Un jeu collectif en construction continue pour favoriser l’échange et l’inter-formation entre personnes en difficulté
« Si j’avais su, j’aurais pas fait »
Pascale Thys, septembre 2001
Cette fiche présente un jeu collectif mis en place par la maison d’accueil des Quatre Vents. Ce jeu permet un échange d’expériences entre les hébergés (nouveaux et anciens) à propos de leur situation. Il permet à tous de réfléchir et de proposer des solutions pour répondre à leurs problèmes, en particulier en ce qui concerne leurs relations avec les institutions.
Cette fiche a été réalisée avec le concours de la Maison d’accueil Les Quatre Vents, et à partir de l’interview de 4 bénéficiaires, du directeur et d’une assistante sociale.
Contexte et origine du projet
Le jeu s’est construit et se pratique dans le cadre des activités de la Maison d’accueil les Quatre Vents.
Les Quatre Vents est une Maison d’accueil pour adultes en difficulté qui existe depuis 1974. Les responsables ont remarqué que, souvent, pour l’ensemble des hébergés, hommes, femmes et familles, un problème essentiel se pose : que faire de ses journées ? La réponse des Quatre Vents n’a pas été de développer de l’« occupationnel » mais d’utiliser ce qui existe à l’extérieur. Dans le fonctionnement de la Maison, une réunion était organisée avec les hébergés et portait initialement sur des questions purement organisationnelles.
Mais ces réunions ont débouché progressivement sur des questions telles que «comment je vis ici ? » ou « comment en suis-je arrivé(e) à venir dans cette Maison d’accueil ? ». A un moment donné, l’équipe a décidé de créer deux moments distincts suite à un besoin identifié sur le terrain.
C’est ainsi qu’un groupe de parole a vu le jour sous forme d’atelier à coté de réunions strictement organisationnelles. Tous les sujets en rapport avec des éléments de la vie quotidienne pouvaient être abordés. Après un certain temps, les thématiques ont été recentrées sur les préoccupations des gens dans la Maison d’accueil au moment présent. Les thèmes portaient sur l’alimentation, le budget, la recherche d’emploi. Ces ateliers s’institutionnalisant, une lassitude est née et la motivation des hébergés a fortement baissé. Animés par une personne extérieure, les ateliers étaient devenus beaucoup trop scolaires et, ne répondant plus aux attentes du public, ont été supprimés.
Réfléchissant à un autre type d’animation face à des situations de plus en plus complexes et confrontée à un grand besoin de parler des bénéficiaires, l’équipe a lancé le jeu. Ce cheminement qui a mené jusqu’au lancement du jeu a duré quatre à cinq ans.
Objectifs et enjeux du projet
L’objectif du projet est de permettre aux hébergés de parler de leurs difficultés mais aussi des solutions qu’ils ont trouvées pour les dépasser et de les partager avec les autres. L’idée est aussi de chercher les moyens de trouver de nouvelles pistes de réponses aux problèmes rencontrés dans le parcours de chacun. Outre la finalité de parler, le jeu permet de développer les capacités d’écoute des participants face aux difficultés des autres.
Population concernée et groupes cibles
Le groupe des joueurs est constitué par des hébergés des Quatre Vents, ainsi que des anciens ou ceux qui passent par-là.
Au niveau des hébergés, ce sont des personnes qui n’ont plus de logement (hommes, femmes, couples et enfants).
Montage financier
Cette activité est menée sur fonds propres. Toutefois, les Quatre Vents a reçu une bourse de 50.000FB via le Volet « Participation et citoyenneté » du Parcours d’insertion lancé par la Commission sous-régionale de coordination du parcours d’insertion du Brabant wallon (Province de Belgique).
Partenaires du projet
Dans le cadre du jeu, les participants ont été amenés à se rendre dans différents services d’aide de la région pour récolter de l’information afin d’limenter les réponses que les participants se posent.
Déroulement du projet
Le jeu se construit avec un groupe très changeant, mais il trouve sa valeur dans la prise de parole des hébergés et dans l’idée que les participants laissent un témoignage aux autres hébergés des Quatre Vents. Il s’agit de « faire ensemble ». Le jeu n’a pas un contenu propre sinon celui que les joueurs précédents lui ont donné et ce que les joueurs du moment en font.
Le jeu est envisagé non comme une compétition mais comme un jeu de réflexion et de partenariat dans lequel l’ensemble du groupe va jouer sans qu’il y ait de perdant. Il n’y a pas de consigne ni sur le fond, ni sur la forme, mais le jeu tel qu’il a été conçu est présenté aux nouveaux joueurs.
La question de départ du jeu est « qu’est-ce qui nous a amené à la maison d’accueil ? » puis « quelles sont les institutions qui vont pouvoir m’aider ? »
Au début les participants ont exprimé un peu en vrac ce qu’ils connaissaient. Une étape a consisté également à récolter une série d’informations dans les institutions afin de réaliser un dossier de documents de référence pour aider à trouver des réponses aux questions quand l’expérience du groupe ne permet pas de trouver une solution satisfaisante.
Différents groupes se sont succédés pour arriver au stade où le jeu en est.
Petit à petit, de la rédaction d’un très grand nombre de questions, le jeu s’est construit autour de neuf thèmes : l’argent, la santé, le boulot et la formation, mes droits, la famille, l’occupation du temps et les loisirs, le logement, les trucs et astuces, l’alimentation.
Chacun de ces thèmes, après de multiples sélections qui sont autant de moment pour s’exprimer et échanger, comporte dix questions. On y retrouve des questions comme : « Comment vivre avec peu d’argent ? Que faire pour ne pas s’ennuyer ? Comment se payer un logement confortable quand on a peu de revenus ? Comment choisir un bon médecin ? ». Ces questions renvoient à une série de réponses.
Dans le processus, à tout moment, c’est l’expérience personnelle qui est favorisée et l’aide éventuelle des autres participants qui est mobilisée pour venir étoffer la réponse de la personne.
Perception du projet par les acteurs
Résultats quantitatifs
Au cours de la première phase de jeu et de construction du jeu, 36 personnes ont participé. Lors de la deuxième phase, il y a eu environ 40 personnes. Au totale, environ 80 personnes ont participé et joué.
Résultats qualitatifs
Selon le directeur des Quatre Vents, « sans action spécifique de l’équipe, cette démarche a déjà pour effet de relativiser le niveau des difficultés auquel chacun est confronté et redonne de l’espoir aux gens. »
En décembre 1999, un hébergé témoigne que « grâce aux questions et aux réponses du jeu, nous avons acquis plus de culture. Cela nous a servi entre autre pour le Centre Public d’Action Sociale (CPAS) ou le Forem (service public wallon de l’emploi et de la formation). Quand je suis allé au CPAS, par exemple, je savais qu’il existait une prime d’installation et comment l’obtenir. »
Pour une participante actuelle du jeu, « on ose dire des choses qu’on ne dirait pas, on ose aussi aller vers les assistants sociaux. » Elle ajoute « Ça semble passer très vite, comme si c’était cinq minutes au lieu d’une heure. » Pour un autre participant, avec le jeu, « on est moins coincé, et puis on fait des « Tilt » en entendant des choses auxquelles on n’avait pas pensé ».
Le jeu permet aussi d’aider à formuler des questions qui pourront ensuite être travaillées dans le cadre du suivi individuel.
Pour un nouvel hébergé, « Arrivé ici, on est paumé, on a peur de la vie communautaire, de toutes les démarches. Grâce au jeu, on s’adapte ».
Les répercussions de ce jeu sont positives en termes de dynamique de groupe, d’informations, d’échanges et de contacts.
Efficacité du projet
L’efficacité du projet réside en plusieurs niveaux : la convivialité au sein de la Maison, l’information et l’éducation des bénéficiaires, la valorisation des compétences et de l’expérience des bénéficiaires.
La participation
Le jeu n’existe que par la présence et la construction que les participants en font. Ce sont eux qui, collectivement, créent les questions et les réponses, mais aussi donnent une certaine forme, une certaine présentation au jeu.
Avancées au niveau du droit
D’un point de vue général, le jeu permet aux participants d’accéder à une meilleure connaissance de leurs droits.
Le projet comme processus
Pour l’assistante sociale qui anime le jeu, le jeu « a permis d’entamer le dialogue, de les faire réfléchir à leur situation pour qu’ils puissent réussir leur sortie de la maison d’accueil ».
Difficultés rencontrées, blocages et handicaps
Une des difficultés est que l’assistante sociale qui anime le jeu doit disposer du temps nécessaire pour assurer l’animation par rapport à d’autres activités souvent plus urgentes : Le jeu « dort » à certaines périodes pour se réveiller à d’autres.
Lors du redémarrage, une des difficultés réside dans le traitement de la masse d’informations accumulées. En effet, les participants ont alors à leur disposition un dossier épais composé non seulement de la documentation rassemblée mais aussi de l’ensemble des questions et des réponses apportées par les participants précédents du jeu depuis sa création. Ils doivent donc se réapproprier le jeu avant de pouvoir se lancer.
Au niveau du contexte plus large dans lequel s’inscrit le projet, il est à noter qu’en 2000, le service n’a pu répondre qu’à 20% des demandes par un accueil. Pour les responsables, cette situation s’explique par l’allongement du temps de séjour dû aux difficultés croissantes des bénéficiaires à se reloger, par un afflux important de demandes d’accueil concernant des candidats réfugiés, ainsi qu’une augmentation de l’accueil de familles en 2000 qui a empêché d’accueillir davantage de couples.
Atouts du projet et causes de réussite
Le projet s’inscrit dans un environnement qui met l’accent sur l’accueil et l’écoute des bénéficiaires.
Les hébergés apprécient le nom des chambres qui font sourire et leur apportent un peu de chaleur. On y retrouve entre autre la chambre « Caraïbe », la « Méditerranée », ou la « Terre-Neuve ». Par ailleurs, ils apprécient aussi qu’un mur de la salle TV ait été décoré par une fresque peinte par des hébergés en 1995. Dans ce contexte, lors de la réunion d’organisation, les hébergés peuvent proposer les menus, « ce qui demande plus de temps en termes de gestion et de moyens humains » précise le directeur. A l’occasion de la réunion, un planning de la semaine est établi et la cuisine et le nettoyage des endroits communautaires sont pris en charge par les hébergés.
Le jeu a pour effet positif de faire revenir des anciens en visite. Ces anciens, installés, peuvent montrer aux hébergés qu’il y a moyen de s’en sortir et leur donnent espoir.
Le mode ludique et un type de relation plus informel permettent de développer une autre qualité de relation entre travailleurs et hébergés.
L’assistante sociale a un rôle essentiel dans la conservation et dans la transmission du jeu. Lors de chaque remise en route du jeu, elle retrace l’histoire du jeu jusqu’à la présentation de la forme qu’il a pris.
Perspectives de développements futurs du projet
Au niveau du développement concret du jeu, une participante aimerait que le jeu prenne une forme plus ludique et plus « dynamique » tel qu’un jeu de piste.
Pour l’assistante sociale, l’important est que le jeu continue à se développer et à prendre forme au fur et à mesure des animations et des différents groupes qui se succèdent dans le temps.
En savoir plus
Site Internet de la maison d’accueil des Quatre Vents