Un service d’aides aux réfugiés mettant l’accent sur la participation et la responsabilisation des bénéficiaires

L’association Convivial

Pascale Thys, septembre 2001

Habitat et Participation ASBL

Cette fiche présente l’association sans but lucratif Convivial (asbl), mouvement d’insertion des réfugiés, dont le projet est d’accompagner individuellement, collectivement et matériellement les nouveaux arrivants en Belgique.

Cette fiche a été réalisée avec le concours de Convivial asbl, à partir de 9 interviews : 4 bénévoles, 4 salariés et la coordinatrice.

Contexte et origines du projet

Convivial est né d’une amitié entre une européenne (belge) et une africaine (rwandaise). En 1994, Marie-Noëlle de Schoutheete accueille une réfugiée rwandaise et ses quatre enfants dans sa maison et entraîne d’autres familles dans l’accueil de ces familles.

Une association spontanée se met en place et après quelques temps, Madame de Schoutheete, avec d’autres, utilise son garage afin d’y entreposer du mobilier à redistribuer aux réfugiés qui arrivent en Belgique. Une association sans but lucratif (asbl) nommée « Convivial » est fondée en juillet 1996 (M.B.04.07.1996).

Objectifs et enjeux du projet

L’association dans sa définition des objectifs au Moniteur Belge énonce ses objectifs comme suit : « organiser des espaces où des personnes en difficulté peuvent être écoutées sans préjugé de méfiance, rejointes dans ce qu’elles vivent, entendues et prises au sérieux dans leurs besoins et mettre en œuvre les moyens nécessaires à la réalisation de cet objectif ».

Population concernée et groupes cibles

Le projet s’adresse à trois types de populations :

Montage financier

L’association vit majoritairement de dons (de particuliers, d’associations ou d’entreprises). Les locaux des bureaux sont par exemple gracieusement mis à disposition de l’association par une confrérie religieuse.

Depuis 1998, elle reçoit un subside de l’Office Régional Bruxellois de l’Emploi (ORBEM) pour payer totalement un travailleur ACS (agent contractuel subventionné), responsable du dépôt. Plus récemment, en 2001, 4 postes ACS supplémentaires ont été octroyés permettant d’engager un coordinateur de projet, un assistant social, un employé, et un manœuvre pour le dépôt.

En 2000, la Fondation Roi Baudouin – Fonds Pauvreté a donné 500 000 FB pour soutenir l’ensemble du projet.

En 2001, le FIPI a octroyé un subside permettant d’engager une psychologue pour organiser le projet « jeunes » et en couvrir les frais de fonctionnement. Par ailleurs, la Communauté Flamande a octroyé 375 000 FB pour le projet et la Fondation Roi Baudouin, via le Fonds pauvreté 2000-2001, a octroyé 500 000 FB.

Partenaires du projet

Le réseau des collaborations et partenariats avec d’autres associations et organismes est riche.

Parmi d’autres, citons le Ciré, le Méridien, Mentor-escale et Exil, Logement pour Tous, Samenleven-Convivence, le Centre pour l’Égalité des Chances, le Petit Château, les Petits Rien, les Compagnons Dépanneurs, l’Institut Taisnier qui prépare les réfugiés sans diplôme secondaire valide pour passer les examens d’entrée de l’enseignement supérieur, les CPAS (centre public d’acion sociale), le Radian pour l’accueil de jeunes effectuant des prestations d’intérêt général, l’Association pour le Volontariat, …

Déroulement du projet

L’association présente trois grands axes d’actions : l’accompagnement individuel, l’accompagnement collectif ainsi que la distribution de meubles et de matériel de première nécessité. Elle organise également des animations d’enfants en été et des événements favorisant la convivialité. Il y a des réunions internes de tous les bénévoles du dépôt et du bureau.

L’accompagnement individuel se déroule dans les bureaux de l’association. Ils répondent à des problèmes divers tel que (par ordre décroissant des demandes en 2000) : la recherche de logement et l’aide à l’installation ; l’aide pour la formation et les études ; les démarches administratives et les problèmes juridiques ; les difficultés financières ; l’accompagnement psychosocial ; l’accompagnement des jeunes ; les soins de santé ; le regroupement familial ; la recherche d’emploi ou d’un bénévolat.

Au niveau de l’accompagnement collectif, différents groupes de rencontres sont organisés entre personnes vivant les mêmes problèmes. Ces activités sont préparées et animées par un professionnel et un réfugié. Il y a les groupes de mamies, d’hommes, de parents, de fratries, de primo-arrivants, d’étudiants, de jeunes femmes isolées. Ils échangent sur leurs problèmes et sur les solutions trouvées. C’est en 1999 qu’un groupe de jeunes étudiantes, âgées de 18 à 25 ans et isolées a été constitué. Une des mamies a vu ce groupe et a demandé que l’on constitue aussi un groupe de mamies.

Depuis, les groupes se sont multipliés. Une travailleuse « bénévole-bénéficiaire » rwandaise, qui a connu Convivial par l’office des étrangers, est venue en juin 2000 en Belgique et est bénévole depuis août 2000. Elle s’occupe aujourd’hui de l’accueil au dépôt. Elle explique en parlant du groupe d’hommes qui se réunit que, « dans leur pays, les hommes ont une certaine formation, une certaine place dans la société. Arrivés ici, ils sont déboussolés car ils ne sont plus rien ».

Concernant la distribution de meubles et de matériel de première nécessité, l’activité comprend plusieurs étapes et secteurs qui vont de la collecte des meubles, vêtements et objets divers à la livraison des meubles chez les bénéficiaires en passant par le tri et le rangement, la restauration de certains meubles et l’accueil des bénéficiaires. Le dépôt est ouvert au public deux fois par semaine (les mardis et jeudis) ou sur rendez-vous. Afin que les dons aillent à des personnes réellement dans le besoin et afin d’éviter la revente de ce qui est distribué, Convivial a mis certaines conditions à l’accès à ce service. Le dépôt accueille les réfugiés qui répondent à trois conditions : avoir reçu leur autorisation de séjour, présenter un contrat de bail et fournir une lettre de recommandation d’un centre d’accueil ou d’un service social. En outre, le service est fourni gratuitement pendant la première année de séjour en Belgique. Après les personnes sont orientées vers des magasins de seconde mains.

Perception du projet par les acteurs

Résultats quantitatifs

En 2000, le nombre moyen de personnes aidées par mois est de 100 visites au bureau et de 200 visites au dépôt. L’accompagnement individuel a porté sur 610 personnes qui totalisent 1196 visites.

Une cinquantaine de bénévoles, dont deux tiers sont des réfugiés qui ont été aidés précédemment, prennent en charge les activités de l’association aux côtés des permanents.

Résultats qualitatifs

Un travailleur explique : « Ici, c’est une Tour de Babel, on parle plusieurs langues. Parfois on ne se parle pas, mais on se comprend quand même ». Un autre « On ne leur donne pas un poisson, on leur apprend à pêcher ».

Une tchétchène bénévole depuis 5 mois, a connu Convivial 7 mois plus tôt par des amies qui avaient reçu une aide pour la garantie locative chez Convivial. Elle a aussi reçu une garantie locative et travaille bénévolement au secrétariat et à l’accueil du bureau. Jusqu’à ce qu’elle se tourne vers Convivial, elle n’avait trouvé aucun moyen pour faire face à l’indispensable garantie locative pour pouvoir louer un logement.

Le secteur d’activité de l’accompagnement collectif a pris de l’ampleur et répond à un besoin des bénéficiaires.

La fête semestrielle est une rencontre festive et multiculturelle qui a un vif succès. « Ici on est comme dans sa famille », affirme une participante à la rencontre. Pour un autre, qui a obtenu son emploi depuis trois mois chez Convivial, « C’est un emploi où je me sens bien ».

Efficacité du projet

Entre objectifs et résultats, et compte tenu du développement et du succès du projet, l’efficacité du projet semble importante.

La participation

Une des spécificités de l’association est d’avoir un mode de fonctionnement qui repose fondamentalement et véritablement sur la cogestion avec les bénéficiaires eux-mêmes. Plusieurs d’entre eux participent très activement à l’ensemble des activités de l’asbl à toutes les étapes. Les réfugiés participent tout autant à la réflexion et au lancement d’idée, qu’à la décision, à l’organisation, et à la mise en œuvre concrète des projets.

Un travailleur explique que « Convivial est une main ouverte pour les candidats réfugiés qui aide les gens en difficulté ». « Ça aide à avoir des contacts avec les autres personnes ».

Pour celui qui coordonne le dépôt depuis trois ans, un colombien qui a connu Convivial via le milieu associatif, « C’est un lieu de rencontre avec les autres réfugiés et aussi avec les européens. On travaille tous en collaboration d’amitié, l’esprit de la maison est l’amitié entre les peuples ». L’assistante sociale explique qu’à Convivial, le réfugié se sent reconsidéré.

Un réfugié, menuisier et ébéniste de formation, travaille bénévolement depuis trois mois en collaboration avec un réfugié qui vient de passer salarié et qui est chargé du dépôt, de la collecte, et de la distribution des meubles. Il explique « On n’est pas seulement là pour recevoir, mais on peut donner, on se sent utile pour les autres ».

En outre le lancement des groupes spécifiques émane du désir des bénéficiaires de voir ces groupes voir le jour.

Avancées au niveau du droit

Le service apporte un sérieux accompagnement à l’intégration des réfugiés en les aidant à faire valoir leurs droits.

Convivial octroie des garanties locatives à ses bénéficiaires qui ne l’obtiennent pas via le CPAS. Après l’une ou l’autre expérience malheureuse, les bénévoles eux-mêmes ont mis en place des conditions à l’octroie de cette aide. En outre, Convivial ne disposant que de fonds limités pour cette action, l’association ne prête qu’en fonction de l’argent remboursé par les précédents emprunteurs. Il est à noter que la reconnaissance de dette n’est que morale, basée sur la confiance et la solidarité et que le taux de remboursement est élevé. Ces prêts sont accordés par un Comité mixte composé d’une travailleuse réfugiée et de bénévoles.

Le projet comme processus

On peut observer que l’investissement de certaines personnes présentes s’est accru avec le temps. Par rapport aux personnes rencontrées, on ne peut toutefois pas parler d’un après. Les réfugiés « atterrissent » d’abord comme bénéficiaires, puis deviennent bénévoles après quelques temps. Pour certain, un emploi rémunéré s’est profilé à l’horizon au sein de l’association. Le jeune âge de cette asbl qui se construit encore rend peut-être difficile l’appréciation de l’impact de Convivial en terme de processus.

Difficultés rencontrées, blocages, handicaps

Au niveau des réfugiés :

De nombreuses difficultés se posent pour les réfugiés.

Parmi celles-ci, l’accès au logement est un casse-tête et le premier besoin définit par les réfugiés à tous les stades d’accueil dans le pays. La recherche d’un logement est laborieuse (prix et racisme, méfiance).

Concernant le système de garantie locative à fournir, les CPAS fonctionnent de manière variable d’un service à l’autre, ce qui donne un sentiment très lourd d’arbitraire et de fonctionnement à la tête du client. Parfois, la garantie locative est donnée par le CPAS, parfois pas. « Les CPAS savent qu’on donne les garanties locatives à Convivial et donc les envoient ici, explique la coordinatrice. Mais Convivial, poursuit-elle, manque de moyens financiers pour constituer toutes les garanties locatives, et puis ce n’est pas notre fonction ». Il n’est pas toujours possible de répondre à toutes les demandes.

Les discriminations sont fortement ressenties par les réfugiés. Il y a beaucoup de problèmes d’incompréhension, partout les portes sont fermées.

Les réfugiés, bénévoles ou salariés, dénoncent : « En tant que réfugiés, on a besoin d’une aide financière, mais beaucoup de portes sont fermées car nous sommes réfugiés ». « Les réfugiés ne sont pas une priorité ». « Les réfugiés ça dérange. On est considéré comme des envahisseurs. On dérange, mais on est là. Quand tu es accepté, c’est une chance car tu es dérangeant. Dans tous les pays tu es de trop ». « On n’est plus des personnes, on est des numéros ». « Il n’y a pas de distinction faite entre les réfugiés et les autres problématiques. Tout est mis dans le même sac ». « Comme je ne connais pas les lois, je ne peux pas dire qu’elles sont mal faites, mais je peux dire qu’il y a des injustices (je connais des personnes qui n’avaient aucun problème dans leur pays d’origine et qui ont reçu des papiers en faisant ce qu’il fallait) ». « Quand on reçoit une réponse négative, on fait référence à des articles de loi, mais je ne les connais pas ».

« Il faut mentir, être hypocrite » « Je pensais que tout était en or ici » « Le réfugié fait le choix entre la mort et la vie. S’il reste là-bas il meurt. Si on le refuse ici, cela veut dire qu’on n’a pas le droit de vivre »… Seulement 10% des demandes aboutissent à une reconnaissance du statut de réfugié. Un réfugié clôture cette déferlante en disant « on a besoin d’argent, mais ce n’est pas l’essentiel. C’est d’amour et de compréhension dont le réfugié a besoin ».

Pour l’association :

Trouver des moyens financiers est une des plus grandes préoccupations. A ce sujet, la coordinatrice de Convivial explique qu’une étude de la Croix Rouge sur les thèmes porteurs pour récolter des fonds montre que le thème des réfugiés est tout en bas dans la hiérarchie.

Atouts du projet et causes de réussite

Solidarité :

A l’écoute du groupe rencontré, il semble que les problèmes extérieurs vécus par les personnes présentes sont à la source de leur rapprochement et de la mise en place de cette asbl. Quelque chose de négatif a donné du positif…

Interculturalité et cogestion :

Convivial accueille toute personne réfugiée. Il y a là un brassage culturel important.

Les personnes participant au projet ont fait le choix de trouver une place dans la société d’accueil et tentent de s’y intégrer en participant à un projet d’ouverture et d’accueil.

Le projet redonne une place au réfugié et une reconnaissance de ses capacités et de ses compétences.

Dans le cadre de la cogestion, chaque service s’auto-évalue de manière formelle et informelle pour améliorer le projet jour après jour. Deux réfugiés font également partie du CA et quatre font partie du comité de coordination du projet.

Spécificité de la population :

Pour la coordinatrice, quand on rencontre des réfugiés, on n’a pas affaire à n’importe qui. Il s’agit de personnes qui ont du cran, du caractère car il n’est pas évident, malgré un contexte très difficile, de tout quitter pour recommencer une vie ailleurs, en abandonnant tout derrière soi. Malgré le fait que, pour la majorité des réfugiés, il n’y avait pas de choix entre rester ou partir, il faut avoir une sacrée personnalité pour se lancer car le voyage n’est pas sans risque pour arriver dans un pays d’accueil. Ce sont souvent des gens éduqués et formés mais, sans papier et sans reconnaissance de leur formation, ils ne peuvent prétendre qu’à des emplois de manœuvres.

Partenariat

Un autre atout de l’association est sa capacité à travailler avec un réseau dense de partenaires et avec les principaux acteurs en matière d’accueil des réfugiés.

Perspectives de développements futurs du projet

L’asbl recherche activement des subsides de fonctionnement qui, jusqu’à présent, ne sont pas récurrents et imposent donc de travailler dans la précarité.

Dans ce contexte, l’asbl, qui a des problèmes de locaux, cherche de nouveaux locaux pouvant accueillir à la fois son dépôt et les bureaux dans un même lieu.

Suite à l’évaluation globale du projet avec tous les participants, trois priorités ont été dégagées qui donneront naissance à différentes antennes : la création d’une Antenne logement ; d’une Antenne juridique, et d’une Antenne médicale. Une des idées de l’Antenne logement est d’utiliser le réseau des réfugiés pour savoir quand un logement occupé par un réfugié se libère afin de le proposer à un autre réfugié. L’Antenne juridique aura pour objectif d’aider et accompagner dans la procédure d’asile et son suivi, celle médicale visera à prévenir et informer les réfugiés sur les questions de santé.

En savoir plus

Site de l’association Convivial asbl