Compétitivité, dette … et la ville ? (2)

Frédéric Bonnet, 2014

Monde pluriel

Cet article est issu du numéro 8 de la revue Tous urbains. Initialement, il n’appartenait pas au dossier intitulé « Intervention publique pour améliorer l’accès au logement », cependant, cette analyse critique des politique du logement en France, trouve aisément sa place au sein de ce dossier.

Cet article propose un bilan critique des politiques du logement, et particulièrement du logement social, en France, depuis 25 ans. L’auteur fustige la financiarisation du logement qui entraîne une réflexion seulement en termes d’offre et de demande, au détriment de la qualité des logements proposés. Le principal problème mis en évidence est, pour Frédéric Bonnet, la dichotomie entre les investisseurs et les habitants.

Le logement repart… grâce aux nouvelles mesures favorables aux investisseurs. C’est une promesse qui revient aujourd’hui en boucle. Elle fait plaisir aux agences d’architecture, aux urbanistes, aux ingénieurs, aux promoteurs, aux entreprises du BTP et… aux investisseurs. Reste à savoir si elle va dans le sens de l’intérêt commun, celui de la qualité des logements et des intérêts des habitants in fine.

On ne peut le nier : sans investisseurs, la production de logements s’effondre. Leur action est donc favorable, quantitivement, à la satisfaction du besoin. Parce que nous ne savons pas faire autrement, nous ne pouvons que nous réjouir d’une reprise. Mais c’est une satisfaction factice, et une victoire par défaut. Pourquoi ?

Méhaignerie, Périssol, Besson, De Robien, Borloo, Sellier, Dufflot, Pinel… les dispositifs se suivent depuis 1986 (Méhaignerie), soit près de trente ans. Dans tous les cas, avec quelques variations, il s’agit de favoriser l’investissement en accordant à ceux qui contribuent à financer le parc locatif privé de substantielles réductions d’impôts. Cette politique incitative ne serait pas en soi un problème si elle ne s’était accompagnée, pendant ces années, d’un retrait progressif de l’Etat et des collectivités sur le logement social, dont témoignent les baisses progressives du taux de rémunération du livret A, destiné à l’origine à collecter les fonds nécessaires aux emprunts bonifiés des bailleurs sociaux. Une politique fiscale s’est peu à peu substituée à une véritable politique du logement, abandonnant à la finance la réponse aux besoins, aux enjeux urbains, sociaux et environnementaux. Notons que ceci est indépendant des « colorations » droite ou gauche des gouvernements successifs, comme une forme de fatalité française.

Car, en d’autres lieux, ce sont les habitants « occupants » qui acquièrent le logement qu’ils habitent, et les aides sont autrement contrôlées, coordonnées.

Le problème de la défiscalisation est multiple.

  1. Premier problème : comme l’attestent les publicités ci-contre, toutes convergentes, la défiscalisation accentue les inégalités sociales et contribue à dévaloriser la fonction contributive de l’impôt sur le revenu. Le lexique est édifiant : « Pas de retraite, trop d’impôts : 1/je fais un don très généreux au trésor public versus 2/j’utilise mon impôt pour acheter de l’immobilier », ou bien « 0 € d’impôts pendant 12 ans, vous payez trop d’impôts, économisez jusqu’à 63 000 euros »… Ces démarches agressives ne s’adressent pas aux catégories intermédiaires, mais aux 5 % des français les plus riches : non seulement l’Etat (par la Loi) leur propose de réduire leur contribution collective, mais ils renforcent dans le même temps leur patrimoine. Pour certains, c’est la double peine, ici, c’est double Jackpot. Le terme « cadeau », véritablement scandaleux, atteste de l’état d’esprit poujadiste des investisseurs, pourtant directement encouragé par la Loi nationale. Voilà une collusion bien inquiétante… Comme le montrent toutes les études, les riches deviennent ainsi plus riches, malgré les effets de la crise sur l’immense majorité de nos concitoyens –les neuf dixièmes, ce n’est pas rien.

  2. Deuxième problème : parce que les logements sont acquis dans une logique strictement financière (rendement, sécurité), la qualité réelle du bien importe peu. La plupart de ces produits sont situés dans des secteurs où la pénurie est savamment entretenue, dits secteurs « tendus », et sûrs d’être loués, à n’importe quel prix. Ceci a trois conséquences : les logements sont vendus légèrement plus chers (et donc loués plus chers) en vertu des aides fiscales – problèmes de toutes les aides fiscales, qui renchérissent sans contrôle le prix effectif sur les produits. En période de pénurie, cela est lamentable. La défiscalisation participe donc de l’inflation déraisonnable du prix du logement depuis vingt-cinq ans, très mal répercutée par les indices officiels. Ensuite, seuls les secteurs tendus sont concernés par cette dynamique, les zones rurales ou économiquement déprimées ne bénéficient pas de cette supposée manne. C’est double peine pour les territoires ruraux, qui sont peu concernés par le logement social et peu attractifs pour les investisseurs, alors que les besoins y sont importants. Ces dispositifs renforcent les inégalités territoriales. Enfin, cette distance entre l’investisseur et l’habitant diminue l’exigence. Je confiai un jour à un promoteur nordique ma surprise de voir les cages d’escalier de son immeuble en accession éclairées ; « mais si la cage est obscure, je ne vends rien, personne n’en veut », me répondit-il du tac au tac. Edifiant : la descente aux enfers qualitative, aussi bien en surface, en services, en prestations, en matériaux, est directement liée en France au fait que ceux qui habitent ne sont pas ceux qui investissent… Faut-il en déduire que les banques ne jouent pas leur rôle, ceci quand bien même les taux d’intérêts de la Banque Centrale Européenne (BCE) n’aient jamais été aussi bas?

  3. Troisème problème, qui n’est pas accessoire : les cadeaux fiscaux, les abattements de TVA diminuent les recettes de l’Etat, et ont donc un impact sur la dette. Si les besoins étaient fournis par des investisseurs-habitants, la richesse produite serait équivalente, sans déficit pour l’intérêt général, et profitable à la qualité patrimoniale, au plaisir d’habiter, à la ville… Ce n’est pas rien ! Certains de nos voisins y arrivent. Quel soupçon d’intelligence supplémentaire ont-ils donc ?

La question est la suivante : même si l’on peut se réjouir d’une reprise de la construction, jusqu’à quand dépendront nous, en matière de logement, d’un système inégalitaire et médiocre ? Doit-on mettre ce constat aux pertes et profits de nos spécificités hexagonales, dont une gestion de père de famille bien ringarde, qui font sourire de l’extérieur ?

Références

Pour accéder à la version PDF du numéro 8 de la revue Tous Urbains