La démocratie participative au Royaume-Uni - Entretien de Julie Ward, députée britannique du Parlement européen, à Bruxelles

Séances 2 et 3 du cours en ligne Démocratie Participative

Mihaela Similie, Pierre Bauby, octobre 2015

Centre National de la Fonction Publique Territoriale (CNFPT)

Cette interview aborde la question de la démocratie participative au Royaume-Uni, actuelle et future, ainsi que son impact sur les services publics et les décisions politiques. Des exemples sont aussi décrits tels que les écoles libres et le programme « Big Society ».

Quelle est la situation actuelle de la participation au Royaume-Uni ?

Réponse de Julie WARD :

Je crois que nous avons déjà une crise en Europe, pas seulement dans quelques pays. Je crois que les idées de politique et de démocratie n’ont pas été correctement discutées et rendues accessibles à beaucoup de personnes et ont aussi une image qui, je crois, empêche beaucoup de personnes de participer. Beaucoup de personnes pensent que la politique est quelque chose que l’on doit aller étudier à l’université alors que ce n’est pas cela. Je veux dire que le politique, c’est de la vie de tous les jours. Je sais cependant clairement que les personnes se présentant aux élections n’ont pas toujours eu comme moi d’expérience politique auparavant. Ce qui surprend, mais ne devrait pas.

Chacun d’entre nous peut être cette personne. Chacun peut dire : « je me sens capable de faire cela et de faire une différence dans toute la communauté, et donc je vais me porter candidat porte-parole pour cette communauté ». Je veux dire qu’il faut être passionné dans cette position particulière, mais il faut aussi savoir qu’on aura la confiance des personnes au nom desquelles on parle. Je vois cependant beaucoup de personnes qui ne se considèrent pas pouvoir être politiciens, avoir les attributs pour cela, au moins pour être un bon politicien quand ils s’intéressent à quelque chose, à l’injustice, quand ils souhaitent améliorer leur société.

Je crois qu’on voit dans la société civile et au niveau de la communauté un très bon engagement et en fait, quand on va à différents niveaux d’institutions démocratiques qui impliquent une représentation de plus en plus large, je crois que cela semble moins visible, plus complexe et difficile à comprendre par la population. Si on pouvait commencer à mieux transposer le modèle du processus décisionnel du niveau communautaire dans d’autres modèles, dans des modèles gouvernementaux, je crois que l’on pourrait faire des progrès.

J’agis ici au parlement européen en essayant de changer un peu les choses dans cette perspective. Nous avons quelques modèles chez nous, mais qui souvent ne s’appliquent pas aux décisions les plus importantes. Ainsi, au niveau très local, la population est responsabilisée et a peut-être un pouvoir dans le processus de prise de décisions, mais seulement sur de petites questions locales et non pas sur des problèmes réellement grands. En effet, nous avons également besoin de traduire cet engagement communautaire des parties prenantes dans les décisions niveau macro.

Pouvez-vous présenter quelques expériences de participation qui ont changé des décisions politiques ou l’organisation de certains services publics ?

Réponse de Julie WARD :

Nous avons quelques partenariats communautaires au niveau des autorités locales où des décisions sont prises sur certaines dépenses publiques. C’est un budget participatif et c’est un modèle du Brésil qui fonctionne très bien au Brésil. Dans ma région, au nord de l’Angleterre où on a commencé à utiliser le modèle du budget participatif, je dois dire qu’il y a eu beaucoup de problèmes avec ce modèle. Parfois, il s’agit des mêmes vieilles organisations. Or, ce que le budget participatif devrait permettre, c’est d’élargir le champ et non pas se limiter aux mêmes vieilles organisations. Je crois qu’en principe, le budget participatif est un outil fantastique, mais je crois que la pratique doit être encore améliorée. J’ai vu tant de bons que de très pauvres exemples de budget participatif que je ne dirais donc pas que c’est un outil parfait, mais il devrait l’être en théorie. Il devrait fonctionner vraiment bien.

Pour cela, il faut peut-être former la population à venir aux réunions, à s’engager dans le processus, à voir que la participation peut changer quelque chose. Je crois donc que c’est une sorte de jeu de longue durée. Je crois qu’il faut le développer pour le voir porter ses fruits. Je crois qu’il est important de regarder quelques exemples négatifs. Il en est ainsi de la distribution de certains fonds au niveau local pour assurer une large palette d’activités récréatives pour les populations jeunes. J’ai observé un processus de budget participatif où environ six groupes qui ont tous fait la même chose sont venus et ont participé à une sorte de dialogue, et ont tous reçu des fonds alors que certaines des activités minoritaires, par exemple pour les personnes aux besoins spéciaux, n’ont pas reçu de financement.

J’ai beaucoup regretté que certaines organisations qui ont besoin de plus de soutien pour faire des choses ne semblent pas être assez populaires pour recevoir de l’argent. J’ai aussi participé par contre au processus de dotation de fonds pour un projet qui essaie d’agir contre la violence faite aux femmes et qui a été un succès. Je crois que parfois les processus populaires peuvent être le plus petit dénominateur commun et, en ce sens, nous ne recevons pas toujours des projets de qualité. Je crois que la question est de savoir que le budget participatif n’est parfois pas un bon outil. Je crois qu’il doit cependant exister.

Il s’agit de savoir comment on en fait un bon outil et comment il doit être intégré dans la communauté. Les communautés elles-mêmes vont voir que six organisations reçoivent de l’argent pour la même chose et que les besoins spéciaux, les enfants handicapés, ne reçoivent rien et que ce n’est pas correct. Il faut donc qu’on éduque. Il faut peut-être introduire plus de distinctions entre les différentes rubriques budgétaires pour améliorer le processus.

Que pensez-vous de l’expérience des « écoles libres » ?

Réponse de Julie WARD :

Je crois en l’éducation publique, et je crois que les autorités locales sont les mieux placées pour assurer des opportunités égales pour tous. Je ne suis donc pas favorable aux écoles libres. Je trouve que les écoles libres sont pilotées par des parents éduqués de la classe moyenne qui souhaitent mieux pour leurs enfants et qui sont pour cela dans une compétition pour avoir le mieux. Ils changeraient de maison. Ils mettraient un prix qui augmenterait le prix des maisons d’où des changements pour la communauté tout entière. On obtient alors une école très sélective pour des élèves intelligents dont les parents ont de bons emplois et l’on n’a plus cette riche diversité de la population à l’école qui est une meilleure représentation de la société. Je ne suis donc pas vraiment favorable aux écoles libres. Je suis pour la coopération.

Je suis à présent membre du Cooperative Party et du Labour Party. Le modèle des écoles coopératives est assez intéressant à regarder. Ce sont des écoles qui sont en fait sorties du modèle de l’autorité locale, mais qui s’inspirent de bons modèles socialistes ; d’après ce que je peux observer. Le modèle coopératif vise à atteindre plusieurs principes de coopération et il s’agit certainement d’avoir une société juste d’égalité, de réciprocité et de mutualisation. Je crois donc que le modèle des écoles coopératives mérite d’être regardé.

Quel est l’impact du programme « Big Society » sur la participation ?

Réponse de Julie WARD :

David Cameron a parlé de quelque chose qui se passe depuis des années. La Big Society a toujours existé. J’y ai participé pendant des années. Le gouvernement conservateur s’est approprié quelque chose qui se fait depuis des décennies. Pour moi, la Big Society, c’est de l’inclusion, une manière de gratifier les personnes qui s’y investissent. Je crois que la vision des conservateurs de la Big Society a été seulement un moyen pour réduire l’investissement dans les services publics. Je pourrais l’imaginer fonctionner seulement dans des lieux riches, là où les personnes ont de l’argent et sont peut-être à la retraite. Ils ont beaucoup d’argent et peuvent donc se le permettre parce qu’elles n’ont pas à se soucier de l’argent qu’elles gagnent et du loyer qu’elles doivent payer.

On ne peut cependant pas avoir ce type de Big Society dans un endroit où les personnes ne savent pas d’où va venir le prochain repas, comment elles vont payer le loyer ou si elles auront un emploi la semaine suivante. La Big Society exigeait une sorte de stabilité minimale pour les personnes dans la communauté, alors que nos sociétés sentent de moins en moins cela. Les personnes sont très inquiètes et ne savent pas si elles auront un emploi. Je crois que c’est un très grave problème, mais il est aussi intéressant de savoir que David Cameron ne parle plus de la Big Society. Il a arrêté d’en parler parce que sa réforme de Big Society n’a pas eu lieu.

Le type de Big Society dont j’ai fait partie est toujours là et les gens n’y sont pas impliqués parce que le gouvernement le demande, mais cela fait partie de leur ADN. C’est comme cela que l’on fonctionne en tant que société. Mon expérience de travail dans les communautés les plus pauvres du Royaume-Uni m’a montré que ces personnes-là sont les plus généreuses. Ils n’ont peut-être pas beaucoup d’argent à donner, mais ils offrent leur temps. Ils ouvrent leurs portes pour les autres. Ils vous aident si vous avez un problème et ces populations sont celles qui actuellement engagent des actions citoyennes pour aider les réfugiés à Calais en apportant de la nourriture, des vêtements, des abris, des livres, de l’argent et de la solidarité à Calais, comme dans les communautés pauvres de ma circonscription dans le nord-ouest de l’Angleterre. Je suis fière de cela. Ces personnes donnent aux personnes qui n’ont rien. Ils trouvent toujours quelque chose à donner aux autres personnes dans le besoin.

Quelles perspectives pour la participation dans les années à venir ?

Réponse de Julie WARD :

Nous avons un mouvement populaire extraordinaire au Royaume-Uni appelé l’Assemblée du peuple contre l’austérité (AAA). Il a été créé précisément parce que 99 % des gens pensent qu’il n’est pas juste de payer pour les erreurs des 1 % qui reçoivent encore des bénéfices en tant que banquiers. Si nous prêtons aux banques, nous ne pouvons pas nous occuper des plus pauvres et de la société. L’AAA a été un mouvement de masse fantastique au Royaume-Uni. Cela a souvent débuté par un mouvement de petite taille avec des réunions dans tout le pays. Début octobre 2015, à Manchester, je crois que nous avons eu 100 000 personnes dans les rues lors d’une manifestation initiée par l’Assemblée de la population contre l’austérité.

Il y a maintenant de petites sections avec par exemple l’assemblée des Femmes contre l’austérité, des Etudiants, des Artistes et des Enseignants contre l’austérité qui opèrent à un niveau très local, où chacun peut devenir membre de l’Assemblée locale contre l’austérité. Elles sont liées par un esprit de solidarité avec d’autres sections, et il y a une assemblée générale dans laquelle on peut s’inscrire également. Ces personnes se joignent aussi à certaines figures célèbres et certains grands noms tout en restant une organisation et un mouvement de terrain. Ce mouvement se développe et est plus puissant. Je crois qu’il a aidé les citoyens à se sentir responsabilisés, à leur donner de l’espoir, et à les faire sentir qu’ils ne sont pas isolés, mais qu’ils décident d’agir ensemble.

Donc le futur de la participation est de bas en haut ?

Réponse de Julie WARD :

Oui, elle doit être de bas en haut ! Je vois qu’une partie de ce que je dois faire, c’est d’encourager d’autres personnes qui se sentent capables de faire ce que j’ai fait et de passer le cap suivant. Le cap suivant est de dire qu’ils vont défendre et représenter cette communauté. Si vous voyez en moi une personne qui peut vous représenter à un niveau de prise de décision au niveau politique, vous allez alors peut-être vous présenter aussi. Je joue un rôle très grand chez moi en essayant d’encourager d’autres personnes à se présenter, en particulier des femmes. Je suis vraiment fière qu’il y ait quelques femmes musulmanes dans le nord-ouest de l’Angleterre qui ont pris la décision de se présenter pour des fonctions politiques au niveau local. Je les ai rencontrées et je les aide. Je leur donne des conseils et informations et j’ai essayé de les encourager. Je les ai faites venir au Parlement européen parce que je crois que, si les personnes peuvent voir ce que nous faisons ici, comment nous fonctionnons et effectivement ce qu’il faut faire c’est de parler avec conviction de la vérité que l’on connaît, alors ils gagneront en confiance. Ils verront qu’en effet être représentant politique n’est pas si éloigné de la vie de chaque jour

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