Quand l’immobilier productif devient une classe d’actif
Carnet pratique n°16 : (Re) développer les activités productives dans les régions métropolitaines
Thierry Petit, novembre 2024
Le foncier industriel a longtemps été considérés par les acteurs de l’immobilier d’entreprise comme un marché de moindre importance et complexe à appréhender, niche d’experts en mesure de répondre aux différentes échelles de production. Mais la situation évolue et plusieurs facteurs nouveaux amènent certains acteurs qui cherchent à se positionner sur de nouveaux marchés. Apparaissent des investisseurs immobiliers qui souhaitent diversifier leurs actifs vers des valeurs lus sécurisées et innovantes.
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Le foncier industriel et l’immobilier productif ont longtemps été considérés par les acteurs de l’immobilier d’entreprise comme un marché de moindre importance et complexe à appréhender. Ceci s’explique par la nature même de la demande. Pour répondre aux attentes des industriels et aux contraintes très spécifiques auxquelles ils sont confrontés (sécurité, isolation multiple, charge au sol, hauteur, etc.), les acteurs de l’immobilier doivent recourir à des savoir-faire pointus et mobiliser des professionnels, souvent peu nombreux, possédant des compétences très spécifiques. Cette situation va à l’encontre de la recherche de standardisation, qui permet notamment des gains de productivité. De plus, les activités productives sont en grande majorité exercées par des TPE/PME sous-traitantes, artisans ou supports logistiques, qui ont des capacités financières limitées et n’offrent pas de solides et attractives perspectives de marché pour les acteurs de l’immobilier.
De ce fait, le foncier et l’immobilier dédiés aux activités productives étaient et restent encore dominés par des constructions en compte propre pour des entreprises désireuses d’être propriétaires. Pour les actifs de seconde main, ce sont les négociateurs immobiliers qui vont identifier les nouvelles entreprises preneuses. Pour le cas spécifique des grandes emprises foncières industrielles, l’organisation du marché est différente avec des montages plus complexes, car ces sites peuvent nécessiter diverses interventions, comme un remembrement des parcelles, des réseaux et de la voirie, voire une dépollution.
Ces dernières années, le fonctionnement de ce marché a profondément évolué sous la pression de plusieurs facteurs :
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la forte montée d’un discours public en faveur de la souveraineté et de la réindustrialisation de la France ;
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l’impératif de sobriété foncière (objectif ZAN), qui en freinant fortement les extensions pousse à un recyclage et à une densification des terrains existants dans un contexte de hausse généralisée du prix du foncier ;
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la financiarisation de l’immobilier d’entreprise, qui concerne progressivement toutes les classes d’actifs. Ce développement de l’immobilier d’investissement se traduit par le principe du compte à rebours. Ainsi, pour une opération immobilière déterminée, c’est le prix anticipé du loyer qui peut déterminer le prix du sol et non l’inverse !
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les difficultés du commerce physique et l’impact du télétravail sur le marché des bureaux affaiblissent l’attractivité de ces marchés et poussent des investisseurs immobiliers à s’intéresser à d’autres classes d’actifs.
L’ensemble des facteurs précédents stimule le marché de l’immobilier productif. Progressivement, de nouveaux acteurs se positionnent pour répondre à des marchés précis, en croissance, tels la néo-industrie (nouvelle forme de fabrication, plus légère et de haute technologie), les laboratoires, etc. Par ailleurs, des investisseurs immobiliers à la recherche d’une diversification de leurs actifs ou de rendements plus sécurisés, même s’ils sont plus faibles, se tournent désormais plus volontiers vers les actifs productifs. Il va s’agir de départements spécialisés sur l’industrie au sein d’investisseurs déjà en place, soit de nouveaux entrants spécialisés dans les actifs productifs, dont certains s’appuient sur des propositions innovantes, par exemple en matière de forme immobilière (en hauteur), de modularité des espaces ou de fabrication « hors site ». Ce nouvel intérêt pour les actifs productifs s’accompagne aussi de nouvelles pratiques, et en particulier du développement d’une offre locative portée par des acteurs immobiliers publics ou privés, qui souhaitent rester propriétaires de leurs actifs, ainsi que d’une offre de foncier sous forme de baux emphytéotiques. Ceci permet d’élargir l’offre immobilière destinée aux activités productives et de répondre à la demande croissante d’entreprises qui préfèrent louer plutôt que rester propriétaires et devoir investir dans des locaux aux coûts de mise aux normes très importants. En revanche, ces stratégies d’acteurs immobiliers limitent fortement l’offre pour des entreprises souhaitant acquérir les murs et le foncier, et peuvent conduire à produire une offre ciblée sur les marchés les plus solvables au détriment d’industriels plus fragiles financièrement.
Ces nouvelles conditions de marché modifient également les stratégies des acteurs qui composent la chaîne de valeur de l’immobilier productif, du propriétaire foncier à l’entreprise utilisatrice (cf. graphique). Ainsi, du côté des acteurs publics, de nouvelles pratiques émergent avec un recours plus systématique à des outils innovants, comme le découplage de la propriété des sols et du bâti ou le portage temporaire de locaux pour le compte d’entreprises. Ces acteurs publics s’appuient de plus en plus sur des foncières patrimoniales locales chargées de gérer des portefeuilles de biens sur le moyen et le long terme, qui complètent les établissements publics fonciers existants. Ainsi, en Île-de-France, IDF Investissements et territoires, société d’économie mixte créée en 2020 à l’initiative de la Région, porte des actifs à vocation économique sur moyen/long terme, tels que l’acquisition en 2023 des locaux de 2 500 mètres carrés de la société Delage Aero Industries à Pierrefitte-sur-Seine lui permettant d’y poursuivre son développement. De son côté, l’Epfif intervient en amont de la chaîne de valeur en rachetant des terrains, friches et actifs fonciers et immobiliers dévalorisés et qui sont plus tard aménagés par la collectivité ou un opérateur mandaté. L’annonce de la création de la foncière Terra Eco par Grand Paris Aménagement, adossée à la Banque des territoires, propose une offre destinée aux entreprises, le bail à construction, tout en gardant la maîtrise de long terme des fonciers à vocation économique.
L’ensemble des transformations précédentes agit sur la place des acteurs au sein de la chaîne de valeur, notamment les aménageurs, promoteurs et investisseurs. Dans le modèle actuel, le coût final du foncier et de l’immobilier est à la fois la résultante de la somme des coûts des acteurs, de leurs marges, mais aussi de négociations entre acteurs : les recettes des uns constituant le prix d’achat des autres acteurs de la chaîne. Aujourd’hui, ces acteurs revoient leurs objectifs propres pour répondre à leurs impératifs de rentabilité, dont le niveau pourrait cependant être interrogé dans les phases actuelles de transition, qui nécessitent de lourds investissements. Cette pression sur la rentabilité pousserait à l’émergence d’acteurs intégrés détenteurs à moyen/long terme de foncier à usage productif, et capables de proposer des usages spécifiques répondant aux besoins des entreprises