La lutte du peuple Mapuche au Chili entre terres et territoires
Fabien LE BONNIEC, 2014
Cet article fait partie de l’ouvrage La terre est à nous ! Pour la fonction sociale du logement et du foncier, résistances et alternatives, Passerelle, Ritimo/Aitec/Citego, mars 2014
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Lorsque l’on évoque les raisons de la lutte des Mapuche, peuple autochtone du sud du Chili et de l’Argentine, on renvoie souvent à la traduction littérale du nom « mapuche » et à la résistance historique que ce peuple a opposée face aux conquistadores espagnols puis à l’invasion militaire chilienne. En effet, comme beaucoup d’ethnonymes de peuples autochtones, celui porté par les Mapuche fait référence à la relation qu’ils entretiennent avec leur territoire: Mapu se traduisant par « terre » ou « pays » et Che par « gens » ou « personne ». Le peuple mapuche, aujourd’hui réparti entre le Chili et l’Argentine, connu dans la littérature de voyage sous le nom d’Araucan, est considéré comme l’une des rares populations à avoir tenu tête aux Espagnols, grâce à une stratégie alternant résistance armée et traités de paix, maintenant un territoire indépendant durant un demi-siècle après la proclamation de l’Indépendance chilienne en 1810.
Cependant, ni l’étymologie de leur nom, ni leurs victoires militaires, ne peuvent expliquer à elles-seules, la vigueur avec laquelle ce peuple a maintenu jusqu’à l’actualité sa lutte pour ses terres et son territoire. L’existence d’une population de plus d’un million de personnes1 de part et d’autre de la Cordillère des Andes tout comme l’éruption du « conflit mapuche » sur les scènes nationales voire internationale témoignent de l’extrême vitalité de cette lutte. Au gré du temps, elle s’est transformée et adaptée, empruntant de nouvelles stratégies, les discours et pratiques se renouvelant et la demande foncière passant progressivement à la revendication territoriale. Loin de se dissoudre dans des luttes sociales latino-américaines, le combat séculaire mené par les Mapuche, a trouvé sa place au sein de celles-ci avec un souci de garder sa singularité.
Il était une fois la lutte mapuche…
Résistance à l’invasion chilienne, espagnole ou inca… il est vain de chercher quel est l’épisode fondateur de la lutte Mapuche. Ces différents moments furent marqués par de violentes confrontations, mais également par des traités de paix permettant ainsi de foisonnants échanges matériels et spirituels qui contribuèrent à transformer les sociétés Mapuche et créoles en contact (Zavala 2000). Aussi prendra-t-on de façon arbitraire la date du 4 décembre 1866 pour commencer cette épopée des Mapuche. Elle correspond à l’édiction par le Congrès National d’une loi instaurant les réserves indigènes. Elle ne sera appliquée que 18 ans plus tard, le temps pour l’armée chilienne de « pacifier » à coup de canons et de baïonnettes le territoire occupé historiquement par les Mapuche. Ce « territoire indépendant araucan » comme on le qualifiait dans les récits de voyage du XIXè siècle fut investi et soumis militairement pour être intégré administrativement au territoire du Chili. Afin de réaffirmer cette prise de contrôle sur le territoire et la population mapuche, l’Etat chilien a distribué entre 1884 et 1929, et en vertu de la loi de 1866, 3 000 titres de propriété communautaire.
Cette réorganisation arbitraire et inégale du monde mapuche a donné lieu à ce que l’on connait aujourd’hui sous le nom de communauté, mais qui à l’époque s’appelait « reducciones », terme qui s’est avéré approprié vu que leur création a incarné le dépouillement légal de plus de 90 % du territoire contrôlé par les Mapuche avant leur annexion militaire. Ces grandes superficies de terres dont on les a dépossédés ont été offertes à des colons nationaux et européens considérés plus aptes pour les cultiver et les rendre fertiles (Le Bonniec 2012). Dès lors, les réclamations concernant ces terres spoliées vont être canalisées par l’administration chilienne selon ses logiques bureaucratiques. Depuis la fin du XIXèe siècle, des commissions, des tribunaux spéciaux et des institutions indigénistes ont été tour à tour chargés de régler les contentieux fonciers. Malgré le fait que les titres communautaires étaient incessibles, de nombreuses usurpations eurent lieu au cours de la première partie du XIXe siècle. En témoignent les milliers de recours que l’on peut encore trouver aujourd’hui dans les archives. Ils montrent l’envergure des litiges, mais également l’impuissance des tribunaux et institutions indigénistes à les résoudre. Pis encore, on y observe la fragmentation progressive de communautés où des familles furent regroupées arbitrairement par l’administration coloniale chilienne autour d’un chef illégitime et sur des terres réduites comme une peau de chagrin, semant les graines de la division, mais également de la révolte.
Politiques mapuche pour la restitution des terres
Face à cette perte de souveraineté, mais également de leur terre, les Mapuche ont mis, à peine, une vingtaine d’années après leur défaite militaire pour se réorganiser sous la forme d’organisations politiques, réussissant à avoir plusieurs représentants au Parlement chilien entre les années 1920 et 1950.
Les demandes de ces politiques mapuche cherchaient alors la restitution des terres usurpées, et la fin des exactions à l’encontre des communautés ainsi que d’assurer une égalité avec les Chiliens, particulièrement en matière d’éducation. Selon les conjonctures, les alliances politiques se sont faites avec différents partis de toutes tendances. Celles-ci eurent un succès mitigé, elles ont notamment permis l’ascension d’un ministre Mapuche, Venancio Coñuepan, l’édiction de diverses législations indigénistes souvent contestées par les Mapuche et la création d’une Direction des Affaires Indigènes en 1952. Cette institution publique dirigée par les Mapuche était chargée de restituer des terres, mais également de veiller sur l’organisation des communautés et l’exploitation rationnelle de leur territoire, notamment à travers la constitution de coopératives, associations ou sociétés à caractère économique.
Que ce soit par le biais de ce type d’institution, ou à travers des partis politiques et organisations mapuche, on peut observer une forte politisation des Mapuche au cours du XXè siècle. Ce travail politique déployé sur différentes échelles et temporalités eut comme constante de chercher à régler les conflits fonciers hérités de la fondation des communautés et obtenir des droits et bénéfices pour une population mapuche discriminée, marginalisée et appauvrie.
C’est dans le contexte de la réforme agraire au cours des années 1960, que cette politisation a pris de l’ampleur, elle s’est notamment cristallisée dans les mobilisations paysannes, tout en affirmant des demandes particularistes en tant que peuple autochtone face aux institutions chiliennes. Alors, que la société chilienne élitiste et raciste opérait un virage vers le socialisme, sous Allende, au début des années 1970, les Mapuche parvenaient à récupérer des centaines de milliers d’hectares des mains des grands propriétaires et participaient activement à la mise en place d’une nouvelle législation indigène. Celle-ci marquait une rupture avec les précédentes en ne se basant plus exclusivement sur la question de la terre et en s’engageant sur celle du développement prenant en compte « l’idiosyncrasie et la coutume ». C’est une véritable prise de pouvoir sur différents terrains que l’on a pu observer, tandis qu’aux États-Unis, les noirs américains luttant pour leurs droits civiques réclamaient le black power, des leaders Mapuche au Chili aspiraient au « poder mapuche » (Pouvoir mapuche - Caniuqueo 2006).
De plus en plus, on a ainsi vu les mobilisations des Mapuche s’inscrire dans les luttes paysannes d’Amérique latine, mais également dans celles des peuples sous le joug colonial. Et si le coup d’Etat de 1973 et la répression qui s’en suivit ont marqué un violent coup d’arrêt au processus de récupération de terres et de politisation du mouvement mapuche, ce dernier a pris de l’ampleur dans les forums internationaux où les représentants des peuples autochtones se réunissaient au cours des années 1970. La répression et l’exil forcé ont ainsi promu la participation des représentants Mapuche à ces rencontres internationales dont ils tireront de nombreux apprentissages dont les notions de territoire et d’autonomie, tandis que dans le sud du pays, les communautés divisées voyaient leur paysage s’homogénéiser par les exploitations forestières capitalistes2].
Le territoire ou la vie
La « transition à la démocratie » et la contre-commémoration des 500 ans de la découverte des Amériques sont deux contextes qui ont marqué profondément la constitution du mouvement autonomiste contemporain au début des années 1990.
Le premier car il a signifié une opportunité de refonder la relation entre Mapuche et Etat chilien, et le second car il a constitué une tribune pour faire entendre la voix et les revendications des peuples originaires d’Amérique.
Tandis que la loi indigène en gestation durant cette même période niait toute idée de territoire qui ne soit pas national, les revendications des organisations mapuche ont pris une tournure clairement politique en s’inscrivant dans l’expérience de lutte d’autres peuples autochtones. Il ne s’agissait plus de récupérer de simples parcelles de terres réclamées depuis des décennies, mais d’exiger un contrôle sur celle-ci et d’y rétablir un mode d’organisation traditionnel. Transcendant les logiques et limites imposées par l’Etat chilien, le territoire est ainsi devenu une valeur essentielle de la lutte mapuche, car réunissant les différents aspects politiques, historiques, sociaux, économiques.
La territorialité mapuche est passée d’un simple discours à des pratiques diverses et concrètes telles que la récupération productive, le contrôle territoriale, la reconstruction territoriale (Hirt 2009) ou encore certaines politique publiques. De même, de plus en plus de jeunes, issus de différentes générations de familles mapuche qui ont dû migrer vers la ville, aspirent à « retourner » (Ancan et Calfio 1999) vers une communauté idéalisée qu’ils n’ont généralement connue que le temps des vacances. C’est la convergence de divers contextes sociohistoriques qui a permis que cette territorialité prenne sens et vie dans le vécu de nombre de personne, et atteigne une dimension collective. L’histoire qui vient d’être narrée s’est déroulée sur à peine plus d’un siècle, soit quatre à cinq générations qui se sont transmises, soit de façon orale, soit par le biais des archives et écrits historiques ; cette mémoire remplie d’injustices, de violences, d’humiliations, mais également de l’espoir de récupérer les terres usurpées et ainsi redevenir une « personne » c’est à dire un mapuche…
1 Les recensements, sujets à controverse, estiment le nombre de personne s’identifiant comme mapuche à une population de 600.000 à 1.200.000 personnes au Chili et entre 200.0000 et 300.000 en Argentine.
2 Le décret-loi 2.568 promulgué par la junte militaire en 1979, mettait fin au régime communautaire, divisant les communautés en parcelles individuelles cessibles, tandis que le Décret-Loi 701, édicté en 1974 entrainait une brutale transformation de leur environnement naturel, en encourageant à coup de bonification la plantation de pins au détriment de la forêt originelle.
Références
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Ancán, J. et Calfío, M. (1999). « El retorno al País Mapuche: Preliminares para una utopía por construir ». Liwen, N°5 : 43-77.
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Caniuqueo, S. (2006) « Siglo XX en Gulumapu: de la Fragmentación del Wallmapu a la Unidad Nacional Mapuche. 1880 a 1978 ». Dans P. Marimán et al.: ¡…Escucha, Winka…! Cuatro Ensayos de Historia Nacional Mapuche y un Epílogo Sobre el Futuro. Santiago, Lom Ediciones, pp. 129-217.
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Hirt I. (2009), « ¿Para qué construir ‘irreversibilidades’? La reconstrucción de Chodoy Lof Mapu, una experiencia autónoma de cartografía mapuche en el sur de Chile ». In Calbucura J., Le Bonniec F. (eds), Territorio y territorialidad en contexto post-colonial. Estado de Chile-Nación Mapuche, Ñuke Mapuförlaget, pp. 80-106.
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Le Bonniec, F. (2012) « Du paysage au territoire : Des imaginaires sociaux à la lutte des Mapuche dans le sud Chili (XIX-XXIe siècle). », in Dossier Thématique – Image de la nation : art et nature au Chili. Artelogie, n° 3.
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Zavala, J-M. (2000) Les Indiens Mapuche du Chili : Dynamiques Inter-ethniques et Stratégies de Résistance, XVIIIe siècle, París : L’Harmattan-IHEAL.