Le compte carbone est-il liberticide ?

April 2023

Association Escape Jobs pour l’Emploi sans Carbone (EJ)

La réponse à cette question en amène une autre : voulons-nous, oui ou non, sauver le vivant ? Si oui, le compte carbone peut être un espoir et un projet motivant pour tous.

Le compte carbone prône un partage égalitaire du « droit à émettre » des gaz à effet de serre GES). Dans ce sens, il pose des limites à la consommation massive qui n’a d’autres freins que les ressources financières, la rendant ainsi inégalitaire de façon excessive. Mais le compte carbone reste le système le moins contraignant en comparaison avec la perte de liberté majeure qu’induira notre inaction devant le dérèglement climatique et la perte de biodiversité entraînant des mesures probablement autoritaires qui devront être prises brutalement pour sauver le vivant (et, là, ce sera vraiment liberticide !)

Le compte carbone individuel

Certains ressentent le dispositif de compte carbone individuel comme étant une entrave à leur liberté, un système liberticide car imposant de réduire de 6% chaque année l’empreinte carbone de la France. La discussion est ouverte mais, à tout le moins, la question la plus pertinente serait : est-il plus ou moins liberticide que d’autres systèmes ?

Car par ailleurs, des milliers de lois et de règles nous contraignent aujourd’hui afin de nous permettre de vivre tous ensemble relativement harmonieusement. Mais, curieusement, concernant ce fléau mortel qu’est le CO2, aucune loi, aucune règle n’en régit le taux d’émission par les consommateurs au quotidien.

Le compte carbone ne ferait que corriger ce manque de la même façon que nos sociétés nous privent de « libertés » telles que voler, boire sans mesure puis prendre le volant, fumer sans respecter les non-fumeurs, circuler sans attacher sa ceinture de sécurité, conduire à des vitesses mortelles, tuer son voisin ou son conjoint, chasser à certaines périodes de l’année, etc. !

Le compte carbone met en place, n’ayons pas peur des mots, une forme de rationnement. Est-il évitable ? Pouvons-nous faire autrement lorsque l’on sait que la terre peut absorber 10 à 15 milliards de tonnes de CO2 équivalent/an c’est à dire ce qui peut être absorbé par forets et océans (si nous les épargnons), quand, nous humains, en produisons 50 Gt/an actuellement.

Le « droit » annuel à émettre est donc de 10 à 15Gt. Et il va falloir partager ce « gâteau » équitablement entre 7 et bientôt 10 milliards d’habitants, c’est-à-dire qu’il va falloir réduire nos émissions à 1 à 2 t/an/personne en moyenne (en France, la moyenne se situe aujourd’hui entre 8 et 9t/an/pers) sauf à accepter une disparition massive du vivant incluant les hommes évidemment. Si certains événements, pays ou individus en captent une part importante, les autres devront se débrouiller avec le reste…

Au-delà des arbitrages individuels à opérer, il est évident que nous devrons mettre en place une gouvernance mondiale pour opérer les arbitrages collectifs permettant à l’humanité de survivre.

D’aucuns assurent que la technologie trouvera des solutions (et beaucoup de pistes sont aujourd’hui à l’étude comme par exemple la capture et l’enfouissement, les avions à hydrogène, etc.) pour nous permettre de vivre « comme avant » mais 1- ce n’est pas sûr, 2- on ne connaît pas, à ce jour, les effets secondaires de certaines solutions, 3 – attention à l’effet rebond, 4 - ce sera, à l’évidence trop tard.

Il faut donc compter, rationner, partager maintenant en attendant d’autres solutions.

Par ailleurs, si le compte carbone nous impose une limite en termes de volume de CO2 consommable sur une année (limite qui peut être adaptée par la possibilité de racheter des kg de CO2 si nécessaire dans la limite du quota national annuel), il ne nous impose pas d’interdiction en termes de nature de consommation ; pas d’injonctions gouvernementales sur la viande, l’avion ou autre. C’est au citoyen / consommateur de faire les arbitrages qu’il souhaite dans la limite du quota attribué, ce qui est le contraire d’un système liberticide.

Certes, il sera probablement plus difficile et plus cher chaque année de, par exemple, cumuler les vols internationaux, la consommation journalière de viande et rouler des milliers de km en voiture thermique. Il faudra choisir, étaler ses envies dans le temps, s’organiser autrement, vivre autrement. Mais cette difficulté ne concerne qu’une toute petite partie des Français puisque 65% d’entre eux émettent à ce jour moins que la moyenne de 9t éqCO2/an, et que les 50% les plus modestes sont en moyenne à 5t selon l’analyse du WID présidé par Lucas Chancel.

Si c’est cela que certains appellent liberticide, mais que dirons-nous lorsque les canicules à répétition nous interdiront tout séjour en extérieur entre 9h et 22h, que l’usage de l’eau ne sera autorisé qu’à certains moments de la journée, que la nourriture manquera, que les déplacements seront quasi interdits, que la baignade sera rationnée, etc. ?

Ne vaut-il pas mieux accepter, collectivement et à temps, de mettre en place les mécanismes de régulation tels que le compte carbone, infiniment moins contraignant que tout ce qui vient d’être cité ?