Les agents burkinabé d’un projet d’aide voudraient continuer mais le bailleur tient à son modèle d’organisation centré sur les bénéficiaires
Félicité TRAORE, Maryvonne CHARMILLOT, Séverine BENOIT, décembre 1998
Dialogues, propositions, histoires pour une citoyenneté mondiale (DPH)
Cette fiche a été réalisée à partir d’un entretien avec Félicité TRAORE, qui présente son retour d’expérience dans la mise en place d’une structure d’aide pour les petites et moyennes entreprises. Elle y explique la difficulté de monter un projet qui corresponde à la réalité d’un territoire vis-à-vis d’un bailleur de fonds qui a sa propre vision du projet.
Madame Félicité Traoré, CAPEO (Cellule d’Appui à la Petite Entreprise de Ouagadougou) :
« En matière d’appui au secteur privé on était pratiquement le seul projet au départ, en 1991. Il a été clairement défini dans les documents de base qu’il fallait que la CAPEO devienne une structure autonome. C’est une orientation que nous avons essayé de suivre. Quand on a vu l’objectif du projet, nous, les agents burkinabé, on était motivé. On s’est dit qu’on essaierait que pour une fois, un projet ne disparaisse pas après le financement du bailleur. On voulait aller au-delà.
Les années 1991-1992 et pratiquement jusqu’en 1995, sont passées sans qu’on commence à parler d’autonomisation et comment jeter les bases de cette structure pérenne. De 1996 à maintenant, cela va faire bientôt deux ans qu’on réfléchit à la forme légale et à la manière de passer à la structure. Même si, pendant 5 ans, chacun pensait à la formule qu’il fallait après ! Et c’est maintenant, en 1998, qu’on essaie de prendre des contacts. Actuellement, je crois que c’est parti pour une formule d’association sous le nom de « fondation » dont les entrepreneurs pourront être membres. Ce sont eux qui seront chargés de chapeauter la CAPEO.
La réflexion entre nous et les bailleurs s’est menée dès le départ. Mais au début on n’avait pas la même vision. Le bailleur voulait que ce soit une structure qui appartienne aux entrepreneurs eux-mêmes et nous on avait une dynamique de dire, légitime ou pas, que la CAPEO existait de par le dynamisme de ses employés et qu’il fallait en tenir compte. Je pense que cette formule-là était carrément écartée par les bailleurs, par principe. On ne pouvait pas le faire, on ne pouvait pas tendre vers une entreprise privée ou en tous cas une forme associative qui appartiendrait aux travailleurs parce que c’est une aide bilatérale et normalement les biens de ce projet devraient revenir au ministère. Et donc on ne peut pas donner ce projet à des individus privés. Je prends l’exemple de la CAPEO où l’on dit qu’il faut passer à une structure pérenne. De manière très claire, on leur dit qu’en tant qu’employés on aimerait prendre part à cette structure pérenne, avec les entrepreneurs ou avec d’autres sources du milieu mais on n’aimerait pas être écartés du tout parce que c’est nous quand même qui avons construit la CAPEO. Et puis conseiller les entreprises, ce n’est pas une affaire d’entrepreneurs, c’est une affaire de professionnels qui travaillent là-dedans. Mais le bailleur nous a répondu : « On ne peut pas le faire dans ce sens, il faut que ce soit une structure qui appartienne au milieu, quelque soit sa forme ». Là déjà, on n’est pas sur une base de négociation. Cela a été ferme là-dessus, on ne bouge pas d’un carreau. C’est un exemple où le bailleur de fonds s’est fermé, je ne sais pas d’où cela vient si c’est le bailleur de fonds lui-même ou l’agence d’exécution. Parce qu’on a notre bailleur de fonds et on a une boîte qui gère le projet, qui est en fait une boîte pratiquement privée. En ce moment, on ne peut plus savoir si cela vient de cette agence d’exécution ou du bailleur de fonds. Mais toujours est-il que cela a été écarté d’office. Même si on ne peut pas dire qu’il faut donner la structure aux employés, on pourrait avoir une ouverture pour négocier dans ce sens. Là, cela n’a pas été négocié.
Finalement, c’est la formule « fondation » qui a été retenue. Je pense que la formule fondation, c’est plutôt l’idée du bailleur de fonds, parce que c’est la formule qui lui convient. Et nous on est, quelque part, obligés de suivre. On n’a pas eu le choix. Il y a eu plusieurs tensions, des choses qu’on ne veut plus revivre.
Je crois que si je devais repartir demain à zéro, je ne repartirais pas avec un projet monté par quelqu’un d’autre. Je me battrais moi-même pour démarrer quelque chose. Quitte à ce que ce soit une table, une chaise, deux entrepreneurs à aider ! Je connais plein d’autres initiatives comme cela, qui sont nées de deux ou trois personnes, qui croient effectivement qu’on peut faire quelque chose dans un sens donné et qui essaient de travailler par la vente de leurs prestations. Et si à un moment donné ils ont l’appui d’un bailleur de fonds pour aller plus loin, c’est tant mieux. S’ils n’ont pas d’appui, ils essaient de concevoir de petits programmes mais au moins ils orientent cela librement. Parce que les contraintes des bailleurs, il ne faut pas vivre avec.
Si c’était à refaire, je repartirais autrement, sur la base d’un projet qui serait libre de s’orienter ou de s’ajuster par rapport à des besoins du milieu, par rapport à des nationaux qui ont pensé leur histoire, ne pas avoir l’influence d’un bailleur de fonds qui dit : « Cela ne rentre pas dans mes priorités, ce n’est pas ce que j’avais voulu au départ », et ainsi de suite. Quand tu montes ton propre projet et que tu vas négocier une convention de partenariat avec un bailleur de fonds, tu es plus avisé que si tu pars d’un projet qui est né d’un bailleur de fonds. Ce dernier a tendance à te le passer de telle ou telle façon. Mieux vaut une initiative où on a la possibilité d’aller vendre une idée à un bailleur de fonds. Lui voit son intérêt et l’initiative à la base essaie de voir si l’intérêt du bailleur de fonds va bien avec ses objectifs. On prend ou on ne prend pas mais on ne se collera pas un bailleur de fonds sur le dos parce que c’est lui qui a démarré le projet. Dans notre cas, c’est lui qui a toutes les idées, c’est lui qui a ficelé, c’est lui qui a négocié avec le ministère.
Et en général, que ce soit avec les travailleurs ou le milieu des entrepreneurs, c’est plus avec l’État que le bailleur de fonds travaille. Plutôt qu’avec des gens à la base comme moi et bien d’autres personnes qui travaillent là-dedans. Cela se décide plus haut que nous. Ces gens qui décident ne vivent pas avec les populations, ne vivent pas la réalité des entrepreneurs. Au ministère du commerce, à la direction de l’appui aux PME, ce qui importe, c’est qu’il y ait des projets qui appuient la petite et moyenne entreprise. Mais est-ce qu’on peut voir ce projet de telle ou telle façon, est-ce qu’on peut le changer, et ainsi de suite, eux n’ont pas forcément cette sensibilité ».
Références
GRAD (Groupe de Réalisations et d’Animations pour le Développement)
En savoir plus
Article du GRET, professionnels du développement solidaire
KONKOBO T. 2013. Évaluation de projets/programmes dans les pays en voie de développement : cas de quatre projets au Burkina Faso, Sociologie, Université Toulouse le Mirail – Toulouse II