Le Phare, un projet construit collectivement avec des hébergés d’une Maison d’accueil
Pascale Thys, septembre 2001
Cette fiche s’intéresse à un projet mis en place par une association, Source asbl, projet dont le but est d’entrer en contact et d’apporter une aide aux habitants de la rue qui ne souhaitent pas s’adresser à des institutions.
Cette fiche a été réalisée avec le concours de la Maison d’accueil Source asbl, à partir d’entretiens avec le directeur et une assistante sociale.
Contexte et origines du projet
« Le Phare » est une initiative qui émane de Source, une maison d’accueil située en Région bruxelloise, fondée en 1959. A l’origine, elle accueillait, des hommes sortant de prison. Elle s’est ensuite ouverte aux hommes isolés, puis aux couples et aux familles. Actuellement, l’association sans but lucratif (asbl) a également développé des actions en amont et en aval de la maison d’accueil et articule son travail avec d’autres institutions.
L’association a créé un restaurant social de quartier et un centre d’animation dénommé « La Rencontre » qui a vu le jour au milieu des années 1980.
Pour l’association, l’hébergement est à priori considéré comme transitoire et son objet est la préparation de « l’après hébergement ». Dans ce cadre, la Source a également mis sur pied « Fami-Home » en 1994 dont les actions sont intimement liées. L’objectif de « Fami-Home » est de favoriser l’accès au logement, via des formules variées (logement à bail glissant, logement de transit, logement privé), à des personnes en difficulté par un accompagnement post-hébergement.
Enfin, « Le Phare » est un projet expérimental qui se construit collectivement entre personnes hébergées et ex-hébergées accompagnées des membres de l’équipe de Source. Le projet vise à donner vie à un local et offrir avant tout un lieu de rencontre pour les sans-abri qui ne sont pas touchés par les services sociaux.
Objectifs du projet
Le projet expérimental du « Phare » s’inscrit dans les objectifs plus larges de Source qui offre plus qu’un simple hébergement, c’est-à-dire répondre le plus largement possible aux problèmes que les bénéficiaires rencontrent.
Le projet « Le Phare » vise à mobiliser les compétences de ceux qui ont vécu l’expérience de l’exclusion autour d’un projet qui puisse les valoriser.
Un des buts que le groupe a défini est de permettre d’entrer en contact avec les habitants de la rue qui ne souhaitent pas s’adresser à une institution et vivre de manière autonome.
Le projet vise également à créer un espace de convivialité et de rencontre pour sans-abri.
Population concernées et groupes cibles
La Source s’adresse à toute personne en difficulté ayant besoin d’un logement transitoire : homme seul, couples, parent avec enfants ou familles.
Le projet du « Phare » s’adresse à deux populations : d’une part les bénévoles, hébergés ou ex-hébergés de Source ou des personnes qui fréquentent « La Rencontre » ; d’autre part, les sans-abri qui ne fréquentent aucune association ou institution et qui peuvent, par l’intermédiaire du Phare, trouver un lieu où rencontrer des gens sans devoir avoir de demande spécifique.
Montage financier
Source est une association agréée et subventionnée par la Commission communautaire française (CoCoF) pour une capacité de 34 lits d’hébergement d’adultes isolés, d’adultes isolés accompagnés d’enfants et de familles complètes.
Elle est également agréée et subventionnée par la Région de Bruxelles-Capitale dans le cadre de l’insertion par le logement.
« La Rencontre » bénéficie de personnel ACS (agent contractuel subventionné), Maribel, TCT (Troisième Circuit de Travail) et Article 60. « Fami-Home » bénéfice de deux temps pleins dont un tiers via la CoCom (Commission Communautaire Commune).
Globalement, l’association fonctionne avec 60 % de subsides (subventions) publics, 10% provenant des recettes de « La Rencontre », 10% de dons et subsides privés, et 20% provenant de l’hébergement et d’animations. Le service emploie environ 20 personnes à temps plein.
Au niveau du local du « Phare », appartenant à la Région bruxelloise, il a été prêté à Source dans le cadre d’un bail emphytéotique de 27 ans. L’asbl a bénéficié de primes à la rénovation ainsi que d’une subvention de 500 000 FB de la Fondation Roi Baudouin pour la rénovation des locaux.
Partenaires du projet
Dans le cadre d’un projet global de facilitation de l’accès au logement, Source a voulu éviter une difficile double casquette de gestion de logement et d’accompagnement social. C’est pourquoi, Source a été une des associations à l’origine de la création de l’Agence Immobilière Sociale « Logement Pour Tous » avec laquelle elle entretient une collaboration étroite au niveau du post-hébergement et dont le suivi des personnes est assuré par l’équipe de Fami-Home.
Source travaille également avec un certain nombre de partenaires privilégiés du réseau associatif bruxellois.
Déroulement du projet
Sachant qu’elle allait disposer d’un nouveau local, l’équipe de Source a proposé aux hébergés et ex-hébergés de prendre part à la construction d’un projet dont l’idée était d’utiliser les compétences et l’expérience qu’ils ont pour proposer un service utile à des sans-abri n’utilisant pas les institutions existantes.
Une série de rencontres a eu lieu et rassemblait en moyenne cinq hébergés ou ex-hébergés et des travailleurs. Au cours de ces réunions, les discussions tournaient autour de questions telles que : comment entrer en contact avec les sans-abri ? Comment identifier leurs besoins ? Comment aménager les locaux ? Est-ce que les services seront gratuits ? L’hébergement des personnes accompagnées de chiens étant souvent un problème, certains participants auraient voulu que le Phare propose l’hébergement des chiens des personnes qui sont en Maison d’accueil. Quel sens cela a d’offrir de la soupe aux gens alors que tant d’autres services le font déjà ? Quelle serait la spécificité du « Phare » ? Toutes ces discussions ont fait l’objet de nombreux débats et fait partie intégrante du projet. Ces débats sur la mise en place du projet permettent tant aux bénéficiaires qu’aux travailleurs d’avoir des échanges différents par rapport aux échanges habituels.
Le local du « Phare » est situé à proximité d’une station de pré-métro et de la Gare du Midi de Bruxelles. Il s’agit d’un espace de 4 mètres sur 3 avec 8 chaises, 4 tables et un petit réchaud.
Les discussions ont mené à l’ouverture du « Phare » en avril 2001. Les personnes ont pu venir y boire des tasses de café ou de soupe fraîche pour 5 FB. Concernant les horaires, le local ouvrait les mardi et jeudi de 11 h à 13 h. A cette époque, le local a d’abord été ouvert par les bénévoles accompagnés d’un travailleur. Ensuite, ils ont ouvert le local seuls et la clef du local a été confiée à un bénévole.
Pour faire connaître le projet, outre le bouche-à-oreille, des tracts ont été distribués dans les gares, et des affiches ont été apposées dans d’autres services sociaux (Centre Public d’Action Sociale, maisons médicales, maisons d’accueil, restaurants sociaux, etc.)
Perception du projet par les acteurs
Résultats quantitatifs
Au niveau des hébergés et ex-hébergés, le groupe rassemblait quatre à cinq participants au projet Phare.
En ce qui concerne la fréquentation du local, en avril 2001, sur les deux heures d’ouverture, se sont, en moyenne, dix tasses de café et dix tasses de soupe qui ont été consommées.
Résultats qualitatifs
Pour la plupart des bénévoles qui ont participé au projet, « quand ils quittent la Source et qu’ils ne viennent plus à La Rencontre, on ne les voit plus non plus pour le projet du Phare » explique le directeur. « Mais, au-delà de ça, poursuit-il, avec ceux qui ont participé au projet, un rapport de confiance, un autre mode de relation a été instauré dans lequel ils se sont sentis valorisés. »
Au cours des réunions de préparation du projet du Phare, les discussions renvoyaient au fonctionnement d’une institution d’aide aux personnes en difficulté ainsi qu’aux règles qui existent pour qu’une institution puisse fonctionner. La démarche permet aux participants, par leur implication dans le projet, d’effectuer un décentrage et d’adopter une autre vision sur les institutions. L’initiative proposée par Source contribue autant à resocialiser qu’à responsabiliser les participants impliqués dans la construction et la réalisation du projet.
Les échanges ont également permis aux travailleurs d’entretenir une relation sur un mode différent avec les participants et de valoriser les compétences des bénéficiaires qu’ils accompagnent quotidiennement.
Efficacité du projet
Au stade où il en est, l’efficacité du projet réside essentiellement dans le processus qui a été mené avec les hébergés et ex-hébergés de Sources plus que par l’action de terrain d’offrir un espace convivial de rencontre pour sans-abris. Il permet aux bénéficiaires-bénévoles à la fois de s’exprimer, d’échanger, et de construire un projet en groupe.
Le projet ouvre également à un autre niveau de relation et de compréhension entre travailleurs et bénéficiaires.
La participation
Le projet du « Phare » offre un espace de dialogue et de participation des bénéficiaires. Par l’intermédiaire du projet, les participants sont invités à prendre une place d’acteur et à s’impliquer dans un projet visant à aider d’autres personnes en difficulté.
La démarche permet aussi aux bénévoles de prendre du recul par rapport à leur parcours.
Avancées au niveau du droit
Dans le cadre de ce projet, il n’y a pas de démarche juridique particulière qui aie été menée.
Le projet comme processus
Pour le directeur, en terme de processus, le lancement du projet du « Phare » permet de développer une nouvelle vision du travail réalisé par Source. Par extension, ce travail peut avoir une incidence positive sur la perception que les participants ont des institutions d’aide sociale, de la légitimité de leurs règles et du travail du personnel.
Ce projet monté en commun entre travailleurs et bénévoles permet aussi de faire remonter vers l’institution un autre regard et une autre perception issus des gens de la rue eux-mêmes.
Difficultés rencontrées, blocages et handicaps
De manière générale, une des difficultés du lancement de projets avec cette population est qu’il faut aller vite. Il est indispensable que le projet soit petit et de courte durée afin que les participants en voient rapidement les effets. « Au début, explique une travailleuse, ils sont tout feu, tout flamme et puis l’enthousiasme s’estompe et quand ils quittent la maison, ils arrêtent de participer au projet. Ça marche quelques semaines et puis ça s’arrête. Avec un petit groupe de motivés, le projet prend son envol mais lorsque certains l’ont quitté, les autres n’ont plus continué. » La participation des hébergés dépend aussi d’autres conditions extérieures : « S’il fait beau en ville, on a moins de chance de voir des participants ».
Le projet du Phare nécessite de mobiliser du temps de l’équipe pour dynamiser et accompagner le processus. La gestion de l’urgent et du quotidien rend parfois difficile le fait d’assumer ce projet auquel l’équipe accorde pourtant beaucoup d’importance.
Pour le directeur, « si les discussions sur le rapport qu’on entretient avec les règles d’une institution sont riches, il n’est pas toujours facile pour l’institution de gérer le questionnement qu’elles génèrent. La dynamique instaurée donne une grande légitimité aux positions des participants qui ont parfois tendance à revendiquer des choses qui ne sont pas toujours évidentes à gérer au niveau institutionnel. »
Atouts du projet et causes de réussite
Le projet du Phare s’inscrit dans un projet de mobilisation des hébergés et ex-hébergés pour que des aidés deviennent des aidants et que les participants s’impliquent bénévolement dans un projet qu’ils construisent en groupe.
Perspectives de développements futurs du projet
Sans obligation de résultats, les travailleurs remobilisent régulièrement les bénéficiaires sur le projet. L’outil sera relancé en septembre 2001 et des réunions seront organisées pour poursuivre la construction du projet avec les bénéficiaires.
En savoir plus
Coordonnées de l’Association Source asbl
Site de l’association Source asbl