Partage de l’espace public, des principes
2005
Les principes liés au partage de la voirie présentés par cette fiche insistent sur plusieurs points : la garantie de l’accessibilité à la mobilité à tous les publics (personnes vulnérables, services de secours…) ; les enjeux liés au périurbain (et la particularité de la France quant au processus de mitage) ; le choix du mode de déplacement et la nécessité de mettre tous les modes de transports au même niveau ; le rôle des pouvoirs publics dans leurs choix politiques (questions d’argent et d’espace).
Face à la complexité de la problématique, il importe de formuler quelques grands principes qui doivent guider les démarches et finaliser les actions. Quatre ont été jugés particulièrement importants au regard des enjeux actuels de sécurité et de cohabitation sur la voie publique :
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Garantir d’abord l’accessibilité incontournable
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Comprendre la vie au-delà de la ville
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Donner le choix du mode de déplacement
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Décider et choisir en toute lucidité
Garantir d’abord l’accessibilité incontournable
Sur les voies et les espaces publics, les Pouvoirs Publics ont le devoir de garantir en priorité l’accessibilité pour des publics ou usagers incontournables, comme par exemple l’accès rapide des services de secours et de sécurité, l’accessibilité aux personnes handicapées ou encore les possibilités de livraison.
Plus généralement, dans notre vie économique et sociale, les Pouvoirs Publics ont aujourd’hui la responsabilité de placer au premier rang de leurs préoccupations les personnes pauvres, vulnérables, faibles, etc. Il ne s’agit pas seulement de ne pas les oublier. Il ne s’agit pas non plus uniquement de compensations, de simples mesures « sociales ». Mais il s’agit au contraire de les mettre au premier rang afin de donner à chacun, le plus possible, les mêmes possibilités d’inscrire sa vie dans l’espace public.
Mais il ne faut jamais oublier que ce « plus faible », c’est aussi chacun d’entre nous (ou l’un de nos proches), et que nous l’avons tous étés, nous le sommes ou le serons tous à une époque de notre existence, que ce soit suite à une maladie, un accident, ou simplement un âge de la vie.
En conséquence, les Pouvoirs Publics se doivent de respecter les principes suivants :
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La ville, donc l’espace public, doit être accessible à tous. Rendre la ville accessible à toutes les personnes, et d’abord aux Personnes à Mobilité Réduite et usagers vulnérables, mais aussi aux livraisons de marchandises, est un enjeu majeur de la qualité des villes et territoires pour tous.
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En matière de déplacements, les trajets les plus courts et les plus sûrs sont à garantir aux modes non motorisés (Personnes à Mobilité Réduite, piétons, cyclistes) et non aux modes motorisés.
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Plus généralement, les Pouvoirs Publics doivent s’efforcer d’offrir aux personnes sans voitures des conditions de déplacement de qualité en favorisant, y compris et d’abord par des mesures peu ou pas coûteuses, les « modes doux » et les transports collectifs. Ces conditions doivent atteindre un seuil (de sécurité, de confort, de disponibilité, de rapidité…) qui rend attractif le mode considéré.
A titre d’illustration, et sous réserve d’un affinement du raisonnement selon le contexte, dès qu’une agglomération atteint un certain niveau de population (avec de ce fait des distances internes qui peuvent être importantes), l’intérêt de tous est que les transports publics y attirent un minimum de clientèle pour entrer dans un mouvement vertueux (clientèle = fréquence = crédibilité, etc.). Dans cette optique, les transports publics ne sont pas, et ne peuvent pas être, un service d’appoint, même bien aidé, au service normal et universel que serait la voiture, mode dominant reconnu et accepté. Les transports publics sont au contraire un service de base pour tous, que toutes les politiques urbaines doivent tendre à conforter et sur lequel elles doivent se fonder. Au-delà de ce service de base constitué par les transports publics, ceux qui le veulent peuvent éventuellement recourir à leur voiture personnelle si ce recours ne fragilise pas le service de transports publics pour tous.
Ce raisonnement et cet arbitrage par rapport à la voiture s’appliquent aux transports publics et en commun (bus, taxis, tramways, etc.) mais aussi aux modes non motorisés.
Pourquoi cette insistance ? Parce que les responsables (élus, techniciens,…), et les médias avec eux, sous-estiment considérablement le nombre et les attentes des personnes qui ne peuvent pas disposer d’une voiture ou qui souhaiteraient vivement pouvoir s’en passer. Souvent perçues comme une minorité, elles constituent en fait une majorité, la différence s’établissant fréquemment à 30 ou 40 points comme le montrent études, votes et sondages dans les agglomérations et pays les plus divers1.
Concourent à cette erreur les publications et commentaires de statistiques qui créent ou amplifient la confusion (le taux de motorisation des ménages n’est pas celui des personnes ; la motorisation ne signifie pas la propension à utiliser une voiture ; …), y compris celles qui proviennent de sondages peu rigoureux (qui sonde-t-on : des automobilistes ? des adultes ? des enfants ? …, sur quel cadre de questions ces personnes sont-elles sondées : des pratiques ? des souhaits ?…, selon quelles contraintes les enquêtes ont-elles été effectuées ?).
Comprendre la vie au-delà de la ville
La difficulté à percevoir justement ce que vivent et ce que désirent les gens est particulièrement forte dans les secteurs périurbains ou remodelés par l’étalement urbain :
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Les comparaisons et sources d’information internationales y sont moins pertinentes que pour les villes centres, les villes agglomérées.
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L’étalement urbain à la française est plus souvent un mitage, bien différent des pratiques hollandaises ou allemandes d’urbanisation polycentrique autour de bourgs, gares, villages, etc., qui connaissent, et ce n’est pas un hasard, des taux d’usage des transports publics et des modes doux beaucoup plus élevés que les nôtres et qui développent des espaces publics constituant une véritable « voirie pour tous ». Ces pays y mettent des moyens et en font un axe très fort de leurs politiques intégrées d’urbanisme et de transport/déplacement (ce qui n’a nui, bien au contraire, ni à la richesse ni au taux d’équipement automobile de ces pays).
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La péri-urbanisation issue de l’étalement urbain à la française signifie systématiquement une augmentation de la pression automobile, puis une dépendance accrue de l’automobile, de la consommation d’espace, un affaiblissement des transports en commun, de l’insécurité routière, des coûts financiers (publics et privés) accrus, mais pas dans l’immédiat, ce qui trompe et engage insensiblement mais rapidement sur une pente dangereuse fort difficile à remonter.
En réalité, il est important d’analyser et de comprendre ce que vivent les personnes et les ménages dans le périurbain, et surtout ce qu’ils vivront demain (les adultes, les enfants quand ils seront plus grands, les couples vieillissants…), le plus souvent loin de leurs attentes et de leurs rêves en termes de possibilités de choix, d’autonomie, de rapports (autres qu’automobiles) à l’espace public, de convivialité. Il est important d’en tirer les enseignements pour la poursuite, l’inflexion ou le changement des politiques publiques mais aussi d’en tirer les enseignements pour la gestion des voies et de l’espace public, pour l’urbanisme qui sont les nôtres aujourd’hui dans ce vaste périurbain où nous connaissons « une voirie pour l’automobile », et vraiment pas « une voirie pour tous ».
Donner le choix du mode de déplacement
En fait, en secteur périurbain ou en ville, aucun usage et aucun mode de déplacement ne sont à écarter a priori. Aucun partisan de tel ou tel mode n’est disqualifié. Mais ce principe rencontre tout à fait normalement quelques limites :
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Personne n’est seul à décider de l’utilisation des biens collectifs (l’espace public, la voirie, les équipements de transport,…). Chacun doit admettre que ses choix ont un impact sur la vie collective, font « appel » à elle, et sont donc légitimement orientés, encadrés par la collectivité et le projet qu’elle se donne. Plus encore, une somme de décisions individuelles rationnelles et légitimes peut être collectivement insoutenable, ce qui justifie- ce qui exige - que la collectivité promeuve ou impose selon les cas des choix individuels différents.
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De ce point de vue, l’espace public est un territoire du projet collectif, où s’inscrivent les services que ce projet comprend, issus d’un processus de décision et d’appropriation collectives où interviennent choix politiques, expertises techniques, expressions citoyennes.
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Ce projet collectif est le lieu où s’opèrent les choix.
On ne doit rechercher des choix qui sont contraignants ou défavorables pour les uns (par exemple abaisser la vitesse des véhicules, réduire des capacités de stationnement, développer des zones 30 ou de trafic apaisé, allonger ou pénaliser certains itinéraires…) que s’ils sont nécessaires aux autres sur des points cruciaux pour eux (lutte contre le bruit, sécurité routière, priorité aux carrefours, site protégé…).
La voiture ne peut pas dominer la ville ni les autres modes de déplacement, car elle engendre l’exclusion. En effet beaucoup de gens ne disposent pas et ne disposeront pas d’une voiture, en particulier les personnes très âgées, les jeunes, les personnes handicapées, une grande partie des femmes. Et même si le taux d’équipement moyen est en augmentation, ce sont plutôt en fait certains ménages déjà motorisés qui se motorisent un peu plus. Il est bon de rappeler que si un quart des ménages ne dispose pas de voiture, c’est plus d’une personne sur deux qui se trouve en fait exclue par le tout automobile.
Mais une évolution ou un aménagement pour favoriser certains publics ou usagers ne doit pas se faire au détriment des autres. Il faut parvenir à un système donnant une certaine liberté de choix par un service « déplacements » de qualité et que les pouvoirs publics offrent à ceux qui n’ont pas de voiture une réelle possibilité d’utiliser des modes de déplacement doux (quitte à la rigueur à en faire tout de même des modes motorisés « écologiques ») et de pouvoir combiner divers types de transport.
Autrement dit, l’objectif n’est pas de défavoriser un usage ou un mode, pour inciter les gens à s’en détourner, mais de permettre aux autres usages et aux autres modes de donner pleinement leur potentiel. C’est à cette condition qu’une contrainte forte, voire pénalisante, sur les premiers est légitime et bonne pour tous.
L’objectif est de rendre gagnants ceux qui ont été indéniablement perdants pendant des décennies et gagnants autrement, ceux qui pourraient s’estimer nouveaux perdants, par exemple en leur garantissant un niveau de service, certes diminué, suffisamment élevé et, surtout, en leur offrant un choix élargi de solutions.
Décider et choisir en toute lucidité
Il est très souvent possible de prendre des décisions qui ne pénalisent pas l’accès généralisé à la ville, mais qui, en le mettant sous contraintes, rendent ou maintiennent à d’autres modes de vie ou de déplacement (jeu des enfants, circulation des Personnes à Mobilité Réduite, des piétons, des cyclistes, rencontre et convivialité des adultes et des personnes âgées, desserte des bus, usage du mobilier urbain, etc.), le niveau de service, d’attractivité, de crédibilité, sans lequel ils disparaissent ou sont réduits à un minimum de l’ordre de la survie.
On doit toutefois être conscient que ces choix portent très largement sur l’affectation des ressources que sont l’espace public et l’argent public : Utiliser la rue pour le stationnement (même payant) plutôt que pour un trottoir élargi, un arrêt livraison ou un couloir bus est un choix ; aménager une nouvelle liaison routière est un choix ; créer un parc de stationnement public en centre-ville est un choix. Bien souvent, ces choix appellent plus de voitures et d’autres décisions publiques et privées dans le même sens.
Ils mettent les décideurs en face de véritables défis : Défi de répartition des ressources rares que sont les finances et l’espace ; défi de cohérence des décisions entre elles ; défi de la pente savonneuse (une décision qui en implique une autre, puis une autre qu’on ne voudrait pas – mais trop tard, etc.).
Rechercher un « jeu gagnant – gagnant » ne dispense nullement d’être clair et lucide :
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A propos de toute action, de toute décision, il est important de se demander s’il y a des perdants, lesquels et sur quoi (subjectivement, objectivement).
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Une bonne décision comporte souvent une part de compromis, mais pas n’importe quel compromis : le compromis au fil de l’eau, le compromis non-décisionnel, le compromis de calcul, le compromis qui n’identifie et n’affiche pas ses incontournables, sa hiérarchie des enjeux, ses priorités, a bien peu de chances d’être un bon compromis, une bonne décision.
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C’est le rôle des Pouvoirs Publics, en l’occurrence des collectivités locales, de piloter les démarches où se rencontrent les intervenants et les usagers de l’espace public, de coordonner les services techniques concernés, de donner aux acteurs le cadre, les outils méthodologiques et le processus (largement itératif) qui permettront à chacun de faire valoir ses intérêts et ses arguments, puis de comprendre et d’accepter les décisions des Pouvoirs Publics, et enfin de contribuer à leur réussite.
1 Voir les enquêtes de la Commission Européenne présentées dans le titre « Oser redistribuer l’espace public », montrant que même en France « Rééquilibrer les modes n’est pas impopulaire ! »
Références
Ce texte est extrait d’Une Voirie pour Tous – Sécurité et cohabitation sur la voie publique au-delà des conflits d’usage – Tome 1 : Rapport du groupe de réflexion, Conseil National des Transports (CNT), 2004, publié par le CNT et La Documentation Française en juin 2005