Revisiter les méthodes de planification pour conserver aux communes la maîtrise de leur développement
septembre 2015
La Revue Foncière / Association Fonciers en débat
Le contenu des documents locaux de planification a été bouleversé sur le fond et sur la forme, par quatre lois 1, votées depuis une quinzaine d’années, qui accordent la primauté à la défense de l’environnement et à la production de logements : les lois « SRU » (Solidarité et renouvellement urbains en 2000), puis des lois « Grenelle 1 » et « Grenelle 2 » de 2009 et 2010, enfin l’an passé par la loi « ALUR » (accès au logement et un urbanisme rénové).
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Revisiter les méthodes de planification pour conserver aux communes la maîtrise de leur développement.
Les « SCOT » (Schémas de cohérence territoriale) se sont enrichis d’une expression de projet de territoire au travers de leur « PADD » (Projet d’aménagement et développement durables). Ils ont aussi été dotés d’un « DOO » (Document d’orientation et d’objectif ) destinés à tracer les grands axes structurants de la politique de développement de leur territoire. Les « PLU » (Plans locaux d’urbanisme), quant à eux, peuvent désormais contenir des « OAP » (Orientations d’aménagement et de programmation) destinées à préciser les prescriptions applicables sur certains « secteurs à enjeux », ainsi que leurs conditions de mise en oeuvre.
L’objectif était de faire précéder la planification d’une expression de projet sorte de fil rouge destiné à rendre cohérentes les transformations successives des espaces de vie. La règle doit être mise au service du projet. Il faut mettre fin à « l’urbanisme d’opportunité » et à la « consommation » inconsidérée des espaces agricoles et naturels. Il manquait une réforme de la gouvernance territoriale. C’est chose faite avec la promulgation de la loi Notre n° 2015-991 promulguée le 7 août 2015, portant « Nouvelle organisation territoriale de la République ». La pertinence de ces évolutions législatives ne pourra s’apprécier qu’à l’éclairage de cette réforme territoriale, qui tend à réduire le millefeuille administratif et par voie de conséquence redistribuer les compétences des nouvelles collectivités territoriales, qui seront chargées demain de mener à bien l’élaboration et la mise en oeuvre des documents de planification locale à des échelles dépassant le simple cadre communal Les nouvelles régions dotées de Sraddet 2 opposables en termes de compatibilité, voient leur champ de compétence s’élargir. L’État les a devancées par la réorganisation et la réforme de ses services ; il renforce aujourd’hui les pouvoirs des préfets de région. Pour la cohérence de leurs politiques respectives et leur efficacité, l’État privilégie désormais, pour la mise en oeuvre de l’ensemble des évolutions, les relations avec les conseils régionaux, lesquels à leur tour privilégient les rapports avec les intercommunalités. Ainsi, les agents des régions sont présents dans les réunions de préparation des SCOT et non dans celles des PLU, à l’exception de ceux des grandes communes urbaines. Les DDT 3 et DDTM 4 au travers des porter à connaissance restent les ambassadeurs de l’État au niveau local et en particulier des Dreal 5. Elles veillent ce faisant au respect des obligations de quotas de logements imposés par la loi SRU, revisitée par la loi ALUR, ou encore aux économies d’espaces et à la prise en considération des prescriptions environnementales 6, des économies d’énergies, des risques 7, la préservation des ressources 8 et du traitement des déchets. Les grandes oubliées de ces réformes sont les communes. Elles voient leurs pouvoirs s’amenuiser au profit d’intercommunalités (métropoles 9, communautés urbaines, communautés d’agglomérations, communautés de communes). Cette évolution de la gouvernance était prévisible en raison de l’incohérence des logiques territoriales, déjà dénoncées, mais non traitées, par les lois Voynet 10 et Chevènement 11 dès 1999. Les réformes en cours vont dans le bon sens, en plaçant la décision au bon niveau géographique, celle des bassins de vie où s’opèrent les relations quotidiennes entre les lieux d’habitat, de travail, de culture et de loisirs. C’est à ce niveau qu’il faut désormais rechercher l’équilibre du corps social, et l’efficacité du développement économique, ne serait-ce qu’en raison des évolutions des moyens de transport et des « TIC » (Techniques d’information et de communication).
Des évolutions qui ne sont pas sans risque
La première conséquence sera de voir s’éloigner, les lieux de décision en matière d’aménagement et de développement, la cellule de base formée par la commune et son maire, proche de ses administrés. Ce risque n’a pas manqué d’être dénoncé dès l’origine par l’Association des maires de France. Si les représentants des conseils municipaux, dans leur ensemble, ont par la force du droit, accepté de siéger dans les syndicats de SCOT, ils ne sont pas légion à s’être engagés dans des démarches de « PLUI » (intercommunaux) et de se dessaisir du pouvoir d’urbanisme de leur PLU et encore moins du droit des sols, sauf dans les métropoles et les communautés urbaines où ils y ont été contraints. Ces compétences en urbanisme et en droit des sols, attribuées aux communes, constituent en effet pour les maires leur principal moyen d’exister aux yeux de leurs administrés, en leur permettant de peser sur la transformation de leur cadre de vie, en réponse à leurs attentes. C’est la raison pour laquelle les PLUI ne font pas recettes, à l’instar de la région PACA, où il n’en existe aucun à ce jour. Pendant ce temps l’intercommunalité n’avance que lentement, de façon timorée.
Les SCOT se contentent alors de garantir la compatibilité juridique des PLU communaux à son égard. Les seconds, finissent souvent par devancer les premiers, au lieu de s’en inspirer. C’est le puzzle des PLU qui sert de trame à l’élaboration des SCOT. Leurs DOO ont ainsi tendance à traduire des consensus mous, laissant à chaque collectivité locale la liberté de gérer son territoire, au lieu d’afficher un projet ambitieux dans l’intérêt du grand territoire de vie et de sa population. On assiste le plus souvent, dans les démarches de SCOT, à une simple addition de projets communaux, en lieu et place d’une mise en synergie des forces et des potentiels. Le transfert des décisions au niveau intercommunal, tel que prévu, ne va-t-il pas favoriser l’opacité du processus de planification au sein des technostructures qui se mettent en place et qui serviront de « bouclier » entre les administrés et les élus délégués au sein des EPCI de SCOT et autres intercommunalités ? Le citoyen ne risquera-t-il pas de se sentir de moins en moins concerné et de se comporter en sujet, plutôt qu’en acteur responsable, attentif et participatif, face aux évolutions de son cadre de vie ? Pour éviter ces dérives, ne faudrait-il pas légitimer davantage le rôle et les fonctions des responsables politiques au sein des intercommunalités ? Par exemple en élisant au suffrage universel des conseils de communautés, en même temps que les conseils municipaux ; un pas que l’Assemblée a toutefois refusé de franchir sous la pression du Sénat, lors du vote de la loi Notre. Jusqu’à quand l’élaboration d’un PLUI restera-t-il pour les communes une démarche volontariste ? est probable qu’à terme, lorsque les SCOT seront approuvés comme les PLU ou les PLUi, les réticences face à l’intercommunalité tendront à se dissiper, car les logiques intercommunales apparaîtront plus évidentes, les maires seront plus enclins au dialogue avec leurs voisins pour rechercher des compromis constructifs entre intérêts communaux et communautaires.
À la fin des années cinquante à Paris, à l’Institut d’urbanisme de la rue Michelet 12, les professeurs de l’école des Beaux-Arts, enseignaient les principes fonctionnalistes de la charte d’Athènes de 1933. Ceux-ci s’imposaient à l’époque aux urbanistes comme une bible, le code de l’urbanisme créé en 1954, était vingt fois moins épais qu’aujourd’hui et les réserves oncières paraissaient inépuisables. L’urbanisme s’imposait davantage par la conception atomisée des formes urbaines, que sur une réflexion préalable d’ensemble, plaçant le contenu social et économique au service d’un projet de société, à l’exception des expériences des villes nouvelles.
Avec l’avènement en 1958 de la Ve République, les « PUD » (Plans d’urbanisme directeur), conçus alors par des architectes urbanistes agréés par le ministère, ont laissé la place en 1967, après la loi d’orientation foncière, aux plans d’occupation des sols élaborés sous la responsabilité des services déconcentrés de l’État dirigés par des ingénieurs. L’urbanisme de « tuyaux », tel qu’on le qualifiait à l’époque, était justifié par le retard des travaux de viabilisation dans les extensions urbaines. Avec le recul, on peut dire que les POS, par leur laxisme en termes de consommation de l’espace, sont à l’origine des méfaits de l’étalement urbain dénoncés de nos jours sous la pression du lobby environnementaliste. Par leur zonage et leur réglementation appuyée sur la trame foncière mal maîtrisée, ils ont en quarante années, façonné le paysage de notre pays effaçant en de nombreux endroits par leur « mitage », les limites historiques franches entre la ville et la campagne. Faute de s’attaquer à la problématique foncière et notamment à sa fiscalité, comme le souhaitait Edgar Pisani, ministre de l’Équipement, rapporteur de la LOF (loi d’orientation foncière) en 1967, lors des débats au Parlement, les POS ont été dans l’incapacité de créer le lien de cohérence indispensable à la réussite du passage entre le « réglementaire » et « l’opérationnel ». C’est là probablement l’une des raisons de l’échec des POS et de ses conséquences en termes de consommation de l’espace.
Il fallut attendre le début des années 80 pour que se généralise une prise de conscience sur les méfaits de l’étalement urbain, ainsi que sur la nécessité de faire précéder et accompagner la planification par un véritable projet de territoire aux plans social, économique et environnemental. L’article « Le projet urbain doit précéder le POS » publié en octobre 1998 13, donna à l’époque l’occasion à la commission des affaires économiques du Sénat, d’argumenter l’amendement intégrant le projet d’aménagement et de développement durable (PADD) dans les nouveaux PLU de la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbains) du 13 décembre 2000. Au cours de cette même période, montait en puissance la prise de conscience écologique.
Le sommet de Rio 14 en 1992 allait placer l’environnement sur le devant de la scène, relayé en cela par le droit européen. Les lois « Grenelle » de 2009 et 2010, puis la loi ALUR de 2014 en ont été fortement influencées et ce mouvement est loin d’être terminé. La loi sur la transition énergétique vient d’être promulguée le 13 août 2015, de nouvelles lois se préparent notamment, sur l’économie circulaire, la biodiversité, les énergies renouvelables. Elles vont à nouveau à leur tour influencer le droit de l’urbanisme et de l’environnement. Ainsi peu à peu, la réflexion urbaine s’efface devant les préoccupations environnementales et l’urgente nécessité de répondre au besoin en logement. Le juridisme et l’environnementalisme sont devenus, en quinze ans, les deux mamelles de l’urbanisme, au détriment de l’économie, du social, du culturel et de l’esthétique des formes urbaines. Les pratiques actuelles qui accordent désormais la primauté à l’environnement et à son droit, obligent les urbanistes aménageurs de territoire et les architectes concepteurs de formes urbaines à avancer, par peur du contentieux, en regardant en permanence dans le rétroviseur, à la fois les prescriptions et les conséquences jurisprudentielles des évolutions juridiques, comme toujours reflet de celles de la société. Pratiques qui sont confortées par le contrôle de légalité exercé par les services déconcentrés de l’État.
Aujourd’hui, les codes de l’urbanisme, de la construction, le code rural et forestier, celui des collectivités territoriales et celui de l’environnement (le plus volumineux, bien que le plus récent), composent un ensemble de plus de 16 000 pages, épais de 35 centimètres ! Cette boulimie normative, tant de fois dénoncée 15… mais jamais endiguée, parviendra-t-elle à contenir ou à corriger les errements du passé dénoncées aujourd’hui ? En tentant par le droit de l’urbanisme et de l’environnement de répondre par la planification aux évolutions sociétales, les juristes et les environnementalistes, réussiront-ils mieux à faire le bonheur de la société, là où les urbanistes, architectes, ingénieurs auraient échoué ?
Au terme de près de 60 années de vie professionnelle débutée en 1958 au Service de l’urbanisme de la Ville de Paris, je crois pouvoir dire que, ni les professionnels du droit, ni les concepteurs de villes ou de territoires, ne sont directement responsables des maux urbains dénoncés de nos jours, mais qu’ils le sont toutefois indirectement par complicité avec les pouvoirs politiques, de par les pratiques qu’ils développent à partir des outils juridiques mis à leur disposition par le législateur.
Deux chantiers restent à poursuivre :
D’abord celui récurrent de la simplification du droit,
pour le rendre plus accessible aux acteurs de l’aménagement (élus, professionnels…) et aux citoyens, simplification sur laquelle il convient de rester circonspect, tant il est vrai qu’elle rime trop souvent, au final, avec davantage de complexité. La suite donnée aux recommandations du rapport Labetoule de 1992 16 nous en fourni la preuve, il dénonçait déjà le millefeuille institutionnel et considérait que : « la mise en oeuvre du droit de l’urbanisme par les communes conduisait à un désordre juridique ». Laissons le soin aux responsables de l’État et in fine au législateur d’y apporter les réponses qui s’imposent, notamment au travers de la récente réforme territoriale et de ses textes subséquents.
Ensuite, dans le nouveau contexte territorial,
celui d’une remise en question des pratiques et de la gouvernance territoriale, tout au long des six phases itératives du processus de transformation de l’espace 17, dans lesquelles se succèdent plus qu’ils ne se croisent comme ils devraient le faire de manière systémique, l’ensemble des acteurs du cadre de vie. En privilégiant dans la planification, les fonctions certes vitales que sont la protection de l’environnement et les économies d’énergies ou encore la production de logements sociaux, nos gouvernants par la voix du législateur, en délaissent d’autres, tout au moins aussi importantes si non plus, qu’elles soient notamment économiques, sociales, ou culturelles, des fonctions cependant propices à favoriser le vivre ensemble, le dialogue et la compréhension mutuelle, et dans lesquelles les citoyens puisent leurs espérances et donnent sens à leur vie, de manière « durable ».
Dans notre État de droit, la planification n’est qu’une étape (certes essentielle) dans le processus de transformation de l’espace. Elle seule ne peut endiguer les maux dont souffre la production urbaine. Les causes de ces maux ne se trouveraientelles pas dans la gouvernance de la planification, non seulement tout au long de son élaboration, mais aussi dans sa préparation en amont et dans sa mise en oeuvre en aval ?
En amont, l’insuffisance d’expression préalable et de portage de projets politiques par les responsables locaux, constitue probablement la première des causes. Une insuffisance qui se répercute sur le manque d’exigence des cahiers des charges des consultations des bureaux d’études, auxquels les responsables locaux s’en remettent, pour faire établir leurs documents réglementaires. Des cahiers des charges qui ne prennent pas en compte, toutes les dimensions environnementales, économiques, sociales, culturelles et probablement demain cultuelles, de ces documents. Dans les SCOT comme dans les PLU, les diagnostics territoriaux sont souvent essentiellement des constats d’un état des lieux et n’interpellent pas suffisamment les élus sur les problématiques ressenties, mal ou insuffisamment exprimées au préalable par ces mêmes responsables. Ce manque d’exigence en amont, dessert la qualité de la production urbaine. Il incite les bureaux d’études à produire des documents d’urbanisme « au rabais », davantage soucieux de légalité que de projets de vie, notamment en raison de la concurrence qu’ils se livrent au niveau des prix, laquelle les oblige à gérer leur temps passé au détriment du contenu des documents et de la manière de les mettre en oeuvre. L’expression des problématiques et des enjeux du territoire relèvent alors dans ces conditions, forcément davantage de la projection ou du « fil de l’eau », que de la prospective seule capable d’innovations et de valeur ajoutée. Les PADD qui en découlent, ne peuvent dans ces conditions, qu’extrapoler les constats, en se souciant principalement de respecter les prescriptions juridiques et environnementales. En privilégiant le verdissement des PADD ou les protections agricoles souvent à des fins paysagères, les documents d’urbanisme ne doivent pas occulter les réalités sociales et économiques. L’équilibre entre les trois fonctions fondamentales du développement durable ne peut venir que de la volonté des responsables politiques. Conséquence de ces insuffisances, les PADD des SCOT, des PLU ou des PLUI, se satisfont de vagues orientations consensuelles, laissant se perpétuer sur les territoires un urbanisme d’opportunité dénoncé déjà dans les anciens POS, avec son chapelet de dérives et de dysfonctionnements, Au stade opérationnel les objectifs environnementaux sont alors souvent détournés, à l’image de ces projets labellisés « développement durable » ou « éco-quartier », dans un but commercial. Si l’on poursuit sur cette voie, les documents locaux de planification (SCOT et PLUI), resteront des documents d’application du droit des sols, au lieu, comme le souhaitait le législateur, de se placer au service d’un projet de territoire porté et voulu par les élus, accompagné et conforté par une participation citoyenne. Faute de l’expression forte au départ, d’un projet politique et par manque d’anticipation, foncière notamment, les élus se retrouvent contraints d’intervenir généralement dans l’urgence et dans l’opportunisme, pour satisfaire les besoins d’équipements et de services, générés par les évolutions démographiques, sociales, économiques, culturelles environnementales. À la sortie, ce sera toujours le curatif, producteur de dysfonctionnements qui dominera au détriment du préventif. Inverser ces pratiques demande un certain courage politique, les élus préférant souvent pour des motifs électoralistes, agir au quotidien au fil des besoins plutôt que les anticiper au risque de s’exposer à la critique. La redistribution annoncée des compétences en urbanisme et droit des sols devrait entraîner demain une réduction du millefeuille institutionnel et administratif et par suite une mutualisation des réflexions et des actions, à des échelles territoriales pertinentes de bassins de vie. L’inter-communalisation de la planification, devrait favoriser, du moins en théorie, cohérence et rationalité urbaine. En sera-t-il ainsi dans la pratique ? Il est permis d’en douter, si l’on ne remet pas en question les méthodes de planification. Surtout quand on entend les voix des élus communaux accrochés à leurs prérogatives, avec le soutien de leurs administrés, soucieux de préserver leurs rapports de proximité et inquiets de se voir dessaisir de compétences, éloignés des futurs lieux de décision, dans les nouvelles métropoles ou autres communautés territoriales.
En aval, les maux de la production urbaine et de l’aménagement local du territoire, résident également dans le délicat passage de la phase de planification à la phase opérationnelle. Cette cause n’est pas nouvelle. Elle était déjà pointée du doigt dans les POS dix ans après leur création, dans le train des circulaires de mars 1977 18. Aujourd’hui l’introduction des « orientations d’aménagement et de programmation » (OAP) dans les plans locaux d’urbanisme, permet certes d’effacer cette lacune, mais à la condition que les auteurs des PLU ne se contentent pas d’y définir des fonctionnalités et d’encadrer des formes urbaines. Ces OAP doivent certes rester souples et adaptables, tout en proposant des démarches opérationnelles, confortées par des études de faisabilité technico-financières, à la fois sur l’espace et dans le temps. Encore faudrait-il que les cahiers des charges les y obligent, afin de donner à ces OAP un contenu programmatif, accompagné de stratégies et d’actions foncières, opérationnelles si possibles, ce qui est rarement le cas. Pareille évolution devrait conduire les décideurs locaux à s’impliquer davantage dans la gouvernance territoriale et à ne plus se contenter de délivrer des autorisations d’aménager ou de construire. Mais on touche là à la conception même de la politique d’urbanisme, entre le jeu libéral de la loi du marché, l’interventionnisme public ou la voie médiane d’un urbanisme encadré… ! Comme nous disait un professeur d’urbanisme en 1955 : « En matière d’urbanisme, politique d’abord ».
L’approche figée de la planification, telle que nous l’enseignaient les anciens POS, est à présent révolue. Mais les pratiques n’ont pas été remises en question. Les pistes évoquées ci-après ont pour but d’inciter les élus communaux à s’impliquer davantage dans la démarche de projet de leur territoire au plan local et intercommunal, en les amenant à croiser et additionner les potentiels humain, social, économique, environnemental et culturel, pour favoriser des synergies entre leurs territoires respectifs et leurs acteurs. Elles remettent en question les méthodes d’élaboration des documents d’urbanisme, en particulier en amont et en aval des procédures de planification, et devront tenir compte des fonctionnements de leurs structures porteuses. Car, il est évident que la méthodologie applicable à la petite commune rurale d’une communauté de communes, ne pourra être identique à celle de la commune urbaine d’une métropole, où le projet de pré-PADD politique ou PPADD, devra s’élaborer en trois temps ; en commune d’abord, dans un second temps dans le cadre d’une concertation au sein des conseils de territoires, avant d’être validé dans un troisième temps par les responsables de la métropole. Ces pistes n’ont d’autre but que de garantir tout au long du processus de transformation de l’espace, des liens ténus entre les élus communaux de base que sont les maires, leurs administrés, et d’autre part les nouveaux niveaux de décision intercommunaux. Faire précéder l’élaboration des documents de planification d’un pré-PADD politique ou PPADD, consiste à inverser le processus d’élaboration « descendant » qui conduit actuellement à faire formaliser les PADD sur la base de diagnostics territoriaux élaborés par des bureaux d’études, sans véritable implication du politique. Cela conduit les élus à se laisser dicter des documents d’urbanisme pauvre en contenu, ne répondant pas forcément à leurs préoccupations.
Les procédures de planification (SCOT, PLU ou de PLUI) auraient tout à gagner d’une expression préalable de projet politique par les élus communaux et intercommunaux, qui exprimerait dès le départ leurs perspectives d’avenir du territoire et les impliquerait. À cet effet les responsables politiques maîtres d’ouvrage de la planification, devraient dès l’amont, exprimer et formaliser leur vision prospective de leur territoire dans sa zone d’influence. Des AMO 19 pourraient les aider à structurer cette vision et leur indiquer avec quels outils, quelles méthodes, quelles stratégies ou actions la mettre en oeuvre. Probablement irréaliste sur certains aspects, au regard des contraintes juridiques et des servitudes d’utilité publique, environnementales notamment, cette réflexion de projet politique, présenterait le mérite de faire émerger dès le départ, chez les élus communaux, un besoin d’implication et le sentiment qu’ils sont en capacité de garder la main sur l’ensemble des approches susceptibles de garantir un développement durable de leur territoire. Elle éviterait, comme souvent, que ces élus se laissent enfermer dans des considérations juridiques. Cette démarche pourrait être concertée avec les forces vives locales, les acteurs représentatifs (entreprises, syndicats, associations, corps enseignant…), voire pourquoi pas avec les enfants des écoles, où se trouvent les futurs électeurs. L’apprentissage du « comment vivre sa ville » ne devrait-t-il pas être enseigné en instruction civique, dans les établissements scolaires et de formation ? Pareille démarche, inspirée du concept émergeant de maîtrise d’usage 20 aurait le mérite de révéler dès le départ aux élus communaux, sur leurs zones d’influence, les mutualisations et les solidarités susceptibles de favoriser les synergies possibles entre leurs territoires respectifs.
Les SCOT comme les PLUI, répondraient mieux aux préoccupations des communes, en croisant leurs différentes intentions de projets donnant ainsi à leurs élus le sentiment d’être pris en considération et de participer de façon transparente, au projet du grand territoire d’appartenance. Un projet qui serait alors traité sous toutes les facettes, environnementales, sociales, économiques, culturelles, voire cultuelle. Le rôle du bureau d’études chargé d’élaborer le SCOT ou le PLUI, consisterait alors dès le début de sa mission, à s’imprégner des intentions communales, puis à vérifier et à justifier les conditions de faisabilité juridique, administrative, technique et financière du ou des projets exprimés par les élus en concertation avec leurs administrés et les personnes publiques associées, sous le contrôle vigilant des services de l’État en charge du respect de la légalité. Le projet de pré-PADD politique ou PPADD deviendrait dans ces conditions le fil rouge du processus d’élaboration des SCOT, PLU et PLUI, ainsi que l’une des composantes du cahier des charges de la consultation des bureaux d’études, lesquels pourraient mieux apprécier de la sorte leur degré d’investissement, le contenu de la commande et par suite son chiffrage. Encore faudrait-il que ces démarches soient rendues obligatoires et intégrées dans les cahiers des charges des consultations. Néanmoins, leur contenu et leur portée relèveraient toujours de la volonté des responsables politiques. Certains préfèreront continuer à ne pas s’exposer en affichant leurs intentions, pour jouer l’opportunisme à la sortie. Dans ce cas ils devront assumer leur manque de transparence affiché, au détriment de l’intérêt général. Le contenu des pré-PADD politique ou PPADD devrait être défini dans ses principes pour éviter qu’ils restent des documents d’intentions comme le sont le plus souvent les PADD actuels, au cadrage parfois duplicable d’une commune à l’autre. Raison de plus pour rendre obligatoire mais surtout sans portée juridique, l’intégration des pré-PADD ou PPADD dans les cahiers des charges des consultations des groupements de bureaux d’études d’urbanisme et d’environnement.
Le pré-PADD politique ou PPADD devra être analysé, et sa faisabilité étudiée, par le bureau d’études en charge des documents d’urbanisme, afin de faire prendre conscience aux élus des stratégies et des actions qu’ils auront à mettre en oeuvre. Il devra par suite être décliné par anticipation sur chacune des différentes phases du processus de transformation de l’espace, et proposer les outils à utiliser. Cette démarche de pré-PADD politique ou PPADD au contenu sans portée juridique, présente à l’évidence des vertus pédagogiques à la condition d’être rendue obligatoire :
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Tout d’abord, le PPADD par son formalisme, favorisera la prise de conscience de la part des élus et de l’opinion publique, que la planification ne constitue qu’une étape inaboutie du processus de transformation de l’espace et qu’elle n’est en aucune façon une fin en soi.
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Elle permet aux collectivités locales de mieux justifier dans leurs élibérations les motifs d’élaboration ou de révision de leurs documents d’urbanisme et par suite de mieux cadrer la mission des bureaux d’études qui en sont chargés.
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Elle accompagne les SCOT et les PLU ou PLUI de leurs conditions de mise en oeuvre et de suivi, afin que les élus anticipent et interviennent à titre préventif, voire compensatoire, et non dans l’urgence à titre curatif (en particulier en matière de stratégies et d’actions foncières, celles-ci venant alors se placer au service du projet).
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Elle permet aux élus de garder la main sur le processus d’élaboration des documents de planification, sans s’en remettre entièrement aux bureaux d’études, lesquels ont souvent tendance à privilégier les approches juridiques et environnementalistes, ressenties par ces mêmes élus comme des contraintes, au lieu de participer de manière constructive au projet d’avenir du territoire.
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Comme pour le PADD, le pré-PADD politique ou PPADD, pourrait donner lieu à concertation préalable avec les acteurs locaux représentatifs et le public, ainsi qu’au sein des conseils municipaux et entre les communes réunies au sein des intercommunalités. Cette démarche concertée, inspirée du concept de « maîtrise d’usage », favoriserait la transparence et par suite, la légitimité du pouvoir politique, donc, d’une certaine façon, indirectement la sécurité juridique des documents de planification. Encore faudrait-il que la concertation soit mieux encadrée au plan juridique, afin qu’elle ne se traduise pas comme souvent, par une simple information.
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Elle mettrait en évidence l’intérêt du dialogue intercommunal et gommerait la frilosité des élus locaux, vis-à-vis des intercommunalités en incitant les communes à collaborer et à mutualiser leurs forces pour accroître le développement de leurs thématiques et leur rayonnement respectif. En particulier pour dimensionner et localiser de manière pertinente les grands équipements d’intérêt communautaire et pour organiser la gouvernance territoriale à partir de la volonté des élus communaux.
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Les missions des bureaux d’études en étant ainsi mieux cadrées dès la commande, permettrait à ces derniers de mieux cerner les exigences des donneurs d’ordre et le chiffrage de leurs missions. La qualité des documents de planification en sortirait grandie et le résultat du passage à l’opérationnel amélioré.
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Enfin la démarche de pré-PADD politique ou PPADD, donnerait aux élus des communes et à leurs administrés, le sentiment fondé de participer à la mise en oeuvre d’un urbanisme partagé, évolutif, perfectible, adaptable, croisant sur la durée toutes les thématiques d’un développement durable, pas uniquement soumis au juridisme et à l’environnementalisme ; un urbanisme qui, par sa gouvernance, deviendrait vecteur de synergies aux échelons intercommunaux des bassins de vie.
… Reste à convaincre la classe politique, à commencer par l’Association des Maires de France, du caractère vertueux de la démarche.
1 Loi no 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains. Loi Grenelle I, n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l’environnement. Loi Grenelle 2, n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement. Loi ALUR, n° 2014-366 du 24 mars 2014 pour l’accès au logement et un urbanisme rénové.
2 Le Schéma régional d’aménagement et de développement durable, et d’égalité des territoires, par la loi Notre n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, s’imposera désormais en termes de compatibilité aux documents d’urbanisme.
3 Directions départementales des Territoires.
4 Directions départementales des Territoires et de la Mer.
5 Direction régionale de l’Environnement de l’Aménagement et du Logement.
6 Schémas régionaux de cohérence écologique (trames verte et bleues, Znieff, Natura 2000. Plan climat énergie territorial.
7 PPRN (Plans de prévention contre les risques naturels tels qu’incendies, inondations, mouvements de terrains, risques industriels, submersions marines, risques sismiques…)
8 Sdage et sa déclinaison au niveau local dans un SAGE.
9 Les onze métropoles sont 1er janvier 2015 : Nice, Lille, Grenoble, Nantes, Rennes, Rouen, Strasbourg, Toulouse, Montpellier, Brest et Lyon. Avec Marseille elles seront 12 à partir du 1er janvier 2016.
10 Loi n° 99-533 du 25 juin 1999 d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire et portant modification de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire.
11 La loi n° 99-586 du 12 juillet 1999 relative au renforcement et à la simplification de la coopération intercommunale, dite « loi Chevènement ».
12 Alors situé au centre de Paris, à côté du jardin du Luxembourg, l’Institut d’urbanisme déménagera par la suite en banlieue, à Créteil. Il vient de fusionner avec l’Institut français d’urbanisme pour devenir « l’École d’urbanisme de Paris » à Marne-la-Vallée.
13 Article « Le projet urbain doit précéder le Plan d’occupation des sols » Richard Trapitzine. Études foncières, n° 80, octobre 1998
14 Du 3 au 14 juin 1992, à Rio de Janeiro (Brésil), eut lieu la conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement, connue sous le nom de sommet « Planète Terre ».
15 Rapport au Premier ministre du 26 mars 2013 sur la simplification des normes par Alain Lambert et Jean Claude Boulard respectivement députés UMP et PS.
16 Rapport Labetoule, L’urbanisme pour un droit plus efficace, « Les études du Conseil d’État », Documentation française 1992.
17 Article « La gouvernance territoriale dans la transformation de l’espace », Richard Trapitzine, Études foncières, n° 113, janvier février 2005. (Projet politique, projet de territoire, phase règlementaire, conception opérationnelle, réalisation, suivi/évaluation.)
18 Circulaire du 3 mars 1977. Groupe interministériel « Habitat et vie sociale ».
19 Assistants à maîtrise d’ouvrage.
20 Définition du concept de « maîtrise d’usage » voir notes et références site Wikipédia. « La concertation ne peut se limiter à une simple information. Avec la maîtrise d’usage, elle prend sa pleine dimension, car c’est très en amont, dès l’élaboration des intentions de projet, qu’elle permet désormais de solliciter la capacité d’expertise de l’usager, le mieux à même de faire valoir ses attentes et besoins. De s’exprimer et de rêver dans un premier temps, puis dans un second temps de ne s’engager que sur le possible. »