Des acteurs des plans de paysage témoignent
Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, octobre 2017
Émile Littré, au XIXe siècle, définit le paysage dans une approche contemplative. Il parle d’une « étendue de pays que l’on voit d’un aspect… un paysage dont on a vu toutes les parties l’une après l’autre n’a pourtant point été vu ; il faut qu’il le soit d’un point assez élevé, où tous les objets auparavant dispersés se rassemblent d’un seul coup d’oeil ». Conformément à la convention européenne du paysage, le paysage est aujourd’hui considéré comme un élément important du cadre de vie. Il désigne « une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations ». Il devient par conséquent un principe directeur pour l’amélioration de la qualité de vie des populations. Elus, professionnels et acteurs du paysage prennent la parole.
commune de Nouaillé-Mauperthuis département de la Vienne 2700 habitant
CYRIL GOMEL CONSEILLER MUNICIPAL
« Notre plan de paysage s’est construit au coeur d’une démarche globale de territoire, en particulier un agenda 21, une révision du plan local d’urbanisme (PLU) et une aire de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine (AVAP). Nous voulions que le plan complète les documents réglementaires en proposant des actions concrètes de qualité qui peuvent être mises en oeuvre au fur et à mesure des opportunités et des besoins et en plaçant la « dimension paysage » au coeur du projet de territoire, notamment parce qu’elle est fédératrice et accessible à tous. L’équipe de paysagistes que nous avons retenue avait non seulement les compétences en matière de savoir et de lecture du paysage, mais elle s’est aussi montrée très à l’écoute des élus et du public, capable de se mettre à niveau dans le discours, y compris lors d’animations. Ce sont à nos yeux les clefs de la qualité et de la réussite de cette démarche. Avec une équipe compétente, humble, pédagogue, enthousiaste, les échanges et l’appropriation des problématiques par l’ensemble des acteurs du territoire vont bien au-delà de la technique paysagère elle-même ou des préconisations d’aménagement. Au cours du processus collectif, les élus acquièrent une capacité à porter ces thématiques. Il y a une culture paysagère commune qui s’installe et se diffuse. Contrairement à un document réglementaire, le plan de paysage peut évoluer au fur et à mesure de sa mise en oeuvre tout en conservant sa philosophie d’origine. Estce que tout cela contribue à améliorer la qualité de la vie ? Probablement, même s’il est encore tôt pour le dire. »
ALAIN FREYTET PAYSAGISTE
« Le plan de paysage permet de passer de l’image partagée que l’on se fait d’un territoire à des principes généraux d’aménagement et de mise en valeur puis à des réalisations. Pour lancer un plan de paysage, les élus doivent avoir une certaine expérience de la maîtrise d’ouvrage et du rôle du paysagiste. Sur la commune de Nouaillé-Maupertuis, le plan paysage a été associé à un plan d’interprétation des patrimoines. Trois documents d’urbanisme étaient lancés simultanément : une aire de valorisation de l’architecture et du patrimoine (AVAP), une approche environnementale de l’urbanisme (AEU) et un plan local d’urbanisme (PLU). Le plan de paysage a servi de ciment à ces études spécifiques. En amont, il a donné un socle à ces trois études par un diagnostic sensible et partagé, notamment avec les élus. En aval, il a permis d’aller jusqu’à des esquisses précises, chiffrées, opérationnelles, ce que les trois autres études n’étaient pas amenées à faire. Diverses actions ont été menées pour mobiliser les acteurs du territoire. De nombreuses visites de site avec les élus et des ateliers thématiques ont été organisés. Nous nous sommes également greffés à des visites de découverte organisées par la commune pour écouter les participants et parler du paysage dans le paysage. Les échanges avec des agriculteurs, des maraîchers, des commerçants et des associations ont affiné notre connaissance du territoire. Ces moments de partage et d’échange ont permis de préciser les traits caractéristiques des unités paysagères*, et du territoire en général, et de formuler les perspectives et les intentions partagées pour les paysages de la commune. Une culture paysagère commune est née de ces échanges. »
communauté d’agglomération de Blois département du Loir-et-Cher 48 communes 108 000 habitants
CHRISTOPHE DEGRUELLE PRÉSIDENT D’AGGLOPOLYS, LA COMMUNAUTÉ D’AGGLOMÉRATION DE BLOIS
« Lorsque je suis devenu président de l’agglomération en 2008, j’ai constitué un groupe de quatre vice-présidents motivés pour travailler sur la thématique du paysage. L’année suivante, nous avons commandé un audit par le paysagiste-conseil de la direction départementale des territoires (DDT) pour qu’une culture paysagère chemine au sein de la collectivité. Nous avons aussi recruté une paysagiste, rattachée au directeur général des services, ce qui souligne la dimension prioritaire et transversale du paysage. Concernant l’élaboration du plan de paysage en lui-même, nous serons accompagnés dans notre démarche par un bureau de paysagistes. La mobilisation doit d’abord avoir lieu au niveau des élus, puis elle doit toucher les acteurs du tissu socio-économique départemental. L’objectif de ce plan est de montrer que l’enjeu du paysage est à la fois un enjeu lié à la dimension touristique et patrimoniale et un enjeu de bien-être pour la vie quotidienne. Il ne s’agit pas de se limiter au long ruban le long de la Loire et d’ignorer les coteaux, les zones urbanisées ou les zones d’activité industrielle. L’approche paysagère permet de revendiquer une urbanisation de qualité et d’éviter une croissance en taches d’huile. »
plaine de Versailles et du plateau des Alluets département des Yvelines 24 communes 139 000 habitant
MARIE DE NAUROIS ANIMATRICE À L’ASSOCIATION PATRIMONIALE DE LA PLAINE DE VERSAILLES ET DU PLATEAU DES ALLUETS (APPVPA)
« Cette région périurbaine a subi de grandes transformations à la fin des années 1990. Les infrastructures qui accompagnaient l’urbanisation ont consommé d’importantes surfaces agricoles. Les agriculteurs ont souhaité réfléchir avec les élus à l’avenir de la plaine de Versailles. En suivant une méthodologie définie par l’institut de stratégies patrimoniales d’AgroParisTech, nous avons lancé un audit patrimonial visant un faire émerger un patrimoine commun. Celui-ci a conduit à la création de l’APPVPA, qui rassemble les élus, les agriculteurs et la société civile, avec des associations locales et des particuliers. Cela a été le début d’une prise de conscience d’un territoire dont l’enjeu de préservation est conditionné au développement économique des exploitations agricoles. L’École nationale supérieure de paysage de Versailles (ENSPV) a réalisé une synthèse bibliographique des études paysagères portant sur la plaine. Pour aller plus loin, nous avons élaboré une charte paysagère sur les espaces agricoles et naturels. Des étudiants de l’ENSPV ont mis en avant des orientations possibles et réalisé une enquête sur le terrain. Un cabinet d’étude professionnel a rédigé le document final. Si les agriculteurs ont été moteurs du projet, les fiches actions tiennent compte des propositions recueillies au cours des réunions et ateliers. Concernant la qualité de vie, les rencontres entre les acteurs du territoire tout au long de la démarche ont permis de renforcer le lien social entre des personnes qui appartiennent à des milieux différents et qui n’avaient pas l’occasion de dialoguer. »
communauté de communes de la vallée de la Bruche département du Bas-Rhin 26 communes 22 000 habitants
JEAN-SÉBASTIEN LAUMONDI ANIMATEUR DU PLAN DE PAYSAGE DE LA COMMUNAUTÉ DE COMMUNES DE LA VALLÉE DE LA BRUCHE
« Entre 1950 et 1990, notre territoire a perdu sa dynamique agropastorale en lien avec une baisse démographique : nous sommes passés d’un taux de boisement de 35 % à plus de 75 %. La communauté de communes a travaillé sur la reconquête et l’aménagement de l’espace avec le cadre de vie comme moteur en développant, dès les années 1990, un projet paysager intercommunal. Ce plan de paysage permet d’articuler des outils d’aménagement du territoire et de mobiliser les acteurs en offrant une vision transversale autour de ces problématiques. Il fait émerger un consensus au travers d’un projet collectif et partagé. Après avoir réouvert les espaces, nous avons pu porter un regard vers les espaces urbanisés, un regard inversé qui génère des perspectives. Le plan de paysage a ainsi permis d’ouvrir les yeux sur la nécessité de se préoccuper des friches industrielles et de limiter la réduction des espaces agricoles et semi-naturels. Notre stratégie consiste à maintenir l’agriculture sur des espaces de friches agricoles en périphérie des villages et à développer l’urbanisation en privilégiant la réhabilitation des friches industrielles. Nous travaillons ainsi dans l’enveloppe urbaine qui existait auparavant. Les réflexions sur le paysage créent du lien, un fil conducteur qui permet ensuite la compréhension des actions d’aménagement du territoire. Cette démarche nécessite du temps, beaucoup de pédagogie et, bien évidemment, de l’ingénierie. »
CLAUDE CHAZELLE PAYSAGISTE
« Pour tout projet d’aménagement auquel je participe, quelle qu’en soit l’échelle, ma démarche est de type plan de paysage. Cette approche permet d’analyser ce qui fonde les caractères des lieux et les perceptions que la population en a. Elle repose sur le croisement d’informations, la concertation, les analyses de type scientifique, géographie, historique, archéologique et aussi sur une vision réaliste des contraintes, des données économiques et des données sociales. Tout d’abord, les élus ou les habitants peuvent être sur la défensive, car ils pensent souvent que travailler sur le paysage implique une image idéale et figée de leur territoire. Il faut alors expliquer que, s’il y a quelque chose à défendre, ce n’est pas tant la forme ou l’apparence visuelle des lieux que leur signification et leur sens perçu. Un lieu peut changer totalement d’aspect sans perdre son âme, car travailler sur le paysage c’est travailler sur la capacité d’un lieu, dans ses fondements, à toucher profondément la sensibilité de chacun. Ce qui importe c’est que chaque projet rende lisible, et pas seulement visible, les spécificités des lieux sans s’interdire d’y intervenir. Ce qui fait l’attractivité d’un territoire pour des touristes ou de nouveaux résidents, c’est de se trouver dans des espaces qui ont une vraie personnalité, ni surfaite, ni artificielle. Entreprendre un plan de paysage permet d’aborder l’aménagement d’un territoire en perspective du sens que l’on veut et peut lui donner, de manière transversale aux logiques sectorielles, et d’orchestrer tous les outils de l’aménagement. »
communauté de communes de la Fave département des Vosges 7 communes 2500 habitants
BERNARD MAETZ MAIRE DE LA GRANDE-FOSSE ET ANCIEN PRÉSIDENT DE LA COMMUNAUTÉ DE COMMUNES DE LA FAVE
« Sur notre territoire, la déprise agricole a entraîné la fermeture des paysages avec un fort enrésinement dominé par l’épicéa. Ce sont des problématiques d’aménagement du territoire qui ont conduit à l’élaboration d’un plan de paysage. Celui-ci est une remise à plat générale en concertation avec tous les acteurs et avec l’objectif de déboucher sur des actions qui font consensus. Cela nécessite beaucoup de pédagogie. Un chargé de mission assure l’animation, le lien quotidien avec les habitants et l’interface entre les élus et la population. Élaborer un plan de paysage, c’est développer une vision et une stratégie à court, moyen et long termes pour que le territoire reste attractif et vivant. Nous avons lancé des démarches d’associations foncières pastorales pour sauver et développer l’agriculture de montagne. Nous avons revu la réglementation des boisements pour mieux gérer leur répartition ou le choix des essences. Pour éviter l’étalement urbain, nous avons engagé une politique de densification tout en gardant des îlots de verdure. Le plan de paysage a aussi permis de réfléchir au potentiel touristique, en particulier autour du tourisme vert. Nous avons travaillé sur la relocalisation de la production d’énergie et réfléchi à la construction ou la restauration des bâtiments avec un objectif d’économies d’énergie. Le plan de paysage est finalement une clef de réussite pour un territoire et permet d’assurer un véritable développement local. Aujourd’hui, l’équilibre des paysages et la qualité de vie se sont considérablement améliorés. »
BERNARD BRUNET PAYSAGISTE ET URBANISTE, ENSEIGNANT EN PAYSAGE
« Faire évoluer la perception de la question du paysage et les conditions de l’action sur celui-ci passe par le débat entre acteurs afin d’élaborer un diagnostic et une vision partagés des enjeux et des objectifs. Au lieu d’aborder le territoire par les problèmes comme cela se fait dans beaucoup de démarches d’aménagement, j’essaie tout d’abord de faire émerger un regard positif sur les potentialités et les valeurs du paysage. Car il faut rechercher en premier lieu ce qui fait sens et pourra fonder un projet fédérateur. La vision paysagère est transversale : elle met en relation et s’appuie sur le patrimoine et l’écologie, la géographie et l’histoire, de dépasser les logiques de banalisation et de décoration futiles pour cultiver les valeurs fondamentales et durables d’un territoire. Il contribue à renouveler le lien entre la société et son environnement. » les dimensions culturelle, esthétique et symbolique du territoire. Il s’agit aussi de rompre avec des logiques de planification et d’urbanisme qui plaquent des modèles abstraits et recherchent des cohérences globales en oubliant les vertus et les qualités du local. Quand j’explique aux élus que l’on va d’abord identifier ensemble les particularités locales pour coconstruire un projet, les réactions sont positives. Le plan de paysage consiste à mettre les valeurs culturelles et écologiques au coeur du débat social et politique pour faire émerger des projets concrets de territoire et de développement local. Le paysage est le reflet des tensions et des réalités d’une société. Le plan de paysage est un projet partagé qui se donne pour objectif de dépasser les logiques de banalisation et de décoration futiles pour cultiver les valeurs fondamentales et durables d’un territoire. Il contribue à renouveler le lien entre la société et son environnement. »