Parcs, jardins, squares, rues, allées, avenue, passages : derrière la variété des dénominations, l’ensemble des lieux ouverts sans restriction d’accès à tous constitue l’espace public. Si la définition paraît simple, les limites sont en pratique plus floues et sujettes à débat, voire à conflit. Les limites de la domanialité publique ne constituent pas toujours une limite nette à ce que la pratique conduit à considérer comme public, par exemple les gares ou les centres commerciaux. De plus, peut-on considérer une autoroute comme un espace public quand il faut une automobile pour la fréquenter ?
L’espace public apparaît comme une réalité menacée de toutes parts. Les spécialistes du transport menacent cet espace ouvert à tous de ne devenir qu’un simple espace de circulation. Le fonctionnement optimal de chacun des modes de transport conduit souvent à leur affecter chacun des voies dédiées dans les rues, voire des espaces de circulation spécifiques, quitte à « lanièrer » la rue. Se rendre d’un point à un autre dans des conditions optimales de confort et de prévisibilité constitue en effet un objectif des aménagements de voirie. La réponse à cet objectif passe trop souvent par la mise à l’écart de toutes les autres dimensions de la rue en font justement un espace public, contributeur indispensable de l’ambiance urbaine, de l’attractivité, de l’intensité et finalement de l’urbanité.
Pour des raisons de sécurité et de tranquillité, l’espace public est également la cible de multiples réductions à proximité des habitations, de soustractions de voies privatisées ou de passages et galeries accueillant des commerces. Interdits, fermés temporairement ou « filtrés », les espaces publics semblent difficiles à maintenir.
L’urbanisme contemporain, écartelé entre des tendances divergentes dans ce domaine comme dans d’autres, fait pourtant aussi de l’espace public une clef du projet urbain, parce que la ville comme entité sociale et politique ne peut exister sans lieux de rencontre ou d’expression d’une identité collective et d’une mémoire partagée. La diversité sociale ne peut être vécue sans la possibilité de la rencontre. L’espace public est un lieu qui rend possible la mixité et l’urbanité. Les enjeux liés à l’espace public sont donc multiples et contradictoires. Ils ont trait aux limites qui révèlent les conflits entre intérêts et groupes sociaux différents, et à l’enjeu majeur de toute politique d’urbanisme : faire société.
Ce que disent les auteurs sur l’espace public:
Thierry Paquot
Dans un ouvrage de synthèse, Thierry Paquot (2009) propose une utile mise en tension des différentes composantes de la notion d’espace public.
Georges Perec
Georges Perec donne à voir les valeurs sociales et les référents culturels qui s’expriment dans le partage et la composition des espaces publics.
Eugène Hénard
Eugène Hénard fournit parmi les premières formulations au début du XXe siècle d’une dissociation des différents éléments que la rue avait jusqu’alors mêlé : le mouvement et l’arrêt, la circulation et la riveraineté. Ce texte d’Hénard montre comment le primat de la fonction circulatoire conduit à séparer les flux selon leur vitesse et à dissocier les différents éléments qui faisaient la rue.
Colin Buchanan
Au début des années 1960, l’ingénieur anglais Colin Buchanan remet au gouvernement britannique un rapport sur la circulation qui est devenu célèbre. Il propose une stricte séparation de voies pour regrouper les circulations de transit à l’écart des différents quartiers qui constituent la ville. La ville est alors segmentée par différentes voies rapides qui en constituent l’ossature.
Jane Jacobs
Dans le texte suivant, Jane Jacobs, militante de la qualité urbaine aux Etats-Unis, montre le lien entre la qualité de l’espace public et la diversité sociale et fonctionnelle des quartiers. Faire des espaces uniquement dédiés à la promenade et aux loisirs conduit à en faire des lieux dénués d’attrait. Les notions de mixité, diversité et espace public sont ainsi intimement mêlés. Elle décrit une banlieue résidentielle et les relations qui se nouent autour du parc pour illustrer les effets de l’absence d’espace public.
Pierre Sansot
Pierre Sansot approfondit ces réflexions.
Henri Lefebvre
Au cours des années 1960, un rappel d’Henri Lefebvre à l’intérêt des rues dans la vie urbaine.
Mike Davis
Mike Davis, parlant de Los Angeles, critique la dilution de l’espace public, sous le double mouvement de la privatisation des espaces et du primat de l’automobile.
Orhan Pamuk
Ohran Pamuk, écrivain turc, donne à voir en quoi l’espace public est le lieu de sédimentation de la mémoire urbaine et la dimension politique du devenir de l’espace public. Ce texte est écrit alors qu’un vaste mouvement social s’est formé contre le gouvernement conservateur et autoritaire en place, à la faveur d’un projet contesté d’urbanisme
Jean-Claude Monod
Voici un texte dense de Jean-Claude Monod qui montre le lien entre l’espace public physique de l’espace public des philosophes et des politistes. Cet « espace-qui-est-entre-les-hommes » permet une existence intermédiaire entre la sphère du pouvoir et celle de l’intime : il est la condition du politique.
Références
Colin Buchanan (dir.), L’automobile dans la ville, Etude des problèmes à long terme que pose la circulation dans les zones urbaines, Rapports du Groupe Pilote et du groupe de travail crée par le Ministre des Transports de Grande-Bretagne de 1963, Imprimerie nationale, Paris, 1965.
Mike Davis, City of Quartz, Los Angeles, capitale du futur, La Découverte, 1997.
Eugène Hénard, « Les villes de l’avenir », Transactions of the Town Planning Conference, London 10-15 octobre 1910, Londres, Royal Institute of British Architects, repris in Eugène Hénard, Etudes sur l’architecture et les transformations de Paris et autres écrits sur l’architecture et l’urbanisme, Introduction de Jean-Louis Cohen, Editions de la Villette, Coll. « Textes fondamentaux modernes », 2012.
Jane Jacobs, Déclin et survie des grandes villes américaines, Ed. Parenthèses, 2012.
Henri Lefebvre, « Introduction à la psycho-sociologie de la vie quotidienne », Encyclopédie de la psychologie, Ed. Nathan, 1960, repris dans Du Rural à l’urbain, Economica, Anthropos, 3ème édition, 2001.
Jean-Claude Monod, « Quels espaces pour la démocratie ? », Esprit, Août-septembre 2013.
Orhan Pamuk, Prix Nobel de littérature 2006, « Place Taksim, mémoire d’une ville », Le Monde, 6 juin 2013.
Thierry Paquot, L’espace public, 2009, La découverte, Collection Repères.
Georges Perec, Espèces d’espaces, Galilée, 1974.
Pierre Sansot, Poétique de la ville, 1994, Petite Bibliothèque Payot, 2004.