Logement : trop rare ou trop cher ?

Jean-Michel Roux, 2014

Monde pluriel

Cet article est issu du numéro 6 de la revue Tous urbains. Initialement, il ne faisait pas partie du dossier intitulé « Comprendre la crise du logement » mais l’analyse critique et systémique de l’auteur nous a semblé pertinente et utile pour apporter des éléments complémentaires aux fiches du dossier.

Cet article aborde le problème du logement autrement que sous l’angle de la construction. La réflexion porte sur les caractéristiques socio-démographiques de la France contemporaine qui invite à penser la problématique du logement de manière systémique et renouvelée.

Le 20 janvier dernier, la chaine de télévision France3 projetait un documentaire : Le scandale du logement. Le pluriel aurait mieux convenu, les scandales dénoncés étaient multiples : sans-logis franciliens, parisiens pris à la gorge par la hausse de leur loyer, ventes d’immeubles à la découpe, taudis nordistes, périurbains lyonnais perdant leur vie dans leurs navettes vers le centre, petits bourgeois provençaux en ordre de bataille contre la construction d’un HLM, et j’en passe. Quelques tronçons d’entretiens avec des spécialistes donnaient du corps au message, récurent dans les médias : nous sommes devant une catastrophe humanitaire, mais sans le secours d’aucune ONG. Deux ex-ministres de camps opposés, envoyés en renfort dans le débat qui suivait, confirmaient le diagnostic, tout en différant naturellement sur les mesures à prendre. La Fondation Abbé Pierre recense 8 millions de personnes en France touchées par le drame (mal logés + fragilisés). C’est grave, on pourrait se dire que c’est bien suffisant : le film arrondissait à 10 millions.

Si on considère statistiquement l’évolution globale du parc immobilier, sur la longue période, il est difficile de détecter une source unique ni même principale de la crise. Depuis un demi-siècle, le parc s’améliore continument, en qualité et en conditions d’occupation, selon une tendance observable ailleurs en Europe. Ces statistiques paisibles sont trompeuses, puisque les situations varient énormément selon les territoires et les catégories sociales. Mais ce qui unifie la plainte, c’est la montée vertigineuse des prix de vente à partir de 1999, suivis avec un peu de retard par les loyers du parc privé. Vertigineuse mais très inégale selon les lieux, de sorte que la division sociale du territoire se radicalise. Tout le monde est perdant, ou presque, même les propriétaires occupants pour qui le déménagement devient ruineux, alourdi par la double-peine des droits de mutation et des honoraires d’agence.

S’il y a flambée des cours, me direz-vous, c’est qu’il y a faiblesse de l’offre. Voilà l’enseignement constant des marchés, notamment celui de la pomme de terre, qu’on retrouve dans les attendus de la récente loi pour l’Accès au Logement et un Urbanisme Rénové (ALUR): il y a pénurie de logements, cause d’envol intolérable des prix ; donc une accélération de la construction détendrait le marché et 500 000 logements neufs par an s’imposent, fortement pimentés de locatif social. Pour mémoire, on en a mis en chantier 331 000 en 2013, en baisse par rapport aux années précédentes.

D’où vient ce « besoin » de 500 000 logements ? Il est attesté de longue date, depuis la fin des années 1970, époque où la construction est passée durablement sous cette barre. Pour le mesurer, on dispose de prévisions démographiques (assez fiables), d’exigences de renouvellement du parc (peu solides sans inventaire de l’existant), des tendances à la décohabitation (les sociologues débattent), auxquelles s’ajoute une notion de « rattrapage » qui peut être mise à diverses sauces. De sorte que les évaluations butent sur des questions de ce genre : combien de couples se sépareraient (et donc auraient besoin d’un logement de plus) si le marché se détendait ? En Ile-de-France, on évoque même une « politique volontariste » de la décohabitation, pour appuyer l’objectif de construction.

La loi introduit des dispositions de nature à encourager la construction. Mais elle n’a aucun moyen d’imposer un niveau de production, qui n’aurait d’ailleurs qu’un effet très lent sur l’offre, s’il était atteint. Il convient donc de raisonner sur la formation des prix. Je résume. Les prix s’établissent dans le parc existant, où se réalisent plus de 80 % des échanges. Or le logement a ceci de particulier qu’il est à la fois un bien d’usage et de thésaurisation. C’est donc dans les beaux quartiers (Paris loin en tête, ainsi que des pics dans le Midi), là où les liquidités abondent, que les prix montent plus vite et plus tôt, en somme tractent l’ensemble. Eu égard à leurs faibles revenus, les mal logés ne sont pour rien dans le phénomène.

Sur ce fond de scène haussier, le logement neuf n’apporte pas de correction, car il est en France plus cher que l’ancien. Cette observation tient à des phénomènes cumulés : les coûts techniques sont mal maîtrisés, sauf cas particuliers dont certains notables (les maisons sur catalogue) ; les montages d’opérations sont dispendieux, par exemple la promotion ; la valeur foncière est une variable d’ajustement qui interdit la baisse. Le logement social n’échappe pas à ces contraintes, à ceci près qu’il fait l’objet de coups de pouces d’argent public. De sorte que les constructeurs butent sur la solvabilité de leur clientèle et que la production stagne. Autrement dit : le logement n’est pas cher parce qu’il est rare ; il est rare parce qu’il est cher.

Il faut construire, mais la quantification globale reste contre productive, sans dire quels logements, où, pour qui, à quel prix, etc. Sinon on se met dans la position du mauvais élève à qui on demande de recoller au peloton de tête, sans préciser la manière. Il se rendort. Transcrite à usage local, cette quantification peut même conduire à des absurdités. Ce sera le cas si les villes centres (notamment Paris), accentuent leurs efforts pour produire, et produire cher, en contaminant les périphéries. Or nos agglomérations ne manquent pas de sites à développer, pour créer des adresses abordables, à conditions d’innover. Dans l’aménagement, il nous manque le registre du lotissement dense, présent ailleurs en Europe. Dans les produits immobiliers, il n’existe presque rien entre l’immeuble de promoteur et la maison au centre de sa parcelle. Là encore, il suffit de passer la frontière pour observer par exemple de multiples variations sur le thème du logement intermédiaire et de l’autopromotion. Ce qu’encourage la nouvelle loi, reconnaissons-le.

Références

Pour accéder à la version PDF du numéro 6 de la revue Tous Urbains

En savoir plus

Le site de la Fondation Abbé Pierre

Le texte de la loi ALUR sur le site de Légifrance