Les opérateurs du logement social
Cécile CANPOLAT, 2007
Association Internationale de Techniciens, Experts et Chercheurs (AITEC)
Cette fiche, rédigée à l’époque de la loi DALO, présente l’histoire des opérateurs du logement social, en France et expose les enjeux dont ils ont eu à se saisir et les limites auxquelles ils ont été confrontés, dans le cadre de la crise du logement.
Les opérateurs du logement social – aussi appelés organismes HLM (habitation à loyer modéré) – sont depuis près d’un siècle les piliers de la politique de logement en France. Fruit de l’initiative du patronat social et de la volonté des collectivités locales, le paysage actuel garde la trace de cette double origine. Cependant, au-delà des logiques propres à chaque “famille” d’opérateurs du logement social, ces derniers se caractérisent par leurs métiers communs : produire des logements locatifs pour des populations à revenus modestes (construction neuve ou acquisition-réhabilitation), les gérer et éventuellement accompagner l’accession sociale à la propriété ; ainsi que par les règles qui leur sont applicables (activité à but non lucratif). Marqué jusqu’à présent par une grande stabilité, le paysage des opérateurs du logement social en France connaît cependant aujourd’hui des évolutions notables qui devraient aller croissantes : impact de la décentralisation, financiarisation…
Quelques repères historiques
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Initialement, les sociétés d’habitation à bon marché (HBM) sont issues de l’initiative privée, particulièrement des milieux patronaux soucieux des conditions de vie de leur main d’œuvre. C’est la loi Siegfried de 1894 qui encourage la création d’HBM pour les salariés.
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Toujours dans le souci de répondre aux besoins en logement des ouvriers, la loi Ribot de 1908 crée les sociétés de Crédit immobilier pour favoriser l’accession à la propriété d’une partie d’entre eux.
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La création des offices publics est rendue possible quant à elle par la loi Bonnevay de 1912 qui permet aux communes et aux départements d’initier une politique de logement pour l’ensemble des ménages et plus seulement en direction des ouvriers.
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Les opérateurs du logement social ainsi créés s’appuient pour produire du logement sur les fonds (prêts et subventions) de l’Etat. La loi Loucheur de 1928 marque le premier engagement financier de l’Etat dans le logement social. Mais il faudra attendre les années 1950 et l’échec des tentatives de relance du secteur de l’habitat par le marché dans l’immédiat après-guerre, pour que l’effort financier de l’Etat dans les aides à la pierre permette véritablement aux opérateurs de produire massivement. Il s’agit alors de permettre au plus grand nombre d’accéder à un logement locatif social.
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Cet objectif est réaffirmé par la loi de 1977 qui institue les aides personnelles au logement, dans une perspective bien différente cependant, puisqu’il ne s’agit plus d’apporter une aide à la construction du logement en lui-même mais au ménage qui l’occupe s’il a des revenus modestes.
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A partir des années 1980, les opérateurs du logement social entrent davantage dans une logique de gestion du parc existant que de production neuve.
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Parallèlement à l’objectif de loger le plus grand nombre, il leur est demandé de loger en priorité les ménages les plus défavorisés. A partir des années 1990 (loi du 31 mai 1990 relative au droit au logement, loi de 1998 relative à la lutte contre les exclusions), l’Etat a en effet été amené à redéfinir son action en direction des ménages exclus du fait de la crise du logement. Plus récemment, la loi de 2007 instituant un droit opposable au logement marque une nouvelle étape qui aura sans doute un impact sur les pratiques des bailleurs sociaux dans la réponse aux demandes de logement social.
Les opérateurs du logement social aujourd’hui
La France compte aujourd’hui 4,1 millions de logements locatifs et de logements-foyers gérés par les organismes HLM. Ils représentent au total 16 % des résidences principales du pays et logent 10 millions de personnes.
Au total, il existe plus de 820 organismes HLM qui emploient 73 000 salariés.
On distingue deux grandes catégories d’organismes HLM :
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d’une part, des établissements publics locaux (au nombre de 280 environ), à savoir les offices publics HLM (OPHLM) et les offices publics d’aménagement et de construction (OPAC) ;
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et d’autre part, les entreprises sociales pour l’habitat (ESH - au nombre de 290 environ), qui sont des sociétés commerciales (sociétés anonymes) mais soumises, en très grande partie, aux mêmes règles que les offices HLM.
Il faut ajouter à ces organismes une soixantaine de sociétés anonymes de crédit immobilier (SACI) et 160 sociétés coopératives d’HLM.
Cependant, la notion d’opérateur du logement social ne peut se réduire à ces 5 catégories d’acteurs (OPHLM, OPAC, ESH, SACI, coopératives HLM) qu’il est convenu d’appeler « les organismes HLM ». Si l’on considère non pas les statuts mais les métiers mis en œuvre, c’est-à-dire la production et la gestion de logements destinés à des ménages ayant des difficultés économiques et/ou sociales, il faut y inclure les sociétés d’économie mixte (SEM) ainsi que les associations agréées. A cet égard, il faut souligner le rôle déterminant des associations dont le parc de logements est marginal quantitativement mais qui accueillent les populations les plus fragiles que le parc social classique n’a pas été en mesure de loger.
Ordonnance du 1er février 2007 relative aux offices publics de l’habitat
De façon très schématique, on a coutume de distinguer des logiques propres à chaque famille d’organismes HLM : les OPHLM sont marqués par une logique politique, les orientations stratégiques étant définies par les élus locaux ; les ESH sont marquées par une logique gestionnaire, en lien avec leur ancrage dans le monde de l’entreprise privée ; et les OPAC sont un peu hybrides entre ces deux logiques.
Dans la pratique, on constate de plus en plus un rapprochement entre les différentes logiques ; et il est fréquent qu’un OPHLM se transforme en OPAC.
Suite à la loi du 13 juillet 2006 “portant engagement national pour le logement”, l’ordonnance du 1er février 2007 prévoit la transformation de plein droit des OPHLM et des OPAC en office public de l’habitat (OPH). Ce nouveau cadre institutionnel, en grande partie inspiré du statut des OPAC, permet notamment aux offices de s’adapter au contexte nouveau créé par le renforcement de compétences des collectivités territoriales dans le domaine de l’habitat.
Enjeux actuels
Les enjeux actuels auxquels sont confrontés les opérateurs du logement social sont principalement de deux ordres :
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d’une part, ce qui concerne la satisfaction de la demande en logement social et ses évolutions, au plan quantitatif et qualitatif (à savoir leurs objectifs) ;
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d’autre part, ce qui relève des évolutions du paysage institutionnel et des règles auxquelles ils sont soumis (modalités de mise en œuvre).
Répondre à la demande en logement social et à ses évolutions
A l’heure actuelle, le rythme de production des logements sociaux en France ne permet pas d’absorber une demande croissante. Le déficit est évalué à 800 000 logements sociaux environ. Le premier enjeu est donc bien celui d’une relance massive de la production de logements qui soient effectivement abordables pour les ménages les plus modestes.
En outre, les organismes HLM sont depuis plusieurs années engagés dans le renouvellement urbain qui conjugue construction, démolition et poursuite de l’amélioration du parc. Au-delà des interventions sur les immeubles, il intègre la redéfinition des espaces, des voiries, des transports, des équipements ainsi que l’implantation ou le développement d’activités économiques ou culturelles. Dans ce cadre, les opérateurs sont parfois contraints d’arbitrer entre production nouvelle (offre supplémentaire) et renouvellement du stock (amélioration qualitative de l’offre).
Cette évolution du parc pour répondre à la demande doit notamment intégrer l’adaptation des logements au vieillissement de la population ainsi que les impératifs de développement durable, en particulier sous l’angle de la maîtrise de l’énergie / maîtrise des charges. Les opérateurs sont par ailleurs confrontés à la difficulté d’assurer le logement des plus démunis tout en respectant les équilibres de peuplement (exigence de mixité sociale).
De plus, ils doivent poursuivre leurs efforts pour assurer la meilleure qualité de service rendu aux locataires ; cela passe notamment par la mobilisation et la formation de personnels de proximité (gardiens, médiateurs, agents d’accueil, conseillères sociales) mais aussi le partenariat avec les acteurs locaux dans une logique de gestion urbaine de proximité (régie de quartier, club de prévention, etc.).
Ajoutons que, vu l’ampleur de la demande en logement social au plan quantitatif, il ne suffira pas de jouer sur le stock pour obtenir des effets à court et moyen terme, il faudra aussi intervenir sur les flux. A l’heure actuelle, le taux de rotation dans le parc social situé autour de 10 % ne permet pas d’accueillir massivement de nouveaux ménages. L’accession sociale à la propriété apparaît comme l’une des formes privilégiées pour (re)créer de la mobilité résidentielle.
S’adapter aux évolutions du contexte institutionnel et juridique
Le premier élément à prendre en compte est que l’environnement des opérateurs du logement social évolue. Ainsi, la décentralisation confère aux collectivités territoriales un rôle accru dans les politiques du logement.
On assiste également à l’arrivée de nouveaux opérateurs privés tels que l’Association Foncière Logement (AFL) gérée par les partenaires sociaux.
Plus globalement, le secteur du logement social est marqué par une logique de financiarisation. Les organismes HLM obéissent de plus en plus à des logiques financières de gestion. Le rôle du « 1 % Logement » en tant que financeur et actionnaire de référence de nombreuses ESH se renforce : la loi « Borloo » de 2003 donne désormais le pouvoir aux actionnaires. Une forme de privatisation rampante des outils de financement (livret A) est en marche.
Jusqu’à présent, la France a persisté dans le choix d’opérateurs du logement social spécialisés et protégés de la concurrence. A cet égard, le paysage français des opérateurs reste en marge des transformations constatées en Europe. Cependant, l’impact du droit communautaire sur le logement social est appelé à s’accroître, en particulier sous l’aspect de la mise en concurrence. Le mouvement de banalisation des organismes HLM, entamé par la réforme des aides à la pierre à la fin des années 1970 mais resté marginal, devrait ainsi s’accélérer.
Références
Guerrand Roger-Henri et Quillot Roger ; Cent ans d’habitat social : une utopie réaliste, Albin Michel, 176p., 1989
Ecole Nationale de l’Administration, Séminaire relatif au logement, groupe 6 : les opérateurs du logement social, 2006
Union Sociale pour l’Habitat, Logement social : quel encadrement après l’exclusion de la directive services ?, Rapport 2005-2006. [www.union-hlm.org->www.union-hlm.org]
En savoir plus
La loi Siegfried de 1894
La loi Ribot de 1908
La loi Bonnevayx de 1912
La loi Loucheur de 1928
La loi Besson de 1990
La loi de lutte contre les exclusions de 1998
La loi DALO de 2007
La loi Borloo de 2003