La réhabilitation de logements dans le quartier l’Etoile (Aide Locative de Charleroi)
Réhabilitation de logements intégrant une action d’insertion socioprofessionnelle et mise en location de logements durables pour familles nombreuses à revenus modestes ou précarisées
Pascale Thys, septembre 2001
Cette fiche retrace le projet de rénovation d’un site de logements insalubres, et expose le travail de l’Aide locative pour répondre aux besoins de logement de familles nombreuses en situation précaire et pour proposer une formation professionnelles aux jeunes du quartier en difficulté.
Cette fiche a été réalisée avec le concours de deux responsables du service d’Aide Locative de Charleroi du Fonds du Logement des familles nombreuses de Wallonie.
Contexte et origines du projet
L’Aide Locative est un domaine d’activité du Fonds du Logement des familles nombreuses de Wallonie. Le Fonds du Logement vit le jour en 1929 à l’instigation de la Ligue des Familles, mais le Fonds wallon naquit en 1980, suite à la régionalisation de cette matière. Le Fonds du Logement offre deux types de services aux familles à revenus modestes comptant trois enfants au moins : le prêt hypothécaire à taux réduit, d’une part, et l’Aide Locative, activité adjointe par un arrêté du 30 juillet 1981. L’Aide Locative a eu ses premiers locataires en 1983-1984. Le projet du Quartier l’Étoile a, quand à lui, été initié en 1985.
Au milieu des années 80, un site habité par une population importante dans le sud de Jumet est déclaré insalubre et non améliorable. Les bâtiments sont voués à être démolis. Deux familles du site prennent contact avec l’Aide Locative de Charleroi pour trouver un nouveau logement.
A cette époque, les maisons sont occupées par une majorité de familles maghrébines, avec un nombre important d’enfants et une population très dense. Ce quartier est appelé, par les habitants de la localité, « La plaine des gitans ».
Le bâtiment est mis en vente par le Charbonnage, encore propriétaire des lieux, et vidé de ses habitants. Il est acquis par le Fonds du Logement et, jusqu’au début du chantier, le site sera squatté.
Dans le prolongement du deuxième programme européen portant sur l’insertion socioprofessionnel de jeunes, les travailleurs de l’Aide Locative, interpellés par les caractéristiques sociales du public qu’ils rencontrent et par les problèmes récurrents de dégradation de logements mis en locations, ont proposé d’organiser une formation professionnelle pour des jeunes peu qualifiés en vue de réaliser des logements.
Objectifs/enjeux du projet
Il y a plusieurs objectifs simultanés au projet. Le projet rencontre les objectifs généraux du Fonds du Logement et de l’Aide Locative à savoir la contribution à la rénovation urbaine ainsi que la protection et le respect du patrimoine. L’Aide Locative poursuit aussi la mission de créer du logement durable, qui apporte stabilité et ancrage dans un quartier où l’on trouve des familles nombreuses à faibles revenus.
Lors de son lancement, le projet du Quartier l’Étoile a poursuivi en plus un objectif spécifique de formation et d’insertion socioprofessionnelle.
Dans la prolongation de ses objectifs, l’Aide Locative nourrissait des intentions spécifiques dans le cadre du Quartier l’Étoile dont la mise en place d’un dispositif de prévention de l’exclusion, le développement d’une « pédagogie du logé », et l’intégration du site dans l’ensemble du quartier, afin de le désenclaver.
Population concernée et groupes cibles
Deux publics distincts sont concernés. D’une part, dans le cadre de l’accès au logement, le public visé est constitué de familles nombreuses à revenus modestes ou précarisées, et, d’autres part, au niveau de l’insertion socioprofessionnelle, il s’agit de jeunes sans qualification de moins de 25 ans.
Au niveau des familles, les parents se distinguent par un faible niveau de qualification, l’absence d’emploi et l’inactivité.
Au niveau de l’attribution des logements du Quartier l’Étoile, l’Aide Locative et le Centre public d’action sociale (CPAS) ont développé un plan commun. Le profil des familles devait s’intégrer avec le principe de vie familiale. Le plan d’attribution poursuit l’objectif d’éviter de rassembler sur un même site des gens présentant des difficultés à entretenir des relations de voisinage sereines et de favoriser la diversification tant au niveau de la nationalité que du type de familles (monoparentale, en couple, avec des enfants d’âges différents).
Montage financier
Le Fonds du Logement a financé l’achat et la rénovation selon les modalités courantes de financement des actions de rénovation de l’Aide Locative. Du personnel a été mis à disposition du projet : un architecte, un dessinateur et un intervenant social.
Dans le cadre de la rénovation, le CPAS, outre l’engagement des jeunes sous l’Article 60, a engagé un chef de chantier et un formateur.
Partenaires du projet
Le Fonds du Logement des familles nombreuses de Wallonie, le CPAS de Charleroi, etc.
Déroulement du projet
Au niveau de la rénovation :
Il y a eu plusieurs phases de travaux et le choix de mettre à la disposition des habitants une maison communautaire. Une réflexion a été menée sur l’implantation dans le quartier qui a abouti à la modification de l’accès aux maisons qui ne se fait plus par la plaine mais bien par l’autre côté afin que les habitants s’approprient leur maison et jardin sans que la maison ne se prolonge sur la plaine. « Il s’agissait d’une appropriation du site en deux phases, explique la coordinatrice de l’Aide Locative : d’abord une appropriation de petits jardins privatifs à l’arrière, ensuite, un investissement de l’espace central. » La seconde phase n’a toutefois jamais pu être lancée et encadrée.
Au niveau de la location :
La procédure d’attribution de logement est similaire à celle pratiquée ailleurs par l’Aide Locative moyennant quelques critères supplémentaires pour répondre au fait qu’il s’agisse d’un site et pas d’habitations isolées.
Dans la sélection des futurs locataires, un premier temps est consacré à l’écoute, autour de la table, pour laisser la personne raconter son histoire. L’objectif est de bien cerner ce dont la famille a besoin, de l’aider à formuler ses projets et de voir quelles sont les difficultés auxquelles elle est confrontée. A partir de là, l’intervenant tente de déterminer le volume nécessaire de l’habitat, envisage la possibilité de contribuer au regroupement familial pour les familles dont les enfants ont été placés suite à un habitat inadéquat. L’intervenant envisage aussi les possibilités de mobilité et de transport de la famille, ses besoins de se trouver à proximité de centres urbains ou en périphérie, etc.
Après la première visite des candidats au bureau, une visite a lieu à leur domicile. Viennent ensuite les rencontres en vue d’attribution de logement qui comptent parfois 10 à 15 contacts avant l’attribution. Cette étape peut prendre deux mois à un an. Une fois l’attribution faite, une visite est organisée. Tout au long de la procédure, un travail préparatoire est mené pour amener la personne à ce qu’elle se prenne en charge et gère son logement au mieux. L’aménagement du logement est laissé au locataire à qui est attribué un budget d’installation. Il peut ainsi choisir ses peintures et tapisseries. Il reçoit aussi l’accompagnement d’un technicien de maintenance dont le rôle est de fournir des conseils dans la mise en œuvre des matériaux.
Dans le cadre d’un objectif de logement durable, une écoute et un dialogue sont développés simultanément avec une certaine rigueur par rapport au contrat signé. Les loyers impayés, souvent symptômes d’autres difficultés, sont abordés avec les locataires en tenant compte de l’ensemble de leur situation. Toutefois des situations extrêmes mènent parfois à la rupture si les locataires ne respectent pas le contrat en terme de payement, de non-dégradation du logement ou si des problèmes aigus de voisinage restent sans solutions concertées.
Le suivi des familles intègre ce que les responsables appellent le travail « technico-social » qui recouvre les aspects relatifs au contrat, à l’accompagnement des familles concernant la consommation d’énergie, le mode d’emploi des maisons (dont leur ventilation), etc. Pour les responsables, l’accompagnement des familles, visant à établir un lien de confiance, constitue la clef d’un logement durable. L’accompagnement social sert à maintenir le lien, à remettre en perspective, à dépasser le cadre strictement contractuel qui, sinon, ne sera pas respecté.
Animation :
Les responsables sont partis de l’idée que le logement durable passe par une vie sociale, ce qui nécessite un travail communautaire. Pendant les deux premières années, des permanences ont dès lors été organisées une fois par semaine. Elles avaient pour but de stimuler la participation et la vie communautaire sur le site. A l’origine, l’Aide Locative avait cru qu’une stimulation au départ suffirait à lancer le mouvement. Mais l’impulsion de départ, faisant échos chez quelques personnes ressources, est rapidement retombée par manque de moyens pour accompagner les personnes et par manque de personnes ressources sur le site.
Parmi les activités lancées, dans le cadre d’un programme européen favorisant la mise en place de mesures d’insertions, l’Aide Locative a eu la possibilité de lancer un atelier de psychomotricité ou des cours d’alphabétisation avec des mères maghrébines. De là est parti aussi l’idée d’une rencontre entre les femmes belges et immigrées du quartier.
Perception du projet par les acteurs
Résultats quantitatifs
Au Quartier l’Étoile, 18 ménages bénéficient de logements dont 10 familles nombreuses et 8 ménages aidés par le CPAS.
60 jeunes ont participé au chantier dont 37 avec assiduité.
Résultats qualitatifs
Le projet a abouti à une rénovation de bonne qualité d’un site. Les bâtiments offrent la possibilité d’une vie dans un logement sain, le mieux possible adapté aux besoins en fonction des disponibilités et de manière durable, avec un accompagnement social si nécessaire.
Le lancement du projet a permis la formation de jeunes non-qualifiés en situation réelle. Toutefois, il y a peu d’informations disponibles sur ce que les jeunes sont devenus. Sur les 37 jeunes réguliers dans la formation, 13 ont trouvé un travail au cours de l’année de fin de chantier, 3 ont été engagés par le CPAS, et 4 ont repris une formation dans le secteur du bâtiment.
Efficacité du projet
A l’analyse des informations rassemblées au cours des rencontres, l’aspect de rénovation urbaine est atteint, tout comme la mission de formation spécifique du projet.
L’Aide Locative a aussi pour mission de créer du logement durable, qui apporte stabilité et ancrage dans un quartier à des familles nombreuses à faibles revenus.
Quoi que le site jouisse d’une meilleure image depuis son acquisition par l’Aide Locative, il semble encore rester un site distinct du reste du quartier.
Comme beaucoup d’autres initiatives en matière de logement, il reste difficile d’évaluer l’impact de la « pédagogie du logé » sur les personnes qui quittent le site et de manière générale l’incidence d’un passage par ce type de logement dans le parcours des bénéficiaires.
La participation
Des tentatives de stimulation de la participation des habitants à la vie du site n’ont eu qu’un effet fragile et temporaire. Les intervenants la sentent dépendante d’un soutien extérieur, mais aussi de certaines personnes ressources au sein même du quartier qui peuvent dynamiser le voisinage. Les intervenants soulignent l’importance de la continuité d’une présence régulière sur le site et dans la durée d’intervenants qui assurent un rôle d’animation et de stimulation à la participation.
Avancées au niveau du droit
Le droit à un logement de qualité.
Le projet comme processus
Pour certains jeunes en formation, la formation leur a ouvert de nouvelles perspectives en terme de formation ou d’emploi.
Au niveau de la location des logements, le principe est la location sur le long terme. En outre, la « pédagogie du logé » peut servir lors de changements de logement.
Difficultés rencontrées, blocages, handicaps
Encadrement et organisation du chantier :
Dans le cadre de la rénovation, selon les responsables, sur le chantier, il y a eu certaines tensions entre les jeunes et des travailleurs d’entreprises privées. Pendant la durée du chantier, il y a eu des changements de formateurs qui ont perturbé le travail sur le chantier par manque de régularité. D’autres difficultés sont pointées comme le manque de personnel d’encadrement et un mode d’organisation du chantier trop élémentaire. Par ailleurs, le chantier apparaît plus démonstratif que reproductif à moins d’accord avec le secteur de la construction.
Marchés publics :
A l’époque, la loi sur les marchés publics ne régissait pas encore ce type d’action. Aujourd’hui, il faudrait passer par les Entreprises de Formation par le Travail ou les Organismes d’Insertion Socioprofessionnelle.
Délais et vides occupationnels :
Ce mode de rénovation a impliqué une augmentation importante des délais de réalisation par rapport à une commande à des entreprises privées. Ce qui représente pour le Fonds du Logement un vide locatif et, pour les familles candidates, une attente supplémentaire.
Manque de moyens pour l’accompagnement social :
Pour les responsables de l’Aide Locative, les moyens alloués pour l’accompagnement social sont encore beaucoup trop limités par rapport à la disponibilité nécessaire pour être vraiment efficace.
Systèmes de financements :
Les responsables de l’Aide Locatives déplorent aussi les délais courts de financements, sans continuité avec les partenaires et la difficulté de travailler avec des subventions ponctuelles.
Atouts du projet, causes de réussite
Concernant l’action de logement, l’Aide Locative et le logement en général est à la croisée des chemins de tous les éléments qui forment la vie des gens. Le logement est un besoin primaire autour duquel se révèlent et se vivent tous les autres aspects de la vie : relations humaines, éducation, formation, emploi, santé, hygiène, capacité de gestion. Le logeur, à la différence des autres intervenants sociaux, est lié aux personnes par un contrat. La relation ne peut donc trouver un terme que dans des conditions particulières. Pour les responsables, dans certains cas où la personne a rompu tout lien avec les autres services qu’elle fréquentait, il arrive que le seul service qui la suive encore soit l’Aide Locative qui est liée par le contrat de location à cette personne.
Perspectives de développements futurs du projet
L’initiative du Quartier l’Étoile et les projets qu’elle a nourrit sont uniques pour l’Aide Locative. Le service projette de développer le suivi et l’accompagnement social qu’il propose à ses locataires et défend la spécificité de son activité dans le paysage locatif à caractère social.