Considérer la voirie comme un ensemble de services
2005
Conseil National des Transports (CNT)
Cette fiche met en avant l’importance de la dimension économique comme paramètre fondamental du choix des modes de déplacement et leurs différents usages. Elle met aussi en avant l’importance d’un cadre d’harmonisation des services de l’espace public par la gestion commune des différents opérateurs et la considération des usagers de la voirie comme un public en quête de services. Une solution présentée ici est l’intégration de la voirie dans la charte des services publics locaux.
Agir sur la dimension économique des déplacements
Le choix du mode de déplacement et la garantie d’un service d’intérêt général de transports publics font partie des principes de base. Aucun mode n’est à écarter a priori et aucune ségrégation ne doit non plus frapper tel ou tel mode, d’une part car certains n’ont pas de possibilité de choix, d’autre part parce que la dimension économique est un paramètre fondamental du choix des modes de déplacement et de leurs différents usages.
Il convient aussi de permettre aux différents modes d’utiliser pleinement leur potentiel là où ils sont les plus pertinents, et la tarification est un levier d’action politique majeur pour les collectivités locales, même si son impact est assez faible par rapport à des mesures de taxation de l’énergie qui pourraient être prises par l’État ou par l’Europe1.
L’enjeu du périurbain est, comme on l’a vu, un enjeu fort qui mérite de favoriser la vie économique, donc les déplacements de la banlieue vers des zones d’activités denses et bien desservies par les transports en commun, avec un pourcentage inéluctable de déplacements en voiture et en deux-roues, qu’ils soient sur l’intégralité des parcours ou seulement sur les trajets initiaux et finaux.
On débouche là aussi sur des aspects de politiques de tarification : stationnement, péage urbain, régulations d’accès, tarifications différentielles, transports et livraisons à la demande.
Définir un cadre d’harmonisation des services de l’espace public
Assurer de façon la plus complète possible des types de services par rapport aux types de voiries nécessite de définir un cadre d’harmonisation des services à partager et à gérer en commun par les différents opérateurs utilisant l’espace public.
Cette définition ne peut se faire qu’au niveau local, et il convient d’identifier les meilleures pratiques françaises et étrangères qui permettent d’en tirer sous certaines conditions des enseignements techniques ou méthodologiques pour aider les collectivités territoriales.
Considérer la voirie comme un ensemble de services, c’est surtout se dégager d’une vision professionnelle de la voirie pour considérer les usagers de la voirie comme un public en quête de service, au même titre que le public des hôpitaux ou des transports en commun.
Pour rebondir sur la dimension économique précédemment évoquée, on constate par exemple partout en France que les services que devrait apporter la voirie aux artisans et à l’artisanat, premier secteur d’emploi et force économique majeure d’un pays, sont inexistants, voire contre productifs et pénalisent l’ensemble de la population, clients et entreprises confondus.
Intégrer les artisans dans les services liés à la voirie est donc une autre recommandation dans la poursuite du processus « Une Voirie pour Tous », notamment au regard des problèmes d’arrêts brefs, de stationnement, de régulation d’accès, de tarification, mais aussi en termes de synergies à trouver avec les services aux Personnes à Mobilité Réduite, aux livreurs, aux personnes dont les problématiques sont semblables en matière de pénibilité de cheminements, de prise en charge en un lieu de départ et de dépose à un lieu de destination.
La notion d’aménagement – service a conduit à d’excellentes méthodes de conception, de cogestion et d’exploitation d’un certain nombre d’espaces privés mais ouverts au publics où se combinent la nécessité d’écouler des flux importants sans entrave, d’attirer le public par une excellente qualité de service, de générer l’appropriation par le cadre et l’ambiance et d’écouter attentivement les besoins, les doléances et la satisfaction des clients. Ce sont notamment les grands hôtels de luxe, les complexes touristiques, les grands centres commerciaux, les pôles d’échanges internationaux tels les aéroports (aéroport de Singapour par exemple), les grandes gares et nœuds de passage (complexe Châtelet – Les Halles à Paris par exemple), les espaces privés des grandes firmes (technopoles, « Challenger » de Bouygues » par exemple).
La définition d’un cadre partenarial de référence s’appuyant sur des dispositifs techniques permet d’offrir un véritable aménagement – service dans ces lieux publics pour écouler des flux, gérer le quotidien, assurer une démarche qualité, offrir des services multiples, maintenir la propreté, faire s’approprier les lieux, offrir une qualité d’ambiance attractive, signaler les problèmes, maîtriser les incidents, gérer les événements et les urgences, coordonner et partager les responsabilités, bref, satisfaire le public.
L’analyse de la conception, de la cogestion et de l’exploitation des grands espaces privés ouverts au public ou très fréquentés pourrait permettre sous certaines conditions de fournir des méthodes de conception, de gestion et d’exploitation de l’espace public profitables à tous.
Il est recommandé de poursuivre des recherches, des analyses et des expérimentations permettant d’offrir aux collectivités des méthodes pour intégrer un ensemble de services répondant aux besoins dans des espaces publics accessibles à tous.
Intégrer la voirie dans la charte des services publics locaux
La charte des services publics locaux2 poursuit sept objectifs majeurs concernant les thèmes :
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Nécessaire clarté des rôles,
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Maîtrise des missions de service public,
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Libre choix et réversibilité de la gestion,
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Émulation par la comparaison objective,
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Construction de relations partenariales de confiance,
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Transparence et équité,
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Évaluation et démocratie locale.
Dans les engagements des signataires de la charte figurent un certain nombre d’actions qui s’appliquent à l’ensemble des services publics locaux. Neuf d’entre elles peuvent parfaitement se transposer sous forme de recommandations pour agir sur les services que doivent offrir la voirie et l’espace public :
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« L’usager est au centre du service public lequel contribue à la cohésion sociale et territoriale ».
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« Le « développement durable » du service intègre les dimensions relatives à la sécurité, à la santé et à l’environnement ».
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« Les choix d’organisation du service sont précédés d’états des lieux (technique, social, juridique et économique) du service et de son environnement comprenant notamment l’inventaire et l’état du patrimoine ».
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« Les caractéristiques du service sont établies à partir de l’étude des besoins à satisfaire, régulièrement actualisée. Les règlements de service précisent les dispositions applicables aux usagers ».
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« L’État et les Autorités organisatrices structurent et soutiennent des réseaux de compétence et d’expertise autonome, au service des élus comme de leurs services techniques, financiers et administratifs ».
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« Une source documentaire diversifiée et représentative des différents sujets relatifs à l’organisation et à la gestion des services publics locaux est mise en place par l’Observatoire des services publics locaux et rendue accessible au travers des différentes technologies de l’information et de la communication, notamment le transfert électronique de données numérisées ».
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« L’Autorité organisatrice sélectionne et fixe le niveau des objectifs de manière équilibrée, compte tenu de la qualité requise, de son prix pour les usagers et des règles et normes à respecter »
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« L’Autorité organisatrice veille à la production des rapports d’activités du service, les analyse et les diffuse. Elle assure l’information du public sur la qualité du service et sur les tarifs et assure un suivi périodique des éventuelles réclamations des usagers et des suites qui y sont données »
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« L’Autorité organisatrice organise, selon les formes les mieux adaptées, le recueil des attentes locales du public et notamment celles se rapportant aux équipements et à l’économie du service. Des débats publics éclairés par des évaluations pluralistes sont organisés à l’occasion des choix ou des décisions majeurs ».
Ces neuf actions confirment la nécessité de l’existence d’une instance nationale et de réseaux de compétence et d’experts autonomes apportant une assistance documentaire, technique, administrative et financière, prenant en compte les besoins des usagers, pouvant organiser des débats publics sur les choix majeurs, mettant en place des évaluations pluralistes et accompagnant le processus dans la durée. Le processus « Une Voirie pour Tous » devrait y être intégré au même titre que son processus complémentaire « Ville Accessible à Tous ».
Allier efficacité, simplicité et variabilité
Allier efficacité et variabilité dans le temps des voiries et espaces publics nécessite des aménagements simples permettant la polyvalence et le partage mobile de voies, ce que l’on trouve d’ailleurs dans de nombreux pays étrangers.
C’est ainsi que de la Slovénie au Danemark, on remarque par exemple que le trottoir est généralement libre, et qu’il n’y a pas de stationnement de voitures sur la chaussée. En Suède, aucun obstacle ne vient en général encombrer le domaine public, même pas les poubelles.
L’institution de zones 30 à l’étranger se fait généralement par des mesures peu coûteuses permettant leur généralisation à grande échelle dans une logique d’efficacité de service public, et non dans une logique d’aménagement. C’est le cas notamment en Suisse où leur mise en place se fait par l’information, le contrôle des vitesses à l’aide de radars mobiles (avec un délai de tolérance de 3 semaines), la signalisation horizontale et verticale tolérant l’expérimentation.
C’est également le cas en Allemagne où l’entrée en zone 30 est simplement marquée sur la chaussée et signalée par un panneau. D’autres pays marquent les entrées en zone 30 par des trottoirs traversant. Souvent la zone 30 augmente d’ailleurs la fluidité des flux, et la ville de Stockholm vient de passer totalement en zone 30 au début de l’année 2005.
En France, la situation est inverse, les aménagements d’espaces publics sont compliqués, les trottoirs sont la plupart du temps encombrés, les zones 30 petites et complexes. Cohérence et service y semblent étrangers aux Maîtres d’Ouvrage et Maîtres d’œuvre de l’espace public.
1 Telles les permis d’émissions négociables appliquées aux transports ou l’harmonisation par le haut de la fiscalité des transports dans l’Union Européenne.
2 Charte des Services Publics Locaux signée le 16 janvier 2002 sous la présidence de M. Christian PONCELET, Président du Sénat, et en présence de M. Daniel VAILLANT, Ministre de l’Intérieur, par les Présidents de l’Association des Maires de France, M. Jean-Paul DELEVOYE, de l’Assemblée des Départements de France, M. Jean PUECH, de l’Association des Régions de France, M. Jean-Pierre RAFFARIN, et de l’Institut de la Gestion Déléguée, M. Claude MARTINAND.
Sources
Ce texte est extrait d’Une Voirie pour Tous – Sécurité et cohabitation sur la voie publique au-delà des conflits d’usage – Tome 1 : Rapport du groupe de réflexion, Conseil National des Transports (CNT), 2004, publié par le CNT et La Documentation Française en juin 2005