurs nouveaux habitants. Plus encore que dans la situation des copropriétés dégradées, collectivités locales et Etat sont très peu armés pour venir en aide à ces accédants à la propriété « dispersés » s’ils rencontrent des difficultés après l’achat.
Des aides à l’accession hétéroclites qui ne garantissent pas l’égalité des conditions d’accès au logement
Malgré tous ces inconvénients, Etat et collectivités locales interviennent pour faciliter l’accès à la propriété des ménages locataires. Depuis l’après guerre, l’Etat a fortement investi dans le soutien à l’acquisition de logements. Cette politique se décentralise depuis peu, l’Etat se désengageant ainsi de la création de logements, tandis que les collectivités locales regroupées en intercommunalité y voient un outil de gestion de leur territoire. Elles peuvent favoriser la mixité sociale dans les villes, mais aussi la mixité des fonctions et chercher à équilibrer lieux d’emplois et lieux de résidence. Elles ont développé des aides pour compléter les dispositifs nationaux (prêt à taux zéro et Pass-foncier principalement). Néanmoins, leur manque d’expérience dans ce domaine et la variété des territoires et des ménages, comme des stratégies politiques, ont conduit, à ce jour, à l’existence d’un panel d’aides hétéroclite et peu lisible. Par conséquent, selon qu’elle choisit d’habiter le périmètre de l’intercommunalité d’une grande ville ou en dehors car le foncier y est moins coûteux, la personne qui souhaite accéder à la propriété de son logement ne bénéficie pas des mêmes avantages économiques. Les aides de l’Etat, comme le prêt à taux zéro, ne corrigent pas les inégalités financières : les ménages les moins aisés ne profitent pas de ces aides dans les zones les plus chères car elles sont insuffisantes. Les intérêts parfois divergents des collectivités locales entre elles et la faiblesse du contrôle de l’Etat sur ces aides décentralisées ne ralentissent pas le mouvement d’exclusion territoriale. Il s’agit d’un échec de l’objectif de mixité sociale tant prôné dans les banlieues en difficulté. La décentralisation telle qu’elle est menée actuellement sur les aides directes à l’acquisition d’un logement est un facteur d’inégalité des citoyens. Si ce problème a été analysé par les collectivités locales et par l’Etat, il n’a pas été, à ce jour, trouvé de réponse pour faire évoluer concrètement la situation sur le terrain.
Accéder à la propriété pour un ménage moyen n’est donc pas, le plus souvent, un moyen de choisir son lieu de vie : il s’agit plutôt du résultat d’une obligation de se conformer à la répartition sociale sur le territoire, puisque les pouvoirs publics ne se donnent pas les moyens d’organiser la mixité sociale.
Difficultés de remboursement, confrontation à la gestion d’un bien, situation géographique inadaptée : l’accédant à la propriété n’est pas à l’abri de situations périlleuses qui ont un impact important sur son accès à l’emploi, aux écoles et aux services sociaux. Devenir propriétaire demeure, lorsque le marché immobilier est tendu, une solution que les ménages privilégient car ils anticipent la montée des loyers. Néanmoins, la rente que procure un logement en pleine propriété n’est pas acquise, loin s’en faut et l’image d’un propriétaire mis à l’abri des aléas de la vie par l’acquisition d’un bien immobilier est désormais surannée, à plus forte raison avec l’allongement de la durée des prêts. Le souhait du gouvernement d’augmenter le nombre de propriétaires en France n’est donc pas une aubaine pour les ménages. Si cette solution est la seule disponible pour se loger en l’absence de logements sociaux ou de locations accessibles et puisqu’elle suppose un endettement important pour les ménages, son utilisation abusive risque à terme de mettre en péril l’économie nationale.
1 Cette crise est la conséquence de la multiplication de prêts immobiliers à taux variables à des ménages fragiles aux Etats-Unis. Suite à la baisse du marché immobilier, à la montée des taux d’intérêt et en raison de leurs faibles capacités financières, ces ménages n’ont pu rembourser leurs prêts. Leurs banques de prêt n’ont pu faire face, faute de garanties suffisantes. Elles avaient revendu ces titres (dettes des emprunteurs) à d’autres banques avec d’autres titres plus « solides ». Les banques acheteuses ne se sont pas tenues informées du contenu des portefeuilles qu’elles acquéraient (titres subprimes et titres solides). Les banques internationales ont donc connu une première crise début 2007, une crise plus importante en juillet 2007 et enfin un véritable « jeudi noir » en octobre 2008 mettant dangereusement en péril l’économie mondiale.
Références
Cette fiche a été initialement publiée dans le n°1 de la Collection Passerelle. Vous pouvez retrouver le PDF du numéro Europe : pas sans toit ! Le logement en question
En savoir plus
Agence nationale pour l’information sur le logement
Bernard Vorms, « Développement de l’accession sociale, élargissement de l’accès au crédit et maîtrise des risques », octobre 2007
Bernard Vorms et Claude Taffin, « Elargir l’accès au crédit en France sans l’ouvrir au subprime », 2008
Voir les articles sur la décentralisation des politiques du logement et les politiques territoriales
Bruno Lefebvre, Michel Mouillart, Sylvie Occhipinti et Roger Quillot, Politique du logement, cinquante ans pour un échec, l’Harmattan, Paris, 1991.
Henri Raymond, Nicole Haumont, Marie-Geneviève Dezes, Antoine Haumont, L’habitat pavillonnaire, L’Harmattan, 2001 (1ère éd. 1966)