Quand la politique de la ville s’estompe
Jacques Donzelot, 2014
Cette fiche (issue du numéro 5 de la revue Tous urbains) analyse la réforme de la Politique de la ville de 2012 et émet un certain nombre de propositions vis-à-vis des problématiques actuelles, en termes d’inégalités territoriales et de processus de défavorisation.
Lancé à la fin de l’été 2012, le projet de réforme de la Politique de la ville arrive maintenant à son terme. Le texte a été examiné et accepté par les deux chambres, même si certains détails, comme la liste des quartiers retenus, ne seront connus qu’au printemps. Venant après beaucoup d’autres, mais sans que des événements particuliers aient donné à voir sa nécessité, cette nouvelle réforme peut interroger quant à sa visée.
Réformer : c’est tirer les leçons des critiques suscitées par une politique dans l’opinion publique comme chez ses acteurs à raison du retentissement que ces réactions peuvent avoir sur le plan électoral. En l’occurrence, outre un souci général d’économie budgétaire concernant toutes les dépenses publiques, il est aisé d’identifier les deux préoccupations qui ont impulsé le souci de réformer cette politique.
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La première tient à la montée du vote populiste, au malaise manifesté ainsi par les habitants du périurbain dit profond, des petites villes et du territoire rural pauvre. Un malaise qui exprime un sentiment d’injustice quant à leur sort par rapport au traitement avantageux dont bénéficierait la population immigrée installée dans les cités sociales du fait de la discrimination positive instituée par la politique de la ville. Ce sentiment d’injustice des habitants de la France profonde a particulièrement été souligné par le géographe Christophe Guilluy dans son ouvrage sur «Les fractures françaises», publié en 2010. Aussi l’appellera-t-on «l’effet Guilluy».
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La seconde ligne de pression est apparue à l’intérieur même de la politique de la ville, chez les professionnels de celle-ci, de sa partie sociale du moins. Elle résulte de leur inquiétude devant la politique du résultat imposée par Sarkozy soumettant de plus en plus les crédits alloués à cette partie sociale à une démonstration de leur utilité, faisant sentir sa préférence pour une action purement urbaine. Pour conjurer le sentiment d’insécurité de leur situation, ces professionnels de la politique de la ville se sont drapés dans une nouvelle théorie de leur action, celle dite du développement du «pouvoir d’agir» des habitants, une théorie qu’ils ont entrepris de partager avec tous les professionnels du social, histoire d’inscrire leurs compétences dans une démarche plus générale. Cette adhésion large des professionnels du social à la théorie du «pouvoir d’agir» s’est trouvée consacrée par un appel lancé dans le cadre la FONDA en 2010 par l’ensemble de leurs fédérations. Aussi appellera-t-on cette ligne «l’effet FONDA».
C’est à apporter des réponses à ces deux préoccupations que s’est employée la loi Lamy. Comment tenir compte du vote populiste de la France périphérique sinon en montrant que cette politique de la ville n’a pas la population immigrée comme souci unique ni même principal? Son administration dispose heureusement d’experts compétents dont le talent a permis de dissocier la cible de cette politique de tout ce qui pouvait identifier trop nettement son public à cette population. Ainsi ont-ils pu montrer que les critères ayant servi à identifier les Zones Urbaines Sensibles (ZUS) présentaient de graves défauts. Le pourcentage des jeunes ? Mais c’est ne pas tenir compte du vieillissement sur place d’une bonne partie des habitants des cités! Le pourcentage d’immigrés ? Mais celui-ci ne dit rien de la pauvreté en Bretagne où ceux-ci sont quasiment absents! Le nombre des chômeurs? Mais c’est au risque de ne pas tenir compte des lieux où les salaires sont massivement bas comme dans le périurbain lointain ou les communes rurales! Un seul critère permet d’éviter ces faiblesses : la mesure de la pauvreté à partir du revenu déclaré. Avec lui, on dispose d’une identification des territoires en péril qui fait, certes, leur place aux banlieues, mais sans passer à côté des zones qui pâtissent de la désindustrialisation, ni des petites communes rurales pauvres. Ainsi fait-on passer la politique de la ville du traitement de la question urbaine à celui d’une question sociale parmi d’autres.
Comment faire place à cette mode de l’empowerment qui s’est emparée des professionnels du secteur social? Le vocabulaire du «pouvoir d’agir» séduit plutôt les décideurs car il confère une certaine énergie à la thématique alors en place : celle de la cohésion sociale, du lien social, du vivre ensemble. C’est plutôt la mise en œuvre qui fait problème. Aux Etats-Unis, terre d’origine du mot, il renvoie à une conception très active de la société civile, invitée à construire des pouvoirs pour exercer un lobbying sur les élus locaux dont le travail consiste à arbitrer entre les communautés de quartier. Tandis qu’en France, le rôle de la vie associative est beaucoup plus restreint. Il trouve sa place dans un auto-dessaisissement volontaire de l’Etat par lui-même pour la gestion de certaines tâches trop délicates qu’il confie à des associations ad hoc sur lesquelles il garde sa main mise par les financements tout en confiant aux élus locaux la charge de leur contrôle. Il y a bien eu un rapport remis l’été dernier qui proposait d’émanciper cette vie associative en garantissant son financement et leur capacité de peser sur les décisions. Mais les députés et les sénateurs y ont vu comme une feuille de plus au fameux mille feuilles territorial. Aussi ont-ils borné ce rôle des associations à une fonction consultative auprès des élus exercée dans le cadre d’un «conseil citoyen». Certes, il existait déjà des conseils d’habitants, d’une influence bien faible. C’est raison de plus pour qu’on donne aux élus la possibilité de changer leur nom, de les appeler citoyens!
Ainsi va cette réforme : en modifiant quelque peu l’usage des mots: en atténuant celui de ville, en mettant plus l’accent sur celui de territoire et de citoyen.
Referencias
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