Transition énergétique - Se re-familiariser avec la production d’énergie : un défi contemporain

Chaire Paysage et énergie (ENSP), 2022

Le paysage français s’est construit autour de la maitrise des énergies : les moulins, les canaux, les barages, les fours, structuraient le paysage… Mais ils ont peu à peu disparus. Le XXe siècle a ouvert la voie du gaz, du pétrole et du nucléaire, et en concentrant ses programmes sur l’utilisation de ces énergies, les autres ressources naturelles sont sorties du champ… Pourtant, l’hydroélectricité, la biomasse, la géothermie, l’éolien et le solaire, sont aujourd’hui les étendards de la transitions écologique. Les différentes sources d’énergies renouvelables (EnR) coexistent dans la production d’énergie en France : indispensables pour préparer le système énergétique de demain en diversifiant le mix énergétique de notre pays, elles bouleversent nos habitudes par les implantations dans le paysage, et c’est tout un récit qu’il faut reconstruire pour réapprendre à voir ces « nouveaux » paysages de l’énergie dans notre environnement.

Face au dérèglement climatique et à l’érosion du vivant, la transition énergétique apparaît décisive dans la Grande Transition telle qu’évoquée par certains prospectivistes. C’est que l’énergie est profondément structurante de nos cadres et de nos modes de vie qu’il faut faire évoluer pour baisser nos consommations et produire plus propre. Or curieusement, en France, la deuxième révolution industrielle vécue au XXe siècle, celle du pétrole, du gaz et de l’électricité, tout en massifiant la consommation de l’énergie pour le plus grand nombre, a eu tendance à faire disparaître sa production du cadre quotidien : d’une part en l’important par voies maritimes et souterraines avec de rares ports pour recevoir le pétrole et le gaz, d’autre part en concentrant sa production dans des équipements de grandes dimensions mais peu nombreux (19 centrales nucléaires sur le territoire métropolitain) ou éloignés des lieux de vie (barrages hydroélectriques en montagne). On est très loin du paysage énergétique familier des siècles précédents, où Vauban à la fin du XVIIe siècle comptabilisait dans le pays 80 000 moulins rien que pour moudre la farine, dont 16 000 moulins à vent, auxquels s’ajoutaient 15 000 moulins industriels et 500 usines métallurgiques utilisant l’énergie hydraulique. A ces machines omniprésentes s’ajoutait l’intense vie économique développée autour de l’énergie dominante du bois pour le gérer, le couper, le transporter, le transformer et le consommer, mais aussi pour partager les usages multiples de la forêt. L’industrie était partout, en milieu rural comme en milieu urbain, pour être au plus près de ressources énergétiques rares et pas ou peu transportables 2.

Les Français d’aujourd’hui, à la grande différence de leurs aïeux, se retrouvent dans l’inconfortable situation d’être déshabitués des paysages de l’énergie, devenue largement abstraite, alors même que l’enjeu contemporain remet sa présence sur le devant de la scène de manière pressante et très concrète. C’est ainsi que les poussées d’éoliennes dans le paysage provoquent autant de poussées d’urticaire chez certains, sans compter les champs photovoltaïques, les méthaniseurs ou les éoliennes en mer, dont le plein développement ne fait pas consensus. En outre, l’irruption des énergies renouvelables contemporaines se produit après des décennies de bouleversement des paysages à la faveur des énergies fossiles (et fissiles), ce qui rend leur acceptabilité bien plus délicate. « Dans ce contexte, le défi de transformer un paysage des énergies centralisées et invisibles en un paysage des énergies réparties et omniprésentes est énorme »2. C’est pourtant bien ce défi qu’il faut relever. La transition énergétique, en attendant une hypothétique fusion nucléaire pour le long terme, conduit à développer des implantations nombreuses et omniprésentes d’énergies renouvelables ou de transition dans les campagnes, en mer, en ville et jusque sur nos toits et dans nos jardins. Elle suppose aussi de refaçonner des paysages laminés par la surconsommation énergétique (les paysages dits « du pétrole », marqués par l’étalement urbain, l’artificialisation des sols, les pollutions, les simplifications agro-industrielles) en des paysages sobres, décarbonés, biologiquement riches et recréateurs de liens sociaux. Le défi est énorme mais pas insurmontable, car les Français évoluent dans leurs appréciations au fur et à mesure qu’ils assimilent l’importance de la transition énergétique pour répondre au défi du changement climatique. Si l’on examine le cas des éoliennes – le plus délicat en termes de paysage, étant donné la taille et le nombre des machines –, force est de constater que près des trois-quarts de nos concitoyens en ont une image positive et souhaitent leur développement 3. L’écart entre la bonne perception globale des éoliennes par les Français et la quantité de conflits locaux liés à leur mise en œuvre doit nous alerter : un problème de méthode se pose. C’est l’objet de ce guide que de proposer quelques pistes pour progresser en matière de paysage énergétique, en promouvant une démarche encore insuffisamment connue : la démarche de paysage.

  • 1 La Chaire Paysage et énergie de l’ENSP a coordonné la réalisation d’un ouvrage sur l’histoire des paysages de l’énergie : Paysages et énergies, une mise en perspective historique, Sylvain Allemand, Editions Hermann, 2021

  • 2 Bertrand Folléa, L’Archipel des métamorphoses, la transition par le paysage, Ed. Parenthèses 2019.

  • 3 Un sondage Harris Interactive sur « les Français et l’énergie éolienne », réalisé pour le Ministère de la transition écologique en août 2021, révèle que 73% ont une bonne image des éoliennes et 71% sont favorables à leur développement.

Références

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