Le mal de dalles
Pierre Christin, mars 2014
Cette fiche présente l’urbanisme sur dalle, son évolution et ses dysfonctionnements que les usagers, comme les urbanistes, constatent aujourd’hui.
« Aujourd’hui, le quartier Italie vit cette merveilleuse aventure d’une cité qui s’invente un espace, une lumière qui trouve sa voie vers le ciel… espace pour exprimer sa liberté, espace pour l’espace. Pour la première fois, on ne rénove pas, on crée. Voici Paris tel que vous n’osiez plus le désirer. Le Paris tel qu’il fallait l’imaginer et le réaliser. Voici la première « cité tous loisirs ». Car les Olympiades s’est donné un cœur, une profonde et vibrante raison d’être… que nous aurions pu appeler planète, chrysalide, Colisée ».
Voilà ce qui s’écrivait à l’époque dans la brochure de présentation d’un nouveau quartier du XIIIème arrondissement de Paris. Pratiquement au même moment, une ville comme Bordeaux, grise et mélancolique, semblant vivre sous une sorte de couvre-feu perpétuel, se préparait elle aussi à faire table rase d’un morceau de son passé en éradiquant le vieux quartier populaire de Mériadeck. On allait voir ce qu’on allait voir et celle qu’on appelait « la belle endormie » allait se réveiller bon gré mal gré sous le souffle de la modernité. A Beaugrenelle, au Front de Seine, devant un panorama sublime, le parti pris était tout aussi drastique et les documents promotionnels d’époque hérissés de tours ne lésinaient pas sur une atmosphère dégageant un fort parfum de science fiction.
A Grenoble, Montpellier, Lyon, Orléans, à Cergy-Pontoise, à Toulouse le Mirail et dans bien d’autres villes, c’est aussi le temps de l’urbanisme sur dalle, généralement justifié par le manque de logements et de bureaux, largement basé sur le rejet d’un trafic automobile envahissant, plus souvent encore magnifié par les nouvelles perspectives urbaines qu’il dégage, par le genre de vie novateur qu’il va immanquablement induire. Car, comme n’hésite pas à l’écrire l’un de ses instigateurs, Raymond Lopez, « l’habitant des villes doit devenir un autre, il doit s’adapter à un nouveau rythme vital et à de nouvelles fonctions ».
Où en est-on vingt ans (ou un peu plus) après? Plusieurs incursions dans certains des lieux évoqués plus haut amènent à une première constatation. Tous les escalators, je dis bien tous, étaient en panne lors de mes visites. Pour des endroits dont l’une des bases de fonctionnement réside dans la maîtrise de la verticalité, c’est évidemment pathétique. Mais les innombrables escaliers, plans inclinés, passerelles, manches à air et diverses autres machineries censés faire communiquer les différents niveaux de l’ensemble sont le plus souvent déglingués, encombrés de détritus, parfois même murés. Voire, chose étrange, quasi introuvables tant les circulations qui étaient prévues initialement ne sont pas celles qui se sont imposées au fil du temps ; ce qui fait que – si vous n’êtes pas un habitué de l’endroit - vous vous retrouvez à errer pour retrouver ce qu’il faut bien appeler la sortie.
La disposition des immeubles au niveau de la dalle, ne respectant presque nulle part le principe de la rue, contribue à désorienter le passant, et même les caddies à l’abandon, qui errent en solitaires ou en chenilles genre train fantôme avant de dégringoler dans l’un des patios ou des mini jardins suspendus jadis envisagés comme des havres de paix et trop souvent devenus des coupe-gorge. Presque partout, les pavements à vocation décorative (encore qu’il s’agisse trop souvent de cache-misère pour des différences de niveau imprévues) sont disjoints et la végétation qui devait habiller vasques et bassins s’étiole dans le béton. Quant aux promenades de nuit, en particulier dans les niveaux inférieurs où sont cantonnés parkings, espaces de livraison et parfois transports en commun, elles n’ont pas vraiment un caractère romantique et peuvent réserver des rencontres urbaines, certes, mais pas forcément marquées du sceau de l’urbanité.
Bref, il faut bien admettre qu’à de rares exceptions près, « l’avenir radieux » de la vie sur dalle que promettaient tant de projets n’est pas vraiment au rendez-vous. Il convient évidemment de faire la part de la crise urbaine qui frappe d’autres quartiers restés sur le plancher des vaches. On doit aussi rappeler que, par exemple, la Défense est le premier quartier d’affaires d’Europe. Peut-être même, quand on voit un hipster dévaler i-phone à l’oreille sur son fixie à pignon fixe une rampe menant à un food truck en contrebas pour y acheter un burrito, est-on amené à penser qu’après tout l’habitant des villes est devenu un autre ?
Références
Pour accéder à la version PDF du numéro de la revue Tous Urbains, n°7
En savoir plus
Histoire du quartier Meriadeck, Bordeaux
MOUTARDE N., COULAUD N. 1998. L’urbanisme sur dalles est à réinventer, Le Moniteur N° 4918 - Publié le 27/02/1998
LEFEBVRE V. 2003. Paris - ville moderne. Maine-Montparnasse et La Défense, 1950-1975, Paris Norma Éditions, 328 p. (Collection Essais)