Les fonctions sociales de la propriété en Amérique latine

Leticia MARQUES OSORIO, 2014

Cet article fait partie de l’ouvrage La terre est à nous ! Pour la fonction sociale du logement et du foncier, résistances et alternatives, Passerelle, Ritimo/Aitec/Citego, mars 2014.

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Evolution historique

Les études historiques soulignent combien l’approche de la propriété mise en œuvre par les colons en Amérique latine a été façonnée par les traditions juridiques et morales européennes. Les régimes de propriété importés furent initialement créés pour éclipser le système coutumier des peuples indigènes de propriété communautaire ainsi que pour satisfaire les intérêts économiques des colons1. Aujourd’hui, la portée et l’application des droits de propriété ont été adaptés en fonction des contextes politiques et économiques. Ainsi, la révision, la promulgation et la mise en œuvre des droits de propriété sont le résultat des enjeux publics et sociaux en présence2.

Certains individus et groupes détiennent de grandes propriétés terriennes, leur permettant de contrôler l’assignation et la répartition des terres aux autres. L’affirmation de droits de propriété vise à résoudre les problèmes de la rareté des ressources naturelles, de la valeur des terres et de la densité de population dans les sociétés démocratiques contemporaines.

Les systèmes juridiques nationaux réservent des traitements différents à ces droits de propriété : certaines Constitutions consacrent le droit de propriété en tant que droit fondamental, de rang normatif équivalent à d’autres libertés individuelles, tandis que d’autres ont limité les intérêts relatifs à la propriété en les définissant dans les codes de droit privé. La plupart des Constitutions latino-américaines expriment le droit de propriété de manière positive - en affirmant « le droit de propriété est garanti », par exemple - et certains ordres juridiques ont adopté la notion de fonction sociale de la propriété, reflétant ainsi le fait que les droits de propriété privée peuvent être soumis à l’intérêt général. En outre, de nombreuses Constitutions traitent du droit de propriété dans les chapitres qui réglementent les droits économiques et sociaux plutôt qu’au rang des droits individuels3.

Approches constitutionnelles de la propriété urbaine

La mise en œuvre actuelle de la doctrine de la fonction sociale, d’abord utilisée comme un outil pour restructurer les politiques foncières et donner un fondement juridique et une légitimité aux réformes agraires, a évolué pour englober d’autres objectifs, tels que la fonction écologique et la mise en conformité des réformes foncières urbaines, comme l’illustrent les exemples du Brésil, de la Colombie et du Mexique.

Ces pays sont des exemples intéressants de l’évolution de la doctrine de la fonction sociale de la propriété, d’autant plus qu’il s’agit de régimes juridiques emblématiques d’une répartition inégale et de la concentration des terres, des phénomènes dominants dans la région jusqu’à aujourd’hui.

Le Brésil

La Constitution brésilienne de 1988 fait explicitement référence à la fonction sociale de la propriété ainsi qu’au droit au logement et aux droits fonciers, dans des dispositions directement justiciables. La fonction sociale de la propriété figure dans la Constitution en tant que principe fondateur, à exécution immédiate, d’un système économique destiné à garantir à tous une vie digne et conforme aux principes de la justice sociale. La Constitution établit un lien entre la fonction sociale de la propriété urbaine et l’approbation des plans d’urbanisation municipaux, ce qui la distingue du traitement de la propriété dans le Code civil de 1916. En effet, à présent la propriété privée relève du droit public. Les bases de ce nouveau paradigme en matière de propriété urbaine ont été jetées dans la Loi de la ville, une loi fédérale votée en 2001 pour réformer les traditions du droit administratif et du droit privé en vue d’étendre la portée de la fonction sociale de la propriété.

La Loi de la ville renforce les compétences des autorités municipales pour réglementer, inciter ou empêcher des évolutions du marché foncier urbain, en particulier de nature spéculative, en fonction de critères d’intégration sociale et de durabilité environnementale4. Cette loi fournit des outils concrets pour mettre en œuvre la fonction sociale de la propriété urbaine, comme l’obligation de division des terres ou de construire sur des lots urbains vides, sous ou non-utilisés, des hausses progressives des impôts sur la propriété et l’expropriation de terres grâce aux rémunérations d’obligations de dette publique.

Le développement complet des fonctions sociales de la propriété implique la mise en œuvre des principes suivants : la distribution équitable des bénéfices et des charges liées aux processus d’urbanisation ; le rôle central de l’Etat dans la définition d’une organisation territoriale adéquate à travers des systèmes démocratiques de planification et de gestion ; la dissociation du droit de construire et du droit de propriété ; la régularisation et l’amélioration des établissements informels où vit la population à faibles ressources grâce à la création de cadres réglementaires urbains spécifiques ; l’égalité de conditions entre acteurs publics et privés dans la promotion du développement urbain ; le renforcement des compétences des municipalités dans le contrôle du développement urbain.

En 2002, un nouveau Code civil a été promulgué : il conditionne l’exercice des droits de propriétés - de faire usage, de jouir et de disposer des biens et de les récupérer de quiconque les possède ou détienne injustement - à la mise en œuvre de fonctions sociales, économiques et environnementales. Le droit subjectif du propriétaire sur son bien est ainsi délimité et limité. Le Code dispose que le propriétaire peut être privé de sa propriété s’il s’agit d’une grande propriété terrienne possédée de manière continue et de bonne foi, pendant plus de cinq ans, par un nombre important de personnes ayant amélioré ou enrichi le terrain d’un point de vue social ou économique. Il n’est pas clairement établi qu’un dédommagement doive être versé au propriétaire si la fonction sociale de la propriété a été négligée, mais le concept consacré dans le nouveau Code civil est nettement plus compatible avec la Constitution que l’ancien Code civil de 1916.

En tout état de cause, la jurisprudence en la matière a interprété la propriété privée à la lumière des principes fondamentaux consacrés par la Constitution de 1988 et a reconnu le fait que la fonction sociale de la propriété comporte des obligations pour le propriétaire, qui doivent être satisfaites s’il souhaite être protégé d’intromissions éventuelles. On ne peut toutefois pas affirmer qu’il existe un consensus dans la jurisprudence nationale sur tous les changements et les nouveaux aspects qu’implique la perspective de la fonction sociale.

La Colombie

A l’issu de la réforme constitutionnelle de 1936, fortement influencée par la théorie de Duguit, la Constitution colombienne a reconnu la fonction sociale de la propriété et sa Constitution actuelle (1991) comporte l’une des réglementations les plus avancées en la matière. Bien qu’elle interdise la confiscation de la propriété, elle concède qu’une décision de justice peut invalider la propriété sur un bien acquis par enrichissement illégal si cela a représenté un dommage pour le trésor public ou la morale sociale. Elle établit également que lorsque les besoins publics ou l’intérêt social contredisent des droits individuels, les intérêts privés doivent se soumettre à l’intérêt général. De plus, la propriété y est présentée comme une fonction sociale contraignante. La Constitution légitime un système de recouvrement et de redistribution des hausses de valeurs ou des prix de la propriété privée urbaine si ces hausses sont le fruit d’investissements publics ou de décisions d’aménagement territorial.

La jurisprudence de la Cour constitutionnelle a admis que la Constitution relativise le droit fondamental de propriété et le soumet aux intérêts de la collectivité, en limitant le pouvoir discrétionnaire du propriétaire5. Si le propriétaire néglige ses obligations en matière de fonction sociale, sa possession n’est plus protégée légalement et peut-être annulée. La Cour a estimé que le dédommagement n’est pas dû systématiquement en cas de restrictions imposées à la propriété, mais que le dédommagement est dû lorsque l’expropriation implique des sacrifices excessifs par un propriétaire particulier vis-à-vis des autres particuliers se trouvant dans la même situation.

Selon la Cour, la propriété peut également être limitée par une législation adoptée pour le bien de la société, comme pour des motifs d’assainissement, d’urbanisme, de préservation de l’environnement et de sécurité. A cet égard, la Loi n. 9 a été jugée constitutionnelle : elle crée l’obligation pour les promoteurs immobiliers privés de mettre une partie de leurs terrains gratuitement à disposition de la municipalité pour des usages spécifiques comme l’infrastructure routière, les espaces verts, ou les services sociaux6.

La Cour a aussi admis que lorsqu’une réforme urbaine a un objectif social, tel que la redistribution de la propriété, cela justifie l’application d’un régime d’expropriation spécifique s’il s’agit d’une ville, ou bien une réduction du montant à verser7. Si le bien exproprié était utilisé en tant que logement principal, un dédommagement doit être intégralement versé en espèces pour garantir que les personnes concernées ne se retrouvent pas sans domicile et qu’elles puissent acquérir un nouveau logement pour y vivre.

La Cour a également déclaré l’inconstitutionnalité de la partie de l’article 699 du Code civil qui disposait le « droit de disposer de manière arbitraire du bien possédé », puisque cette conception de la propriété contredisait celle de la Constitution8. La Cour a estimé que l’expression « de manière arbitraire » exprimait un intérêt individualiste notoire incompatible avec le principe d’Etat social régi par l’Etat de droit (Estado Social de Derecho), sur lequel prend appui la Constitution. Dans la constitution colombienne, la doctrine de la fonction sociale crée l’obligation positive pour les propriétaires d’employer leur bien à des fins qui non seulement ne soient pas dommageables mais qui soient en plus bénéfiques pour la communauté.

Le Mexique

On attribue à la Constitution mexicaine de 1917 et à la Constitution allemande de Weimar l’inauguration de la phase de constitutionnalisme social, en consacrant une série de droits sociaux qui articulent différentes dimensions fondamentales de la vie sociale et économique des individus.

Les régimes de propriété reconnus par la Constitution - privée, publique et sociale - découlent des droits de propriété originaux consacrés par la nation mexicaine. Les objectifs principaux étaient la restitution des terres aux peuples autochtones et la réglementation de la propriété et de la répartition du foncier grâce à la réintroduction du système de l’ejido9, permettant l’expropriation de grandes propriétés terriennes10.

La réforme de 1992 a introduit une série de modifications de la Constitution de 191711 :

a) le retrait de l’obligation constitutionnelle de l’Etat mexicain de redistribuer des terres aux paysans ;

b) l’introduction de la possibilité de vendre et de louer des terres ejido au moyen de procédures spécifiques ;

c) l’encouragement de l’investissement privé à travers des partenariats entre ejidatarios et des entreprises privées pour aménager les terres ;

d) la création de nouveaux types de propriétaires tels que des sociétés commerciales et l’extension de la taille des propriétés pour freiner la multiplication de petites propriétés individuelles (minifundio).

La modification de la Constitution de 1917 a aussi entraîné l’élimination de l’obligation d’utilisation ou d’exploitation dans la définition légale des petites propriétés terriennes rurales exclues de l’expropriation. Cela veut dire que les propriétaires des terres peuvent utiliser leurs terres comme bon leur semble ou ne pas les utiliser, ce qui peut influer sur le montant du dédommagement versé en cas d’expropriation dans le cadre d’une réforme agraire ou sur l’obligation positive de donner un usage productif à la terre.

Malgré ces changements, la Constitution limite les droits de propriété en établissant une surface maximale de propriété pouvant être détenue, selon le régime d’occupation et les cultures.

Elle définit des usages autorisés et des méthodes d’exploitation pour différents types de terres et impose des réglementations spécifiques. Comparée à la Constitution colombienne, elle crée véritablement un plafond sur la surface de propriété terrienne pouvant être détenue individuellement et réglemente les petites propriétés qui sont protégées par ces dispositions.

La jurisprudence a évolué pour reconnaître la compétence des autorités locales pour établir des limites au droit à la propriété privée, en particulier en vue de réglementer l’aménagement des établissements informels12. Dans les zones urbaines, tous les types de terres sont soumis aux limitations de l’intérêt général13 même si, en ce qui concerne la réglementation des établissements humains, on impute aux régimes de propriété doubles créés par la Constitution (la propriété privée individuelle et la propriété sociale - ejidos et nucleos agrarios) la fragmentation du contrôle et de la gestion territoriale14.

Bien que la Constitution mexicaine n’emploie pas le terme de « fonction sociale », le concept y est de toute évidence implicite et a été développé par la jurisprudence de la Cour suprême. Le système constitutionnel doit encore reconnaître les droits des résidents des établissements informels, nés d’installations illégales et de sous-divisions des ejidos ruraux, en tant que partie prenante du régime de propriété. A ce titre, ils pourraient avoir à remplir une fonction sociale. Mais n’étant pas encore reconnus en tant que tels, ils ne sont pas soumis aux limites de l’Etat fondées sur des considérations d’intérêt général, comme le précise la Constitution15. Par conséquent, les établissements informels se sont disséminés sur le territoire mexicain, avec presque aucun contrôle ni régulation sur les fonctions sociales et environnementales qu’ils devraient pourtant remplir.

Concernant le droit civil, le Code civil fédéral promulgué en 2000 a incorporé le concept constitutionnel de la fonction sociale de la propriété. Le propriétaire peut disposer et jouir de sa propriété conformément aux limitations et dans les modalités établies par la loi, qui peut en restreindre l’usage ou imposer des conditions sur la jouissance. Le Code civil limite l’exercice de la propriété et interdit les abus de droits.

La mise en œuvre de la fonction sociale de la propriété

Il existe des traits communs à l’approche des droits de propriété et notamment de leur fonction sociale dans les pays étudiés.

Tout d’abord, la protection de la propriété privée est conditionnée à la satisfaction d’intérêts sociaux, ce qui entraîne une interprétation systémique à partir de valeurs constitutionnelles fondamentales, comme le respect pour la dignité humaine, la solidarité, et la supériorité normative de l’intérêt général. Cette approche est fondée sur l’idée que la fonction principale du droit public est de promouvoir la solidarité sociale16.

Ensuite, le fait de conceptualiser la propriété comme ayant une fonction sociale entraîne des obligations positives pour les Etats, qui doivent réguler les droits de propriété en vue d’une finalité collective. Le devoir de l’Etat va au-delà de la simple restriction et comprend le devoir positif de garantir la fonction sociale effective de la propriété en créant des limites et des restrictions sur la portée de la propriété, tout en créant différentes catégories et fonctions pour celle-ci.

Enfin, les collectivités locales au niveau des Etats et des municipalités sont dotées des compétences nécessaires pour imposer des limites et des restrictions sur la propriété privée, en vue d’obtenir des bénéfices collectifs au service de l’intérêt général. Dans ce contexte, les collectivités locales se sont vues attribuer la compétence (et le devoir) d’intervenir dans la propriété, à travers l’utilisation d’instruments légaux appropriés, lorsque le propriétaire ne la met pas effectivement au service de la société.

En Amérique latine, les objectifs de la réforme agraire visant à la redistribution des terres, à la garantie de la sécurité du foncier pour les occupants et à l’accès à d’autres besoins essentiels, tels que l’alimentation, le logement et d’autres services de bases, demeurent non appliqués, malgré les évolutions juridiques et judiciaires qui se sont succédées dans une série de pays de la région.

Environ 1,1 milliards de pauvres sont sans terres et presque 200 millions de personnes n’ont pas assez de terres pour atteindre un niveau de vie décent. L’un des obstacles à l’accès universel au logement et à la terre est la protection de taille accordée à la propriété privée, qui contribue à la concentration des biens et des ressources aux mains de quelques-uns, à l’exclusion des catégories à faibles revenus. Ceci revient à poser la question gênante de l’application de la loi dans une région qui dispose de nombreuses lois bien conçues, mais qui ne sont pas appliquées.

Bien que la mise en œuvre des droits fondamentaux tels que le logement, la protection de l’environnement ou l’emploi soient consacrée dans de nombreuses Constitutions, à travers la fonction sociale de la propriété, bien souvent ces normes ne sont pas appliquées.

Dans le cas du Brésil, même si de nombreux plans d’urbanisation municipaux évoquent la fonction sociale de la propriété, la plupart ne précisent pas clairement comment cela sera intégré aux politiques territoriales et urbaines en vue d’améliorer l’accès des pauvres aux terrains viabilisés, d’empêcher la spéculation immobilière et d’inciter à l’utilisation des propriétés inoccupées ou sous-utilisées.17 Ils ne spécifient pas davantage les buts et les délais d’approbation et de mise en œuvre d’instruments destinés à récupérer en partie les investissements publics ayant entraîné la revalorisation de la propriété urbaine, ni les délais pour définir des usages obligatoires ou déterminer des régimes de foncier dans certaines zones de la ville, devant être appliqués par les propriétaires. Il y a très peu d’obligations pesant sur les promoteurs immobiliers et la responsabilité de la création d’infrastructures et de la fourniture de services a largement incombé à l’Etat. Le manque de participation sociale dans les décisions d’aménagement urbain, la marchandisation de la terre et du logement entraînant une hausse des valeurs des biens, et l’aménagement urbain générateur d’exclusion nuisent à l’application concrète des instruments de la fonction sociale de la propriété. En 2014, certains plans d’urbanisation seront réexaminés, tels que ceux de Curitiba et de São Paulo : ce sera une chance pour que la société civile influe sur des modifications de législation et de politique urbaine, pour une mise en œuvre de la fonction sociale de la propriété.

En Colombie, la répartition des terres est encore foncièrement inégale, ce à quoi s’ajoutent quelques millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays. La plupart de ces personnes ne jouissent ni de sécurité foncière ni de l’accès aux services de base ou à des opportunités d’emploi. Le maintien de lots vides ou sous-utilisés dans des zones bien desservies à des fins spéculatives constitue l’une des questions d’action publique les plus pressantes auxquelles se heurtent les municipalités à l’heure de procéder à la régularisation du foncier ou de mettre en place des programmes de logements sociaux. Depuis 2008, la ville de Bogotá a établi la Déclaration de développement prioritaire (Declaratoria de Desarrollo Prioritario), un instrument destiné à générer des terrains viabilisés pour le logement à travers la vente forcée aux enchères de propriétés vides ou sous-utilisées.

Une obligation d’utilisation sociale pour le logement est associée à ces propriétés vendues aux enchères, afin d’inciter à la construction de logements sociaux. Concernant les obligations des promoteurs immobiliers eu égard à la fonction sociale de la propriété, la Cour constitutionnelle de la Colombie a défendu l’application de la Loi n. 9 de 1989, créant l’obligation pour les promoteurs immobiliers d’affecter une partie de leurs terrains à la construction de logements sociaux, de services publics, de parcs ou d’autres équipements collectifs. Le concept de fonction sociale de la propriété justifie aussi la résiliation des droits de propriété en cas de non-exercice de la possession. Même si la Colombie a adopté des directives pour renforcer la protection des droits fonciers collectifs dans les établissements urbains informels, le cadre légal de la prescription acquisitive pourrait aussi être envisagé en tant qu’outil de régularisation des droits fonciers des habitants urbains précaires.

La fonction sociale de la propriété va au-delà d’une simple limitation du droit de propriété, puisqu’elle a un impact sur son exercice mais aussi sur le droit de propriété lui-même. Les changements de l’institution sociale de la propriété ne se limitent pas à une réduction des pouvoirs des propriétaires ou du volume des droits de propriété par rapport aux limites légales qui lui sont imposées. La fonction sociale a été consolidée pour devenir un principe général fondamental définissant un nouveau rôle pour la propriété, ce qui se reflète dans sa structure et son contenu. La fonction sociale est devenue le fondement et la justification des pouvoirs des propriétaires sur l’objet de la propriété, donc un moyen de contrôler l’exercice subjectif du droit de propriété. Le droit de propriété, au sens libéral, a été profondément modifié par l’approche de la fonction sociale qui transforme les éléments clés de la définition traditionnelle de la propriété. En transformant la structure du droit de propriété, la fonction sociale façonne les droits et devoirs des propriétaires ainsi que le rôle que doit jouer la propriété dans le développement de la société. L’« intérêt social », en tant que limitation légale du droit de propriété, signifie que la fonction sociale de la propriété contribue à la mise en œuvre effective d’autres droits sociaux.

1 M. Benschop, L. Osorio et E. Zamora, Law, Land Tenure and Gender Review Series: Latin America (2005) United Nations Human Settlements Programme (UN Habitat) 5-6.

2 T. Ankersen et T. Ruppert, Tierra y Libertad: The Social Function Doctrine and Land Reform in Latin America (2006) 19 Tul Envtl LJ 69, 70.

3 C’est le cas, par exemple, de la Constitution brésilienne de 1988, de la Constitution colombienne de 1991, de la Constitution du Honduras de 1982, de la Constitution du Nicaragua de 1987 et de la Constitution du Venezuela de 1999.

4 E. Fernandes, Implementing the Urban Reform Agenda in Brazil (2007) 19 Environment & Urbanisation 1, 177-189; 182.

5 Corte Constitucional de Justicia, Sentencia C-006/1993.

6 Corte Constitucional de Justicia, Sentencia C-295/1993.

7 Corte Constitucional de Justicia, Sentencia C-107/2002.

8 Corte Constitucional de Justicia, Sentencia C-595-99.

9 Les ejidos étaient les terres autour des villes, détenues collectivement et consacrées à l’utilisation commune, notamment à être des reserves de terres pour les villes. Toutefois, les ejidos modernes constituent un régime foncier spécifique issu de la réforme agraire mexicaine de 1917.

10 MT Castillo, Land Privatization in Mexico: Urbanization, Formation of Regions and Globalization in Ejidos (Routledge, New York 2004) 31.

11 AG Brito, Land Tenure, Housing Rights and Gender Review in Latin America: Mexico (UN Habitat, Nairobi 2005) 44.

12 A Azuela et M Cancino, Los Asentamientos Humanos y la Mirada Parcial del Constitucionalismo Mexicano (Mimeo, Mexico DF n.d).14.

13 CF. Arts 4 et 5 de la Loi générale mexicaine sur les établissements humains de 1976, modifiée en 1993.

14 A Azuela et M Cancino, 2.

15 A Azuela, Property in the Post-Post-Revolution: Notes on the Crisis of the Constitutional Idea of Property in Contemporary Mexico (2011) 89 Tex L Rev 1915, 1926-1927.

16 F et H Laski (trs), L Duguit, Law in the Modern State [1919](B.W. Huebsch, New York).

Références

  • A. Posada et R. Jaen (trs), L. Duguit, Las Transformaciones del Derecho Público y Privado (Editora Comares S.L., Granada 2007).

  • E. Fernandes et M. Maldonado, Law and Land Policy in Latin America: Shifting Paradigms and Possibilities for Action (July 2009) Landlines (Lincoln Institute of Land Policy).

  • JT. Alfonsin, O Acesso à Terra como Conteúdo de Direitos Humanos Fundamentais: a Alimentação e a Moradia (Sergio Antonio Fabris Editor, Porto Alegre 2003).

  • T. Ankersen et T. Ruppert, Tierra y Libertad: the Social Function Doctrine and Land Reform in Latin America (2006) 19 Tulane Envtironmental Law Jouranl 69.

  • L. Osorio (coord.), Estauto da Cidade e Reforma Urbana: Novas Perspectivas para as Cidades Brasileiras (Sergio Antonio Fabris, Porto Alegre 2002).