Mise en concurrence : le pilotage des projets d’aménagement
Nouvelle place des entreprises publiques locales
juillet 2015
La Revue Foncière / Association Fonciers en débat
Quelles ont été les conséquences pratiques, de l’introduction dans le droit français de l’urbanisme, du principe de mise en concurrence des opérateurs pour la conduite des projets publics d’aménagement ?
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Mise en concurrence : le pilotage des projets d’aménagement
Nouvelle place des entreprises publiques locales
En 2005, la France avait dû modifier son droit de l’urbanisme 1 afin de mettre en conformité les procédures de passation des marchés publics avec les normes juridiques européennes. Les collectivités locales sont désormais tenues de soumettre à la concurrence la passation des contrats de concessions de leurs opérations d’aménagement. Dix ans plus tard, comment ont évolué les modes de pilotage des grands projets d’aménagement urbain, ceux qui couvrent quelques centaines d’hectares 2 et qu’on retrouve dans toutes les grandes métropoles 3 ? Comment les opérateurs privés se sont-ils saisi de l’opportunité qui leur a été offerte de participer au pilotage des grands projets ? Que deviennent les entreprises publiques locales, acteurs majeurs de l’aménagement urbain et opérateurs privilégiés des collectivités territoriales, qui se voyaient jusqu’ici confier sans mise en concurrence la réalisation des principaux projets, et qui ont eu tout à craindre de ces changements législatifs ? Cela renvoie plus largement aux évolutions en cours dans la conduite de l’action publique locale 4 en matière d’aménagementurbain 5, liées autant à la grande fragmentation des acteurs publics locaux 6 qu’à l’émergence de nouvelles formes de coopérations avec les acteurs privés 7. Si la recherche urbaine s’est intéressée aux formes d’implication des acteurs privés dans l’aménagement 8, les restructurations en cours chez les opérateurs publics de l’aménagement ont en revanche été relativement peu étudiées même si certaines recherches commencent à s’y intéresser de plus près 9. L’examen des modes d’implication des entreprises publiques locales dans les grands projets d’aménagement urbain apporte un éclairage nouveau sur ces acteurs aux frontières entre public et privé. Dressons donc à grands traits les principales évolutions des structures de pilotage des grands projets d’aménagement, en montrantle rôle qu’y tiennent les entreprises publiques locales. On s’appuiera pour cela sur l’examen d’une trentaine de projets d’aménagement significatifs à l’échelle de leurs agglomérations, dans des contextes urbains très différents, en regardant les montages opérationnels adoptés, et en détaillant les rôles respectifs des entreprises publiques locales et des opérateurs privés. Dans chaque cas, il s’agit de repérer qui assure la réalisation du travail concret d’aménagement, de la coordination stratégique et programmatique à la réalisation des espaces publics en passant par l’acquisition et le portage foncier. Le but est de mettre en évidence un certain nombre d’évolutions en cours dans le pilotage des projets.
Le maintien d’un pilotage public d’ensemble des grands projets d’aménagement, accompagné d’une restructuration du paysage des entreprises publiques locales
Les évolutions législatives relatives aux concessions n’ont pas encore, loin s’en faut, conduit les promoteurs et aménageurs privés à investir massivement le travail de pilotage d’ensemble des grands projets d’aménagement urbain français, c’est à dire tout ce qui renvoie à la définition des objectifs et des stratégies, la coordination urbanistique et paysagère d’ensemble, la programmation globale, etc. Pour les projets les plus importants, les plus politiques, et dont les enjeux sont les plus significatifs pour les institutions publiques, le pilotage d’ensemble reste en grande partie assuré par les services techniques des collectivités et/ou par leurs entreprises publiques locales. Si l’on regarde ainsi les trois plus gros projets (en surface à construire) des dix plus grandes agglomérations françaises, aucun n’est, pour le moment, entièrement porté par un aménageur privé. Le plus gros projet d’aménagement que nous ayons rencontré dans le cadre de cette enquête et dont le pilotage d’ensemble soit assuré par un opérateur privé sans aucune association avec un opérateur public est le quartier Ginko à Bordeaux, réalisé par Bouygues immobilier dans le cadre d’une zone d’aménagement (ZAC) concédée par la Communauté urbaine de Bordeaux. Avec 300 000 m2 de surface de plancher sur 32 hectares, Ginko reste malgré tout un projet de taille moyenne pour une métropole comme Bordeaux. Quant au très décrié projet Europacity d’Immochan qui porte sur une vaste surface de planchers de 680 000 m², il s’inscrit dans le territoire du triangle de Gonesse dont l’aménagement est piloté par l’établissement public d’aménagement Plaine de France. On ne rencontre pas, comme parfois aux ays-Bas ou au Royaume-Uni 10, de grand projet dont les orientations stratégiques globales aient été entièrement et directement élaborées par un opérateur privé. Des évolutions plus significatives se sont en revanche opérées en quelques années dans l’organisation des entreprises publiques locales investies dans ces très gros projets d’aménagement. Les sociétés publiques locales d’aménagement (SPLA) et les sociétés publiques locales (SPL), outils créés respectivement en 2006 et 2010 (la différence entre les deux étant que les SPL peuvent faire autre chose que de l’aménagement urbain), rencontrent un succès croissant auprès des collectivités. Ces structures sont particulièrement prisées lorsque la collectivité souhaite créer un outil dédié au pilotage d’un projet. L’avantage de ces structures vient du fait qu’elles peuvent se voir confier, sans mise en concurrence, des concessions d’aménagement ou des mandats d’étude, car le droit européen considère que les collectivités exercent sur ces sociétés à capitaux uniquement publics un contrôle similaire à celui qu’elles exercent sur leurs propres services administratifs. On constate que les SPL et SPLA tendent aujourd’hui à remplacer les anciennes SEM « monoprojet » qui étaient dédiées à un projet unique sur un territoire conséquent d’une agglomération.
Pour plusieurs grands projets démarrés après 2006, une SPL ou une SPLA a été créée spécifiquement. On peut citer la SPL des Deux Rives à Strasbourg qui s’occupe du projet d’extension urbaine vers Kehl en Allemagne ; la SPLA Paris Batignoles qui pilote le projet d’aménagement autour du réseau ferré de la gare Saint-Lazare ; la SPLA Caen Presqu’île qui pilote un grand projet de réaménagement de surfaces portuaires à Caen, etc.
Les SEM « monoprojet » qui existaient déjà ont par ailleurs la plupart du temps choisi après 2006 de se transformer en SPL ou en SPLA. Cette situation concerne les projets lancés dans les années 1990 ou 2000, suffisamment conséquents pour que les aménagements soient loin d’être terminés. Citons les cas de la Société d’aménagement de la métropole ouest Atlantique (Samoa) à Nantes, SEM créée au début des années 2000 pour piloter l’Île de Nantes et transformée en SPLA en 2011 ; de la SEM Lyon Confluence qui portait un projet sur la presqu’île de Lyon et qui a été transformée en SPLA puis en SPL en 2012 pour pouvoir assurer d’autres missions que l’aménagement ; de la SEM Euralille, aménageur du projet du même nom pour le compte de la communauté urbaine de Lille, et qui a été transformée en 2012 en SPL pour se voir confier un nouveau projet, celui de l’aménagement de la gare Saint-Sauveur. La transformation d’une SEM en SPL s’accompagne de la sortie du capital des actionnaires privés, et éventuellement de l’entrée de nouveaux actionnaires publics. Ces évolutions s’opèrent généralement sans modifier significativement les conditions de gouvernance des projets, sur lesquels les élus de la collectivité exerçaient déjà un contrôle relativement fort par le biais des conseils d’administration. Ces nouvelles structures, les SPL et SPLA, ne sont pas systématiquement dédiées à un unique projet : certaines pilotent plusieurs projets de l’agglomération et peuvent être mobilisées par la(les) collectivité(s) actionnaire(s) sur l’ensemble de leur(s) territoire(s). C’est le cas de la SAAM dans la communauté d’agglomération de Montpellier, ou de Territoire 34 dans le département de l’Hérault, qui gèrent de nombreux projets. Le cas d’Europolia à Toulouse, créée pour porter les deux gros projets du parc des expositions et de Toulouse Eurosudouest autour de la gare de Matabiau, s’inscrit dans une reconfiguration globale des structures publiques d’aménagement de la métropole.
On rencontre enfin cette situation dans des agglomérations plus petites où la pluralité des outils d’aménagement serait difficilement justifiable. La SPL Chartres Aménagement a été créée en 2010 pour porter les nombreuses opérations d’aménagement chartraines. Les structures de SPLA ne servent enfin parfois qu’à organiser les services en régie de la collectivité : une structure de SPL est formellement créée, mais elle est hébergée dans les locaux de la collectivité avec du personnel mis à disposition. C’est le cas de la SPLA Cergy-Pontoise Aménagement, très intégrée aux services de la communauté d’agglomération. Les SEM d’aménagement ne disparaissent pas pour autant. Nombre d’entre elles ont choisi de conserver un capital mixte et de garder leurs actionnaires privés. Il s’agit essentiellement de SEM pilotant plusieurs projets au sein d’une même agglomération, ou de SEM départementales contrôlées par les conseils généraux et au service des communes ou des intercommunalités ne disposant pas d’outil d’aménagement. Certains projets importants sont toujours pilotés par ces SEM, notamment les projets ayant démarré avant les évolutions législatives sur les concessions.
Les durées de ces contrats sont tellement longues qu’il n’est pas rare que des concessions toujours en cours de réalisation aient été signées avant 2006, date des premiers décrets d’application. Même si ce cas de figure devrait tendre à se raréfier, il met en évidence la lenteur des évolutions dans le domaine de l’aménagement urbain. On peut citer la SEM Ville Renouvelée investie depuis 2007 sur le projet de l’Union à Roubaix-Tourcoing-Wattrelos ; ou la SEM Plaine Commune Développement sur les ZAC Landy Pleyel ou Porte de Paris à Saint-Denis.
De plus, à y regarder de plus près, derrière certaines SPLA se cachent des SEM. Les SEM multi-projets se doublent en effet souvent d’une structure de SPL ou de SPLA. Les deux structures ont le même territoire, souvent le même directeur, parfois les mêmes équipes opérationnelles. Cette tendance est extrêmement répandue dans la réorganisation des entreprises publiques locales d’aménagement. Citons par exemple la SEM Hérault Aménagement qui s’est doublée récemment d’une nouvelle structure, la SPLA Territoire 34. Le conseil général est ici actionnaire principal des deux sociétés et le président du conseil général les préside toutes les deux ; elles ont par ailleurs le même directeur général délégué. Certains employés, y compris des chargés de projets, travaillent pour les deux structures. De la même manière, la SPLA Caen Presqu’île aménagement, présentée plus haut, est adossée à la SEM Normandie Aménagement : elles ont le même directeur accompagné d’un chargé de projet, et la SPLA mobilise les moyens (locaux, matériels, etc.) de la SEM. À Toulouse, où la SPLA Europolia et la SEM Oppidea agissent sur un même territoire, les deux structures ont créé un groupement d’intérêt économique dirigé par le directeur général de la SEM pour partager les fonctions supports (communication, ressources humaines, ressources juridiques, comptabilité, etc.). La combinaison d’une SEM et d’une SPLA permet d’associer les avantages propres aux deux types de structures. Les équipes des SEM peuvent continuer à piloter leurs anciennes opérations tout en se voyant confier les nouvelles sans mise en concurrence. La SEM Plaine Commune Développement, qui est doublée d’une SPL du même nom avec la même équipe opérationnelle mise à disposition par la SEM, conserve ainsi les opérations importantes déjà engagées et continue à répondre à des appels d’offre sur ses compétences, mais les nouvelles opérations d’aménagement (ZAC Sud Confluence par exemple) semblent être désormais confiées directement à la SPL par Plaine Commune, son principal actionnaire. Les réorganisations évoquées résultent souvent d’une volonté explicite des élus d’optimiser leurs structures d’aménagements, comme dans le cas de Toulouse où la réorganisation est liée à la fusion en 2011 des nombreuses SEM d’aménagement de l’agglomération. Une répartition des tâches tend à s’opérer localement entre la SPLA, dédiée au pilotage d’ensemble des projets d’aménagements les plus importants, et la SEM qui intervient à une échelle plus opérationnelle, lorsqu’entrent en jeu d’autres types de montages (partenariats avec desinvestisseurs, des promoteurs, etc.), ou sur d’autres champs d’activité (promotion immobilière, gestion de locaux d’activités ou de commerce, etc.) non couverts par les SPL. La SPL Chartres Aménagement porte toutes les opérations de l’agglomération, alors que la SEM Chartres développements immobiliers s’est spécialisée dans la promotion immobilière (parfois dans des opérations de la SPL) sur des segments où les promoteurs privés sont peu présents.
Ce dispositif de SEM doublée d’une SPL avec une direction commune permet de combiner les formes d’intervention sur un même projet. La Société d’équipement de la région montpelliéraine (SERM) à Montpellier, SEM ancienne et puissante de la communauté d’agglomération, a été doublée de la Société d’aménagement de l’agglomération de Montpellier (SAAM), SPLA ayant le même directeur général. La SAAM se voit attribuer les concessions d’aménagement sur le quartier Oz Nature urbaine. Par le biais de la mise à disposition du personnel de la SERM à la SAAM, celle-ci mobilise les compétences et l’expérience de la SERM. Mais la SERM intervient par ailleurs en complément de la SPLA sur ce même projet, en tant qu’investisseur aux côtés des propriétaires de commerces pour les inciter à faire évoluer leurs surfaces commerciales devenues obsolètes.
La diversification des outils et la création des nouvelles structures renforce les croisements et les interdépendances entre les institutions publiques locales, aussi bien à travers l’organisation de leur actionnariat et les participations croisées au sein des conseils d’administration, que parce qu’elles combinent leurs interventions sur des projets communs. La SPL Delta3, à Dourges dans le Pas de Calais, qui gère une plateforme logistique intermodale, peut être comprise comme une solution inter-organisationnelle permettant d’associer la région, les deux départements, la communauté urbaine de Lille Métropole et les autres EPCI concernés dans la gestion de cet équipement qui croise des enjeux d’échelles et de natures très différentes. La ville de Paris et la communauté d’agglomération Plaine Commune ont créé ensemble la SPLA Soreqa pour aménager des secteurs d’habitat dégradés : cet outil opérationnel apporte une solution concrète pour structurer des coopérations intercommunales en matière d’aménagement urbain, sur des problèmes communs, et sur des territoires qui dépassent les frontières des collectivités territoriales et des EPCI. Les entreprises publiques locales sont des outils utilisés par les acteurs publics locaux pour gérer et organiser concrètement les situations d’inter-territorialité 11 qui caractérisent aujourd’hui l’action publique en matière d’aménagement urbain.
L’implication des opérateurs privés sur des échelles intermédiaires opérationnelles des grands projets d’aménagement urbain
Si au lieu de se demander quelles structures assurent le pilotage d’ensemble, on regarde maintenant qui prend en charge le travail concret d’aménagement (la maîtrise et la viabilisation du foncier, la réalisation des espaces publics, la coordination architecturale et la coordination des travaux, etc.), le constat est plus nuancé et l’implication des opérateurs privés dans les grands projets d’aménagement devient très visible. Les aménageurs privés sont rarement attributaires des plus grandes concessions d’aménagement portant sur plusieurs centaines d’hectares, et plus largement ils sont rarement en première ligne dans le pilotage et la coordination d’ensemble des aménagements. Mais ils sont souvent chargés de périmètres plus restreints – de l’ordre de 5 à 10 hectares pour 50 000 à 100 000 m² de surfaces de planchers – au sein de ces grands projets. L’opérateur public ou semi-public reste le pilote d’ensemble, tandis que l’opérateur privé contribue par d’autres biais autravail d’aménagement sur son périmètre restreint, sur des tâches comme la construction d’espaces publics ou paysagers communs, la coordination architecturale entre les bâtiments, la programmation d’une mixité fonctionnelle, la construction d’infrastructures, la viabilisation des terrains, la coordination inter-chantiers, etc. Les opérateurs privés vont alors au-delà de leur rôle traditionnel de promoteur ou d’investisseur d’un bâtiment unique. Ces évolutions étaient déjà perceptibles avant les changements législatifs 12. Aujourd’hui elles semblent s’être accélérées et généralisées.
Les opérateurs privés peuvent dans ce cadre être concessionnaires de petites ou moyennes opérations d’aménagement. Citons le cas de la ZAC du Plessis-Botanique (127 000 m² sur 15 hectares) à La Riche dans la périphérie de Tours, concédée par la commune en 2007 à la société Icade ; ou encore de la ZAC Bord de Seine (145 000 m² sur 9 hectares) à Asnières concédée à Eiffage Aménagement. Mais ce cas de figure est loin d’être le plus répandu. D’autres configurations semblent beaucoup plus fréquentes, comme le dispositif du « macrolot » dont certains architectes ont étudié les aspects formels 13. On parle de macrolot lorsqu’un aménageur cède d’un seul bloc à un même opérateur privé les charges foncières de plusieurs bâtiments, surun terrain de quelques hectares correspondant souvent à un îlot entier. L’opérateur privé doit alors trouver un équilibre financier global, assurer la coordination entre les bâtiments tant en phase de conception qu’en phase de chantier, réaliser les espaces intermédiaires (qui peuvent éventuellement devenir publics ensuite), etc. L’aménageur reporte ainsi sur l’opérateur privé une partie de son travail de coordination et d’aménagement à l’échelle du macrolot, tout en restant responsable de la coordination d’ensemble du projet global. On peut citer en exemple le cas de la ZAC Lyon Confluence où la SEM Lyon Confluence a été l’une des premières à commercialiser des macrolots à des groupements de promoteurs constitués pour l’occasion. Dans la ZAC Claude Bernard à Paris, des macrolots mono-fonctionnels, répartis sur plusieurs îlots, ont été commercialisés par son aménageur la Société d’économie mixte d’aménagement de la ville de Paris (SEMAVIP). La ZAC Seguin Rives de Seine à Boulogne est un peu particulière car ce n’est pas l’aménageur – la SAEM Val de Seine Aménagement – qui vend les terrains, mais c’est l’entreprise Renault qui en est propriétaire et qui cède directement les macrolots à des groupements de promoteurs dans le cadre d’un accord global avec la commune et son aménageur. Le dispositif du macrolot est souvent utilisé pour assurer une mixité fonctionnelle dans un même ensemble de bâtiments. Les opérateurs doivent conjuguer ces contraintes avec celles de marchés immobiliers très spécialisés.
L’intervention d’opérateurs privés sur des périmètres intermédiaires des grands projets d’aménagement peut prendre d’autres formes, en particulier lorsque le projet est fragmenté en une multitude d’éléments opérationnels 14. Les services de la collectivité ou un opérateur public gardent alors le pilotage d’ensemble, mais certains éléments opérationnels peuvent être confiés à des opérateurs privés. C’est le cas sur le secteur Ouest du projet des deux Rives à Strasbourg : alors qu’une grande ZAC (75 hectares pour 500 000 m²) a été créée sur le secteur Est et concédée à la SPLA des Deux Rives, le secteur Ouest a en revanche été morcelé entre plusieurs petites opérations d’aménagement concédées à une SEM (ZAC Danube, ZAC Étoile…), des secteurs aménagés en régie par la collectivité (Aristide Briand), mais aussi des secteurs deconstruction importants (Heyritz, Bruckhof, etc.) sur des terrains vendus par la collectivité à des opérateurs privés où ceux-ci contribuent partiellement au travail d’aménagement.
On rencontre aussi de plus en plus de cas où le foncier n’appartient pas à la collectivité : l’opérateur privé est propriétaire d’un terrain d’une dizaine d’hectares situé dans le périmètre d’un grand projet d’aménagement porté par la collectivité, et il va chercher à le viabiliser lui-même pour pouvoir construire. Il peut pour cela être amené à déposer un permis d’aménager. Il endosse alors une autre fonction que les aménageurs publics assuraient jusqu’ici dans le cadre de leurs concessions : celui du portage foncier. L’opérateur privé intervient en son nom propre comme propriétaire d’un terrain qu’il souhaite valoriser. La collectivité négocie les conditions de réalisation de l’opération privée en utilisant les ressources dont elle dispose, notamment le contrôle du droit des sols. Au sein du grand projet Paris Nord-Est avec l’opération Chapelle Internationale, la société Espaces Ferroviaires (société d’aménagement filiale de la SNCF) aménage ainsi un terrain de 6 hectares dont elle est propriétaire en limite du faisceau ferroviaire de la gare du Nord, pour réaliser un programme mixte (104 000 m² de surfaces de planchers), négocié avec la ville de Paris en échange d’une modification du PLU qui rend les terrains constructibles.
Pour instaurer un contrôle sur l’action dans ce type de cas de figure, la collectivité peut avoir recours à une procédure de ZAC. Ainsi, Nexity s’est porté acquéreur en 2010 à Asnières, de terrains industriels appartenant à PSA sur une surface de 7 hectares, et a négocié ensuite le programme des aménagements (environ 120 000 m² de surfaces mixtes) avec la collectivité avant que celle-ci ne crée une ZAC en conséquence en 2011 et ne la concède à Nexity Ensemblier Urbain. Cette ZAC vient en continuité de deux autres déjà créées, et offre à la commune une opportunité pour poursuivre l’aménagement des bords de Seine. On retrouve un processus similaire à Saint-Denis où le groupe Brémond a racheté un terrain de 4 hectares appartenant à Alsthom. La communauté d’agglomération Plaine Commune a accompagné la cession, a ensuite créé la ZAC Alsthom Confluence dont le programme a été négocié avec Bremond, et qu’elle lui a concédée. Cette opération en a enclenché d’autres – notamment la ZAC Sud Confluence de 7,5 hectares concédée à la SPL Plaine Commune Développement – qui constituent les premiers éléments du projet de reconversion d’un territoire de 65 hectares autour de la gare de Saint-Denis. Dans ces deux exemples où de petites concessions d’aménagement de moins de dix hectares sont accordées à des aménageurs privés par ailleurs propriétaires des terrains, la collectivité garde un contrôle contractuel du pilotage opérationnel des aménagements, et ses services assurent en outre la définition de stratégies à l’échelle de projets plus larges, ainsi que la coordination d’ensemble.
Lorsque l’opérateur privé est ainsi propriétaire, une SEM ou une SPLA peut en outre être missionnée pour renforcer le contrôle public des aménagements. Dans le cas des Docks de Saint-Ouen, Nexity s’était rendu propriétaire d’une emprise de 20 hectares appartenant à Alsthom. La société a participé à ce titre à des négociations avec la collectivité sur le programme et les conditions de réaménagement du secteur. La commune a ensuite créé une ZAC qu’elle a concédée à la SEM d’aménagement Sequano. Nexity reste cependant propriétaire de l’emprise dont elle a assuré le portage foncier et qu’elle aménage aujourd’hui, y compris en réalisant certains espaces publics et jardins. De même, le réaménagement du quartier Atlantis à Massy est piloté par la Semmassy à travers trois ZAC, mais la SEM ne cherche pas à se rendre propriétaire des terrains. Elle laisse les propriétaires développer eux-mêmes de nouvelles constructions sur leurs emprises, en négociant le programme et les modalités d’aménagement. Les concessions d’aménagement sans maîtrise foncière supposent là encore de laisser les opérateurs privés réaliser eux-mêmes une partie du travail d’aménagement : le rôle du concessionnaire public est alors sensiblement différent, plus dans la coordination et l’instauration de modalités de contrôle que dans la réalisation.
L’élargissement des formes d’intervention des SEM vers l’amont et l’aval des projets
On voit que les opérateurs privés tendent à se positionner sur des échelles intermédiaires opérationnelles de quelques hectares, où ils interviennent à la fois comme promoteurs, comme investisseurs mais aussi comme aménageurs, dans certaines tâches relevant de l’aménagement urbain. Les SEM en parallèle, qui se voient disputer le pilotage d’ensemble des grands projets d’aménagement à la fois par les SPL et par les services des collectivités, s’intéressent elles aussi à ces échelles intermédiaires. Certaines vont se positionner comme investisseur sur leursmixtes au sein des grands projets. La SEM Bordeaux Aménagement a acheté plusieurs terrains de quelques hectares où elle joue un rôle d’opérateur immobilier pour réaliser des programmes mixtes dont elle assure la promotion, y compris dans des cas où elle est aménageur comme sur la ZAC centre-ville de Mérignac. Dans le même ordre d’idée, de nombreuses SEM d’aménagement élargissent leur champ d’intervention en développant des activités de promotion et d’investissement, sur leurs fonds propres, où elles cherchent à se positionner sur des segments de marché dont les opérateurs privés sont absents. C’est le cas par exemple de la SEM Normandie Aménagement qui fait de la promotion de bureaux et d’activités pour des filières économiques que les collectivités souhaitent encourager.
Les SEM exploitent ici la possibilité, que n’ont pas les SPL et les SPLA, de se comporter en investisseur sur leurs capitaux propres. Cela se traduit notamment par un nombre important de filiales et de prises de participation des SEM dans des sociétés diverses 15. Les SEM s’associent par ce biais à d’autres opérateurs publics ou privés et créent de nouveaux outils d’intervention. Elles utilisent ainsi les règles du droit des sociétés pour définir des règles et des modalités de coopération ad hoc. Les sociétés créées (sociétés par actions simplifiées, sociétés civiles immobilières, etc.) peuvent servir à porter des opérations immobilières : la SEM Amiens aménagement a ainsi investi dans des sociétés civiles immobilières au côté de plusieurs banques pour porter des opérations d’immobilier d’entreprise. Ces opérations immobilières sont parfois équivalentes à de petites opérations d’aménagement (de l’ordre de 100 000 m² sur quelques hectares) en termes de surfaces construites, comme pour la réhabilitation des entrepôts Macdonald à Paris où une société de ce type (la SAS Paris Nord-Est) assure une partie du travail d’aménagement (espaces publics, portage foncier, coordination architecturale et inter-chantiers, etc.) en bénéficiant SEM en matière d’aménagement et de gestion des relations avec les collectivités, et en s’appuyant parallèlement sur les compétences de promotion et d’investissement des autres actionnaires publics et privés (la Caisse des Dépôts et Icade).
À travers les filiales, les SEM d’aménagement investissent aussi de nouveaux champs d’intervention et se diversifient, aussi bien en redescendant la filière de l’aménagement vers l’investissement immobilier voire la gestion, qu’en remontant vers l’amont des projets urbains 16. La SEM Plaine Commune Développement se positionne sur la maîtrise foncière à long terme sur son territoire : elle a ainsi créé une foncière commune avec l’Établissement public foncier d’Île-de-France (EPFIF), à travers une SAS dont elle est actionnaire, afin d’acquérir du foncier valorisable à long terme sur lequel il serait possible d’initier des projets d’aménagement 17. Les filiales servent aussi aux SEM à s’impliquer dans des champs d’intervention plus éloignés de l’aménagement urbain. Certaines SEM investissent leurs fonds propres dans des équipements structurants vis-à-vis du développement économique de leur territoire, comme la SEM Ville Renouvelée qui participe à la gestion de la Plaine Image à Tourcoing dans le projet de l’Union, destiné à l’accueil d’entreprises innovantes. Nous avons également déjà évoqué la SERM à Montpellier, qui investit aux cotés des propriétaires privés pour les aider à réhabiliter leurs enseignes de commerces, et qui devient ainsi un outil de la collectivité pour en contrôler la qualité. La Semavip à Paris s’implique dans le secteur de l’énergie en s’associant avec une filiale d’EDF : elle a créé une nouvelle société, la Solarvip, qui se charge de l’exploitation d’installations photovoltaïques installés sur les immeubles parisiens. À travers la création de filiales sur leurs fonds propres, les SEM élargissent leurs champs sectoriels d’intervention, et développent de nouvelles formes de partenariat public/public et public/privé.
L’organisation du pilotage des grands projets d’aménagement urbain est donc en pleine évolution. Les changements législatifs relatifs à la mise en concurrence des contrats de concession n’ont nullement évincé les opérateurs publics du pilotage global et stratégique des grands projets. Ils continuent, au contraire, la plupart du temps, à l’assurer aux cotés des collectivités. Le paysage des entreprises publiques locales d’aménagement, en revanche, se diversifie et se recompose. La montée en puissance des sociétés ubliques locales, aux capitaux totalement publics, ne fait pas disparaître les sociétés d’économie mixte qui développent de nouveaux champs et de nouvelles formes d’intervention dans les projets, en débordant à la fois vers l’amont (portage foncier) et vers l’aval (promotion, construction, gestion) des projets et dans d’autres champs de compétences que l’aménagement (services urbains, développement économique, culture, etc.). On voit notamment émerger des dispositifs où les SEM s’impliquent dans l’aménagement urbain à travers leurs capacités à investir des fonds propres. Elles nouent ainsi des coopérations et des partenariats avec d’autres structures publiques ou privées. Cette tendance à l’oeuvre aujourd’hui devrait être encore renforcée avec la création récente (loi du 1er juillet 2014) des SEM à opération unique (bien qu’aucune n’ait encore été créée à ce jour). De leur côté, les opérateurs privés s’impliquent beaucoup plus sur des périmètres intermédiaires de quelques hectares au sein de ces projets, où ils contribuent au travail d’aménagement opérationnel aux côtés des acteurs publics. On peut voir que les formes d’implication des acteurs privés dans l’action publique sont loin de se réduire aux seuls contrats de partenariat public privé (PPP), ni même aux seuls contrats de concessions.
Il existe au contraire une grande diversité de configurations où structures publiques et privées s’associent et coopèrent, sans même parfois qu’il n’y ait de forme contractuelle spécifique. On voit ici tout l’intérêt d’aborder la question des partenariats non pas à travers ses aspects juridiques et contractuels, mais à travers la réalité concrète de l’action collective, autrement dit en repérant les acteurs qui effectuent les différentes tâches du travail d’aménagement afin de comprendre comment s’opère le partage des rôles.
1 Loi du 20 juillet 2005, décrets du 31 juillet 2006 et du 22 juillet 2009.
2 Bourdin A., 2001, « Comment on fait la ville, aujourd’hui, en France », in Bourdin A., Espaces et sociétés - Projet urbain, maîtrise d’ouvrage, commande, n° 105-106, p. 148-166.
3 Salet W., 2007, « New métropolitan spaces and métropolitan stratégies in the face of modernisation », Métropoles, 2007/2.
4 Lascoumes P., Le Gales P., 2007, Sociologie de l’action publique, A. Colin, Paris.
5 Arab N., 2004. « L’activité de projet dans l’aménagement urbain, processus d’élaboration et modes de pilotage », Thèse de doctorat, ENPC ; Idt J., 2009, « Le pilotage des projets d’aménagement urbain : entre technique et politique », thèse de doctorat, IFU-Université Paris 8.
6 Lefèvre C., 2009, Gouverner les métropoles, LGDJ, Paris.
7 Baraud Serfaty I., 2011, « La nouvelle privatisation des villes », Esprit, n° 373 ; Menez F., 2006, « Le territoire au coeur des rapports publics privé », Géocarrefour, vol. 81/2 | 2006 ; Verhage R., 2009, « La coproduction public/privé des projets urbains » in Boino P. (dir.), Lyon : la production de la ville, Marseille, éd. Parenthèses.
8 Pollard J., 2011, « Les groupes d’intérêt vus du local : Les promoteurs immobiliers dans le secteur du logement en France », RFSP n° 2011/4, vol. 61 ; Taburet A., 2012, « Promoteurs immobiliers privés et problématiques de développement durable urbain », thèse de doctorat, université du Maine.
9 Gabillet P., 2010, « Les SEML énergie, des sociétés anonymes aux mains des collectivités ? », école thématique d’Aussois ; Da Rold J., 2008, « Les sociétés d’économie mixte locales: acteurs et témoins des politiques urbaines et territoriales », thèse de doctorat, université Bordeaux 3.
10 Ambrosino C. & Sadoux S., 2006, « Concilier privatisme et retour de la planification stratégique », Géocarrefour, vol. 81/2.
11 Vanier M., 2008, Le pouvoir des territoires, essai sur l’interterritorialité, Économica, Paris.
12 Frebault J., 2005, La maîtrise d’ouvrage urbaine, éd. du Moniteur, Paris.
13 Lucan J. 2012, Où va la ville aujourd’hui ? Formes urbaines et mixités, Paris, éditions de La Villette.
14 Idt J., 2012, « Le temps de la réalisation des projets urbains : une fabrique a posteriori des enjeux politiques de l’action collective », Géocarrefour, vol. 87/2, 75-85.
15 Avec 150 filiales ou prises de participations pour l’aménagement et 164 pour l’habitat et l’immobilier, « le phénomène de filialisation est principalement soutenu par les EPL d’aménagement et d’immobilier. »
16 Voir à ce sujet Baraud Serfaty I., 2014, « Vers la “privatisation” du projet urbain ? Les nouvelles relations aménageurs-promoteurs, ou les recompositions de la chaîne de l’immobilier », Actes pratiques & ingénierie immobilière, janv.-fév.-mars 2014.
17 Baraud Serfaty I., « Une nouvelle organisation de l’action foncière », La Revue foncière, n° 3, janv.-fév. 2015.