Décentralisation et territorialisation des politiques du logement
Samuel JABLON, 2007
Association Internationale de Techniciens, Experts et Chercheurs (AITEC)
Cette fiche aborde les différentes échelles en charge des politiques du logement et pose la question de leur légitimité démocratique. A quand une réelle participation citoyenne pour un sujet aussi crucial ?
Les politiques du logement sont complexes et diversifiées : de l’établissement d’une législation et d’une réglementation (normes de construction, modalités d’organisation des opérateurs, plans territoriaux d’aménagement) à une action directe ou incitatrice (construction, subventions, incitations fiscales, etc.). Dans tous les cas pour mener à bien ces politiques, quatre éléments au moins sont nécessaires :
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des moyens financiers,
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des savoirs techniques,
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des compétences et une responsabilité juridique
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enfin, une légitimité démocratique.
L’État a été pendant longtemps le seul à même de réunir ces quatre éléments et malgré l’enclenchement d’un processus de décentralisation depuis plus de vingt ans, il détient aujourd’hui encore les leviers d’action sur la politique du logement.
La question de la répartition des compétences et des responsabilités dans le domaine du logement est d’une grande complexité. D’un point de vue pratique, tout d’abord, car, en France, 20 ans d’accumulation législative et d’allers-retours entre l’État et les collectivités ont créé un système illisible, complexe et technocratique où les frontières des compétences de chacun sont floues et les responsabilités diluées. D’un point de vue théorique ensuite car de “grands principes” s’affrontent derrière la question de la place de l’État. L’État de son point de vue est le garant de l’égalité territoriale, la solidarité nationale et la redistribution. Les collectivités locales revendiquent, elles, la légitimité démocratique, l’efficacité et la bonne gestion issues de la proximité et de la connaissance du terrain. Cette complexité place alors l’évolution de la conduite des politiques du logement dans une situation très paradoxale, entre des forces politiques et économiques qui poussent au retrait de l’État tandis que d’autres, s’appuyant sur la tradition centralisatrice française, poussent l’État à se réinvestir et à garder un contrôle serré de la mise en œuvre locale des politiques du logement.
Un désengagement de l’État sans décentralisation… des transferts de compétences sans moyens
Malgré l’adoption de diverses lois et mesures de décentralisation depuis 25 ans, la conduite des politiques du logement est restée en France une responsabilité de l’État. Contrairement aux politiques d’urbanisme (maîtrise du droit des sols transférée aux communes pour mobiliser l’offre foncière), les politiques du logement n’ont pas été décentralisées. En effet, plusieurs arguments ont justifié, en 1982, le maintien d’un système centralisé : le rôle-clef du secteur du bâtiment dans l’économie nationale, la politique massive de construction de logement social et l’équilibre du système de financement du logement social qui ne pouvaient être que nationaux.
Aujourd’hui encore, malgré un contexte national et européen en pleine transformation, la France demeure l’un des pays les plus centralisés en ce qui concerne la conduite des politiques du logement.
Après la Seconde Guerre mondiale, l’État était le seul à posséder les moyens financiers nécessaires à la reconstruction. De même, jusqu’à la fin des années 1970, il possédait seul les compétences et la légitimité pour intervenir dans la politique du logement et fixer des priorités d’action. Cependant, parallèlement à un pilotage centralisé, l’État a promu une “ territorialisation ” croissante de l’intervention publique, visant à mieux coordonner les instruments de la politique du logement. Cette territorialisation a reposé à la fois sur un renforcement des services déconcentrés de l’État et sur un transfert progressif de compétences au profit des collectivités territoriales, dessinant ainsi les contours de la décentralisation.
Or après 25 ans de ces politiques de transfert, l’État cherche aujourd’hui encore à garder un rôle de programmation et d’évaluation, laissant la responsabilité de l’exécution et de la gestion des fonds aux collectivités locales. Il continue à fixer le montant des enveloppes d’aides financières allouées au logement et à décider de leur répartition territoriale. De même, la politique des “agences” (telles que l’Agence nationale pour la rénovation urbaine-ANRU), inspirée du modèle anglo-saxon, va dans le sens inverse de l’autonomie et de la définition locale des politiques, l’Agence nationale n’accorde en effet des fonds aux collectivités que si leurs projets concordent avec l’esprit des plans mis en œuvre.
Par ailleurs, la part croissante des aides fiscales à la construction a une influence croissante sur les marchés locaux du logement. Or ces aides sont nationales et déterritorialisées, elles constituent un facteur supplémentaire sur lequel les collectivités locales n’ont pas prise. En outre, ces aides, qui ne prennent pas en compte les Programmes locaux de l’habitat (PLH) et qui n’ont que très peu de contreparties sociales, sont aujourd’hui très critiquées dans un marché de l’habitat en crise.
Le logement en Europe : un processus de décentralisation largement engagé
Selon la typologie définie par Laurent Ghékière, le système français se distingue ainsi des modèles plus décentralisés prévalant dans d’autres pays européens1 :
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Les modèles centralisés avec délégation de l’exercice de la compétence logement. Il s’agit de petits pays (Portugal, Grèce, Luxembourg, Irlande) dans lesquels la politique du logement est définie au niveau central mais dont la mise en œuvre est confiée aux collectivités.
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Les modèles semi-décentralisés. En Allemagne, Autriche, Espagne, Italie, les compétences sont partagées entre Etat fédéral ou central et des régions à l’autonomie administrative affirmée. L’État définit un cadre homogène dans lequel les régions définissent leur politique. Les régions peuvent déléguer leurs compétences aux échelons inférieurs (communes en Allemagne et Autriche). En Finlande, Suède, Danemark, Pays-Bas, les collectivités définissent et mettent en œuvre leur politique de l’habitat, prenant en charge une part conséquente de son coût grâce à une forte décentralisation du système fiscal.
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Les modèles régionalisés. Seule la Belgique a entièrement régionalisé sa politique du logement sans aucun cadre national d’intervention à l’exception des compétences fiscales et de la réglementation des loyers.
Dilution des compétences et des responsabilités : quel poids des politiques publiques sur les marchés du logement ?
Oscillant aujourd’hui entre contractualisation et délégation de compétences, le champ des politiques de l’habitat est éclaté entre des procédures diverses mobilisant des acteurs différents (communes, intercommunalités, départements…), à des échelles distinctes (quartier, commune…), sur des démarches a priori complémentaires, mais généralement cloisonnées. Comme le fait remarquer Jean-Claude Driant, “la lisibilité de ces politiques et des compétences qu’elles mobilisent, s’en trouve considérablement limitée2”.
En se désengageant quantitativement et qualitativement au profit d’un système complexe de délégation, l’État a peu à peu perdu la capacité de régulation du marché du logement qu’il possédait auparavant. On peut alors lire le désengagement de l’État et la contractualisation avec les collectivités locales comme la volonté de laisser s’instaurer une logique dominante de marché où les acteurs privés jouent un rôle moteur.
L’exemple des financements pour la construction de logement sociaux (aides à la pierre), illustre parfaitement l’ensemble de ces évolutions. Dans les années 1950, l’État assurait à la fois le financement et la mise en œuvre d’importants programmes de construction (Zones à urbaniser en priorité-ZUP). En 1983, lors de la première vague de décentralisation, il a choisi de garder un fort contrôle sur ces financements pour éviter la multiplication des dispositifs locaux et l’accentuation des inégalités entre les territoires. Mais l’utilisation des fonds devenant locale, elle a été orientée et même localisée par des dispositifs de programmation et de contractualisation avec les collectivités locales. Enfin, la dernière vague de décentralisation de 2004 a introduit la possibilité de déléguer la gestion de ces financements aux départements et aux intercommunalités sous le contrôle de l’État.
Par ailleurs, au cours de toute cette période, le poids de ces aides n’a fait que diminuer (selon la logique qui, depuis 1977, privilégie les aides à la personne sur les aides à la pierre). Ainsi aujourd’hui face à la masse des logements existants et à celle de la construction privée, le poids de la construction de logements sociaux est insuffisant pour produire de véritables rééquilibrages territoriaux et réguler les marchés de l’habitat.
Paradoxalement l’influence de ces financements de l’État sur les politiques de l’habitat aujourd’hui est peut-être au second plan par rapport à ce que peuvent réaliser, en théorie, les communes. Car sans posséder de compétences dans le domaine du logement, les communes, par une maîtrise intelligente de l’occupation de leur sol, peuvent avoir une influence conséquente sur les marchés locaux.
Sur différents volets des politiques du logement, l’État a ainsi mis en place une série d’outils contractuels et territorialisés qui ne favorisent en aucun cas l’éclaircissement des compétences et des responsabilités de chacun. Par ailleurs, le cloisonnement de ces politiques pose des problèmes concrets de connaissance des territoires et des besoins de la population pour mettre en place des politiques adéquates.
Et la démocratie ?
Les dernières évolutions législatives des années 2000 orientent la politique du logement vers une contractualisation par objectifs. Par ailleurs la montée en puissance de l’échelle de l’agglomération, qui met en cohérence les différents dispositifs préexistants, semble désigner l’intercommunalité comme “chef de file” pouvant exercer une compétence sur l’offre et la demande de logement. Le consensus existant autour de la place croissante des intercommunalités dans la définition et la mise en œuvre des politiques du logement désigne donc ce niveau comme le “bon” niveau pour allier efficacité et équité. Mais il devient alors indispensable d’interroger la légitimité démocratique de ces regroupements de communes et la pertinence du découpage territorial de certains d’entre eux.
Cependant, quelle que soit la manière de conduire les politiques du logement, il faut s’interroger sur leur transparence et leur caractère démocratique. Quelles régulations citoyennes du système existe-t-il ? Et comment, dans ces systèmes complexes, faire participer les habitants, premiers intéressés à la question, à la mise en œuvre des politiques du logement ?
1 Ghékière L., Les politiques du logement dans l’Europe de demain, La Documentation Française, 1992.
2 DRIANT Jean-Claude, 20% de logements sociaux partout ?, Pouvoir Locaux, n°45, juin, pp. 59-64.
Références
BEHAR Daniel, ESTEBE Philippe, Décentralisation ou fin des monopoles territoriaux ?, dans “L’Etat de la France 2005-2006”, La Découverte, mai 2005
GREMION C., Une compétence partagée, ou les stratégies d’acteurs entre déconcentration et décentralisation, dans Segaud M., Bonvalet C. et Brun J. (sous la direction de) “Logement et habitat, l’état des savoirs”, La Découverte, pp. 264-272, 1998
Séminaire relatif au «Logement» : Logement et décentralisation, ENA, Direction des études, juillet 2005