Association des habitants du « Chêne Houdiez »
La mobilisation des habitants d’un ex-village de vacances au statut de parc résidentiel
Pascale Thys, septembre 2001
Cette fiche présente la mobilisation des habitants d’un ex-village de vacances au statut de parc résidentiel. Ils réfléchissent aux conditions et moyens pour que le site sorte d’une copropriété coûteuse, en réaction à la volonté de vente globale du site émanant du plus gros copropriétaire.
Cette fiche a été réalisée avec le concours de l’Association des habitants du « Chêne Houdiez », à partir de l’interview de 11 habitants du site dont le Président de l’Association des Copropriétaires.
Contexte et origines du projet
Projet lancé au début des années 1970, le domaine du Chêne Houdiez, est un ancien village de vacances qui était destiné à accueillir, aux termes de plusieurs phases de développement, 146 chalets et 151 emplacements pour caravanes résidentielles. Interrompus au cours de la première phase de construction, les 26 chalets construits, la conciergerie et 3 caravanes résidentielles abritent aujourd’hui plus d’une cinquantaine d’habitants.
Le Chêne Houdiez, hameau des 3 frontières (France, Estinnes, Erquelinnes), se situe sur la crête du parc naturel de la Haute Sambre. Le cadre verdoyant et bucolique accueille ce que les habitants se plaisent à appeler des « maisons forestières de type bavarois », chalets de résidence secondaire de qualité mais de dimension réduite (60 m² de surface habitable).
Le site dispose d’une cabine à haute tension et d’une station d’épuration prévues pour une partie des 330 résidences abrités dans des bâtiments non durables. Il y a également un réservoir d’eau potable (vide car non terminé) en dur. Les zones inoccupées prévues pour les caravanes sont pourvues de petites installations électriques et d’arrivées d’eau (chaque installation pourrait alimenter une maison). Pour l’eau et l’électricité, des compteurs généraux alimentent le site et des compteurs de passage permettent de répartir les frais selon les consommations de chaque habitant. La pression d’eau est marginale (insuffisante) sur le site.
Au départ, le copropriétaire majoritaire du site, Transga, situé à Bruxelles, s’occupait du syndic et de la présidence de l’assemblée des copropriétaires. En 1994, après la modification de la loi sur la copropriété, il a abandonné ces deux postes. Un syndic de proximité a été choisi (habitante d’Estinnes).
A partir de 1991, les habitants du Chêne Houdiez ont pu se domicilier sur le site.
L’Association des habitants du Chêne Houdiez est une association spontanée et non structurée. Elle est née suite au refus d’Inter-Environnement Wallonie d’accepter la candidature de l’Association des Copropriétaires en tant que membre parce que la société Transga en faisait partie. La majorité des membres de l’Association des habitants du Chêne Houdiez sont également membres de l’Association des Copropriétaires. En effet, sur le site, seules deux familles sont locataires.
Un des éléments déclencheurs de la cohésion du groupe est que le copropriétaire majoritaire actuel, AXA, souhaite se retirer de la copropriété. La société a mandaté le syndic pour réaliser une étude de faisabilité par rapport à cette problématique lourde et l’a chargé de négocier avec les différents partenaires (commune, habitants, …) afin de sortir de la copropriété. Dès qu’une partie des habitants ont eu connaissance de cette volonté, ils ont aussi fait savoir qu’ils souhaitaient sortir de la copropriété, mais à certaines conditions afin de ne pas mettre « 30 familles en faillite ménagère » explique le Président de l’Association. Lui-même est locataire d’une maison sur le site depuis 91, propriétaire depuis 94, président du conseil de gérance depuis 98 et chômeur âgé. « Sur base de la loi sur la copropriété du 30 juin 1994, AXA ne peut quitter la copropriété sans accord des autres copropriétaires », précise-t-il.
La problématique vécue génère de nombreux projets chez les habitants du site. L’Association se mobilise pour différentes actions. Les premières expériences de mobilisation des habitants ont eu lieu dans le cadre de la signature de pétitions : l’une demandait à la commune l’amélioration de la voirie menant à Peissant dont un carrefour était dangereux (1998 – conséquence la route a été refaite par le MET) ; l’autre exprimait une opposition à un projet d’implantation d’une antenne GSM ; une troisième visait à s’opposer à un projet de développement d’une sablière aux abords du site.
Objectifs et enjeux du projet
Pour les habitants, l’objectif principal est de « ne plus être des habitants de seconde zone. » Un habitant explique : « On veut devenir des habitants normaux. C’est le paradoxe de la citoyenneté : on paie des taxes communales mais on en a que des retombées partielles. » Un autre habitant précise : « la commune assure le ramassage des ordures mais on doit nous-mêmes assurer l’entretien des voiries, l’éclairage public, l’égouttage, le traitement des eaux usées, … ».
Parallèlement à cet objectif découle le désir de sortir de la copropriété coûteuse avec la recherche d’alternatives. « Mais, explique le Président de l’Association, au terme de la procédure, il faudra que chacun soit gagnant : la société copropriétaire majoritaire, les 30 familles, la commune, … ». L’association cherche aussi à développer la convivialité sur le site.
Pour dissoudre la copropriété, qui fait l’objet d’un article dans l’acte de base, des propositions et des démarches sont lancées : La station d’épuration devrait être reprise par la Région wallonne ; la cabine haute tension devrait être reprise par Electrabel. Cette cabine doit être remplacée avant 2005 pour être en concordance avec les normes (coût entre 500.000 FB et 1 million). La voirie devrait devenir communale, ce qui impose des modifications au plan de secteur régional. Les habitants voudraient sauvegarder la zone verte et ne pas laisser construire partout.
Un projet est de créer un site pilote d’utilisation rationnelle de l’énergie, d’énergie renouvelable et de protection de l’environnement. Le Président explique qu’Electrabel a réalisé une carte avec les régions où il serait possible d’installer des éoliennes. Le domaine est une zone favorable. De plus, le domaine possède une ligne de moyenne tension de 11.000 watts indispensable pour ce genre de projet. D’autres part, le site serait au centre de la biomasse humide et sèche, ce qui permettrait d’envisager l’installation d’une petite centrale biomasse.
Un autre projet a été déposé à la Fondation Roi Baudouin pour la création d’une Maison de la Crête du Parc Naturel de la haute Sambre et de la forêt, lieu polyvalent de rencontre pour les habitants, pour l’organisation d’activités tournées vers la nature dans laquelle les habitants du site pourraient s’investir, et qui permettrait la création d’emplois. Avec les naturalistes de Thuin, un enseignant en cuisine, propriétaire d’une maison sur le site depuis 5 ans, a repéré une zone de bruyères rares et d’autres essences rares. Il organise pour les habitants du site des journées « champignons », « papillons de nuit », … Un sentier de grande randonnée passe aussi par le site (le GR90).
Les jeunes du domaine sont impliqués dans l’entretien du site via des contrats étudiants passés avec le Syndic de l’Association des Copropriétaires.
Population concernée et groupes cibles
30 ménages, dont beaucoup ont une activité ou sont pensionnés. On y rencontre par exemple trois retraités, trois enseignants, une formatrice, une vendeuse, un chauffeur de car et un chômeur âgé. Il y a aussi 3 jeunes âgés de 16 à 18 ans et d’autres enfants plus jeunes.
Le revenu des ménages leur permettrait probablement de vivre ailleurs, mais dans un cadre de vie beaucoup moins agréable.
Montage financier
Via la copropriété, les jeunes sont rémunérés pour les travaux d’entretien du site que les entreprises ne veulent pas faire et le Président de l’Association, chômeur âgé, a la possibilité de percevoir des chèques ALE pour des travaux occasionnels et exceptionnels sur le site du Chêne Houdiez.
Partenaires du projet
L’Association a deux partenaires-conseil : Inter-Environnement Wallonie et Syneco (Agence conseil en économie sociale).
Le Président de l’Association est très impliqué dans la défense du domaine et de ses habitants. Il est essentiellement bénévole. Il est aussi engagé au niveau international. Il est engagé dans la lutte contre l’AMI c’est-à-dire les Accords Multilatéraux sur l’Investissement qui visent à libéraliser tous les investissements au niveau mondial, et il suit de près le sommet du P7 qui est un Sommet alternatif au G7, initiative du groupe des Verts du Parlement européen. « L’objectif, explique-t-il, est d’initier la vigilance et le contrôle éthique de la société civile mondiale. Je m’investis aussi à ce niveau car il existe des interrelations intéressantes entre le développement local endogène et intégré, soutenable et durable et le développement durable international ».
Déroulement du projet
« L’Association des habitants du Chêne Houdiez est une association spontanée et non structurée » nous dit le Président de l’Association des Copropriétaires. Les habitants se réunissent de manière formelle au sein de l’Association des Copropriétaires et de manière plus informelle au niveau de l’Association des habitants. Chacun y a la possibilité de lancer des idées et des initiatives, et en devient l’animateur.
Perception du projet par les acteurs
Résultats quantitatifs
Un journal interne au domaine, de parution bisannuelle, a été lancé en janvier 2000 par une formatrice de profession qui habite le site depuis 5 ans. Ce journal est distribué à tous les habitants du domaine et des exemplaires sont envoyés à la commune et aux différents partenaires. La doyenne du domaine, retraitée depuis 84, installée sur le site depuis 1979 et domiciliée depuis 1994, y prodigue ses trucs, astuces et adages. L’enseignant en cuisine y propose des recettes, etc.
En terme de résultats, il y a aussi l’emploi étudiant pour trois jeunes du domaine.
Résultats qualitatifs
L’ensemble des actions et projets menés sont une manière de réunir tout le monde, permettent de se parler, de se connaître, d’échanger. Parmi les activités, il y a l’organisation d’un barbecue annuel, la réalisation du journal, l’organisation de journées champignons, papillons, l’installation de nichoirs pour chouette hulotte, …
Depuis quelques années, un rapprochement s’est opéré entre le village de Peissant et le Chêne Houdiez. Le premier domicilié du site, « retraité actif » comme il se plaît à le dire, ancien grutier, vit depuis 84 dans une caravane sur le site avec sa femme. Il participe au « Quartier de Vie » de Peissant. « Quartier de vie » est un projet de la Fondation Roi Baudouin qui vise à améliorer la qualité de vie dans un quartier grâce à un projet concerté mené en collaboration entre trois partenaires : les pouvoirs publics, les entreprises, et les habitants. Le grutier retraité dit « On veut vivre avec Peissant, sortir du cocon du domaine et de l’isolement. On a été vers eux et on commence à en sentir le retour. Maintenant, Peissant vient vers Chêne Houdiez comme par exemple à l’occasion de la Saint-Nicolas, le Grand Saint en visite à Peissant est monté au Chêne Houdiez ».
L’emploi des jeunes du site pour l’entretien du domaine, au-delà du fait qu’il procure aux jeunes un petit revenu, leur apporte une gratification pour avoir amélioré l’environnement dans lequel ils vivent et une reconnaissance des habitants.
Faisant allusion à la qualité de vie du domaine, le Président de l’Association dit : « chaque jour, quand je rentrais de mon travail, j’avais l’impression d’être en vacance ».
Efficacité du projet
Petit à petit, par l’ouverture qu’ils ont sur le village voisin de Peissant, les habitants du parc résidentiel du Chêne Houdiez sont intégrés dans la Commune en tant qu’habitants à part entière de Peissant.
La participation
Une enseignante, habitant le site depuis 93, affirme que « ce sont les gens d’ici qui pourront apporter une solution ».
Il y a deux niveaux de participation : l’Association des Copropriétaires et l’Association des habitants. Dans la seconde, chaque habitant peut être un animateur. Chacun peut y lancer des projets, des activités stimulant la convivialité dans le domaine.
L’Association participe au projet « Quartier de Vie » de Peissant.
Par le travail étudiant qu’ils font, les jeunes, en dehors de l’argent qu’ils reçoivent, participent à l’entretien et à l’amélioration de l’environnement au Chêne Houdiez.
Avancées au niveau du droit
L’Association des habitants doit demander la délicate modification du plan de secteur régional pour le domaine du Chêne Houdiez.
Les habitants du site bousculent les normes édictées en matière de surface habitable et démontrent que, dans certaines conditions, une réduction raisonnable (selon les habitants) de l’espace habitable permet d’accéder à un habitat de qualité en intégrant pergolas, vérandas et bâtiments annexes (tels qu’abris de jardin et garages). Cela permet d’accéder à la propriété à un prix moins important, dans un environnement verdoyant (dans ce cas-ci).
Le projet comme processus
L’Association des habitants a lancé un mouvement en termes de réflexions, recherches et développements de solutions. Depuis l’annonce en Assemblée Générale des Copropriétaires de la volonté du copropriétaire majoritaire du site de quitter la copropriété, les habitants du site se sont mobilisés autour de l’Association des habitants du Chêne Houdiez et ont multiplié les actions pour reprendre en main la gestion du site, développer la convivialité sur le site et lancer des pistes de réflexions pour trouver des solutions aux difficultés que rencontre la copropriété.
Difficultés rencontrées, blocages et handicaps
Un manque de moyens humains et financiers :
Pour le Président de l’Association des Copropriétaires, une des difficultés est le manque de moyens pour mener sa tâche à bien, notamment pour la tenue de la comptabilité d’un budget de fonctionnement et pour l’administration qui nécessiteraient un matériel informatique plus performant et une intervention dans les frais divers occasionnés.
Une complexité de la législation :
Une autre difficulté réside dans la complexité du dossier permettant la dissolution de la copropriété (prévue dans un article de l’acte de Base). La situation implique de faire avancer une série de sous-dossiers interdépendants en parallèle. Il faudrait modifier le plan de secteur actuel au niveau régional, travailler avec la commune, avec les Compagnies d’électricité et des Eaux, introduire des propositions alternatives, etc.
Les relations avec la commune :
Un habitant craint que « le jour où le site deviendra communal, il y aura peut-être plus de monde et le trafic augmentera, … ».
Les relations entre l’ex-village de vacances et la commune n’étaient pas bonnes au départ car le promoteur du projet avait promis à la commune un développement économique qui ne s’est jamais réalisé.
Atouts du projet et causes de réussite
La mobilisation des habitants et leur volonté de trouver des solutions adaptées à leurs difficultés, la situation géographique et naturelle du domaine, la patience et la persévérance des habitants.
Perspectives de développements futurs du projet
Au niveau des activités, « avec l’espace dont on dispose, on pourrait lancer un Marché de Noël artisanal », explique une habitante.
L’Association voudrait s’inscrire dans un programme « Interreg », programme européen pour créer des partenariats entre les régions transfrontalières. Ils envisagent aussi un jumelage avec un village en France.
L’Association des habitants a été admise à l’introduction d’un dossier de candidature à l’opération Quartier de vie 2001 de la Fondation Roi Baudouin (comme en 2000) et prépare activement son dossier de sélection.
Au milieu de l’année 2001, une partie du site a été classé officiellement par la Communauté Européenne au travers de « NATURA 2000 ».