Tarifications de zones et régulations d’accès
Gilbert LIEUTIER, 2005
Conseil National des Transports (CNT)
Elle décrypte les Zones à Trafic Limité (ZTL), modèle inventé et mis en place dans les villes d’Italie.
Péages urbains et Zone à Trafic Limité
La régulation et le contrôle des accès sont des stratégies qui permettent de désengorger les voies publiques et de mieux redistribuer l’espace et le temps entre les modes. Lorsqu’elle s’inscrit dans une politique globale d’urbanisme et de déplacements, cette stratégie s’avère particulièrement efficace et profitable à tous.
La Zone à Trafic Limité (ZTL), dont le modèle nous vient d’Italie, est la matérialisation concrète la plus courante des stratégies de régulation et de contrôle d’accès dans l’espace. L’affectation variable des voies permet d’effectuer cette régulation et ce contrôle d’accès dans le temps.
La tarification, sous forme de taxes ou de péages, n’est qu’un simple outil technique imaginé par les économistes pour assurer une régulation et un contrôle des accès. Cela conduit à bien distinguer péage et politique tarifaire, technique de perception et objectifs de tarification. Régulation et tarification sont en fait complémentaires. Le droit de pénétrer dans une Zone à Trafic Limité peut très bien être payant, ou le badge qui permet d’y accéder peut être vendu ou taxé. Inversement, un certain nombre d’ayants droits peuvent être dispensé de péage, que ce soit un péage d’infrastructure, de zone ou de cordon.
Par ailleurs, un des aspects fondamentaux est celui des comportements. Les économistes raisonnent sur un « homo economicus » dont la rationalité est très différente, et de loin, du comportement humain général. Les choix des gens ne sont pas des choix économiques longuement réfléchis, mais des choix d’attitudes, lorsqu’un choix est possible (ce qui n’est pas toujours le cas). Il convient donc de se méfier des régulations uniquement basées sur des outils financiers.
20 % de diminution du trafic automobile peuvent déjà s’obtenir par une approche autre que celle du péage urbain. Par exemple, l’alternative au péage urbain mise en œuvre dans plusieurs villes, notamment d’Allemagne, d’Autriche ou de Suisse, empêche les voitures de traverser le centre-ville par un plan de « circulation en marguerite » renvoyant les véhicules à leur point d’entrée dans la ville. Cela n’interdit pas l’accès aux automobiles en ville, mais impose aux déplacements d’avoir des objectifs ciblés géographiquement (courses, résidence).
Seuls les transports en commun peuvent traverser la ville sur des voies mixtes en zone 30. A titre d’exemple, ce type de politique mis en place à Nuremberg de 1991 à 1998 a permis une réduction de 54 % de la pollution atmosphérique, dont environ 22 % résultent directement de ce système de plan de circulation en marguerite.
La ZTL, une solution pour les villes en Italie (Gilbert LIEUTIER, CETE Méditerranée, février 2005)
Depuis plusieurs années les villes italiennes ont entrepris d’améliorer l’accessibilité à leurs centres historiques tout en y améliorant le cade de vie. Simultanément, la sauvegarde et le renforcement de la centralité sont pour ces villes un objectif essentiel. Pour cela des solutions originales, spécifiquement italiennes à ce jour, ont été mises en œuvre.
Des problèmes de déplacements subsistent évidemment pour les agglomérations italiennes, à l’instar des autres agglomérations européennes. La démarche italienne a en effet, dans un premier temps, concerné essentiellement les centres villes, les centres historiques. Il sera sans doute nécessaire que cette démarche se développe en s’inspirant parfois de celles qui ont été entreprises ailleurs : pays germaniques, anglo-saxons ou scandinaves. Mais les évidentes qualités d’évolutivité de la démarche italienne lui permettent d’envisager ce nécessaire dépassement.
Au cœur de la stratégie mise en œuvre : la ZTL, Zona a Traffico Limitato (zone à trafic limité). Au début des années quatre-vingt-dix, environ cinquante villes, de toutes tailles, mais surtout au nord du pays, avaient mis en œuvre une ZTL. Aujourd’hui, le phénomène s’est quasiment généralisé du nord au sud du pays.
Pourquoi ?
La démarche se fonde sur l’idée simple que les centres villes ou les centres historiques ne peuvent accueillir physiquement tous les véhicules qui souhaiteraient les traverser ou y stationner, et qu’en plus, l’excès de véhicules dans ces « cœurs de villes » est un danger pour la ville, son image, son identité, son appropriation par ses habitants, pour la possibilité de se rencontrer ou de s’y promener.
Les dégradations dues aux pollutions gazeuses sont jugées inadmissibles compte tenu des efforts considérables réalisés pour la restauration et la sauvegarde des monuments et éléments divers du patrimoine abondant dans la plupart des centres historiques italiens.
Quoi ?
Il s’agit donc de trier parmi les déplacements et stationnements automobiles en différenciant ceux qui sont utiles ou même nécessaires et ceux qui le sont moins. La circulation, mais aussi le stationnement des automobiles, sont donc soumis à des règles adaptées, à un contrôle.
Comment ?
Le centre peut être découpé en plusieurs zones ou constituer une zone unique selon la taille de la ville. La règle la plus simple consiste à réserver l’accès à une zone donnée aux seuls « autorisés ». Ces limitations peuvent être permanentes ou à « faisceau horaire » (par exemple de 7 h à 19 h, ou de 8 h à 11 h et de 16 h à 19 h…).
Les résidents du secteur considéré ont le droit d’accéder à leur zone de résidence. Ce droit est délivré différemment selon les villes : payant ou gratuit, pour une seule ou plusieurs véhicules par foyer, avec itinéraire libre ou imposé, avec stationnement possible ou non. Ce problème est véritablement géré.
La liste des autres « autorisés » peut différer elle aussi d’une ville à l’autre. Il s’agit d’abord de tous ceux que les Italiens nomment fort judicieusement les « opératifs » : services de sécurité, livraisons (à certaines heures), transports publics, taxis, médecins, et aussi de catégories particulières telles que : clients des hôtels, « étrangers » à la ville, etc. Les personnes à mobilité réduite peuvent également bénéficier de dérogations. Les vélos sont autorisés (pas les 2-roues motorisés). Les véhicules électriques peuvent l’être.
La seule utilisation du mot « opératif » témoigne de la distinction faite entre les divers usagers du centre-ville : ce mot porte en lui l’exclusion du stationnement de longue durée pour le motif « travail ». Cette règle simple pour la circulation traite du même coup une grande partie des problèmes de stationnement.
Ordinairement, chaque ville choisit d’accompagner cette règle de base d’une ou de plusieurs autres dispositions. L’ensemble des dispositions s’épaule et se valorise les unes les autres. Par exemple, à côté de la ZTL, peuvent être créées des zones où le stationnement est limité mais l’accès libre, des zones piétonnes. Ailleurs des réglementations astucieuses peuvent concerner le stationnement. Dans d’autres villes des véhicules électriques sont utilisés pour certains services de transports collectifs, de livraison de marchandises, de location de véhicules, etc.
Quels moyens ?
Ce qui caractérise globalement les moyens mis en œuvre, c’est leur rusticité. Rusticité intrinsèque, mais également par comparaison avec la tentation « sophistico-électronicogadgetesque » que nous connaissons en France chaque fois qu’une réglementation est mise en œuvre. En Italie, à l’origine du moins, pas de borne escamotable, pas de gestion centralisée de batteries de panneaux à messages variables. Simplement une réglementation, une signalisation correspondante et du personnel (depuis certaines villes ont mis en œuvre des dispositifs de contrôle d’accès automatiques).
C’est là une seconde caractéristique de la ZTL : le recours « essentiel » aux individus pour le contrôle de la réglementation. Ce n’est pas là affaire de détail. C’est la traduction (inconsciente ?) de la primauté reconnue à l’individu dans le cœur des villes, qu’il s’agisse des résidents, des divers usagers des espaces publics, mais aussi du personnel qui exploite un tel système pour en garantir l’efficacité. Les agents de contrôle sont en fait des interlocuteurs possibles pour la compréhension du « mode d’emploi » de la ville, pour la « négociation » d’une dérogation. Ils sont des agents de « communication », de médiation, entre les deux volets classiques : réglementation et sanction, entre les responsables communaux et les usagers.
Quel bilan ?
La diffusion des ZTL qui a gagné l’ensemble des villes italiennes et se développe dans les villes où la stratégie est déjà mise en œuvre est le meilleur indice de l’efficacité reconnue de cette stratégie. A l’évidence, l’objectif premier est atteint : éliminer l’envahissement des centres villes, des centres historiques par l’automobile. Il est intéressant que cet objectif ait été atteint d’abord avec des solutions simples et « à visage humain ».
Du point de vue de l’accessibilité des déplacements, le résultat est impressionnant. Sans aucun aménagement particulier, les déplacements des piétons se trouvent immédiatement facilités. Il en va de même pour la circulation des automobilistes « autorisés », indispensable à l’animation et à l’économie de la zone considérée.
Dans les villes, les pointes de trafic sont formées pour l’essentiel par les déplacements des « pendulaires » ou « navetteurs » qui sont, dans le système ZTL, rejetés hors du centre. Les trafics de transit sont également éliminés. On sait aussi que dans les villes une part importante du trafic est due aux automobilistes en recherche de stationnement, problème ici résolu !
Dans cette situation, les transports collectifs retrouvent une facilité de circulation perdue. Et une clientèle qui ne peut plus accéder au centre en voiture. Les transports collectifs urbains ne sont pas les seuls bénéficiaires de cette situation. On assiste également à un renforcement de l’usage des transports interurbains, en particulier ferroviaires (résultat des efforts entrepris simultanément dans ce domaine en Italie, aussi bien par les chemins de fer de l’État que par des sociétés privées). Dans la concurrence avec les automobiles, les gares étant le plus souvent bien placées au cœur des villes, les transports ferroviaires offrent en effet des liaisons « de centre à centre » particulièrement performantes.
Il en va de même pour l’usage du vélo. Les ZTL étant généralement assorties d’une limitation à 30 km/h, l’usage du vélo redevient possible et s’affirme comme une alternative très attractive. De ce point de vue, il est particulièrement impressionnant de noter la part importante prise par ce mode de déplacement - souvent supérieure à 20 % - en regard de la faiblesse quantitative et qualitative des aménagements « cyclables » pour la circulation comme pour le stationnement.
On note également que la réduction de la « pression » sur le stationnement entraîne une réduction du recours aux équipements de « protection » des piétons : potelets, bornes, bacs, etc., qui sont souvent coûteux, inesthétiques, dangereux (avec des comportements pervers bien connus : l’absence d’obstacle est bien souvent considérée en France par exemple comme une autorisation implicite de stationnement sur trottoir).
Du point de vue de la vie urbaine, les résultats sont également probants. Et pourtant, là comme ailleurs, les commerçants ont souvent tenté de s’opposer à la mise en œuvre des ZTL. Mais ils sont bien obligés de constater aujourd’hui qu’aussi bien leurs fournisseurs que leurs clients sont globalement très satisfaits. Et, comme ailleurs, les commerçants sont par la suite les premiers à réclamer l’extension du système dans leur propre quartier.
Les artisans, jouissant de dérogations avantageuses, sont également satisfaits. L’amélioration du cadre de vie consécutif à la réduction spectaculaire des nuisances : gaz, bruit, améliore l’attractivité des centres pour les clients, les résidents, les touristes. Ce dernier point est particulièrement important s’agissant dans beaucoup de cas de centres historiques où le tourisme constitue une part importante de l’économie de la cité.
L’amélioration du cadre de vie et des conditions d’accessibilité, y compris pour l’automobile, permet d’enrayer le dépeuplement et la paupérisation constatés ces dernières années dans les centres villes, pour amorcer au contraire un nouveau flux d’installation pour une population solvable. Du même coup, l’auto entretien - total ou aidé - du patrimoine par les résidents redevient envisageable, soulageant du même coup les finances locales. Il s’agit là d’un véritable « cercle vertueux » aux conséquences appréciables.
La forte diminution du bruit dans les rues est un changement radical. La possibilité de bavarder, la possibilité pour les résidents d’ouvrir leurs fenêtres, changent l’image même de la ville et le rapport que les individus ont avec elle, l’usage qu’ils en font.
Conclusion
Les ZTL n’ont certes pas résolu tous les problèmes de déplacements auxquels les villes italiennes sont confrontées. Elles constituent cependant un point de départ, d’ancrage de nouvelles pratiques, dont le succès globalement reconnu encourage les villes dans des démarches vers de nouvelles avancées pour élargir les périmètres d’intervention et la gamme des actions mises en œuvre parmi lesquelles on peut citer la gestion plus globale du stationnement, le développement des transports collectifs (notamment en site propre), l’approfondissement des politiques cyclables…
Sources
Ce texte est extrait d’Une Voirie pour Tous – Sécurité et cohabitation sur la voie publique au-delà des conflits d’usage – Tome 2 : Exemples et Annexes au rapport du groupe de réflexion, Conseil National des Transports (CNT), 2005, publié par le CNT et La Documentation Française en juin 2005.