Pourquoi les arbres montent-ils jusqu’au ciel ?
Le prix des logements
2013
Cette fiche propose des pistes de réflexion pour inverser la bulle immobilière qui sévit depuis plusieurs années et rend la crise du logement, en Europe et particulièrement en France, de plus en plus problématique.
La question de la rente est une vieille énigme pour les économistes. Une des trois catégories canoniques de la théorie économique, avec les profits et les salaires. Et aussi une énigme pour l’économiste, tant la question de la rente dépasse le strict raisonnement économique.
Comme le souligne Edgar Pisani ( in Utopie Foncière, Gallimard, 1977) : «j’ai longtemps cru que le problème de la rente était de nature juridique, technique, économique et qu’une bonne dose d’ingéniosité suffirait à le résoudre. J’ai lentement découvert qu’il était le problème politique le plus significatif qui soit parce que nos définitions et nos pratiques en la matière fondent à la fois notre civilisation et notre système de pouvoir et qu’elles façonnent nos comportements.»
La question de la rente a ressurgi récemment sur la scène politico-économique avec la question des bulles immobilières, en particulier sur les marchés du logement, le mot bulle étant pris ici dans un sens large, une évolution des prix insoutenable à long terme… mais qui doit être prise en compte dans le court et le moyen terme. On se souvient de la « bulle » immobilière de la fin des années 1980, qui avait trouvé son origine au Japon, s’était diffusée largement sur les cinq continents, avant de se dégonfler rapidement, en trois ou quatre ans. L’analyse de cette bulle reste à faire mais elle a conduit à une lourde crise lors du retour à l’« équilibre ».
Mais elle avait donné l’occasion à quelques observateurs précis d’indiquer qu’il s’agissait d’une anomalie, et que le prix du logement était rentré dans le « tunnel », c’est-à-dire une proportion à peu près stable du revenu réel des ménages, au prix de variations conjoncturelles limitées. Au début des années 1990, les banquiers de l’immobilier ne se privaient d’ailleurs pas d’affirmer qu’on ne les y reprendrait pas, qu’ils s’étaient certes laissés aller à des excès, mais qu’ils allaient appliquer des règles prudentielles qui les mettraient à l’abri de risques inconsidérés.
Pourtant le retour de flamme ne s’est guère fait attendre, le tournant du siècle a marqué un nouvel envol des prix immobiliers, pas seulement avec la crise dite des « subprimes » aux Etats Unis. Mais à la différence de la bulle précédente celle-ci ne se retourne pas, du moins dans un certain nombre de grandes villes, en particulier pour le cas français dans l’agglomération parisienne. La bulle dure, les meilleurs experts annoncent depuis plusieurs années le retournement, le récurrent « retour à l’équilibre », mais rien de tel ne se produit. Le nombre de transactions diminue fortement, les crédits nouveaux sont en forte baisse, mais les prix restent solidement arrimés à des niveaux très élevés, dans la plupart des zones dites « tendues ». Ceci posé, les séquences qui en ont résulté sont bien différentes selon le pays, à l’intérieur même de l’Europe, par exemple entre l’Espagne et l’Allemagne.
Lorsqu’on leur pose la question de l’évolution des prix pour l’année 2013, les « experts » annoncent (peut-être) une baisse des prix dans les zones tendues de 2 %, 3 %, voire 5 %, comme si l’on s’était accoutumé à ce décollage par rapport à la situation antérieure. Plus personne n’envisage de se rapprocher des niveaux – en valeur réelle – de la fin du siècle dernier. Doit – on alors faire le parallèle avec le prix du pétrole dans les années 1970 ? La comparaison ne tient pas, la hausse du prix du pétrole constituant un prélèvement sur la capacité de consommation du pays. Doit-on extrapoler pour les années à venir ? Les conséquences en seraient évidemment ravageuses, en termes de cohésion sociale, d’efficacité économique, de conditions de vie des ménages… La seule explication serait alors que l’incertitude sur de nombreux placements, à commencer par les valeurs mobilières, attire un surcroit de confiance dans les placements immobiliers, en dépit d’un rendement souvent modeste, en particulier pour le logement.
Certes cette envolée des prix touche très inégalement le territoire. Il ne coûte pas très cher de se loger à Hagondange ou à Mazamet, mais en une décennie les prix ont augmenté de 150 % ou plus dans les agglomérations d’Aix Marseille, Montpellier, Toulouse… Paradoxalement, si l’on peut dire, les prix ont augmenté d’à peine 100 % à Paris, atteignant tout de même plus de 8300 euros le m2. Il faut les reins solides pour acheter, même avec des taux d’intérêt qui restent calmes. La centrifugation sociale se poursuit…
Ces inégalités territoriales sont bien analysées par Claire Juillard et Hervé Alexandre1 qui soulignent le facteur clé que constitue l’attractivité des territoires, mais il n’enlève rien à ce dualisme croissant entre territoires, et la marche qui parait inéluctable de la ségrégation sociale.
Au début de l’année, une manifestation organisée à Paris pour « inaugurer » un squat récemment occupé, par le DAL et Jeudi Noir, mettait en avant le slogan « explosez la bulle ». Dans le même temps la ministre en charge du secteur souligne de façon répétitive « il faut faire baisser les prix du logement ». Le Président du Sénat organisait récemment avec les principales forces vives du secteur une réunion de travail sur le thème « Alarme rouge sur la construction de logement ». Des lois sont en préparation. Que faut-il faire ? Nos voisins font-ils mieux ?
Une première remarque est que les politiques publiques jouent de façon très générale un rôle important en la matière. Il n’existe nulle part de pure économie de marché pour le logement. Du contrôle des loyers à New York à la propriété publique des sols en Suède en passant par le financement du logement social en Allemagne, l’intervention publique est très générale, sous une forme ou sous une autre. Et le classement des pays selon les dégâts occasionnés par la bulle et son dégonflement met la France en position intermédiaire, beaucoup moins douloureuse par exemple que l’Espagne ou l’Irlande, pour nous en tenir à l’Europe.
Maintenant comment « faire baisser » le prix des logements ? Si la solution tenait en quelques lignes, cela se saurait. Quelques remarques de portée générale pour éclairer le sujet.
Une première réponse simple et pertinente : il faut produire des logements. Le gouvernement a annoncé la construction de 500 000 logements par an. Mais d’abord il s’agit là de « wishful thinking », on sera autour de 300 000 logements neufs construits en 2013, l’objectif a d’ailleurs rapidement été rectifié comme étant l’objectif à atteindre à la fin du quinquennat. Et le chiffre global ne dit pas grand-chose sur la solution au problème du logement. On continue par exemple à se trainer aux environs de 35 000 logements dans l’agglomération parisienne, loin de l’annonce récurrente de besoins évalués à 70 000… Et le cas espagnol est instructif, avec la construction de 700 000 logements neufs construits en 2008 et 2009, à l’amorce d’une très grave crise du logement (la construction neuve est aujourd’hui retombée à moins de 100 000). La territorialisation des politiques du logement est une clé.
La question lancinante de la mise à disposition du foncier reste une question clé, laissée au niveau local, où le particularisme monocommunal ne fait pas une priorité d’une politique foncière active. Il est maintenant courant que le poids du foncier monte à 40 %, voire 50 % du coût total. Les prix ne baissent pas, la production diminue… cherchez l’erreur ! Une récente loi incite à la mise à disposition, à des prix éventuellement rabaissés, du foncier d’Etat. Une telle politique, d’ailleurs entamée depuis de nombreuses années, doit en effet être poursuivie et intensifiée, mais on doit se rendre à l’évidence, les « bijoux de famille », belles casernes en centre ville ou belles inutilisées, ont été réutilisées2.
Il faudrait aussi passer en revue l’ensemble des mécanismes de financement du logement, pour en souligner les dysfonctionnements. Ce sera pour une autre fois.
Indiquons seulement pour terminer la question préoccupante de la diminution du parc locatif privé, soit plus de 6 millions de logements. D’abord l’aide fiscale à l’investissement, la « défisc » comme on dit, va se poursuivre, le « Duflot » succédant au « Scellier », après tant d’autres. La mise au point finale de ce produit pose la délicate question de l’équilibre entre la composante sociale, avec des plafonds de revenu et/ou de loyer et l’efficacité en termes de production.
D’autre part, devant le retrait des investisseurs institutionnels, les « zinzins », du marché du logement, on entend beaucoup parler du nécessaire « retour des zinzins », compagnies d’assurances et autres caisses de retraites pour investir dans le logement. On pense en particulier beaucoup aux fonds considérables de l’assurance vie. Mais on se heurte là à une dure réalité, investir dans le logement n’est guère rentable en l’absence d’avantages fiscaux substantiels. Un tel placement ne procurera pas un rendement supérieur à 3 %. Faut-il alors accorder de substantiels avantages fiscaux ? Cette hypothèse n’est pas complètement dans l’air du temps.
La crise du logement qui se développe est une affaire sérieuse, grave, on ne saurait limiter le regard aux équilibres budgétaires immédiats mais prendre en compte les effets induits la disponibilité d’un parc de logements adéquat en termes de prix, répartition, qualité urbanistique, localisation, consommation énergétique. Vaste chantier, en gestation dans le cadre de la préparation de la loi sur l’urbanisme et le logement…
1 Claire Juillard et Philippe Alexandre, « La flambée immobilière dans les villes françaises, une question d’attractivité », L’observateur de l’immobilier du crédit foncier, n°84, Janvier 2013
2 Je remercie Joseph Comby pour ses commentaires roboratifs
Références
Pour consulter le PDF du du numéro 1 de la revue Tous Urbains
En savoir plus
La fédération pour le Droit au logement (DAL)
Le collectif Jeudi noir : les Galériens du logement