Trop de logements sociaux à Elephant and Castle ?

Une opération de renouvellement urbain à Londres

Fabien Vaujany, 2008

Cet article est une réactualisation d’un texte écrit en août 2005, dans le cadre de l’échange associatif entre la London Tenants Federation, l’AItec et Echanges et Partenariats. Texte d’origine

Cette fiche présente un projet de rénovation urbaine, à Londres. Elle expose les contradictions entre les ambitions politiques affichées - densification urbaine et mixité sociale - et la suppression de logements très sociaux, dans un quartier qui concentre une part de la population la plus pauvre du Royaume-Uni.

Mixité et densification au cœur des programmes de renouvellement urbain à Londres

Comme beaucoup de villes européennes, Londres veut marquer sa sensibilité à l’idée de durabilité dans ses politiques de développement urbain, en mettant en avant les préoccupations environnementales, le développement local et la participation. En matière d’urbanisme, mixité sociale et densification sont les maîtres mots des opérations de renouvellement urbain du centre de la capitale.

Depuis 2004, les différentes municipalités du Grand Londres, les boroughs, ont publié un grand nombre de documents de consultation et de projets, dans le cadre des nouvelles dispositions en matière de planification stratégique, dictées notamment par le London Plan. Le quartier d’Elephant and Castle, dans le borough de Southwark, est ainsi concerné par un projet de redéveloppement dont les conséquences pour les habitants s’avèrent lourdes.

Le quartier d’Elephant and Castle : un candidat de choix pour une opération de renouvellement urbain

Profitant de la position favorable de ce quartier de la rive sud de la Tamise, les urbanistes londoniens ont déclaré que le secteur était une « zone d’opportunités » (Opportunity Area). A proximité immédiate du cœur de l’agglomération, bénéficiant d’une bonne desserte en transports en commun, le site présente des possibilités de profits de toute évidence importantes. Il se doit donc d’être à la pointe de la densification résidentielle et professionnelle. Il était jusqu’alors conçu pour la seule voiture, occupé par un double rond point, par un centre commercial vieillissant et par plusieurs barres de logements sociaux des années 1970, à l’architecture quelque peu brutale : Heygate Estate. Grandes barres d’habitat social détériorées, lieux publics dégradés, localisation favorable, et espace disponible : Elephant and Castle apparaît comme le lieu idéal pour un projet de rénovation urbaine alliant mixité et densité.

Le quartier se caractérise déjà par une grande mixité, bien qu’il s’agisse d’une mixité ethnique plus que d’une mixité de revenus. C’est dans la perspective d’attirer vers le quartier une population plus aisée que l’opération, sur les rails depuis 2004, prévoit – en plus du traditionnel réaménagement des espaces publics au profit des piétons et des transports en commun – la démolition des 1200 logements sociaux de Heygate Estate. Quelques 4200 autres logements, dont les plans sont signés par de grands architectes, sont prévus à la construction sur le site d’Elephant and Castle, à côté de commerces qui verront le jour le long de l’autoroute.

Mais ce projet, s’il apparaît séduisant sur les maquettes des architectes, est en train d’affecter gravement la population actuelle, en particulier les groupes les plus défavorisés, qui sont nombreux dans la zone.

Logements sociaux : le compte n’y est pas !

Les élus locaux avaient présenté le projet comme exemplaire du point de vue du logement social. Mais le compte n’y est pas. 1200 logements sociaux seront démolis et remplacés par 4200 nouveaux logements. Parmi ceux-là, seuls 35 %, dans le meilleur des cas, seront « abordables » : ce concept flou est censé recouvrir à la fois le logement social et le logement intermédiaire. Il est déjà certain que 50 % des nouveaux logements construits seront de catégorie intermédiaire, ce qui signifie qu’ils seront inaccessibles financièrement à la majorité des habitants d’Elephant and Castle, dont on sait qu’ils figurent parmi les 10 % les plus pauvres du pays. Dans ces conditions, cette notion de logement « abordable » perd beaucoup de son sens. De plus, la taille moyenne des logements devrait diminuer. Tous les diagnostics établis à l’époque de la programmation du projet, y compris ceux de la municipalité, mettent pourtant très clairement à jour un fort besoin de logements de grande taille et la nécessité de construire en grand nombre des logements réellement sociaux afin de répondre aux besoins de la population locale.

Le relogement des habitants : payer plus ou partir loin

Autre élément de contestation : le relogement des résidents de Heygate Estate suite aux démolitions. De nouveaux logements sociaux devaient être édifiés sur 16 sites en périphérie du quartier (mais pas ou peu sur le site même). S’ajoutant aux 4200 logements neufs évoqués plus haut, ils devaient être livrés entre 2006 et 2009, pour permettre le déplacement des locataires en amont des démolitions, prévues entre 2007 et 2009.

Oui, mais voilà : ces nouveaux logements sociaux ne sont pas du même type que ceux de Heygate Estate. Il existe deux types de logement social en Angleterre : le Council housing, géré en régie par les collectivités locales, et le Registered Social Landlords (RSL) housing, géré par des structures semi-privées qui sont, en grande majorité, des Housing Associations. Pour les locataires de Heygate Estate, le relogement implique le passage du premier vers le second type de logement social, et ce changement de statut signifie des conditions financières de location moins avantageuses.

S’ils refusent de déménager dans ces nouveaux logements, les locataires réfractaires peuvent néanmoins solliciter un logement dans le parc encore géré par la municipalité. Dans ce cas, aucune garantie concernant les délais d’attribution et la localisation à proximité d’Elephant and Castle ne leur est accordée.

Par ailleurs, une gestion oublieuse de l’intérêt des habitants du quartier permet à la municipalité de s’affranchir de son obligation de reloger effectivement tous les ménages. Contrairement à ce qu’avance la communication politique menée depuis 2004, ce ne sont pas 1200 logements sociaux qui seront construits dans le cadre du relogement des locataires de Heygate estate. Les documents officiels ne parlent en effet que de reloger les habitants de Heygate estate. Or, la politique d’abandon des bâtiments par le propriétaire – en l’occurrence la municipalité de Southwark – a conduit à une dégradation importante des conditions de vie, entraînant le départ anticipé et sans demande de relogement d’un certain nombre de locataires.

Des retards dans la construction des nouveaux logements

Alors que le programme initial prévoyait une réalisation rapide des logements de remplacement, puis le départ des locataires de Heygate estate et la démolition des bâtiments par phase à partir de 2007, la réalité est tout autre. La réalisation des nouveaux logements a pris beaucoup de retard : un seul bâtiment a été réalisé alors que les autres permis de construire n’ont pas encore été tous déposés. Par conséquent, les locataires doivent d’abord déménager dans d’autres appartements de la municipalité au fur et à mesure de leur libération, sans attribution prioritaire ni aucune certitude sur la date du départ. Ils déménageront à nouveau une fois que les nouveaux logements seront livrés. Ce n’est donc pas un, mais deux déménagements, dans des quartiers voire des municipalités différentes, qui sont imposés aux locataires. Et en attendant, le cadre de vie se dégrade toujours. Beaucoup de ménages préfèrent finalement quitter l’habitat social au profit d’un logement privé.

L’environnement économique du quartier est touché lui aussi par le projet. Le centre commercial, qui hébergeait jusqu’alors beaucoup de petits commerçants, souvent issus des minorités ethniques du quartier, délivrait des services adaptés aux spécificités de la population locale. Il sera également rasé, au profit d’un nouvel équipement commercial : malgré les affirmations de la municipalité, il est vraisemblable que la hausse prévisible des loyers et le changement de la composition sociale du quartier ne permettent pas le maintien des commerçants en place.

La démolition a été repoussée, officiellement, à l’horizon flou de 2010. Mais aujourd’hui, on entend dire que la municipalité envisage de procéder dès maintenant à la démolition, moyennant l’expulsion des locataires récalcitrants…

Le projet de rénovation urbaine d’Elephant and Castle est en train de modifier totalement la démographie du quartier et va à l’encontre des besoins en logement de ses habitants. Les responsables politiques arguent du fait que la proportion de logements sociaux à Southwark, et en particulier à Elephant and Castle, est largement supérieure à la moyenne londonienne, et qu’il convient de procéder à un rééquilibrage. Cela suppose le déplacement d’une partie des habitants du quartier, l’explosion des communautés locales et la disparition d’une partie du parc de logement très social de la ville. L’exemple de ce quartier n’est pourtant pas isolé.

Tout cela s’inscrit dans un mouvement plus général en Angleterre qui va dans le sens d’une réduction de la place du logement social dans la ville, en particulier du Council housing, et de l’éloignement de ses habitants vers des quartiers périphériques.

Références

Cette fiche a été initialement publiée dans le n°1 de la Collection Passerelle. Vous pouvez retrouver le PDF du numéro Europe : pas sans toit ! Le logement en question

En savoir plus

Pour consulter le site de la London Tenants Federation

Site officiel du projet de rénovation urbaine d’Elephant and Castle

Un article plus récent de Martine Drozdz sur la rénovation urbaine à Londres