Jardins en Politique
Entretien entre Gilles Clément et Francine Depras au Colloque International de Cerisy-la-Salle le 6 août 2016
Francine Depras, janvier 2023
Gilles Clément, ingénieur horticole (1967) et paysagiste (1969) est l’auteur de plusieurs concepts qui ont marqué les acteurs du paysage de la fin du XXe siècle ou le début de ce XXIe siècle, dont notamment :
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le « jardin en mouvement » « faire le plus possible avec, le moins possible contre » ;
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le « jardin planétaire » ; nous vivons sur une planète qui est ou peut être une sorte de jardin sans mur mais néanmoins fini : l’enclos planétaire, qui n’est autre que la biosphère, dans un monde spatialement et volumétriquement fini et limité, occupé par des jardiniers plus ou moins bons et responsables (l’humanité) ;
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le « Tiers paysage ».
Ces concepts découlent de l’observation qu’un paysage naturel n’est jamais figé, que les espèces et les gènes doivent circuler.
Au lieu de cantonner les plantes dans un lieu précis afin d’organiser une création, le jardinier peut et doit, selon Gilles Clément, faire plus confiance à la nature et accepter de lui laisser le « champ libre » ; les plantes pour partie à la suite du hasard des chutes de graines et pour partie selon les préférences pédologiques et phytosociologiques pourront ainsi trouver les lieux qui leur conviennent le mieux.
Ainsi voit-on les « plantations » des jardins devenus jardins naturels se « redessiner » au long de la succession des saisons et des années, comme dans le tiers-paysage, ces délaissés où la flore et la faune s’organisent selon des lois qui ne sont ni celles du jardinier, ni celles de l’agriculteur, du sylviculteur ou du paysagiste traditionnel. Le jardin de G. Clément présente un aspect qui au même endroit changera imprévisiblement demain, à la prochaine floraison et saison.
Clément est aussi favorable au « métissage » des espèces, qu’il appelle plutôt « brassage », et qui s’est tissé au fil des âges. D’où cette idée de jardins et de forêts planétaires qu’il cultive en protecteur, considérant avec une même bienveillance les « herbes folles » qui tentent de pousser sur les pavés des villes et les essences les plus rares plantées dans les jardins de prestige.
Il intègre la globalisation du monde actuel par la « planétarisation » de la terre comme jardin, c’est-à-dire comme lieu de vie : « Je voudrais montrer la diversité extrême de ce qui existe sur la planète ».
Dans cet entretien réalisé par Francine Depras, Gilles Clément rappelle qu’il y a une différence très importante entre le brassage planétaire, issu du monde vivant non-humain, plantes et animaux, et le brassage planétaire humain : l’amplitude biologique.
Dans le cas des plantes et animaux, surtout les plantes, vont pouvoir dans le mécanisme du brassage planétaire, s’installer là où le climat leur convient mais pas ailleurs. Ce sera très difficile pour une plante tropicale, d’aller dans le pôle Nord, alors qu’un humain peut le faire. L’amplitude biologique des humains est très forte. L’Homme est capable de franchir les zones climatiques en se protégeant. Il peut donc migrer dans toutes les directions. Par ailleurs, le Tiers Paysage est le territoire de l’accueil, à une diversité en général, qui est capable de vivre là. C’est un lieu qui n’est pas organisé, qui évolue selon le mécanisme de la friche qui s’en va vers le climat forestier, presque toujours, un lieu abandonné se transforme en une friche armée, c’est à dire avec des plantes à épines, qui passent le relais à une forêt. C’est comme cela qu’ont évolué les reliefs accidentés, chez nous, comme partout dans le monde.
Francine Depras - FD : Comment prolonger les pistes ouvertes et qui ont été discutées lors du colloque, comment ouvre-t-on des voies d’avenir qui ne soient pas des horizons bouchés, mais porteurs d’attente sociales et écologiques ? Quand je dis « Civilisation écologique » qu’est-ce que cela peut t’inspirer ?
Gilles Clément - GC : Quand on dit quelque chose comme cela on se met un peu à distance de la planète. On se met dans une position d’archéologie, on se dit qu’au XXIème siècle et au XXIIème siècle, il y a eu une civilisation écologique. C’est à dire une société humaine qui s’est rendue compte de la très grande difficulté qu’il y avait à vivre sur cette planète Terre, sans prendre des précautions particulières, qui ont emmené les humains à changer de système de vie, de système de consommation, de système de production d’énergie, de nourriture même parfois. Et cela a permis de faire durer l’humanité un peu plus longtemps que prévu, dans des milieux terrestres en difficulté, dans des déserts ou des endroits où la vie était devenue très difficile, pour des raisons de changement climatique. Et à ce moment-là, il y a eu comme une espèce de renaissance du biotope, des milieux ambiants, biotiques, c’est à dire une requalification de l’eau, de l’air, et des sols qui fait que ces humains, qu’on croyait perdus, ont pu revivre, là où il n’était même plus question d’habiter. C’est revenu comme cela à nos oreilles et cela s’appelle la civilisation écologique.
Alors aujourd’hui on n’est donc plus dans la civilisation écologique parce que ce mot n’a plus de sens, étant donné qu’on l’a tous intégré. Nous le connaissons tous et vivons comme cela. Il y a eu le moment de la civilisation écologique, qui était indispensable et après, on vit comme on doit et cela est forcément écologique.
FD : Tu considères que cette civilisation est à l’œuvre et qu’elle est intégrée déjà dans les consciences ?
GC: Elle est dans les consciences mais très peu à l’œuvre. Extrêmement peu à l’œuvre.
FD : Dans les consciences collectives, ou individuelles ? diffuses ?
GC : Diffuses, portées par un alarmisme médiatique et finalement pas pédagogique. C’est cela qui est dommage. Il suffirait que l’on ai décidé qu’il y ai une véritable volonté de changer de modèle économique pour que les choses s’arrangent. Or là, nous sommes, en ce moment, les victimes des grands criminels, qui ont décidé dans les années 1980 de faire une fusion de l’économie réelle à celle de la finance, qui, elle, dirige tout.
FD : Qui est en plus une économie virtuelle.
GC : Virtuelle et vraiment dévastatrice. Daech, ils font quelques morts. Les joueurs de la finance en font beaucoup plus.
FD : Comment à partir de là, tu peux restituer cette prise de conscience, dans ta pratique de jardinier ? Quels sont les moments où tu es intervenu très concrètement sur des espaces, notamment des lieux traumatisés, abandonnés ? Ce qui est le cas de Saint-Nazaire. Comment peut-on lier tout cela ?
GC : Je pars du principe qu’il y a des séries floristiques donc des êtres vivants végétaux, adaptés à toutes les circonstances, y compris les plus dures. Il y a certainement des bactéries qui résisteront aux radiations les pires. Sur un sol qui n’est pas très pollué, dans le cas du toit de la base sous-marine de Saint-Nazaire, mais qui est un sol strictement minéral, sans matière organique, sans nourriture, la question de comment peut-on le faire vivre se pose ? On s’aperçoit qu’en réalité beaucoup de choses vivent, même si l’on ne le voit pas. Subitement, surgit la vie dans les fissures du béton, les lichens… Donc il y a toujours quelque chose qui peut vivre. C’est à partir de ce principe-là, que j’ai fait les jardins. Il a été fait avec des écoles, et l’agence Coloco.
Dans la conception il y a trois éléments : le Bosquet des trembles, le Jardin des Orpins, et le Jardin du Tiers Paysage. Ce dernier est caractéristique de la vie, sur un sol inexistant. Pour les deux autres, il y a eu un apport de terre et un jardinage. Or là il n’y en pas. Le jardin des Trembles est, lui, très artificiel, car ce sont des arbres qui ont été importés, dans des bacs et qu’il faut les arroser par un système de goutte-à-goutte. Nous avons là, trois modes de gestion complètement différents, le dernier étant une absence de gestion, voulue. C’est le deuxième jardin qui se réfère à cette notion de Tiers Paysage, après celui du Parc Matisse, situé à Lille. Au milieu de ce parc, dans un espace assez géré, il y a un relief en falaise. Ce bloc est appelé « l’île d’Herborance » C’est une butte de 7,50m de haut. C’est le reste d’une colline qui existait là, au moment de la construction de la gare TGV Euralille. Cette colline de gravats, dans laquelle, il y a d’ailleurs des briques Vauban, est une ancienne fortification Vauban.
Dans la proposition du projet qui a été acceptée, j’ai gardé cette île dans sa verticalité, avec un coffrage de parois moulées en béton. Cette île a la forme d’une île qui existe dans le monde, qui s’appelle l’île des Antipodes. Aux antipodes de la ville de Lille. Ce nom est une suggestion de l’artiste Claude Courtecuisse, membre de notre équipe, avec l’agence Empreinte. Car nous avions des soucis avec l’architecte des monuments historiques qui ne voulait pas de mon île carrée. Il disait que nous ne pouvions pas faire ça, car trop emprunté au langage militaire Vauban, qui selon ses dires était là avant nous… Après une discussion d’un an, nous avons soumis cette idée qui a été acceptée. Là, au sommet de l’île, dans une terre de gravats et remblais nus, on ne fait rien. J’avais tout de même sélectionné une série floristique, de ce que j’appelle la forêt du futur, dans le cadre d’un brassage planétaire du biome tempéré: constitué de quelques plantes de Chine, d’Amérique, d’Europe… Faute d’argent on ne l’a pas utilisée. Cela n’a pas été fait. Heureusement, car c’est la nature qui a pratiquement tout fait à part deux trois plantes: un rosier, une glycine. Le reste a été apporté par les oiseaux.
FD : Ton relais a été l’oiseau, si je comprends bien ?
GC : Exactement. Une autre particularité, est que l’on ne va pas sur ce lieu-là. Il est un tableau ou une grande sculpture emblématique, qui dit : « voilà la nature, un territoire de biodiversité. Voilà un trésor ». Alors qu’à l’inverse, on va dans le jardin à Saint-Nazaire, car il est accessible. Dans aucune des deux configurations il n’est interdit d’aller. Bien au contraire.
FD : Ce n’est pas la mise en conservatoire, ni la mise en scène à distance ?
GC : Pas du tout. Dans le cas du Parc Matisse la mise en scène est artistique, mais pas dans le cas de la base de Saint Saint-Nazaire.
FD : Quelle est la fonction sociale et l’apport du Tiers Paysage ? Mais aussi comment perçois-tu son évolution par rapport à une société, qui a du mal à retrouver ce lien entre ce qu’il est et son lieu d’habitation ? Le déracinement pour certains, l’errance pour d’autres ? L’absence d’habitat ? Nous allons être confrontés à des problématiques d’émigration forcée aux conséquences terribles, au vue des changements climatiques.
GC : Il y a une différence très importante entre le brassage planétaire, issu du monde vivant non-humain, plantes et animaux, et le brassage planétaire humain. C’est l’amplitude biologique. Dans le cas des plantes et animaux, surtout les plantes, vont pouvoir dans le mécanisme du brassage planétaire, s’installer là où le climat leur convient mais pas ailleurs. Ce sera très difficile pour une plante tropicale, d’aller dans le pôle Nord, alors qu’un humain peut le faire. L’amplitude biologique des humains est très forte. L’Homme est capable de franchir les zones climatiques en se protégeant. Il peut donc migrer dans toutes les directions. Par ailleurs, le Tiers Paysage est le territoire de l’accueil, à une diversité en général, qui est capable de vivre là. C’est un lieu qui n’est pas organisé, qui évolue selon le mécanisme de la friche qui s’en va vers le climat forestier, presque toujours, un lieu abandonné se transforme en une friche armée, c’est à dire avec des plantes à épines, qui passent le relais à une forêt. C’est comme cela qu’ont évolué les reliefs accidentés, chez nous, comme partout dans le monde.
Eugénie Denarnaud ED: Une question par rapport au Tiers Paysage: des zones de refuge sont aussi parfois habitées et deviennent des lieux de marginalité. Comment on peut valoriser et faire comprendre aux acteurs des politiques d’aménagement, que ces lieux peuvent être des territoires cruciaux d’enjeux dans l’aménagement urbain. Comment faire comprendre et accepter cette temporalité aux maîtres d’ouvrage dans une société d’immédiateté et d’argent ?
GC : Il y a encore une fois un retard de l’institution. Et aussi des oppositions. Dans ce « laisser faire » se trouve le risque, pour l’institution, de se trouver face à des initiatives avec lesquelles elle n’est pas d’accord et qu’elle ne saurait plus gérer. C’est donc très difficile. Mais dans beaucoup de cas, ce sont des associations, des groupes amicaux, qui sont venus faire quelque chose, un peu comme ce qu’il se passe aux Lentillères à Dijon. Et là, l’institution se retrouve bloquée, en se disant qu’il réside aussi dans ces pratique autonomes, la solution d’un aménagement. Ils n’y avaient pas pensé, ils ne l’avaient pas programmé. Il n’y avait pas le budget pour. Sauf que ça s’est fait, sans argent. Là, quelque chose se passe sans argent, sans budget, sans institution. Donc ils sont mis au-devant du fait accompli. Dans ce cas-là, certains finissent par dire oui, et cautionnent l’action spontanée, ou la récupèrent en la cautionnant. Sinon, l’on peut faire, comme l’a fait Michel Corajoud, dans le Jardin d’Éole, un espace de liberté qui accueille la végétation spontanée. Cela est difficile à faire passer et sa renommée a du servir pour faire passer ce genre d’idée.
FD : Je vais reprendre ce thème des « résistances diffuses », thème de ce que nous avons vu à Dijon durant le colloque, avec la présentation des Lentillères, mais il y a aussi des « grandes résistances » comme Notre Dames des Landes. Land Rohan est tout en limite de la ZAD. Si le projet d’aéroport se fait, toute une partie des zones humides va disparaître. Il y a de la résistance, mais est-elle suffisante pour s’opposer à ce projet qui date de quarante ans ? Je m’interroge sur le concept de projet même et sa finitude.
GC : Le projet peut aussi être évolutif. Notre Dames des Landes est un piège, à relativement court terme. Dans le roman que j’ai écrit, c’est devenu, dans un futur proche, un CLOS Camp de Loisir Obligatoire Surveillé. Parce que ça n’a pas servi pour les avions. Ce n’est plus un aéroport, car il n’y a plus de kérosène. Il ne sert plus à rien, donc on y met les prisonniers.
Aujourd’hui c’est un projet aberrant, aux enjeux économiques considérables, avec tout un fantasme sur le low cost et le voyage accessible pour tous, au bout du monde, à toute vitesse. Qui n’est même plus dans un voyage mais un déplacement de tourisme industriel de masse. Cela n’a plus rien à voir avec le voyage. C’est un marché. Donc on continue à fantasmer là-dessus. Il y a par ailleurs des financements engagés par contrat qui doivent tenir les personnalités du gouvernement par le cou. Je me posais la question, de si quelqu’un comme Ayrault, qui a géré la ville de Nantes de façon remarquable pendant plusieurs années, n’avait pas subi une menace sérieuse pour mettre à bien ce projet. Tellement il est aberrant. Et la proximité des aéroports de Rennes, Brest, et de l’existant à Nantes poussent à s’interroger sur les fondements du projet. Le principe de compensation avancé par Vinci, qui consiste à dire « on détruit une zone humide, mais ce n’est pas grave on en a acheté une autre à côté que l’on protégera» montre l’incompréhension de la finitude de la planète. On ne peut pas compenser. Un écosystème détruit n’en remplacera pas un autre. C’est impossible et c’est un raisonnement fallacieux. Arnaque pure et simple. Chantage.
FD : Mon troisième thème est: qu’est-ce que t’inspire l’idée « d’apprentissage tout au long de la vie », et des moyens que l’on peut développer ? De quelle manière peut-on développer cela pour que des formes de connaissance s’élaborent en commun ? Et qu’elles répondent à des objectifs de démocratie, de citoyenneté, et impliquent la société civile de manière responsable, individuellement et collectivement ?
GC : Ce que cela m’inspire, c’est ce que j’appelle l’accès à l’intelligence. C’est à dire, que dès lors qu’il y a une pédagogie donnée, qui permet de comprendre quelque chose, et pas une éducation dans le sens qu’elle n’est pas une règle qui correspondrait à une moralisation de la vie, l’être humain est en pleine possession de l’accès à l’intelligibilité du contexte.
FD : Il est important de préciser ce point et j’ajouterai que l’Unesco est passée du concept d’éducation au concept d’apprentissage très récemment.
GC: Dans l’apprentissage, il y a l’accès à l’intelligence et à la pratique. Cela passe par l’intelligibilité du contexte. Quelqu’un, quel que soit son âge, qui comprend quelque chose, sur lequel il va éventuellement intervenir, est heureux. Il sait ce qu’il peut faire ou ne pas faire, il a compris. S’il accompli une action à l’encontre de ce que l’on estime comme étant bien ou mal, il l’aura décidé. Il sera en pleine conscience de faire, y compris quelque chose de grave. C’est très important. Maintenir les gens dans l’ignorance, c’est les maintenir dans la souffrance du non-accès à l’intelligibilité des choses. Pour ensuite l’enfermer…
FD : Est-ce que tu penses que le concept de « territoires apprenants » a du sens ?
GC : Je le pense sincèrement, cela fait même partie des choses fondamentales. Si je place le ministère de la connaissance, comme étant le premier dans le gouvernement idéal, ce n’est pas un hasard, c’est dans cette même idée.
FD : Il va sans dire que ce que ces idées philanthropiques sont difficiles à passer. On a beaucoup de mal pour l’instant. On nous oppose des raisons économiques c’est la question du modèle économique. Deuxième question : pourquoi les Chinois ?
GC : Pour cette question il faut leur répondre, parce que ce sont eux qui sont le plus nombreux dans le monde. Cela me renvoie à une étude faite en 2001-2002 sur le lac Taï, qui s’appelle « Le jardin planétaire de Shangaï ». Finalement cela n’a rien donné. Au départ, les commanditaires chinois ont d’abord beaucoup eu de mal à comprendre ce que c’est que le jardin planétaire. Et ensuite, le concept bien réexpliqué, ils ont compris et souhaité avoir un cahier des charges pour éviter la pollution du lac, qui donne aujourd‘hui à boire à 18 millions d’habitants à proximité. Hélas la pollution est présente dans ce lieu actuellement.
FD : Lorsque tu dis qu’ils n’ont pas compris le principe de Jardin planétaire, comment expliques-tu cela culturellement ?
GC : J’explique cela, par le fait qu’ils avaient face d’eux, quelqu’un comme moi, qui prétend être Jardinier - Paysagiste. Ils m’ont fait visiter des carrières exploitées, qu’ils voulaient réaménager, mais n’ont pas du tout pensé au versant planétaire et écologique de notre pratique. Ils ne s’attendaient pas à ce type de proposition. Pour eux un jardinier est quelqu’un qui dessine un jardin, avec les codes culturels très forts présents en Chine, qui ont marqués l’histoire des jardins et du paysage aussi parfois. C’était sans doute pour eux quelque chose de très inattendu et c’est pour cela qu’ils ont fait un blocage. On serait arrivé en éminente personnalité scientifique, ou on aurait changé le terme, ils auraient plus facilement compris.
FD : Nous sommes en train de monter le projet avec des fondations chinoises et avec l’Institut de recherche de la philanthropie de Chine.
Depuis une quinzaine d’année c’est à peu près 5000 fondations qui se sont créées, seules quelques-unes se sont intéressées aux questions climatiques et environnementales. Elles ont créé une alliance verte et sont dans cette dynamique d’alliance avec les européens. C’est ce que nous allons travailler pour Climate Chance. La question de la philanthropie se pose aujourd’hui en France et dans le monde. L’amoindrissement de la finance publique fait qu’il y a un renouveau de la philanthropie. De manière concomitante, une autre stratégie est à l’œuvre: de quelle façon les fondations et le mécénat vont être un nouveau soft power, déjà à l’œuvre aux USA, et chinois également. Comment allons-nous avoir notre pensée propre, et nos manières de concevoir, à travers les liens d’amitié, l’œuvre, l’art ? Comment peut-on penser ce devenir ensemble, en commun, sans se laisser trop détourner ? Soit notre projet capote, soit il prend le risque d’être infiltré, ou récupéré… Nous avons donc besoin de consolider notre socle de savoir mais aussi notre socle pédagogique.
GC : C’est une question de temps. Plus il y a de prise de conscience, plus il est facile de trouver des gens qui adhèrent à ces initiatives. Et cela peut rassembler suffisamment de personnes pour qu’il y ait une structure qui émerge, qui propose un modèle économique de gestion, en évitant la récupération. Il y a aussi des bonnes intentions chez les mécènes. Le mieux serait que l’institution soit porteuse de ce projet ; donc le gouvernement, issu de la démocratie par le vote, même si cela est une illusion aujourd’hui, où l’on n’est plus du tout en démocratie, puisque les politiques pour lesquels on vote n’ont plus de pouvoir. En admettant qu’ils en retrouvent, à ce moment-là, il devient important de s’adosser sur la constitution et ces structures étatiques, car elles existent et sont déjà établies. Ce que l’on appelle les services publics, dans le peu qu’il en reste. C’est le corollaire d’un changement de gouvernement, d’état d’esprit. Et au préalable de modèle économique.
En attendant, car cela risque d’être long. Ce que j’appelle « l’alternative ambiante » permet de préfigurer ce changement, c’est à dire les initiatives émergentes çà et là, et qui mettent au point des systèmes pour inventer des sociétés nouvelles. Au niveau des relations humaines, du marché, de la culture. Elles existent et sont fantastiques. C’est peut-être en les additionnant, et les centrant sur le projet du « Campus international pour la civilisation écologique », il pourra émerger une vraie puissance d’agir. Cela n’empêche pas que, pendant ce temps-là, il y ait des réunions d’écologues, une publicité et médiation du projet.
Merci Gilles pour ce temps d’échange. Francine Depras et Eugénie Denarnaud
Le Tiers Paysage comme construction d’un projet de territoire et de développement éco-alternatif - un concept subversif doux
Francine Depras 17/10/2016
Le concept de Tiers Paysage proposé par le paysagiste-jardinier Gilles Clément repose sur des analyses de terrain menées par G Clément depuis plus de 40 ans. Le principe de sa pensée et de sa pratique (l’expérience du terrain) donne prééminence au vivant et présente le paysage dans sa dimension biologique d’une part et dans une confrontation avec les projets élaborés dans un contexte économique donné et dans un moment du positionnement de la société face à son développement.
La matérialité du marché et l’immatérialité des valeurs d’une société à un moment donné de son développement ne sont pas gravées dans le marbre de la décision politique. Le contexte, autrement dit la prise en compte des évolutions de l’un et de l’autre de ces deux déterminants, oblige le politique non pas à figer un moment de décision historique mais à proposer des projets alternatifs qui donne sens, contenu et matérialité à un territoire de vie.
« C’est dans un souci d’équilibre avec les énergies en place et surtout dans un souci d’anticipation sur les conditions de vie future [que] les jardins et les paysages sont ici imaginés, réalisés, entretenus et enseignés à la lumière de ce que j’appelle « le génie naturel » (Paysages, jardins et génie naturel-2011-2014- introduction aux cours du Collège de France – Gilles Clément)
Le concept de tiers paysage est un concept subversif doux (oft subversif pour parler mode) c’est un fragment de territoire « in décidé » ou « in décidable » au sens où il donne lieu à des pratiques humaines et naturelles marginalisées, des « délaissés » provisoires de la maîtrise de l’aménagement du territoire, il installe des logiques alternatives qui « continue la vie et la nécessite biologique conditionnant l’avenir des êtres vivants, modifie la lecture du territoire …Il appartient au politique d’organiser la partition des sols de façon à aménager dans son aire d’influence des espaces d’indécision ( ou de conflit d’influence , dit par moi) , ce qui revient à ménager le futur »
Ménager le futur, une vision de la société civile ?
Le Tiers-Paysage intéresse le professionnel de l’aménagement, le concepteur, en ce qu’il amène à désigner comme espace d’utilité sociale, culturelle, économique, un fragment de territoire et à en faire une territoire multifonctionnel, autrement dit a sortir d’une logique binaire qui ordonne d’arbitrer entre un territoire monofonctionnel, soit entièrement urbain, soit entièrement rural.
Ni blanc,ni noir, ni gris, mais des camaïeux de tonalités (comme pour le peintre et le musicien) ou une créolisation de l’espace vécu , pour reprendre la très belle intervention du Mireille Demas-Marty à l’ONU ou Unesco.
Son œuvre au quotidien est une leçon de modestie, de bienveillance, de persévérance, et de sollicitude, d’attention aux plus infimes choses du vivant pour faire vivre ensemble les sociétés.
Dans le jardin planétaire il y a cette idée d’utiliser l’énergie en place, aussi bien celle de la taupe, que de la coccinelle en alliant les compétences animales dans le but de dépenser finalement moins d’énergie soi-même pour vivre dans notre jardin, la Terre.1
1 (1) extrait de « la communauté des vivants » intervention de GILLES A. TIBERGHIEN, philosophe, Colloque de Cerisy - la-Salle " Jardin en politique ” (autour de Gilles Clément) Août 2016
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Présentation de Francine Depras
Sociologue qui a intégré le « Comité des apprentissages tout au long de la vie » en 2013, en tant qu’administratrice, dans le cadre du lancement d’un programme d’actions dit “Territoires apprenants” compris comme territoires de connaissance, de savoir, et de réseaux qui se construisent ici et maintenant dans des espaces proches et lointains.
La rencontre avec le promoteur immobilier Bernard Brémond, a été le déclencheur d’un projet collectif auquel est associé le Forum Chine-Europe. Le domaine de Land Rohan est exemplaire dans sa conception et par sa situation, il présente des caractéristiques écologiques tout en accueillant des activités humaines. Le Campus de Land Rohan dédié à l’objectif d’une civilisation écologique pourrait être le lieu des apprentissages multiples, requis par les transformations accélérées du monde social et de la Planète Terre.
Présentation de Eugénie Denarnaud
Paysagiste et plasticienne, est issue d’une formation de cinéaste à l’université Paris 3, puis de l’ENSP Versailles. Passionnée par le vivant et la botanique, elle intègre dans son travail un rapport à la nature et aux paysages quotidiens, aux mouvements de migration. Elle conçoit son approche photographique à la façon d’un herbier via une conduite de collection d’éléments captés du réel dont elle se ressaisis pour donner à voir des fragments de territoires, comme des pièces constituantes d’un lieu. Elle y questionne la notion de grand paysage, de jardin planétaire. Son travail s’articule autour de la révélation des dynamiques à l’œuvre dans les territoires dans des échelles temporelles très différentes allant de la géologie, comme constitution du socle des paysages actuels, au monde végétal dans son ensemble. La recherche, sur le phénomène de résilience des espaces et la dynamique de transformation du vivant, est au cœur de sa réflexion et de son action. Elle démarre un travail de recherche doctorale sur les conditions d’émergence des pratiques jardinières spontanées des habitants dans les villes globalisées, nommés par le concept de « jardins pirates ».